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  • Solitude

    Vous êtes là, en train de passer une journée plutôt tranquille quand soudain… Paf ! Oui, vous ne voyez pas d’autre mot. Paf. Comme une gifle dans la figure, un coup de poing dans le ventre ou un paquebot de plusieurs tonnes vous tombant sur le coin de la pomme (on ne dira jamais assez à quel point un paquebot s’écrasant de nulle part sur le pauvre personnage en dessous est un ressort comique formidable). En fait, tout cela, c’est peut-être parce que justement vous avez passé une journée tranquille. Trop tranquille. Comme celle d’avant. Et celle d’avant. Ainsi que celle qui précède et toutes ses bonnes copines, fidèles comme des matrones à leurs réunions Tupperware.

    Car, il faut bien l’avouer, il ne se passe pas grand-chose dans votre vie. Par exemple, le moment le plus exaltant de votre semaine a dû être celui où vous avez trouvé dans une boutique d’occasion quatre Disney que vous n’aviez pas encore. Et encore. Vous n’avez personne avec qui les regarder, et une fois rentré vous découvrez que le lecteur VHS refuse de fonctionner. Comme ça, sans raison. Il doit être caractériel, le lecteur VHS ; il doit être trop occupé à jalouser le lecteur DVD (bien qu’il n’ait pas vraiment de raison pour ce faire, vu la fréquence à laquelle ce dernier est utilisé lui aussi : à croire qu’au fond, il n’y a personne pour regarder des films, chez vous.). Vous pensiez pourtant que ces derniers temps, tout n’allait pas trop mal. Vous aviez l’impression de vous occuper, d’avoir toujours quelque chose à faire ; vous ne passiez plus le principal de votre temps à traîne de la cuisine à votre lit et du lit à la cuisine.

    Vous vous trompiez. Patatra, comme une cascade dans une vieille bande dessinée, vous avez dévalé les escaliers de vos habitudes, laissé échapper vos certitudes. Certes, vous ne manquez pas de choses à faire : des piles de romans à lire, des jeux à faire, des films et des séries en grande quantité, et d’autres choses encore. Seulement voilà : toutes ces choses, vous les faites seuls. Et vous réalisez que vous avez de plus en plus de mal à en profiter de cette manière. Et vous ne maniez pas l’hyperbole : seul est bien le mot. Famille et activités communautaires mises à part (même ça, ça commence à sentir bon le parfum de la triste routine), vous avez dû en tout et pour tout avoir un jour d’interactions sociales. Il parait qu’il y a des gens qui ont assez d’amis pour en voir chaque jour, mais vous vous êtes laissé dire qu’il s’agit de gens avec une vie réelle. De ceux qui partent travailler tous les matins, par exemple. Quelque part, rien de tel pour avoir une raison de sortir de chez soi. Manque de bol, vous, ça a plutôt tendance à vous envoyez dans le cabinet de votre psychiatre attitrée, au bord de la rupture, accessoirement en larmes et même, quelques fois, à deux doigts d’agrafer la main d’un collègue (mais ceci est une autre histoire).

    Ce genre de révélations ont tendance à vous frapper quand vous vous y attendez le moins. Par exemple –comme aujourd’hui- lorsque vous vous apprêtez tranquillement à regarder l’un des épisodes de la semaine des nombreuses séries que vous suivez. Au moment de lancer la machine, le premier doute vous assaille, bondissant sur vous tel la tique vengeresse sur le teckel pataud : à quoi bon ? Ce n’est pas comme si vous alliez ensuite avoir l’occasion de le partager, cet épisode. Vous n’osez presque plus dire plus de deux phrases à une tierce personne concernant –par exemple- une série, parce que vous avez alors l’impression de ne parler que de ça. Seulement, comme autrement, vous n’avez pas l’occasion d’en parler, ça vous vient tout de suite à l’esprit et vous avez envie de le partager, et donc d’en parler. Ce qui irrite les gens parce que du coup, comme dit plus haut, vous en parlez trop, et vous revoilà à la case départ. Un véritable cercle vicieux. Qui vaut pour pratiquement toutes les expériences que vous mourrez d’envie de partager qu’il s’agisse d’une série, d’un bouquin, d’un jeu, d’un film…

    Ce premier sursaut d’aquabonisme passé, vous vous dites que tant pis, quoi que vous fassiez maintenant, vous le faites peut-être seul mais au moins c’est quelque chose que vous aimez. Cela pourrait être pire. Quitte à larver devant un écran, autant le faire sans complexe si on ne veut pas craquer un beau matin et s’exiler au Yémen uniquement coiffé d’une théière en faïence. Et puis, de la rue à votre fenêtre s’élèvent les rires et les cris d’une quelconque bande de jeunes, d’amis, de potes, qui traînent ensemble, profitant de cette belle fin d’après-midi. Peut-être ces jeunes innocents iront-ils boire leur verre de l’amitié hebdomadaire, ou folâtre gaiement sur les chemins primesautiers d’une jeunesse désoeuvrée mais gaie qu’ils ne savent pas encore perdues. Et c’est aussi là que vous vous rendez compte que vous auriez donné n’importe quoi pour être à leur place. Parce que la vôtre, qu’elle soit devant un écran, un bouquin ou un cahier, elle n’est finalement qu’une place unique dans le morne wagon de votre existence. Vous qui manquez de peu l’ulcère quand on vient s’asseoir dans votre espace lors d’un trajet en transports en communs, vous ne supportez plus votre unique place assise dans le train de la vie. Ni votre tendance quasi-maladive aux métaphores clichés, comme celles qui parlent de train et qui font souvent le bonheur des adolescents accrochés aux écouteurs de leurs mp3 sur fond de musique rap. Vous, vous réalisez que vous préférer Patrick Bruel (ces derniers jours, vous avez développé une étrange fascination pour un album live de ce chanteur ; vous vous demandez si c’est une raison supplémentaire de vous inquiéter.).

    Alors encore une fois, vous finissez par vous précipiter sur votre clavier pour écrire ces quelques lignes. Quelques lignes que vous avez l’impression d’avoir tapées maintes et maintes fois, avec quelques changements de vocabulaire et plus ou moins de métaphores foireuses (mais jamais de musique rap). L’espace de quelques minutes, vous allez vous sentir mieux. D’avoir ainsi mis des mots sur les émotions (ou plutôt leur manque) qui s’agitent en vous. Vous allez, le cœur léger, pouvoir regarder l’un de vos plaisirs coupables de la semaine.

    Mais une fois l’épisode fini, vous vous tournerez et il n’y aura qu’avec le mur que vous pourrez le partager. Et si les murs ont des oreilles, ils n’ont pas de cœur. Alors vous allez sans doute étouffer un sanglot (un rien vous émeut aux larmes, ces derniers temps, c’est terrible ; vous pourriez presque fondre en larmes devant l’émotion se dégageant disons… d’ « Un Dîner Presque Parfait », tiens. C’est dire que vous êtes grave, comme disent les jeunes. Ou en tout cas comme disaient les jeunes du temps de votre jeunesse. Maintenant, vous ne savez plus trop ce qui est branché.), tourner en rond, fixer le vide, chercher le sommeil, et demain sera une nouvelle journée.

    Comme un nouvel épisode. Et toujours seul.