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  • Conversation II, ou la Dialectique de la Crêpe

    Second exercice de dialogue improvisé. A éventuellement été basé sur une histoire de crêpes véritables. x)

     

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    -Tiens, tu ne réponds plus à ta porte ? J'ai passé deux minutes à trouver les clefs.

    -Trop de clefs ?

    -Trop de porte-clefs.

    -Logique.

    -Dis, qu'est-ce que ça fouette dans ton ascenseur ! C'est indescriptible.

    -Encore ?

    -On dirait que quelqu'un a suer l'équivalent de trois bouteilles de vin avant de se frotter sur chaque centimètre carré de la cabine. J'avais peur de toucher aux boutons.

    -Je croyais que c'était indescriptible.

    -Je ne sais pas ce que font tes voisins, mais ils y mettent beaucoup de cœur.

    -L'autre jour, j'ai eu droit à bouquet assez improbable qui évoquait le mariage de la cacahuète avec le détergent.

    -Quelle sorte de détergent ?

    -Disons qu'il ne sentait pas le sapin.

    -C'est à se demander comment ils en sont arrivés là.

    -On m'a dit un jour que derrière chaque mauvaise odeur il y avait une histoire.

    -Du moment qu'on en fait pas un film. En parlant d'odeur, ça sent...

    -Bon ?

    -Je ne dirais pas ça, mais ça ne pue pas non plus. Ça sent une odeur intéressante, chez toi.

    -J'ai fait des crêpes.

    -Tu as fait des crêpes ?

    -Ton air d'incrédulité me blesserait presque.

    -Tu as fait des crêpes ?

    -J'ai essayé de faire des crêpes.

    -Ça me paraît déjà plus logique. Malgré ton aversion pour tout ce qui touche de près ou de loin à la pâtisserie ?

    -Je n'irai pas jusque là...

    -Tu n'as aucune patience, et la précision d'un joueur de boules bourrés au pastis.

    -J'avais envie de crêpes.

    -Je me doutais bien de la genèse.

    -J'en ai rêvé cette nuit.

    -Ça explique tout. La nuit d'avant, j'ai rêvé de Patrick Bruel, mais je ne l'ai pas cuisiné.

    -Tu rêves de Patrick Bruel ?

    -Sans doute un complexe d’œdipe.

    -Du coup, j'ai dû sortir acheter des œufs.

    -Ma parole !

    -Si.

    -Au magasin au bas de chez toi ?

    -Attends, il a fallu que je m'habille. Que je trouve mon porte-monnaie. Que je sorte dans le couloir. Que je retourne chez moi parce que si j'avais trouvé mon porte-monnaie, je ne l'avais pas pris pour autant. Et puis il fait froid dehors. Au moins, l'ascenseur était relativement neutre.

    -Veinard. Et ?

    -Et ?

    -Ces œufs ? Tu les as trouvés ?

    -Comment j'aurais fait mes crêpes, sinon ?

    -Ahah.

    -J'ai tourné dix minutes dans le plus petit centre commercial du monde, mais j'ai fini par les trouver.

    -Indiana Jones serait fier.

    -Il y a toujours une ambiance particulière, dans un grand magasin, quand c'est le soir et que c'est proche de la fermeture.

    -Surtout en hiver.

    -Les néons qui prennent une teinte étrange, presque personne, un employé qui passe le balai en marmonnant tout seul.

    -Je comprends mieux pour les œufs.

    -Je n'ai pas osé le déranger ; pour ce que j'en sais, il invoquait Satan.

    -Tu aurais pu lui demander où étaient les œufs.

    -Bref, je suis rentré...

    -Avec Satan ?

    -Avec les œufs.

    -Ça aurait pu expliquer l'ascenseur.

    -Sauf que là, je réalise qu'il faut que je pèse deux cent cinquante grammes de farines, et que je n'ai pas de balance.

    -Classique.

    -Alors bon, je fouille un peu partout dans les placards, et je trouve un doseur vert fluo qui dose en cups. Jusqu'à une cup et demi.

    -Ça fait quoi déjà ça ? Trois cent, trois cent cinquante grammes de farine ?

    -Sur internet, je trouve quatre cent dix grammes de farine pour trois cups. Je n'ai pas regardé plus loin, personne n'est jamais d'accord. Alors je fais des maths, j'abandonne les maths, et je me dis qu'une cupe et demi fera l'affaire.

    -A dieu va !

    -Après évidemment, il a fallu cassé les œufs...

    -Tu disposes d'un talent naturel pour ce genre de chose.

    -Pas quand il faut faire exprès. Mais ça s'est bien passé. Alors je les ajoute au reste, avec la farine, le sucre, le lait, le beurre fondu que j'ai bien sûr réussi à brunir, et je mélange.

    -Palpitant.

    -Et là : des grumeaux ! Des grumeaux partout !

    -Partout ?

    -Partout, je te dis !

    -Tu n'est as obligé de me secouer comme si tu revivais un flashback du Vietnam.

    -Pardon. Ce sont les grumeaux, ça me rend tout chose. Bref, je fais de mon mieux, je travaille mon poignet...

    -Tu...

    -Je t'arrête tout de suite, c'est déjà bien assez douloureux comme ça !

    -... !

    -Okay, dis comme ça, réalise que ça ne sort pas comme j'avais voulu.

    -. . . .

    -Tais toi.

    -Ah mais moi j'ai rien dit, c'est toi qui sors des trucs !

    -Bref, la pâte est vaguement homogène, si on excepte le brun du beurre qui ressort, et je me dis qu'il est temps de passer au vif du sujet. Et de la poêle.

    -Je peux revenir demain, hein.

    -J'allume la plaque. Rien ne se passe. Je finis par réaliser que c'est la mauvaise plaque, je recommence. Une louche et hop, première victime !

    -Ah mince.

    -Si j'avais été vétérinaire et qu'on me l'aurait apportée, je serais allé chercher le fusil pour l'abattre sur place.

    -En même temps, si t'es vétérinaire et qu'on t'amène une crêpe, je ne sais plus qui il faut abattre.

    -C'était les crêpes les moins rondes que j'ai jamais vues.

    -Elle ne tourne pas rond, ton histoire.

    -...

    -Pardon, j'ai eu une longue journée.

    -Alors j'en fait une autre, et encore une autre, et encore une autre, tandis que les empile sur une assiette. Et au bout d'un moment, je commence à me dire que c'est pas possible, il a pas de fin ce saladier !

    -Comme les théières allongées dans les restaurants asiatiques.

    -De quoi ?

    -Elles sont insondables. Elles ont l'air minuscules, et pourtant t'en es encore à te remplir des tasses au dessert. J'ai jamais compris.

    -Voilà. Et je réalise que la recette que j'ai prise était pour quatre personnes.

    -Ah ouais quand même.

    -Alors les crêpes, tout ça, je me suis dit que c'était un peu une métaphore de ma vie.

    -Houla.

    -Je veux trop en faire, je ne sais pas comment m'y prendre, tout déborde, et ça m'angoisse.

    -Ça t'angoisse ?

    -Les grumeaux m'angoissent. J'ai beau fouetter, ça s'amoncelle. Ma vie est pleine de grumeaux.

    -Hey !

    -Tu sais ce que je veux dire.

    -Non, pas vraiment. J'ai horreur de cette expression, pourquoi est-ce qu'on...

    -On ne va pas repartir là-dessus.

    -Donc, des grumeaux ?

    -J'ai beau me débattre, bouger, je tourne en rond. Et je deviens comme de la pâte, qui se laisse couler. Et après, je n'arrive plus à la mettre en forme.

    -Peut-être qu'il te manque un ingrédient.

    -Si c'était aussi simple...

    -Tu sais, parfois il suffit de peu de choses. Et puis même si c'est moche, c'est pas forcément mauvais !

    -Euh... Merci ? Je crois...

    -Ce que je voulais dire, c'est : elles étaient bonnes, ces crêpes ?

    -Hein ? Ah, oui. Enfin, elles avaient un goût de crêpes. Un peu farineuse, j'ai dû me gourer dans cette histoire de cups.

    -C'est ce que Maria a dit quand elle s'est acheté son dernier soutien-gorge.

    -Comment elle va, d'ailleurs ?

    -Aucune idée, on ne se parle plus trop depuis hier. C'est pour ça que je suis passé.

    -Ah mince... Qu'est-ce qui se passe ?

    -Aucune idée. Et je crois qu'elle ne sait pas trop non plus. Ce sont peut-être des grumeaux qui s'accumulent.

    -Vous faut peut-être un coup de fouet ?

    -Ahah. Enfin, tu plaisantes, mais on a essayé.

    -Le fouet ?

    -Oui, enfin non. Ce que je veux dire, c'est qu'on a essayé de bouger un peu, mais... J'sais pas.

    -Il reste des crêpes, si tu veux. Elles sont froides, par contre.

    -Et ça aussi, c'est une métaphore de la vie ?

    -Pour quatre personnes, bon sang !

    -Ce serait une vie trop agitée pour moi. Et tu n'as même pas tout mangé ?

    -J'ai des limites.

    -Et y a quoi pour mettre dessus ?

    -Ben, j'ai acheté du Nutella.

    -Parfait !

    -Je n'achète jamais de Nutella, d'habitude. J'aime pas trop ça. Sauf sur les crêpes, je réalise. Du coup, je vais me retrouver avec un pot de Nutella à peine entamé, et je ne saurai pas quoi en faire.

    -Le drame.

    -C'est tout moi ça : il suffit que je m'intéresse à une histoire de crêpe, et je m'emballe avec le Nutella.

    -On parle toujours des crêpes, ou on est repassé aux métaphores de la vie ? Dis, elle a un goût bizarre, cette crêpe...

    -Oh, c'est normal. De temps en temps, pendant qu'elles cuisaient, je faisais un peu de vaisselle. J'ai horreur de laisser traîner la vaisselle sale, ça m'angoisse.

    -Est-ce qu'il y a des choses qui ne t'angoissent pas ?

    -On ne plaisante pas avec l’œuf crû.

    -J'ai toujours remarqué qu'ils n'avaient pas beaucoup d'humour. Et donc ?

    -Alors parfois, je devais me précipiter pour retourner une crêpe. J'ai du projeter un peu de liquide vaisselle.

    -Charmant. Et ces petits bouts bruns ?

    -Le beurre, je t'ai dit.

    -Tu sais, parfois je suis époustouflé de voir que tu as survécu jusqu'à aujourd'hui.

    -Et encore, tu n'as pas vu la cuisine.

    -Je croyais que tu avais fait la vaisselle ?

    -Non, c'est qu'après, j'ai voulu me faire un chocolat, et j'ai éternué en ouvrant le pot de cacao.

    -Je ne sais pas si tes métaphores de la vie sont justes, mais elles ne manquent pas d'un certain humour potache.

    -Moque toi.

    -Absolument. Thé ?

    -Thé. Et après, tu me raconteras.

    -C'est pas comme une crêpe : quand tu retournes le tout, ça ne va pas forcément mieux...

    -Une métaphore de la vie, j'te dis.