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Coeur de Neige

En fouillant ici et là, vous avez remis la main sur deux textes que vous aviez écrit il y a quelques temps et l’envie vous prend de les diffuser ici. Comme ça, sans raison. Vous êtes sur votre blog, vous faites ce que vous voulez. Même danser la gigue dans votre peignoir éponge vert si l’envie vous en prenait !

 

Heureusement pour le monde, l’envie ne vous en prend pas. Mais avant de mettre le premier des textes, il vous est nécessaire de faire un petit topo, car ces deux historiettes se passent dans l’univers d’un de vos jeux de rôles préférés (oui, vous aimez le jeu de rôles et vous le pratiquez ; vous l’aviez dit, vous êtes un être bourré de défauts !) et que sans aucune indication, les lecteurs qui ne connaissent pas et qui passeraient par ici ne comprendraient pas grand-chose.

 

Ce jdr (pour faire plus court), est sans doute le jdr français le plus connu : In Nomine Satanis/Magna Veritas. Pour faire court, cet excellent jdr propose aux joueurs d’incarner sur Terre et à notre époque des anges ou des démons dans un corps humain afin de secrètement s’affronter au nom du Grand Jeu instauré par Dieu. Outre le fait que ce jeu est à déconseiller aux croyants sans aucun humour, c’est un excellent univers bourré d’inventivité, d’humour et de références.

 

Dans ce jeu, outre Dieu (en retraite à la Bourboule) et Lucifer (qui déprime), anges et démons sont respectivement dirigés par un conseil d’Archanges et de Princes Démons. L’historiette que vous avez écrit ci-dessous utilise deux d’entre eux : Crocell, Prince Démon du Froid et Ange, Archange des Convertis.

 

Crocell est un Prince qui a chuté du Paradis…parce qu’il était influençable et qu’il s’ennuyait. Impulsif, c’est néanmoins un brave type, autant que faire ce peu pour un démon. Il aime assez les humains, le surf et la fondue savoyarde. Il aime aussi les bonnes blagues et fait preuve d’un caractère plutôt rebelle envers toute forme d’autorité. Comme son titre l’indique, il est chargé de faire le mal en ce monde en usant du froid, des avalanches, et tout ce genre de trucs.

 

Ange est un cas spécial. C’est la fille d’un ange et d’un démon, cas presque unique, qui a décidé de rejoindre le Paradis. Elle n’a même pas vingt ans mais pour un être supérieur, quelle importance ? Elle aime prendre l’apparence d’une séduisante jeune femme ou d’une petite fille à l’air innocent. Elle n’aime pas l’intégrisme dont font preuve certains de ses collègues archanges et son rôle est d’accorder la rédemption aux démons qui la demandent et qui en sont jugés dignes.

 

Si après ces quelques lignes vous ne passez pas pour un fou qui passe des heures dans les caves de ses amis à disséquer des chèvres, vous pouvez donc enfin laisser place à la petite nouvelle que vous aviez écrite il y a quelques temps…

 

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Cœur de Neige

 

 

Le vent fouettait son visage alors qu’il s’élevait dans les airs. Plus haut, toujours plus haut dans un ciel bleu empli d’une pureté qu’il avait depuis longtemps perdue. Mais tandis qu’il filait à toute vitesse dans les airs, dans cette étendue claire et limpide dépourvue de nuages, ils se sentait enfin libre.

Oh, l’espace d’un instant seulement ; le temps d’un frisson, il avait un aperçu de cette liberté qu’il ne pourrait jamais avoir. Etre libre… C’est ce qu’il leur avait promis quand ils l’avaient suivi. Et aujourd’hui…

Lorsque sa planche de snowboard reprit contact avec le sol dans une réception impeccable, Crocell, Prince Démon du Froid, se dit que décidemment ce n’était pas dans son habitude d’être aussi philosophe. Glissant avec grâce et maîtrise sur la neige au milieu de sportifs admiratifs, le seigneur des glaces se dit qu’il avait surtout besoin d’un bon chocolat.

N’empêche, cette liberté…

Crocell ne comprit pas comment cela put se produire : il n’y avait pourtant aucun obstacle l’instant d’avant, mais la petite fille qui se tenait, maladroite, sur de petits skis roses, lui coupait bine le passage.
Il est évident qu’en temps normal, en bon démon qu’il était, le Prince ne se serait guère soucié d’une telle situation. Sauf que ces temps il réfléchissait beaucoup, ce dont il n’avait guère l'habitude. En plus, ce n’était qu’une enfant. Donc un être innocent qui n’apporterait pas grand-chose aux forces du mal avec un grand « M ». Et puis zut, il n’était pas du genre à shooter une mioche de sang froid tout de même (si l’on peut dire) ! Pas comme l’autre débile qui s’échauffait pour un rien.
Tout à ses réflexions, Crocell décida de contourner le problème, c’est-à-dire l’obstacle. Pour un Prince Démon, autant dire que ça ne posait pas de grande difficulté. Même si en ce qui le concernait, ce genre de tergiversations cérébrales ne lui étaient pas coutumières…

Quoiqu’il en soit, dans un réflexe aussi fulgurant que maîtrisé (hé, c’était un Prince, tout de même !), il évita l’enfant apeurée. Qui n’était pas apeurée du tout d’ailleurs. Même pas inquiète. A vrai dire elle semblait bien ne pas avoir remarqué le bolide en snow qui lui était passé au raz du bonnet en un grand souffle d’air froid. Même qu’elle continua son petit bonhomme de chemin, l’air concentrée, flageolant sur ses petits skis de débutante.
S’arrêtant net, Crocell l’observa un moment dans sa descente en grommelant quelque chose à propos de sales mioches ingrats et qu’on ne l’y reprendrait plus parce que nom d’une pipe s’il ne pouvait même plus s’éclater sans se soucier de gamins abrutis où allait le monde! D’ailleurs, personne d’autre sur la piste n’avait fait mine de remarquer son action digne d’un des meilleurs films sur la glisse en montagne (meilleur en fait ; le Croc’ en aurait remontré à pas mal de ces cascadeurs du dimanche). Décidemment, il y avait quelque chose de bizarre… Remettant ses lunettes, Crocell se donna une impulsion et reprit sa descente en direction de la station.

Il avait vraiment besoin d’un chocolat…

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Attablé dans le restaurant de la station, en tête à tête avec un chocolat tiède, le Prince du Froid cogitait sévère, encore une fois assailli par de sombres pensées. Bon, o.k, il avait pas à s’plaindre : il avait un boulot plutôt cool si on mettait de côté tout le bordel administratif et certains collègues dirigistes, surtout l’autre allumette là. Après tout il avait pas mal de pouvoir, des serviteurs aussi branchouilles que lui, il pouvait se lâcher, se bastonner avec des youyous de temps en temps, bouffer de la fondue, l’éclate quoi !
Enfin, l’éclate relative, surtout ces temps-ci. D’autant plus que la vie de Prince Démon c’était pas d’la tarte. D’autant plus depuis le coup de pute de l’enfoiré et de ses infiltrés et toute cette histoire de crise démoniaque. Non, Crocell n’avait pas la vie facile depuis peu. Et y a pas à dire, jouer le bourrin branché, au fil du temps ça devient plus réducteur que synonyme de liberté.

La liberté ; lui filant dans les airs, avec le ciel comme seule contrainte…

Crocell se fendit d’un soupir, réfrigérant son chocolat pour le coup. A ajouter à ses malheurs, on pouvait citer le charger de comm’ de Baalberith qui l’attendait en bas de la piste. Comme quoi le Conseil trouvait « que Crocell passait un peu trop de temps sur Terre à s’amuser et que, franchement, il pourrait se bouger un peu niveau projets démoniaques. Vous êtes un Prince des Enfers, pas seulement un rigolo que diable ! ». Le maître du froid avait pris bonne note avant de décapiter le bonhomme d’un coup de planche maudite (dans un endroit discret bien évidemment ; « mais si mon cher je vous assure, j’ai perdu mon bonnet entre ces arbres. Non ça ne me dérange pas si vous me délivrer votre message pendant que je cherche… » . Sur le coup ça l’avait défoulé (Crocell, pas le Baalberith qui en était resté tout étêté avant de disparaître). Mais au final, ça l’embêtait plus qu’autre chose. Dézinguer ce pauvre diable n’allait pas arranger ses soucis. D’un autre côté, Crocell avait toujours été partant de l’impulsivité ; on se défoulait un bon coup quitte à vaguement s’expliquer plus tard s’il restait des survivants…

Nan, c’qu’il lui fallait maintenant, c’était une bonne fondue savoyarde. Il allait prendre commande lorsqu’il la vit entrer…

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Jeune, pas plus de vingt ans, elle semblait déplacée dans sa doudoune noire qui ne cachait pas sa frêle stature. Révélateurs d’un manque d’habitude à l’exposition hivernale, des joues rosées et un petit nez rouge en trompette tranchaient avec sa peau sommes toutes assez pâle. De longs cheveux noirs encadraient un visage fin et délicat. Plus que son attitude, qui démontrait qu’elle n’était pas dans son milieu naturel, ce furent ses yeux qui frappèrent le Prince. Des yeux clairs, aussi limpides que le ciel qu’il fendait d’un saut et aussi purs que la neige, la froideur en moins. D’un pas hésitant, elle s’approcha de la table du démon et le dévisagea des pieds à la tête, avant de demander d’une voix douce et timide si la place était prise.
Deux choses surprirent Crocell.
Premièrement, il n’avait pas envie de lui sauter dessus sans consentement là tout de suite sur la table, ou du moins dans un endroit plus discret.
Deuxièmement, il se sentit gêné. Concept qui lui était totalement étranger. Il se retrouva à marmonner son assentiment et resta de glace tandis que la superbe créature s’installait tranquillement face à lui.
-Je vous remercie. Je suis arrivée aujourd’hui à la station et je ne connais personne. Et vous m’aviez l’air d’un charmant garçon…dit-elle, visiblement gênée elle aussi et déroutée de l’être réellement.
« Hein ? » pensa Crocell interdit. « Ca doit être le sourire… Ce dentifrice humain rend vraiment mes dents étincelantes. Houlà, est-c’que j’ai bonne haleine d’ailleurs ? Bon sang mais qu’est-ce que je raconte… »
S’accrochant à la théorie du charmant sourire, le Prince en décocha un des plus charmeurs qu’il avait en réserve :
-Euh… Je t’en prie… J’allais commander une fondue. Au fromage. Fondu je crois… Ca te dit ? « Merde. Comme entrée en matière y a mieux… ».
L’inconnue se fendit d’un sourire à son tour :
-De la fondue ? Vraiment ? J’en avais encore jamais mangée ! Avec plaisir !

Trois heures plus tard, ils discutaient toujours autour d’un caquelon désormais vide, leurs estomacs contentés et leurs yeux brillants. Le patron vous servait de ces petits alcools maisons… Incroyable ce qu’une humaine pouvait être attirante, se disait la partie de Crocell qui avait encore vaguement conscience de ses capacités cognitives. C’était pas arrivé depuis celle qu’avait foutu le bordel avec l’autre allume-cigare (Crocell ricana en songeant à son cher frère Belial, Prince du Feu). En temps normal, Crocell n’aurait jamais perdu de temps dans un processus de séduction aussi développé ; il se serait contenté d’emballer la fille et en aurait rapidement profité dans un endroit discret avant de passer à autre chose. Mais là, il y avait plus à en tirer, il le sentait.
Ils parlèrent de tout et de rien, de rien et de tout, bien que Crocell soit plus tard incapable de se remémorer quoi ; des trucs sans importances sans doute, le baratin habituel.
Toujours est-il que de fil en aiguille, de coup d’œil timide en frôlements de mains qui l’étaient tout autant (à ce stade, un soupçon de démon subsistait encore quelque part chez le Prince : il était en train de caresser la main d’une femme ? D’une simple humaine en plus ? Lui qui arrachait la tête des gens d’une pichenette ?!? Mais cette partie là de Crocell finit par céder devant des instincts plus ancestraux que n’importe quelle chute, majuscule ou pas…, ils se retrouvèrent devant la porte de la chambre que Crocell avait louée (occupée plutôt ; il n’allait pas payer non plus !), à se dévisager comme s’ils étaient les deux seuls bonhommes de neige existant sous le petit globe de plastique industriel (mais si, ceux qu’on renverse pour faire tomber les petits flocons synthétiques).
-Heu…commença Crocell, brillant.
-Chut ! Elle lui apposa un doigt sur les lèvres. Alors que la main de Crocell, dos à la porte, tournait la poignée, elle se serra contre lui. Sans un mot, ils s’engouffrèrent dans la pièce.

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-Tu es le premier, lui chuchota-t-elle au creux de l’oreille alors qu’ils roulaient sur le lit défait.
-Je serai doux… Et il réalisa qu’il ne mentait pas.

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-Mff… Crocell grogna et changea de position lorsqu’il lui sembla entendre un bruit de porte qu’on referme doucement. Il finit par ouvrir un œil aveuglé par le soleil matinal qui pénétrait dans la chambre et se mis sur le côté. Où, à sa grande surprise, il ne découvrit personne.
-Bordel ! s’exclama-t-il. La sale petite… Il sauta hors du lit, enfila un caleçon (on a beau être un démon, on en perd pas pour autant toute dignité ) et se précipita dans le couloir. Aucune trace d’elle. Apercevant un mouvement, il baissa la tête et toisa une petite fille qui trottinait dans le couloir.
-Hé toi ! Oui, tu n’aurais pas vu une jeune femme sortir de cette chambre ?
La gamine se concentra un instant, tirant légèrement la langue sous l’effort de la réflexion :
-Nan, z’ai pas vu de très jolie mademoiselle.
Lui jetant un regard noir, Crocell se précipita en direction des escaliers. Il n’avait pas reconnu la petite fille qu’il avait failli percuter la veille.

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Quand Crocell revint dans la chambre, dépité et passablement de mauvaise humeur, son petit réveil de poche diffusait sa mélodie matinale habituelle : « Un chapeau gris, une écharpe rouge voici… ».
-Conneries ! Crocell envoya valdinguer l’appareil : « … nez rouge…xrtz..biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip… ». Le Prince le shoota dans un coin de la pièce; merde, et en plus c’était son préféré ! Celui avec ce vieux héros de dessin animé pour gosses. Il s’assit sur le lit (Crocell, pas le vieux héros), la tête entre les mains. Puis il passa l’une d’elle sur la place qu’elle avait occupée cette nuit, oui il en était sûr et non monsieur il n’était pas fou ! Elle était encore chaude, dégageant le souvenir d’une nuit en dehors du temps.

D’une nuit de liberté.

Soudain, Crocell éclata de rire. Il se releva et, cherchant dans un coin de la pièce, il retrouva le réveil. Se rasseyant, le Prince du froid, un seigneur des enfers craint et puissant empli de rage et de pouvoir, entreprit de réparer l’objet en sifflotant : « …voici Bouli et son petit nez rouge... ».

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Eloignant sa tête de la porte à travers laquelle elle écoutait, la petite fille sourit avant de continuer sans chemin. Décidemment elle en avait apprises des choses en quelques heures. Pour un défi, c’était un défi. Le vieux ne lui avait pas confié n’importe qui… Mais bon, elle aimait les défis de toute façon. Et les défis, c’était plus ou moins son job… Et Dieu qu’elle aimait apprendre ! Décidemment, elle était loin d’avoir tout expérimenté. Elle sourit à nouveau : ça promettait d’être intéressant…

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Quelques instants plus tard, une jeune femme vêtue de noire, aux longs cheveux de la même teinte et au regard songeur sortit de la station. Elle souriait toujours, du rose aux joues.

Et cette fois, ce n’était pas à cause du froid.

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