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  • Conversation

    Quand on improvise sur le thème de la conversation, voilà ce que ça donne. x)

     

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    -Je crois que mon problème, c'est que j'ai la nostalgie facile.

    -Ah bon ? Rien que ça ?

    -Tu dis ça comme si ce n'était pas vraiment un problème.

    -Tu me connais bien : ce n'est pas vraiment un problème. Enfin, pas un problème grave en soi. Ce n'est pas comme si tu étais en train de me dire que tu avais chopé la peste bubonique.

    -Où...où est-ce que j'aurais chopé la peste bubonique ?

    -J'en sais rien. Suffit de traîner dans des endroits bizarres et pas très propres, genre des égouts, ou...ou...un truc avec des rats, quoi.

    .Ou un village de l'âge sombre, me semble que c'est éradiqué dans le coin, non ? Et puis, est-ce que j'ai une tête à traîner dans les égouts ?

    -Ça dépend, c'est un égout nostalgique ?

    -C'est ça, moque toi de ma condition. Ce n'est pas toi qui dois vivre avec !

    -Et qui te dis que je ne suis pas nostalgique ?

    -Je crois que tu es totalement incapable d'éprouver de la nostalgie avec assez d'intensité pour que ça te dérange. Quand on se remémore des bons souvenirs avec les potes, c'est à peine si tu as l'air de te rappeler de quoi il s'agit.

    -Il y a des photos pour ça. Et puis je suis quelqu'un d'occupé, je vis dans le présent, voilà tout.

    -Tu ne peux donc pas comprendre les tourments de mon âme. Et si tu es sur le point de t'exclamer « Quelle âme ? », je t'envoie ce coussin à la tête.

    -Pas mon genre, voyons.

    -Tant mieux, j'aime bien ce coussin.

    -D'ailleurs, depuis quand t'as des coussins, toi ? Sur le canapé, j'entends.

    -Ils datent de machine. Elle trouvait que c'était important, sur un canapé.

    -Et t'as gardé les coussins ?

    -Ben, elle est jamais venue les récupérer, et puis on s'habitue.

    -Je suis étonné que tu ne les aies pas lardé de coups de couteaux.

    -Pourquoi je ferais ça ? Ce sont de très bons coussins, et ils n'ont rien fait.

    -Leur simple vision ne te replonge pas dans les tréfonds de ta nostalgie ?

    -Je serais plus nostalgique de la peste bubonique.

    -Oui, il paraît que ça laisse moins de traces.

    -Par contre, j'ai brûlé deux trois-souvenirs sur le balcon, c'était très cathartique.

    -C'est une des vertus d'un bon feu de joie. Je suis étonné que l'immeuble n'ait pas brûlé.

    -Je sais me servir d'une allumette !

    -Il t'en a fallu combien pour arriver à tout faire partie en fumée ?

    -Cinq. Mais c'est parce qu'elles étaient fragiles. Et puis on s'égare : je te parlais de mon très sérieux problème, celui qui est un poids sur les épaules de mon existence, et toi tu fais des quolibets.

    -Ah oui ? Ah oui. Bon, l'âme nostalgique, tu disais ?

    -Ouais, je réalise que quelles que soient les choses qui se passent dans ma vie, j'en reviens toujours à me lamenter sur quelque chose qui n'est plu.

    -Ça fait beaucoup de choses.

    -Ce que je veux dire, c'est que j'ai aucune raison que ça n'aille pas. Enfin, c'est pas comme si je vivais des trucs extraordinaires, mais j'ai pas à me plaindre non plus. J'ai un toit, de quoi manger, plein de trucs inutiles donc parfaitement indispensables, je suis pas malade, j'ai rien de cassé, et je n'irai certainement pas jusqu'à dire que je suis sain d'esprit, mais je suis capable de traverser la route tout seul, si tu vois ce que je veux dire.

    -Pas du tout, non.

    -C'est pas une expression, le truc de la route ?

    -Pas que je sache mais je t'en prie, continue, un jour j'en ferai un bouquin.

    -Tout ça pour dire que malgré tout, je passe mon temps à regretter le passé, où à espérer quelque chose que je n'ai pas. Et dès que je l'ai, je sais pas, j'ai l'impression...que ça ne m'intéresse plus.

    -Tu n'as donc plus besoin de cet ordinateur presque neuf ? J'avoue que le miens est un peu lent, et...

    -Nan, mais on se comprend, quoi...

    -J'aimerais que les gens arrêtent de dire ça.

    -De quoi ?

    -Qu'on se comprend sans rien y ajouter, comme si ça rendait aussitôt le truc universel. J'ai déjà de la peine à me comprendre moi-même, alors je suis loin d'avoir la compréhension innée d'autrui.

    -Je...vois ce que tu veux dire. C'est effectivement assez idiot, au fond.

    -Enfin bon, toi, je te comprends, mais c'est normal. Et, du coup, absolument terrifiant.

    -On remonte à loi, c'est pour ça.

    -Ah bon ? Je ne me souviens pas, il paraît que je suis incapable de me souvenir de ce genre de trucs.

    -C'est pas tout à fait ce que j'ai dit non plus.

    -Et bien on ne se comprend pas, finalement.

    -Tu vas continuer comme ça encore longtemps ?

    -Tu te sens toujours nostalgique ?

    -Je crois que le mot serait plutôt « irrité ».

    -Mais tu n'es plus nostalgique.

    -Je suis toujours nostalgique, j'ai...j'ai l'âme nostalgique, voilà ! Je poursuis des chimères, pour réaliser qu'elles ne sont pas ce qu'elles sont, et puis je regrette ce que j'avais avant. Ou alors, je ne vois que l'éphémère, je suis incapable de faire dans la durée.

    -C'est ce que je me dis à chaque fois que je te vois manger : on dirait que tu essaies de tout dévorer avant qu'on te prenne sur le fait.

    -Je mâche vite, c'est tout.

    -Parce que tu mâches ?

    -Au moins, ce n'est pas quand je me souviendrai de cette conversation que je me sentirai nostalgique. Pour en revenir à ça, c'est comme de naturellement préférer les chansons tristes, tu vois.

    -J'entends, plutôt.

    -Ou de vouloir s'éclaire à la bougie, histoire de rester un peu dans le noir plutôt que d'allumer la lumière. Comme si c'était plus rassurant comme ça : ce que tu ne vois pas te fait peur, mais au moins, tu peux te dire que ça peut être n'importe quoi. Tu ne sais pas à côté de quoi tu passes, ça rend les choses plus faciles.

    -C'est assez mélancolique, non ?

    -En fait, je crois qu'il n'y pas vraiment de bon mot. Ce n'est pas tout à fait de la nostalgie, ni de la mélancolie. Ou alors, ce sont les deux à la fois.

    -Une sorte de...mélancostalgie ?

    -Voilà !

    -Je savais que mes longues études finiraient par payer.

    -D'ailleurs, où tu en es, avec cette histoire de thèse ?

    -J'ai l'impression de vivre dedans et, au rythme où ça va, je vais probablement finir par y mourir. J'aurais dû finir boucher, comme mon père.

    -Ton père est assureur.

    -Je sais, mais ça fonctionne moins.

    -Mais tu t'en sors, ça va ?

    -Oh, je fais avec, ce serait plus juste de le dire comme ça. Je fais comme d'habitude : je gère au fur et à mesure.

    -Le fameux fait de vivre dans l'instant.

    -Ce qui est plutôt pénible avec l'instant, c'est qu'il est un peu toujours là, et que j'ai pas l'impression que le boulot diminue. Mais qu'il croit de manière exponentielle : plus je me rapproche de la fin, plus il y en a, alors que logiquement, ça devrait être l'inverse.

    -Si tu avais voulu faire dans la logique, tu n'aurais pas continué tes études de lettres.

    -Non, j'aurais fait dans la boucherie. C'est logique, la boucherie : tu découpes, tu tranches, tu sépares, tu...

    -...est à court de synonymes ?

    -Je n'ai pas tenu longtemps, c'est à pleurer. Mais sinon, je m'en sors. Je me dis que ça va aller, comme tout le monde.

    -Et ça marche ?

    -Demande à tout le monde.

    -Tu vas t'en sortir.

    -C'est marrant, parce que vous me dites tous ça, mais je suis loin d'avoir votre confiance.

    -T'as toujours su gérer, ça va pas s'arrêter maintenant.

    -Cet un air que je me donne. Je crois que je suis trop doué.

    -Et modeste, avec ça.

    -Toujours. Oh, rien à voir, mais je repense à cette histoire de coussin, et...

    -Quoi encore ? J'ai pas le droit d'avoir des coussins ? Si ça se trouve, je vais même finir par me prendre un plaid.

    -Je...ne sais pas quoi répondre à ça. Ce que je voulais dire, c'est... Personne d'autre n'a amené ses coussins ?

    -Hein ?

    -Depuis machine, je veux dire.

    -Oh. Ben, non. Tu le saurais, si c'était le cas.

    -On ne sait jamais, on peut parfois se sentir d'humeur cachottière.

    -Je n'ai rien à cacher, et c'est un peu ça le problème.

    -Le poids de la solitude ?

    -Je ne sais pas si c'est vraiment le poids de la solitude, ou juste l'envie de ne pas être seul.

    -Différence subtile, mais pertinente.

    -Honnêtement, la plupart du temps, ça va. Ou j'ai l'impression que ça va. Ma vie est bien remplie, j'ai de quoi faire, je ne suis pas défini par mon statut relationnel...

    -Tu es une créature moderne !

    -C'est bateau dit comme ça, je sais.

    -Pourquoi bateau ? C'est aussi une question que je me demande, à propos des expression. Qu'est-ce qu'il y a dans le bateau qui traduit aussi bien ce qu'on veut dire par là ? Pourquoi pas l'avion, ou...ou la brouette ?

    -J'avoue. Je dirais même que ça prête à réflexion. Enfin bref. Je me dis que ça va et puis tout à coup, ça va plus. Je me sens seul, ça devient terrible, et j'ai l'impression que je vais finir seul dévoré par mes plantes vertes.

    -Il faudra déjà qu'elles te trouvent sous tous les coussins. Et le plaid.

    -Un jour, je vois des gens se tenir la main ou s'embrasser dans la rue, ça va me faire sourire, genre la vie est belle, tant mieux pour eux, et celui d'après, je vais avoir envie de les saisir par l'arrière du crâne pour les cogner l'un contre l'autre, genre s'ils s'aiment tant, autant qu'ils se rapprochent un peu plus, quoi.

    -Ahlala, ces gens qui ont l'impudence de s'aimer devant les autres.

    -Je ne dis pas que je suis rationnel, hein.

    -Mon grand, je crois que dans ce cas, personne ne l'est jamais vraiment. Sinon, ce serait beaucoup plus simple.

    -La simplicité, voilà qui simplifierait bien les choses.

    -C'est beau quand tu parles.

    -Ta gueule.

    -Non, sérieusement, ces mots mis bout à bout, c'est...mon dieu, je sens des picotements rien que d'y penser...serait-ce...serait-ce déjà de la nostalgie, précoce je te l'accorde ?

    -Crétin. Non, quand je dis plus facile... Ce serait quand même pratique si on savait tout de suite si on plaisait à telle ou telle personne. Comme ça, pas de longue agonie à se demander si oui, si non, pas de mauvais interprétation des signaux, pas de quiproquo, pas d'humiliation...

    -Ce serait drôlement pratique, en effet. Faudrait un genre de signal.

    -Hein dis ?

    -Genre, une personne te plaît, tu vois, et si tu lui plais aussi...pouf, elle se met à clignoter en bleu ! Et si elle ne te kiffe pas, qu'il n'y a aucune chance, et que l'enfer gèlera avant qu'elle ne songe à toi de cette façon, hop, ça clignote rouge !

    -Je ne sais pas ce qui serait le plus déprimant, mais au moins on serait fixé.

    -Déprimant ? Dans quel sens ?

    -C'est... Tu vas encore me trouver débile, mais...

    -Toujours.

    -Connard. Non, mais je crois que l'idée de trouver quelqu'un qui me plaît, et la simple possibilité que ça aille dans les deux sens...ben, ça me terrifie encore plus que s'il n'y avait plus jamais rien.

    -J'avoue que tu m'as perdu. Tu restes débile, ça c'est sûr, mais si tu pouvais développer.

    -Imagine que t'aimes bien quelqu'un. Et bien si au final, c'est pas réciproque, ben tant pis. C'est pas agréable, mais tu sais à quoi t'en tenir, tu passes à autre chose.

    -Tu écoutes de la musique triste pendant trois jours enfermés dans le noir.

    -C'était une fois. Enfin bref, donc... Je disais quoi ? Ah oui ! Voilà ! Ben, si quelqu'un devait tout à coup me dire que oui, je lui plais aussi, je suis censé faire quoi, moi ?

    -Tu veux que je te fasses un dessin ?

    -Tu dessines comme un tabouret manchot. Non mais du coup, je suis bien embêté, parce que j'avais jamais prévu que ça irait jusque là. Et ça me fout la trouille. Une trouille bleue, même ! Je suis terrifié de vraiment trouver quelqu'un avec qui ça pourrait marcher, parce que j'aurais bien trop peur de tout gâcher ! Elle me plaît, je lui plais, c'est super, mais après ? On a plus seize ans, j'ai l'impression que passé un certain âge, on s'attend tout de suite à ce que ce soit sérieux.

    -Et...tu n'en as pas envie ?

    -Le problème, c'est que je n'en sais rien. Le problème, c'est que ça me fout la trouille parce que j'aurais l'impression de ne pas pouvoir en faire assez. Dans le fond, ça se résume à ça : qu'est-ce que je pourrais apporter à qui que ce soit ? Qu'est-ce que je pourrais offrir ?

    -Et bien déjà, tu viens avec tes propres coussins.

    -Je suis sérieux mec !

    -Moi aussi. Ce que je veux dire...c'est que tu te mets la pression avant même de te retrouver devant le fait accompli. Tu te fous les boules pour une histoire hypothétique.

    -Alors je suis bien parti pour une vraie, tiens...

    -Ne déforme pas ce que je veux dire non plus. Ça fait combien de temps, depuis l'autre, là ?

    -J'en sais rien. Trois, quatre ans ?

    -Okay. Mais ça ne veut rien dire. Et il faut que tu arrêtes de stresser pour ce que tu ne peux pas contrôler. Ce qui doit arriver arrivera.

    -C'est qu'on t'a appris à l'uni ?

    -Crois moi, on y apprend beaucoup plus de choses qu'on ne le croit, et pas toujours en cours. Ce que je veux dire, c'est...on s'en fout ! Ce que t'as à apporter ? Ben, attends de savoir quoi avant de t'avouer vaincu. Si quelqu'un finit par clignoter en bleu, c'est bien qu'il y a... Attends, je viens de réaliser. Trois ou quatre ans déjà ?

    -Yep.

    -Et trois ou quatre sans...carrément...on se comprend ?

    -Je croyais que tu n'aimais pas cette expression. Et ne remue pas le couteau dans la plaie.

    -Pardon, je vais le ranger dans le tiroir. Comme ton...

    -Ça suffit.

    -Non, mais t'as raison, je propose qu'on fasse comme on l'a toujours fait à ce sujet.

    -On évite d'en parler entre nous de quelque manière que ce soit parce que nous sommes des adultes parfaitement matures et responsables et que ça ne nous rend pas du tout inconfortables ?

    -Exactement.

    -Où en était, déjà ?

    -Que ce serait bien si les gens clignotaient de la bonne couleur, et on a inventé un nouveau mot.

    -Une conversation bien remplie, en somme.

    -Et qui ne manquera pas de m'évoquer une profonde mélancostalgie quand j'y repenserai plus tard.

    -T'es con.

    -J'espère bien, sinon, à quoi bon ?

    -Ah, je crois que les autres arrivent...

    -Oui, mais est-ce qu'ils ont amené leurs coussins ?

    -T'es vraiment con, en fait.