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  • Mais si on danse?

    Et hop, une nouvelle historiette spontanée, qui fait en même temps billet d'humeur saisie sur le moment. Et vous savez pourquoi? Parce que ça va bien. Et parce que ça bouge! Yeah baby, ça bouge! -^^-

     

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    podcast

     

    D'un mouvement tout sauf gracieux, vous hissez péniblement votre second pied sur le matelas. Vous cogner contre la table basse du salon tout à l'heure n'aide pas vraiment à accomplir ces folles péripéties, mais vous vous y êtes fait. Comme toute personne possédant une table basse, sans nul doute responsable de plus d'accidents fâcheux que, disons, l'ours en colère moyen (les ours sont moins vicieux). Vous relevez la tête et contemplez un instant votre plafond, sans y détecter autre chose que du plâtre et la rondelle en plastique qui cache une prise inutilisable qui semble tenir par l'opération du Saint-Esprit (qui semble se contenter de rajouter une couche de peinture en espérant que ça tienne). Puis vous baissez le regard pour jeter un coup d’œil au mur, des fois qu'il s'y passerait quelque chose d'intéressant capable de vous détourner de votre dernière entreprise. Mais non, il n'y a que le même poster usé d'un vieux film, dont les coins se décollent petit à petit ; il sera bientôt temps de les recoller, avant qu'il ne finisse par vous retomber sur le crâne en pleine nuit. On vous a déjà suggéré de l'encadrer, mais vous vous contentez de rétorquer que « les cadres, ça fait plus mal quant ça tombe ». Tout ça pour éviter la procédure, les encadrements ayant à en remontrer aux tables basses côté vicissitudes de la vie. Un dernier mouvement de cou, pour tomber sur la rue sombre et tranquille d'une nuit bien avancée à travers la fenêtre de la chambre. Rien d'intéressant non plus. Et non, personne n'est en train de vous observer avec un paquet de popcorn (ou de pistaches, c'est bon aussi) dans la main, prêt à se gausser de vous comme d'un élève enrobé en plein cour de gymnastique. Vous essayez aussi de vous convaincre que personne ne vous observe à distance via un télescope braqué sur votre petit appartement. Ce que vous vous apprêtez à faire vous met dans un tel état que vous seriez prêt à croire en l'existence d'extraterrestres juste pour les imaginer en train de vous scruter depuis leurs soucoupes. Dire que vous vous sentez vaguement mal à l'aise reviendrait à trouver que le fond de l'air est tout de même un poil froid en antarctique (vous songez un instant qu'il serait plus agréable de se retrouver sur la banquise pour cette histoire, mais même là les pingouins se moqueraient de vous. Les petits salopiauds.). Bah, au moins, c'est mieux que rien non ? Et puis, tout au fond de vous, vous vous en réjouissez. Le geste sera sans nul doute pathétique, mais vous y trouvez du confort en sachant que cela vous permettra enfin de dormir...

     

    Outre votre sommeil, pourtant, vous n'avez pas à vous plaindre. Vous n'auriez jamais cru penser cela trois mois auparavant, ou même l'année passée. Les choses changent, même vous. Bon, dans votre cas, le changement s'avance comme le glacier le long du flanc de la fière montagne, mais cela veut au moins dire qu'il reste pour durer. Vous apprenez. Tenez, qui aurait cru que vous vous seriez adapté à ce nouveau rythme ? Rien de demandant, rien de pénible, rien de forcé : juste un rythme. Votre rythme. Et vous ne vous forcez plus à écrire, vous n'en ressentez plus le besoin. Vous ne ressentez plus aucun besoin de prouver quoi que ce soit. Vous avez il y a peu réalisé que l'ambition qu'on vous prêtait venait avant tout des autres. Et ce depuis toujours. « Oh mais il est brillant c'est sûr, il s'en tire très bien ici ou là ! Il fera de grandes choses ! » ou encore « Gâcher un talent pareil, ce serait, ben, du gâchis ! ». Et un de vos préférés : « Voir tout ce potentiel en toi, et penser à tout ce que tu pourrais en faire si tu y croyais, ça me donne envie de te pousser ! » Et bien vous vous pousserez très bien tout seul, merci bien. Quant à votre talent, votre potentiel ou votre je ne sais quoi... Et ben justement, c'est le vôtre. Vous ne l'avez pas demandé, il se trouve simplement qu'il est là. Et certes, il pourrait accomplir ci ou ça, faire de vous quelqu'un, vous permettre de vous sentir enfin accompli, et tout ça. Ben, le fait que quand vous y réfléchissez, vous vous sentez plutôt accompli, là, tout de suite. Vous vous sentez bien dans votre peau. Satisfait. Heureux. Parfaitement, vous vous sentez heureux. Oh, il y a bien des choses qui vous gênent encore, des soucis, des fragilités, des phases plus dures que d'autres... Mais vous les connaissez, vous les acceptez, et vous n'en faites plus la principale force motrice de votre vie. Vous surfez sur la vague, parce que même quand elle s'écrase, elle finit toujours par remonter. Ou mieux, par être suivi par une autre vague, qui sera certainement tout aussi intéressante ! Votre vie, ce sont les vagues. Et vous venez enfin de comprendre qu'il n'appartient qu'à vous de gérer le courant. Et à personne d'autre. Votre vie vous appartient. C'est digne d'être noté sur un paquet de céréales ou d'être mâchouillé distraitement en même temps que votre petit biscuit chinois (et il ne s'agit pas d'une métaphore graveleuse), mais vous venez récemment de le comprendre. Ils vous aura fallu tomber plusieurs fois, parfois dans les mêmes pièges (l'apprentissage du glacier, rappelons-nous!), mais vous le pigez enfin. Vous n'avez plus à vivre votre vie à travers les attentes des autres. Ceux qui vous imaginent faire ces putains de grandes choses parce que c'est ainsi qu'ils imaginaient vous voir utiliser votre fameux potentiel. Et bien tant pis pour eux : vous êtes bien plus heureux depuis que vous n'y prêtez plus attention. Et ce sans retomber dans votre piège personnel de « l'ambition du tabouret », où la seule ambition devenait ne plus en avoir, d'ambitions. Vous en avez une maintenant : continuez à être heureux, à vous sentir bien, à vivre votre vie jour après jour sans vous sentir forcé de la mener dans une direction ou une autre juste parce qu'on vous verrait bien la prendre.

     

    Les directions. C'est important, les directions, dans ce que vous vous apprêtez à faire. Gauche, droite, en haut, en bas... Petit pas, grand pas. On saute, on tourne, et hop ! Le rythme aussi, ce qui est un peu plus embêtant : si vous savez sans hésitation différencier la gauche de la droite, vous avez autant de rythme dans le sang que d'azote liquide. Vous essayez de vous persuader que ce n'est pas important. Encore une fois, personne ne vous regarder pour se moquer de vos performances. Comme vos ambitions, cela ne regarde que vous. Vous le faites pour vous, et pour personne d'autre. Quand vous vous y adonner, vous êtes seul.

     

    La solitude. Vous vous en accommodez bien mieux que prévu. Vous récupérez votre vie. Non pas que vous en ayez vécu une fausse, mais vous pouvez sans crainte conserver votre chemin, même quand il n'y en a pas vraiment un. Vous ne faites pas du surplace pour autant, n'en déplaisent aux observateurs extérieurs : dans votre tête, ça ne cesse pas de bouger vite, très vite, et vous faites des pas de géant là où il y a peu, vous avanciez encore en titubant, croulant sous les attentes. Celles des autres, et celles que vous vous infligiez. Mais du moment qu'on se sent heureux, n'est-ce pas là ce qu'il faut pour combler n'importe quel vide ? Heureux, parce que libre d'être soi-même. Ce qui vous effraie un peu : vous ne l'avez jamais vraiment été. Vous êtes encore en train d'apprendre à le connaître, ce soi-même. Et puis vous n'êtes pas seul : vous aviez tendance à les oublier quand le ciel vous tombait sur la tête, mais vous avez vos amis. Cette fois-ci, ils n'ont plus besoin de vous le dire : vous vous en rappelez tout seul. Et ils méritent au moins ça ! Vous avez vos routines aussi, comme vos envies de découvertes. Cette série de bouquins à lire, ces séries à voir, ces films à rattraper. Vous bondissez de film en film, de cinéma en cinéma, de dvd en dvd avec l'envie sans cesse grandissante d'en voir plus, d'en découvrir plus, d'en comprendre plus. Vous ne vivez plus à procuration à travers la fiction non plus, mais elle vous accompagne. Elle vous fait du bien sans régenter votre vie. Personne n'essaie plus de la régenter, même vous. Vous chantez de nouveau dans le bus ou dans la rue, quand une chanson que vous aimez particulièrement passe dans vos écouteurs. Sans même vous en rendre compte, uniquement parce que c'est la bonne chose à faire. Non, que ce soit via vos amis ou vos passions, vous n'êtes pas seul. Vous aviez peur de l'être à nouveau, chez vous, mais ce n'est pas le cas (et puis, après tout, petit chat est toujours là lui, qui ronronne dans une pantoufle). La solitude d'un chez soi n'est pas à confondre avec l'absence de connexions. Des connexions réelles, qui ne cessent de vous surprendre et de consolider la confiance en vous que vous avez patiemment cultivée au fil des années, sans même vraiment vous en rendre compte. Cette confiance qui vous permet de vous mettre à chanter devant les gens : bien ou mal, ça n'a aucune importance.

     

    Et pourtant, cette confiance vous manque là maintenant, tout de suite, comme à chaque fois que vous essayez ça. C'est étonnant quand on y pense : brailler à tue-tête devant des étrangers vous perturbe peu, mais bouger ainsi, même quand personne n'est là pour le voir (y compris petit chat, dont vous ne supportez pas le regard inquisiteur. Si si, inquisiteur, parfaitement!). Et pourtant, et pourtant... Vous dormez mieux depuis que vous le faites, là, tout seul, à l'abri des regards. Dans votre petit jardin secret, où ce n'est qu'entre votre corps et vous. Et puis, à chaque fois, vous vous sentez aller un peu plus loin. Votre esprit inquiet s'y abandonne de plus en plus vite. C'est de commencer qui est toujours difficile. De briser cette barrière de la honte inculquée par tout une vie de manque de confiance et de peur du regard des autres au moins autant que du vôtre. Mais vous n'avez pas à vous regarder, juste à le faire. A accepter de se laisser emporter par les mouvements plutôt que de vouloir les diriger avec la raideur d'un piquer. Vous ne savez pas vous y prendre, et alors ? Ce n'est pas comme si vous soulagiez cette nouvelle habitude en public. Pour l'instant du moins. Étape par étape, étape par étape...

     

    La musique s'enclenche, et vous fermez les yeux. C'est plus facile ainsi. Votre main commence, incapable de rester immobile tandis que vous vous efforcez de contenir le reste de votre corps maladroit. Il vous faut toujours un peu de temps avant de vous y mettre, trouver la bonne musique, le bon rythme (ou son absence), le bon moment... Et après, c'est la libération. Le soulagement, l'énergie qui se dépense et qui vous permet de bien dormir la nuit. Comme un rituel d'appel au sommeil. Vos pieds s'agitent à son tour, votre tête suit le mouvement. Vous vous sentez pathétiquement ridicule, honteux, le rouge vous monte aux joues, mais vous luttez contre cette retenue surgie d'on ne sait où, comme si vous braviez un interdit. Mais chaque nouvelle fois est meilleure que la précédente, et le soulagement qui en résulte vaut toutes les peines du monde. Les mains, les pieds, les bras, les jambes, la tête, les hanches, tout s'y met. Vous n'êtes plus vraiment vous, ou plutôt vous l'êtes enfin plus que jamais, à un niveau primal, dépourvu des restreintes et de la peur infligées par la réflexion. La réflexion n'a plus rien à voir là-dedans. Et c'est là toute la magie de la chose, qui conduit à l'instant libérateur. Vos pieds quittent le matelas d'abord tour à tour, puis ensemble tandis que vous décollez. Vous bondissez, vous oubliez, et plus personne ne juge ; plus important encore, vous non plus. La musique résonne dans la chambre, et les notes vous guident, la voix du chanteur est désormais votre seule attente.

     

    Comme un fou, un fou vaguement désarticulé qui s'est pris trop longtemps pour un sac à patates, vous dansez sur votre lit. Voilà, vous dansez comme une patate! Et cela n'a aucune importance. Du moins durant les quelques minutes où vous arrivez à refouler cette honte étrange, ce blocage corporel dont vous n'êtes pas encore arrivé à trouver l'origine. Mais les minutes sont de plus en plus nombreuses, les nuits de plus en plus apaisées, et la vie de plus en plus juste. Il n'y a pas de moment plus en accord avec soi, au-delà du moindre et épuisant fatigant processus de pensée, où vous vous sentez aussi... libre. Libéré de tout, et avant tout de vous. Et au fond, il s'agissait de peu de choses, n'est-ce pas ?

     

    Ils vous aura fallu presque trente ans (et les bonnes musiques), mais vous dansez maintenant. Et c'est le pied.