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Conversation III, ou la théorie sentimentale

Nouvel exercice de dialogue fictif improvisé, cette fois-ci sur le thème des relations (ça fait un moment que vous aviez envie d'écrire une synthèse là-dessus sous une forme ou une autre). Il y est également brièvement question de vélociraptors, parce qu'on ne se refait pas. -->

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-Est-ce que tu crois que c'est ouvert ?

-Aucune idée, je pense. C'est possible. Ça dépend de leur politique des jours fériés.

-Argh, j'espère, je crois que je serais incapable de manger quelque chose d'autre.

-Carrément ?

-Yep. Tu sais, quand t'as envie de manger un truc, que ça fait un moment que t'y penses, que c'est le moment ou jamais... Du coup, rien d'autre ne va, et t'es déçu quoi que tu prennes à la place.

-Je vois. Enfin je crois. Du moment que c'est bon, ça m'est égal.

-C'est parce que tu n'as aucune conviction alimentaire.

-Ouais, ça doit être ça... Hey, comment ça s'est passé, l'autre jour ? Raconte ?

-Oh ! ...Euh, bien ! Ouais, bien ! C'était cool, c'était cool.

-Nerveux ?

-Ah bon ?

-Tu te répètes, mon grand.

-Nan, mais ouais, c'était cool !

-Redis le pour voir !

-Nan mais ça s'est bien passé.

-Rendez-vous réussi ?

-C'était pas vraiment un rendez-vous, enfin j'crois pas. Deux potes qui se voient pour aller manger un truc. Est-ce que ça aurait dû être un rendez-vous ? C'est un domaine qui m'a toujours rendu un peu confus...

-Tu t'es changé combien de fois avant de partir ?

-Trois.

-Ce qui est plus proche du rendez-vous que de la sortie innocente. On ne se change plus que pour aller voir son comptable.

-J'sais pas, j'ai pas l'impression... Pour que c'en soit vraiment un, faut le dire, non ? Genre, que tout le monde soit au clair là-dessus.

-Ça aide.

-Mais si on le dit comme ça, ben...ça revient directement à dire à l'autre qu'on l'aime bien, non ?

-Tu t'es changé trois fois, je pense qu'on peut dire sans trop se tromper que tu l'aimes bien. Tu t'es changé tout court, déjà. Quand on se rappelle que tu t'es un jour baladé toute la journée en ville en chemise de nuit parce que tu avais passé ta veste par-dessus en oubliant de te changer avant de sortir, c'est déjà pas mal.

-Ahah, très drôle.

-Ça l'était oui.

-Non mais j'sais pas vraiment où j'en suis, honnêtement. J'ai un peu la trouille d'être à côté de la plaque encore une fois. Et quand tu le dis comme ça, un « rendez-vous », ça devient réel. Y a plus d'échappatoire. Quoi qu'il arrive, en bien ou en mal, y a pas vraiment de retour à la normale possible.

-Pourtant, ça m'a l'air d'aller, de ton côté en tout cas.

-Oui, je crois bien. C'est juste... J'aimerais bien être sûr. Ou je suis sûr, mais ça m'a déjà joué des tours. J'ai toujours eu tendance à m'emballer, à me dire que celle-ci, oui, je l'aime bien, et que du coup, c'est tout ou rien. Quand j'y réfléchis, j'ai jamais vraiment eu de rendez-vous. Est-ce que les gens ont encore des rendez-vous, de nos jours ?

-De nos jours ? Je sais qu'on n'a plus vingt ans, mais tout de même.

-J'ai eu des sorties avec des potes, puis je réalise que j'aime bien quelqu'un, ou je crois que j'aime bien quelqu'un, et soit ça ne devient jamais un rendez-vous, soit ça passe directement à l'état d'après. J'ai jamais vraiment invité qui que ce soit à sortir, du genre comme on est censés le faire quand on rencontre quelqu'un dans un bar, ou chaispas où, et du cou on l'invite à boire un verre, tout ça... Ma géographie amicale est déjà tellement compliquée parfois que je n'ai jamais vraiment su agir au-delà.

-En même temps, c'est quand t'es pote avec quelqu'un que ça peut aussi se passer pour le mieux.

-C'était comme ça avec Audrey ?

-Mhm, je crois bien. Quand tu réalises que tu as justement envie que ta sortie de potes se transforme en rencard, c'est que ça veut bien dire quelque chose. Après, le terme reste réducteur. J'ai l'impression que ça crée des attentes, d'un côté comme de l'autre. Alors qu'il devrait jamais y avoir de contrepartie.

-Voilà. Et puis je ne suis jamais vraiment sorti dans des bars, autrement qu'avec un groupe de potes, je veux dire. Je saurais pas comment aborder la conversation. Même avec un truc comme Tinder, qui est censé décompléxifier tout ça, rendre l'idée plus acessible... Ben, finalement c'est pire ! J'aurais un match, je crois que je saurais pas quoi en faire. Comment t'es censé engager la conversation ? J'veux dire, déjà que chuis pas doué... Y a une fille qui me plaisait, au lycée, tout ce que j'ai réussi à lui dire, c'était qu'elle avait de très beaux sourcils !

-*éclate de rire*

-Voilà.

-Non, mais pardon, mais je t'imagine tellement...

-Vaut mieux pas. Du coup, ce que je me demande, c'est à quel moment t'es censé...je sais pas, dire quelque chose ? Est-ce que c'est uniquement censé se faire naturellement ? Et est-ce que tu risques pas de rater des trucs, du coup ? Genre, si tout le monde attend de son côté pour voir ?

-C'est pas évident... Tout dépend des caractères, j'imagine. Avec Audrey, on a finalement réalisé qu'on était un couple avant même qu'on se déclare quoi que ce soit. C'était...naturel, en un sens.

-C'est ça que je veux !

-Je n'ai pas dit que c'était idéal. Franchement, j'pense pas qu'il y ait de relation idéale, et ça me paraît contre-productif, comme truc. On s'imagine que telle manière de faire est la bonne, que tel couple est parfait, mais ça ne marchera jamais si tout ce qu'on veut, c'est reproduire ce qui nous semble être la meilleure solution. Elle et moi, ça a marché comme ça, mais est-ce que la meilleure manière de commencer quoi que ce soit ? Parfois, je me demande.

-Ça fait quoi, deux ans ?

-Et demi. Et souvent, je me demande comment c'est possible.

-C'est souvent comme ça : le coureur de jupons du groupe est le premier à se caser.

-Coureur de jupons, carrément ? Et ben.

-Relativement parlant. C'est plus pour t'embêter.

-Je sais.

-C'est fou quand même, et vous vivez toujours pas ensemble ?

-Pourquoi « toujours » ? Ça implique une impossibilité que les choses se passent différemment. Genre tu trouves la bonne personne, alors tu commences par l'inviter boire un verre, puis tu t'installes avec, puis tu te maries, t'as des gosses... Et pas forcément dans cet ordre. Bon d'accord, le mariage n'est plus considéré comme aussi inévitable dans l'imaginaire collectif, les gosses non plus, ou ça dépend à qui t'en causes... Mais j'pense pas que y a un idéal de vie domestique non plus. Je trouve le terme un peu...ça veut dire que quand tu te mets avec quelqu'un, le but c'est de se domestiquer l'un l'autre ? Pour le moment, ça nous va comme ça. Après, on a toujours tenu à une certaine indépendance, mais ça ne nous empêche pas pour autant de vivre notre vie à deux.

-Ça veut dire qu'avec les potes, on va pas se battre de sitôt pour savoir qui sera le parrain ou la marraine, qui aura l'occasion de sortir les anecdotes honteuses, ou qui perdra les alliances ?

-Pas que je sache. Mais en même temps, faut jamais dire jamais. Je trouve tout aussi idiot de se dire qu'on ne se mariera jamais que de le croire inévitable. Si un jour ça sonne juste, ça sonne juste. Sinon, ce sera autre chose. Les circonstances changent. Je crois que c'est une histoire de paradigmes.

-Ah bon ?

-J'ai lu ça dans le bouquin de Jurassic Park, ça me paraissait cool.

-Est-ce qu'ils apprennent comment tout ça marche, dans Jurassic Park ?

-Hum, évite de sortir avec un raptor ?

-Peut-être que les raptors savent s'y prendre. Je suis sûr qu'ils ne se demandent jamais combien de temps ils doivent attendre avant de recontacter l'autre, ou même s'il faut attendre ou non. C'est un des trucs les plus nébuleux, et je trouve ça pire depuis que c'est aussi facile de contacter quelqu'un. Suffit d'un message, ce qui est pratique, mais je sais jamais si ça va être le message de trop, ou celui qui manquait. Est-ce que ça fait trop de vouloir prendre des nouvelles tous les jours ? Est-ce que c'est pénible ? Est-ce que c'est normal. Après tout, je parle pas à mes potes tous les jours, mais alors pourquoi dans ce cas présent, ça me perturbe autant ?

-Déjà, je suis content que tu en parles, ça me fait un peu de peine... Qui suis-je, pour toi ?

-Un crétin.

-Au moins ça. Mais j'en sais pas plus que toi J'aurais envie de te dire, t'as envie de parler à quelqu'un, fais le, ça coûte rien.

-Ou ça coût tout si t'en fait trop. J'ai toujours peur de m'emballer. Je me suis déjà emballé plus d'une fois d'ailleurs. Trop vite parfois, ce qui n'aide pas. Parce que ça gâche tout, ou alors, ça change au moins tout ; plus rien n'est vraiment pareil avec une amie, à cause de ça. Mais là...j'sais pas, j'me dis que ça vaut la peine de voir venir. De mieux cerner ce que je pense de tout ça, d'apprendre à connaître l'autre, de voir si c'est...possible.

-Ça me semble sain. Après, y a un moment où faut bien savoir où on en est.

-Parfois, j'aimerais bien avoir des sous-titres. J'envie les gens qui savent décoder les comportements des autres. Moi, je sais jamais si je lis correctement les signaux ou non. Si j'en vois qu'en y en a pas, ou si je suis incapable de les capter quand y en a.

-On devrait se balader avec une petite pancarte autour du cou pour traduire ce qu'on pense.

-Disons que j'ai pas envie de foirer quoi que ce soit parce que je me suis planté, ou parce que y a que moi qui ressent ça.

-Qui ressent quoi, finalement ?

-Quelque chose. Chuis pas en train d'te dire que chuis amoureux, ou autre, je sais pas... Ce que je sais, c'est que je réalise que je pense à elle d'une autre manière, que c'est plutôt agréable. Quand on se voit avec les potes, pour une soirée, une sortie, je réalise que ce dont j'me réjouis le plus, c'est de la voir.

-Encore une fois, je suis peiné.

-Tu t'en remettras. Et puis...ben, y a le courant qui passe, et c'est pas tous les jours que je me sens à l'aise comme ça avec quelqu'un, que ça me semble aussi naturel. Et...ben, oui, je crois bien que je l'aime bien, mais je ne sais pas quoi en faire. C'est quelque chose de très rare, que je me sente comme ça avec quelqu'un.

-C'est meugnon.

-Tu ne m'aides pas beaucoup.

-Désolé. Pour ce que ça vaut... si c'est vraiment ce que tu ressens, y a peut-être un truc à creuser. Après, il y a toujours des risques.

-Voilà, tant que je me lance pas, tant que c'est une sortie de potes et pas un rendez-vous ou je sais pas quoi, c'est...presque rassurant.

-C'est la relation de Schrödinger. Y a peut-être un truc, peut-être pas, et tant que ça reste un non-dit, pas besoin d'affronter les conséquences. Pour le chat, par contre, j'ai toujours pensé que mort ou vivant, y avait cent pour cent de chance qu'il soit à coup sûr très en colère.

-C'est rassurant, jusqu'à un certain point. Le reste du temps, c'est terrifiant. Est-ce que j'évite de tout gâcher ? Est-ce que je prends le risque de laisser passer quelque chose ?

-Tu as déjà essayé de lui parler de ses sourcils ?

-Heureusement que t'es là.

-N'est-ce pas ?

-T'as pas d'autre perle de sagesse ?

-Nope. J'sais pas trop quoi te dire. Y a pas de solution miracle.

-Y a surtout pas de putains de sous-titres...

-Ah, par contre il y aura toujours des bubble teas, je crois bien que c'est ouvert!

-Banane.

-Je préfère la noix de coco. J'espère qu'il y en a encore, tu connais ce truc, quand t'as envie d'un machin, et que rien d'autre irait à la place ?

 

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