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  • La boîte à monstres

    Ma parole, une nouvelle historiette, cela faisait longtemps! J'en ponds rarement, mais j'aime bien quand ça arrive. C'est toujours chouette de se replonger dans cet univers. ^-^ (Petit rappel: ce qui est catégorisé comme historiette n'est pas ma vie, même si je m'en inspire.  Je ne ne suis pas auteur, je suis célibataire, et je n'ai pas de chat. MAIS il se peut que j'ai un peignoir vert. -->)
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    De toutes les tâches de votre (relativement) paisible vie quotidienne, peu vous confondent autant que celle qui consiste simplement à relever son courrier. Ce qui, chez vous, relève de la discipline olympique. Vous envisagez de vous doper histoire de récupérer votre courrier à temps, tellement cet acte anodin vous met dans tous vous états. Déjà, il vous faut mettre le nez hors de votre appartement ce qui, certains jours, n'est pas évident. Vous vous accrochez alors à votre manuscrit en cours/tasse de thé/brosse à dent comme une moule à son rocher (mais une moule avec des dents propres). Ce qui vous poussez à vous habiller les jours de bouclage, soit à passer votre vieux peignoir vert et à vous glisser dans les couloirs comme un fantôme pelucheux au mal de mer. En espérant que vous ne croiserez aucun voisin bien décidé à vous parler-du-temps-qu'il-fait alors que vous comptez bien ne pas vous exposer aux éléments de la journée. Et puis il y a l'ascenseur, dont la fréquence se montre plutôt aléatoire dans un immeuble de onze étages, mais qui a au moins le mérite de vous distraire(1). Une fois dans le hall, traînant des pieds comme un condamné aux galères, vous fouillez alors en marmonnant dans votre poche de peignoir, et réalisez une fois sur deux que vous avez oublié les clef. Puis il s'agit de trouver la bonne entre les porte-clefs (votre propension à collectionner les gadgets inutiles surpassant de loin celle, inexistante, que vous avez à collectionner les clefs, qui finissent par se sentir un peu seules). Et après tous ces efforts, vous voilà récompensé par deux factures, une pub pour la nouvelle pizzeria du quartier qui livre-à-des-tarifs-imbattables (il y a toujours une nouvelle pizzeria du quartier, au point que lorsque vous vous y promenez, vous êtes étonné de pouvoir faire plus de dix mètres sans tomber sur une pizzeria). La seule personne qui vous envoie des cartes postales, c'est votre mère (qui arriveront toujours après son retour, même lorsqu'elle s'évertue à les poster le premier jours de ses vacances en espérant défier les lois du multivers), et vous n'avez jamais reçu une seule lettre manuscrite, si on met de côté le roman épistolaire de treize (treize, bon sang!) pages qu'une ex avait cru bon de vous laisser dans votre boîte après non seulement avoir brisé votre cœur, mais couru encore sur les morceaux fumants avec la délicatesse d'un troupeau de buffles blindés d'amphétamines. Quand vous y repensez, vous auriez sûrement préféré sortir avec chaque buffle du troupeau.

     

    Les publicités balancées dans la poubelle du hall prévue à cet effet, les factures dans une main, déçu de ne pas avoir obtenu une nouvelle carte de visite d'un marabout local pour l'ajouter à votre collection (vous échangez un Mamadou Magnétiseur en parfaite condition contre un Maître Jean des Lumières première édition, quand il n'avait pas encore le petit dessin de Jésus aux yeux bavant), vous attendez que votre cœur impressionnable reprenne un rythme normal. Car vous êtes psychologiquement incapable d'attendre autre chose d'une courrier qu'une mauvaise nouvelle. C'est comme ça. Quelque chose qu'on envoie par la poste dans un monde informatisé ne peut être que Très Sérieux (tm), et donc abominablement apocalyptique. Pour vous, une lettre non identifiée, c'est un peu vous retrouver face au chat de Schrödinger, si le chat en question était potentiellement capable de saisir tous vos biens (y compris votre propre petit chat, qui s'accrocherait de toutes ses griffes à son fauteuil préféré avant d'être impitoyablement mis en fourrière, ou envoyé en chine afin d'être pressé jusqu'aux moustaches pour faire office de complément dans une pâte alimentaire), vous expulser, vous jeter à la rue, brûler tous vos livres et faire en sorte que votre nom devienne le synonyme d'une antique malédiction sur l'imprudence avant de venir cracher trois fois sur votre tombe (que vous n'aurez du coup même pas eu les moyens de payer ; vous tiendrez certainement compagnie à petit chat dans un tube). Toute votre vie défile (au moins trois fois, vous ne voua rappelez jamais très bien du début et avez la sensation désagréable de vous être endormis à des moments qui auraient dû être passionnants) devant vos yeux le temps de tourner la clef dans la boîte. Et puis il s'agit ensuite d'ouvrir la lettre, chose que vous avez rarement la patience d'attendre, quand il ne vous arrive tout simplement pas de balancer votre courrier héroïquement relevé dans le hall, comme si vous aviez sorti un dangereux crotale de votre casier. Alors vous vous retrouvez à quatre pattes et en peignoir, à ramasser toutes les missives dont celle qui va évidemment se glisser dans un coin difficile d'accès. Encore un point commun avec certains crotales, quoi que vous préféreriez presque les crotales ; avec eux au moins, on sait tout de suite à quoi s'en tenir. Il ne se cachent pas derrière un timbre et un peu de colle, quoi que cela vous amuserait d'imaginer quelqu'un coller un timbre sur un serpent avant de l'envoyer par la poste. L'avantage, c'est que les bestioles pourront difficilement saisir vos meubles.

     

    En parlant d'ouvrir ces maudits machins (les enveloppes, pas les crotales), vous n'avez jamais vraiment attrapé le coup de main. Dans un coin de votre esprit qui n'a pas encore succombé à la pure terreur primaire résultant d'un atavisme opposant le rongeur au tyrannosaure, vous croyez savoir qu'on est censé utiliser un ouvre-lettres, ou quelque chose s'approchant. Ce que vous avez toujours considéré comme un truc d'adulte responsable, ce que explique sans doute pourquoi vous y avez toujours résisté de manière inconsciente, de la même manière que vous résistez aux porte-manteaux et classeurs à trous. Vos doigts fébriles essaient de déchirer soigneusement le papier, et finissent immanquablement par déchiqueter un petit morceau de la lettre à l'intérieur, ce qui vous fait le même effet qu'un couteau de combat plongé dans vos tripes et remués trois fois pour la bonne mesure : et si, par cette petite déchirure, vous veniez de sceller à jamais votre destin ? Si vous veniez de détruire le seul morceau de la page dont l'intégrité était absolument nécessaire ? C'est tout simplement impossible, mais le savoir ne vous aide pas. C'est pire : il y a toujours une exception à la règle, alors pourquoi pas vous ? Vous vous retrouvez alors avec un papier froissé, potentiellement déchiré, qui donne l'impression d'avoir été apporté par poney express un soir d'orage plutôt qu'acheminé via les merveilles de la technologie moderne (qui restent tout de même capables de perdre des paquets plus efficacement qu'un poney aveugle). Mais au moins, même lorsqu'il s'agit d'une facture (COMBIEN pour cette consultation médicale!?), vous êtes soulagé de savoir que vous allez encore pouvoir profiter de votre chez-vous plutôt que d'en être froidement arraché par des huissiers à la carrure d'armoire à glace dépourvue de la moindre trace d'humanité et d'humour (parfois, vous avez une bien piètre vision de vos compatriotes, mais ceux qui se destinent à une telle carrière ont rarement mangé du clown ; ou alors, après l'avoir dépecé eux-mêmes dans leur cave).

     

    Après, il vous arrive aussi de recevoir la régulière enveloppe de vote, ce qui a le mérite de complexer d'une autre manière votre pauvre cerveau peu enclin à se faire à certaines normes essentielles d'une vie responsable. Plein de bonne volonté, vous vous jurez de lire attentivement chaque proposition de loi dans ses moindres détails, décidé à voter en votre âme et conscience pour on contre quelque chose que vous avez réellement compris. Puis votre esprit civique se réduit comme un méniniste face au bon sens tandis qu'apparaissent les premières explications abstraites concernant la réfection budgétaire des dispenses d'autoroutes conformément à l'alinéa A38 du code pénal. Vous votez avec la conviction chevrotante de celui qui arrive après la bataille, et vous oubliez systématiquement de retourner votre enveloppe jusqu'à deux heures avant la limite finale, ce qui vous pousse à courir en ville déposer directement le tout dans l'urne la plus proche (dont, une fois, la boîte aux lettres de la boucherie juste à côté de l'hôtel de ville, qui ont dû être bien étonnés). Quelle que soit sa forme, le courrier ne vous réussit décidément pas. Il en va de même pour les colis. Votre tendance à craindre le pire vous faire toujours assumer qu'il s'agit soit d'une vaste blague, soit d'une erreur, soit d'une bombe (les trois n'étant pas mutuellement exclusifs). Même lorsque vous attendez un colis précis, vous craignez l'erreur judiciaire, et sursautez au moindre coup de sonnette (d'autant que comme le stipule une autre loi du multivers, le facteur apportant votre colis ne passera que lorsque vous serez sortis juste cinq minutes pour aller acheter quelque chose au magasin du coin. L'ironie aidant, ce sera sans doute des timbres). De plus, les facteurs vous font signer sur leurs tablettes à l'aide de stylets voire, dans certains cas, de vos doigts. Et comme vous êtes déjà incapable de garder la même signature au stylo sur du papier (il ne doit pas y en avoir deux pareilles), vous stressez d'autant plus et finissez par barbouiller ce qui ne ressemble à votre nom que de loin et en plissant les yeux, tandis que vous imaginez déjà d'horribles circonstances juridiques vous tombant sur le coin de la pomme lorsqu'il sera décidé que ça-ne-peut-pas-être-sa-signature-regardez-moi-ça !

     

    Quant à envoyer du courrier, cela ne vous repose pas beaucoup plus. Encore aujourd'hui, il vous arrive de demander à votre moitié s'il faut coller le timbre à droite ou à gauche, ce qui ne manque jamais de lui faire écarquiller les yeux d'incrédulité. Vous avez au moins avalé des dizaines de timbres par mégarde, et votre écriture manuscrite pourrait faire tourner de l’œil un médecin, ce qui vous pousse à prendre jusqu'à dix minutes pour être sûr d'avoir écrit l'adresse lisiblement. Avant de réaliser, distrait comme vous êtes que vous l'avez écrite du mauvais côté, ou que vous vous êtes trompé dans une lettre ou un chiffre. Depuis, l'amour de votre vie se charge généralement de ce genre de formalité, même si cela ne change rien au fait qu'il n'y a plus un stylo de fonctionnel dans tout l'appartement lorsqu'il est urgent d'aller poster ce recommandé. Vous songez parfois à élever des pigeons voyageurs, ce qui a le mérite de vous semblé moins compliqué, et qui amuserait sûrement petit chat.

     

    Du coup, lorsque vous allez relever votre boîte aux lettres et que vous la découvrez vide, le soulagement est tel que vous vous retrouvez généralement à danser une gigue solitaire et impromptue, au grand étonnement de certains voisins. Les jours fériés, il vous arrive même d'ouvrir le casier en passant rien que pour profiter d'un tel sentiment de liberté. Pour vous, peu de choses sont aussi belles en ce monde qu'une boîte aux lettres vide. C'est un peu votre paradis, même si une fois vous y avez trouvé une araignée, ce qui vous a éloigné d'un tel dispositif pendant trois moins (et un certain nombre de rappels). Il va de soi que vous avez un sérieux problème, mais ce n'est pas nouveau. Vous vous y êtes fait, voilà tout. Vous n'avez pas vraiment eu le choix. Et voilà que vous n'y êtes pas encore allé aujourd'hui, que votre compagne ne rentrera pas avant demain, et que le sort de votre vie entière en dépend peut-être. Grommelant, vous attrapez votre peignoir, sous le regard intrigué de petit chat qui vous observe du fond de la pantoufle où il s'est réfugié. Vous vous traînez jusqu'à l'ascenseur, de plus en plus anxieux tandis que la cabine de fer vous rapproche de votre inexorable destin. Puis, enfin, la terrible boîte. Et ça ne manque pas.

     

    Vous avez encore oublié vos clefs.

     

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    (1) Voilà bien une semaine que votre compagne et vous suivez avec passion ce que vous avez appelé pour les livres d'histoire « La Guerre des Paillassons ». Tout a commencé avec l'apparition d'un petit mot scotché dans la cabine, demandant la restitution d'un tapis de porte disparu. Le soir-même, un post-it avait été collé en-dessous, clamant qu'il ne s'agissait pas de la première victime. Puis quelqu'un crut bon de répondre en signalant que si les gens ne voulaient pas voir leurs paillassons vendus au cirque, il valait mieux éviter de les laisser traîner sans surveillance dans les couloirs, comme les enfants (vous suspectez le vieux voisin ronchon du dessus). Depuis, une à deux fois par jours, de nouvelles notes décorent les cloisons de l'ascenseur, formant petit à petit une véritable mosaïque de post-it colorés qui dénoncerait certainement de manière incompréhensible un défaut de la société dans un musée d'art moderne, mais qui a le mérite de vous faire beaucoup rire. Lorsque votre chère et tendre rentre de ses cours chaque soir, son premier réflexe est de se précipiter vous raconter que l'écriture ronde des post-it roses a répondu vertement à celle, toute serrée, des notes à carreaux, et que cela menaçait de dégénérer sur les pots de fleurs qui garnissaient certains balcons de manière inopportune. Quant à savoir ce qu'un pot de fleurs pouvait avoir d'inopportun, vous attendez la suite avec impatience.