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Lucie 59

Ca fait longtemps, je sais. Et non, je ne promets rien.

 

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« Journal de Lucie Robbins, deuxième jour

 

Madame Delgado est morte. C'est ce que maman m'a dit tout à l'heure, quand elle est venue me chercher pour me parler. J'étais en train de réfléchir à ce que j'allais écrire dans le cahier que m'a donné monsieur Kent. Arthur. Je crois qu'il n'aime pas beaucoup quand je l'appelle monsieur Kent, il dit que ça fait trop sérieux. J'avais commencé avec des mots qui me venaient à l'esprit, je voulais raconter mes rêves. Mais si j'arrive à en parler, dès qu'il faut les écrire, c'est plus dur. Plus dur que le plus difficile des devoirs, quand j'avais encore des devoirs. Et puis maman m'a dit que madame Delgado était morte, et je me suis dit que les rêves n'étaient pas aussi importants. Je n'ai jamais vu quelqu'un mourir, avant. Je ne connaissais même personne qui soit mort, à part un des client qui venait souvent au bistrot, mais il était déjà très vieux et un jour il n'est plus venu. Maman avait essayé de m'expliquer, comme elle le faisait toujours, mais cette fois-ci elle avait eu de la peine. Je crois qu'elle avait peur que je comprenne. Mais je ne suis pas idiote, je sais ce qui se passe quand quelqu'un meurt. Seulement, le voir n'est pas la même chose que le savoir. Maman avait des larmes dans les yeux quand elle m'a dit, ce qui ne lui arrive presque jamais. Elle est toujours forte. Mais je crois qu'elle aimait bien madame Delgado. Moi aussi je pense, même si je ne lui ai pas vraiment parlé. C'était une dame, et elle était vieille, c'est tout ce que je sais. J'espère que ce n'est pas tout ce qui reste quand on pense à elle. Elle avait l'air gentille en tout cas. Et très malade depuis l'accident. Maman ne m'a pas laissé voir ce qu'elle avait, mais je sais que ça inquiète tout le monde. Maman n'arrête pas de me regarder sous toutes les coutures, elle a peur que la bosse sur ma tête se transforme en quelque chose d'autre je crois. Elle n'est pas souvent inquiète non plus, mais je la connais bien, même quand elle essaie d'être aussi forte que d'habitude. Elle demande sans arrêt au docteur Jung de m'examiner. Il est gentil, il ne s'énerve jamais, même s'il dit à chaque fois que je vais bien.

Ils sont tous en train de parler de madame Miguel. Je crois qu'ils décident de ce qu'ils vont faire avec elle. Ils l'ont couverte avec une grande couverture, comme si elle avait froid et qu'elle devait dormir. C'est peut-être ce dont on a besoin quand on est mort. On doit avoir froid, en tout cas. Je me demande pourquoi ça fait aussi peur aux adultes. Le froid ne m'a jamais fait peur. C'est facile de se réchauffer. Et puis je connais le froid, j'en rêve. Je me demande si je verrai madame Miguel, dans mes rêves. Je pourrai lui dire que tout va bien, et qu'il ne faut pas s'inquiéter. Qu'elle peut aller vers le bleu. Les grands discutent beaucoup, toujours maintenant. Le père Horst n'arrête pas de parler doucement à monsieur Miguel, qui n'arrête pas de pleurer. J'ai l'impression d'entendre craquer ses épaules à chaque fois qu'elles sursautes. Il est vieux lui aussi, comme sa femme, et je me demande s'il a peur du froid aussi. Le major aimerait qu'on déplace madame Miguel, je l'ai entendu. Il y en a qui ne sont pas à l'aise avec elle. Je ne vois pas pourquoi, c'est toujours madame Miguel. Je crois que je devrais avoir peur moi aussi, ou que je devrais être triste. Mais je n'ai pas peur. Comme maman. Et je ne suis pas triste... Je ne sais pas vraiment pourquoi je ne suis pas triste. Peut-être que je ne suis pas normale. On me l'a déjà dit. J'essaie de comprendre alors j'écris, comme monsieur... Comme Arthur me l'a proposé. Il est gentil. De temps en temps, il me regarde et il me sourit, je crois qu'il est content que j'ai décidé d'écrire dans son cahier. Ça m'occupe, en tout cas. Je préfère ça que de rester toute seule dans mon coin à penser. Des fois, je regarde aussi le père Delgado, qu'ils ont attaché et installé à l'écart. Il ne dit rien, je me demande à quoi il pense. Et pourquoi il a essayé d'attaquer madame Miguel. Il a parlé du bleu. Il fait des rêves lui aussi, je le sais. Des rêves comme moi. J'aimerais bien lui parler, mais maman ne voudrait pas. Et il y a toujours un des soldats pour le surveiller. A moi, il ne me fait pas peur. Je crois surtout que c'est lui qui a eu peur. Peut-être qu'il ne comprend pas comme moi. J'aimerais... Maman arrive. Les adultes ont dû décidé ce qu'ils voulaient faire, et elle vient sûrement pour me l'expliquer. Elle ne pleure plus en tout cas. Elle est forte, ma maman. Et je dois l'être moi aussi. »

Commentaires

  • Toujours aussi bien... =)

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