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Le légionnaire

Parce qu'on ventile comme on peut. Et qu'il reste les mots, même s'ils ne changent rien, de même que les sentiments. Si ça suffisait, ça se saurait.

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Vous n'en pouvez plus. C'est une constatation qui vous saute au visage, un peu comme une équation à deux inconnues dans un test de mathématiques. Vous essayez pourtant. D'avancer. De vous occuper. De penser à autre chose. De ne plus vous plaindre. Mais vient un moment où il faut bien vous rendre à l'évidence : vous ne savez plus quoi faire. Vous êtes totalement perdu, comme jamais vous ne l'avez été auparavant. Et pourtant, les coups durs ça vous connaît. Ce n'est pas votre première déprime. Seulement, qu'elle ne soit pas la première ne change pas le fait que c'en soit une. On dit que ça peut toujours être pire, mais vous n'y croyiez pas vraiment, avant ; vous étiez même arrivé à retrouver un positivisme de tous les instants, où la plus petite chose pouvait s'avérer fantastique, et où vous transformiez une contrariété en une nouvelle aventure. Mais oui, ça peut être pire. Et tout peut vous être retiré comme ça, en un claquement de doigts, sans la moindre considération pour ce que vous pouvez en penser, et pour des raisons si absurdes que vous ne pouvez que rester devant elles comme deux ronds de flanc, légèrement incohérent et déstabilisé comme le premier venu devant une question insoupçonnée lors d'un examen oral d'allemand un peu retors.

 

C'est la sensation de se briser, de sentir chaque morceau de son âme se fissurer avant de tomber sur le sol dans un sinistre bruit cristallin. Voilà, c'est ça, vous avez l'impression qu'on vous a cassé comme le jouet d'un enfant qui s'en serait lassé avant de le fracasser contre un mur. Et vous n'avez rien vu venir, crétin, idiot, patate que vous êtes. Et vous n'avez rien pu faire. Non pas parce qu'il n'y avait rien à faire, mais parce que vous n'avez même pas été capable de faire quoi que ce soit. Voilà tout. Ça vous fait une belle jambe. Tout vous échappe et glisse entre vos doigts sans que vous n'y puissiez rien. C'est un peu le coup de grâce, l'impuissance.

 

Pourtant, sur le moment, vous teniez pourtant bien le coup. Le choc, sans doute. L'incrédulité. Généralement, ça vous réussit plutôt bien. Mais pour la première fois, ça n'a pas duré ; c'était pratiquement instantané. Au début c'était dur, ensuite vous vous êtes dit que ça allait mieux parce que bon, ça ne peut qu'aller mieux, avant de vous apercevoir que ça ne suffisait pas. Ce n'est pas manque d'envie de vous en sortir, pourtant. Mais rien n'y fait. Vous avez la sensation d'avoir volé trop près du soleil pour mieux vous écraser, filant vers le sol en flammes et perdant des plumes un peu partout. Alors bon, on se relève, hein, mais ça ne suffit pas. Les jours passent, et on fini par retrouver une certaine routine, par réussir à s'investir à nouveau dans ses activités favorites, on retrouve presque la vie comment avant. Presque. Car il manque toujours quelque chose. Quelque chose de si puissant, de si incroyable qu'on en reste marqué à jamais. Quant au temps qui passe, il n'efface pas grand chose. C'est un mensonge qu'on se dit en fait, le grand mensonge qui nous permet d'avancer, et auquel on finit par croire. Croire qu'on oublie, qu'on passe à autre chose. Mais tout ne fait que s'accumuler. Et si on peut les mettre de côté histoire de placer un pas devant l'autre à nouveau -l'esprit humain est redoutablement efficace pour cela- il y a des événements, des choses, de situations, des personnes qui marquent définitivement, et qui ne s'effacent jamais. Alors on se dit qu'on peut bâtir dessus, apprendre de ses erreurs, que du coup, les prochaines étapes ne pourront être que meilleures...et c'est le deuxième mensonge. Mais faut croire que ça marche, sinon personne n'arriverait plus à rien.

 

Mais là, ça ne marche pas comme ça. Pas pour vous, du moins pas pour l'instant. Vous voulez y arriver, mais ça ne fonctionne pas. La douleur est trop présente. Car plus que la tristesse ou la colère, c'est la douleur qui emporte la mise. Cette impression effroyable de se faire arracher une partie de vous, cette partie que vous aviez découverte après avoir baissé votre garde, et qui vous est arrachée comme des lambeaux de chair. Cette douleur que vous ne pouvez pas comprendre et qui vous fait pleurer, hurler dans votre oreiller presque tous les soirs. Qui fait de vous une créature pathétique incapable de décider de modifier votre vision des choses, d'évoluer, de vous y faire. Vous avez pu vous faire à beaucoup de chose au cours de votre vie, mais pas à ça. Parce que vous n'aviez jamais rien connu d'aussi fort. Et d'aussi juste. D'aussi apaisant au point que vous vous étiez en fin trouvé. Et maintenant, on vous l'a pris d'une manière si incompréhensible, si dépourvue de sens que vous êtes bien incapable de trouver la paix. Comment faire la paix avec ce que vous ne comprenez pas ? Tout ce que vous savez, c'est que vous êtes seul alors que vous ne devriez pas l'être, et que l'univers s'est copieusement foutu de votre gueule une fois de plus. D'une manière tellement magistrale que vous n'avez rien vu venir, et qui vous a fait croire comme jamais vous n'avez cru. Qui vous fait croire encore, malgré la douleur, la tristesse et la colère.

 

Une colère que vous ne savez pas comment exprimer, et qui vous effraie. Parce que vous n'êtes pas de ceux qui veulent garder la colère, ni vous reposer dessus. Mais elle bouillonne en vous, née de cette injustice, de cette manière absurde qu'ont les choses de se terminer. Une colère justifiée que vous craignez de faire savoir. Parce que vous ne voulez pas que ce soit ce qu'il vous reste. Et vous faites tous les efforts possibles pour rester vous-même, pour ne pas vous plaindre, pour tenir le coup... Mais plus le temps passe, et plus c'est difficile. Là, le temps n'arrange rien, il ne fait que vous conforter dans votre opinion. Votre pathétique opinion de crédule, qui vous pousse toujours à croire que la meilleure chose qui vous soit arrivée ne peut pas se terminer ainsi. Votre foi dans cet optimisme maladif qui tient la colère à distance. Mais cette colère, il va bien falloir que vous l'exprimiez. Que vous la fassiez sortir. D'autant, vous le réalisez, qu'il s'agit d'une colère plus que justifiée. Mais alors pourquoi sont-ce la tristesse et la douleur qui mènent toujours la danse ? Avec les regrets, et tous ces souvenirs fantastiques qui vous déchirent la peau et vous retournent les tripes. Et que vous n'échangeriez pour rien au monde.

 

Au final, c'est la seule force qui vous reste. Le seul fragment de vous que vous préservez, que vous réussissez à conserver. Votre seule force qui est en même temps la source de tous vos maux. Si le fameux mensonge vous suffisait, si vous pouviez oublier, si vous pouviez avancer, vous n'en seriez pas là. Mais vous refusez de vous renier, pas alors que vous avez enfin trouvé ce qui vous apportait plus que tout ce que vous aviez pu obtenir de la vie. Vous n'abandonnez pas, pas comme ça. Vous ne laissez pas gagner la colère, ni l'oublie, parce que ce n'est pas qui vous êtes, et que vous n'y arriveriez pas même si vous le vouliez. Vous devez croire que ça valait la peine. Que ça vaut toujours la peine, plus que tout. Parce que sinon, qui seriez-vous ? Certainement pas celui que vous êtes devenu.

 

Mais cette force suffit de moins en moins à vous faire garder le nord, même si vous vous y accrochez de toutes vos forces. Pour éviter de hurler plus fort encore dans votre coussin quand la douleur et l'incompréhension vous ravagent. Pour ne pas la perdre, même si il semblerait que ce soit aussi facile et irrémédiable que ça, pour des raisons dépourvues de sens. Parce que vous êtes celui qui n'abandonne pas, qui reste là, qui tend la main, et qui croit.

 

Au final, c'est tout autant votre faute que le reste si vous vous détruisez ainsi. Mais en même temps, vous ne pouvez pas faire autrement. Il y a trop de souvenirs, trop de beauté, trop de bonheur, trop de possibilités pour les renier d'un haussement d'épaules avec un « Tant pis » en bouche. Vous attendez, parce que vous croyez, et parce que vous croyez, vous attendez. Vous êtes le légionnaire romain qui garde la boîte de pandore, même si ça ne sert à rien, même si c'est en pure perte. Parce que le seul fait que pour une fois ça vaille vraiment le coup, et bien a suffit. Et que si ça se trouve, c'est vous qui êtes la véritable perte plutôt que celui qui perd réellement quelque chose. Rien que pour cette possibilité, vous restez là, ouvert, fidèle à vous-même. Même si ça ne suffit pas, alors qu'il n'y a pas de raison que ce ne soit pas le cas. Mais vous ne décidez pas à la place d'autrui, vous n'avez aucune maîtrise du destin... Seulement, s'il vous fout à ce point sur la gueule, s'il vous fait aussi mal, vous persistez à y croire. Parce que ça vaut tout l'or du monde.

 

C'est ballot, hein ?

 

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