Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Sunny day

Photographie écrite d'un moment, d'un instant, d'une humeur... d'un dimanche.

 

__________________________________________________________________

 

Vous avez froid. D’un geste absent, vous réajustez la couette sur vos épaules, les yeux perdus dans l’éclatante lueur cathodique de votre écran tandis que le reste de la pièce est plongé dans la pénombre. Comme fond sonore, une musique triste au rythme lancinant passant en boucle sur youtube, se fondant avec le tapotement de vos doigts sur le clavier lorsque vous répondez à tel commentaire ou tapez telle adresse. Votre œil glisse sur l’heure inscrite en bas à droite de votre ordinateur, il est à peine passé dix-huit heures. Retour au reste de l’écran, où défilent les mêmes pages encore et encore dans l’espoir fou qu’elles affichent quelque chose de nouveau, capable de vous faire sourire, capable de vous surprendre. Mais comme partout ailleurs le temps semble figé sur la toile, prenant au piège les mouches au cerveau fatigué, attirées par la lumière froide.

 

Pour la énième fois de la journée, vous vous levez. Vous faites quelques pas dans l’appartement vide, passant d’une pièce à l’autre comme on zappe les programmes à la télé. La télé, allumée sans espoir d’y trouver d’autre réconfort que celui d’un bruit de fond vague et abrutissant. Il n’y a personne, les parents sont partis souper chez des amis, vous n’avez pas eu le courage de franchir la porte pour les accompagner. Un autre jour. Il y a juste la chienne, étalée dans son panier ou le canapé, indifférente à l’ambiance particulière qui dégouline dans l’atmosphère. Le couloir,  la cuisine, la lumière qui s’allume, les placards qui s’ouvrent, se referment. Vous n’avez rien trouvé, parce que vous n’avez rien cherché. Vous brassez de l’air, donnant l’illusion de mouvement dans cette stagnation hebdomadaire. Le salon, avec son grand canapé vide éclairé par intermittence, au bon vouloir de l’écran de la télévision que plus personne ne regarde. Dehors, sur la grand’route, les voitures passent une par une, leurs phares blafards crevant la nuit en train de tomber avant de disparaître aussitôt. Le perpétuel bourdonnement des automobiles en pleine course vous berce un instant, tandis que vous vous imaginez à la place d’un de ces conducteurs anonymes, les mains vissées sur le volant et le regard fixé sur un but. Vous pensez à ce que peuvent être toutes ces existences, vous rêvez à une vie qui n’est pas la vôtre. Vous grimacez ; le sol est froid sous vos pieds.

 

La chambre, de nouveau. Un jerricane de jus d’orange à moitié entamé, des mangas et des bouquins à demi-lus, un livre de jeu de rôles qui traîne sur la table de nuit… Et pourtant c’est vers le pc que vous revenez, assis en tailleur sur le lit, le duvet sur le dos, voûté au-dessus du clavier. Sur l’écran, rien n’a changé. Un geste machinal pour saisir la cuillère d’un bol de corne flakes trempés par le lait, mâchonnés d’abord sans grande conviction, puis avec un soupçon de plaisir : ils sont bons, ces corne flakes au miel. Et puis l’envie disparait, comme coupable d’avoir osé ne serait-ce que prétendre à l’existence en un jour pareil. Au-dessus ou à côté, des bruits, des éclats de voix dans l’immeuble. Les voisins vivent, vous regardez votre écran et l’heure encore une fois. Elle n’avance pas beaucoup, pas vraiment. Elle a le temps.

 

Vous revoilà debout, déjà en pyjama, frissonnant alors que vous n’êtes pas de ceux qui ont froid. Personne à qui parler si ce n’est la chienne qui ne répond pas, pas de raison de faire fonctionner la voix autrement que pour chantonner les paroles de la nouvelle musique, lourde et triste, de circonstance qui tourne sur une machine ou une autre. Le carrelage, toujours aussi frais, la flemme de chercher vos pantoufles. Se tenir simplement debout, là, à mi-chemin entre le salon et la salle à manger, le regard perdu dans les sombres recoins des meubles, l’esprit dans du coton, une boisson chaude entre les mains. La télé tourne toujours sans s’arrêter, comme une machine folle lancée dans une orgie de sons et de lumières qui n’ont plus grand sens pour vous. Autant retourner se coucher.

 

Ouvrir un livre, le refermer, en choisir un autre, lire deux ou trois pages, reprendre le premier. Fouiller la bibliothèque pour trouver la perle rare que vous avez enfin l’envie de lire et puis, une fois trouvée, la laisser trainer avec les autres. Allumer la console, parcourir le menu, hésité entre trop de jeux, l’éteindre. Qu’il fait bon sous la couette, même si vous aurez trop chaud à nouveau d’ici quelques minutes. Voilà, ça ne manque pas. Et pourtant, vous avez si froid. Lancer une série ou une autre, se retourner à un passage dans l’espoir de pouvoir le commenter, ne rencontrer que les ombres sur le mur qui filtrent à travers les fentes de volets déjà tirés. Dehors il pleut, il fait gris, il fait nuit. Sur l’écran, le temps est homogène. Vous vous enroulez plus encore dans le duvet, le dos plié à vous en faire mal, perdu dans vos pensées. Vous avez toujours froid, ce  froid qui règne quand il n’y a personne pour vous prendre dans ses bras… Vous ruminez votre solitude, vous l’abrutissez sous la musique à pleurer et les images à oublier. Dans la cour de l’immeuble, le moteur d’une voiture démarre, et vous vous levez pour aller chercher du lait.

 

Vous êtes à nouveau au lit, seul et fatigué, mais pas assez pour dormir, juste pour s’abrutir. Pour mettre de côté vos pensées, brider votre créativité et neutraliser vos angoisses. Vous entendez qu’ils repassent un « Friends » à la télé. Vous prenez d’une main molle votre natel, aucun message, aucun appel. Sur l’horloge de l’ordinateur, il est toujours à peine passé dix-huit heures… Dix-huit heures et quelques qu’une nouvelle journée a commencé. Dix-huit heures de déjà passées, et qui ne seront jamais rattrapées. Vous rafraichissez vos onglets internet, des fois qu’il y aurait du neuf. Des fois qu’il y aurait de quoi vous faire oubliez cette solitude, ce silence et cet obscur. Tiens, dehors, quelqu’un rit, tout n’est donc pas mort aujourd’hui ! Mais vous, vous préférez rester au lit.

 

Juste un dimanche de plus.

Les commentaires sont fermés.