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Le diable s’habille peut-être chez Prada, mais c’est bien parce qu’il en a les moyens

 

(Et une nouvelle historiette, comme ça, en passant!)

 

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"Et même s’il ne les a pas, il peut sans autre faucher la dernière chemisette dernier cri à l’étalage et parader avec n’importe quoi sur le dos sans qu’on y trouve à redire. C’est le diable, après tout. Vous, vous ne les avez pas, ces moyens là. Et pourtant, vous n’êtes certainement pas un  parfait petit enfant de cœur. Mais malgré toute votre volonté, la bonne comme la mauvaise, chaque escapade dans la moindre boutique de vêtements –qu’il s’agisse du dernier revendeur de marque à la mode ou la vieille friperie du marchés aux puces du jeudi- se transforme en une véritable aventure en enfer. D’aucun diront que l’enfer est pavé de bonnes intentions, ou alors qu’il se trouve chez les autres ; vous, vous préférez penser qu’il se trouve entre les étagères à maillots de bain et les rangées de chemises, juste derrière une pile de boîtes à chaussures. Il n’y a rien à y faire : vous n’aimez pas, mais alors pas du tout, vous acheter des vêtements. Autant vous êtes le premier à aimer flâner le long des devantures des magasins, toujours partant pour un peu de lèche-vitrine (vous vous demandez toujours d’où vient cette expression, et finissez généralement par  vous estimer heureux de ne pas connaitre la réponse : elle n’a sans doute rien de très hygiénique), autant vous arrêter plus de six secondes à proximité de vêtements exposés vous donne envie de hurler à la lune et de vous enfuir dans les bois en arrachant tous vos vêtements, telle une bête sauvage qui ne se complique nullement la vie à assortir du noir et du rouge. Seule la perspective d’effrayer des cœurs fragiles et de vous retrouver nu comme un ver dans une cellule du poste de police le plus proche vous retient.

 

Aussi loin que vos souvenirs remontent, cela a toujours été le cas. Tout petit déjà, vous trainiez les pieds avec un art tel qu’un paysan aurait pu passer derrière vous pour semer ses graines lorsque votre mère vous emmenait vous acheter une nouvelle paire de chaussures ou une belle chemise pour le mariage de tata Glenda. Vous vous laissez emporter telle une âme-en-peine parmi les rayons de chausses diverses et variées qui, à vos yeux peu experts, auraient aussi bien pu être de gros boulets qui n’attendaient que la première occasion de venir se refermer sur vos frêles chevilles. Et grosso modo vingt ans plus tard… rien n’a changé. C’est toujours pour vous un véritable chemin de croix que de vous rendre attraper ici un t-shirt, ici un pantalon (que vous prenez systématiquement trop longs, sans pourtant vous en rendre compte lors de l’essayage ; à croire qu’ils se rallongent par magie dès que vous les renfilez une semaine plus tard, chez vous, en même tant que vous retrouvez le ticket d’échange périmé)… Le seul rayon trouvant grâce à vos yeux étant celui des chapeaux, pour lesquels vous vous êtes capables de vous ruiner comme une femme en sacs à main (bon, d’accord, pas toutes les femmes. Notamment votre compagne à vous, qui ne se balade qu’avec un immense sac de toile grossière dans lequel elle trimballe –sans que vous n’ayez jamais compris comment- au moins l’équivalents de trois sacs de montagne et, parfois, petit chat lorsque celui s’est réfugié dedans pour y dormir et que vous découvrez tous deux, étonnés, entre le porte-monnaie et l’agenda au moment de payer l’addition). Une tête bien chapeautée est une tête bien faite, vous le dites toujours. Particulièrement lorsque toute personne en face passe plus de temps à examiner le couvre-chef que la figure pâle, les yeux hagards et la barbe de trois jours (mais qui en font au moins neuf ou dix) se cachant dessous.

 

Voilà pourquoi vous marchez aujourd’hui d’un pas de condamné dans l’une des petites boutiques de vêtements d’une grande surface du centre-ville. Enfin, quand vous dites « petite boutique », vous entendez par là ce genre de magasin qui, vu de l’extérieur, semble assez petit pour en faire le tour en trois minutes chrono et qui se révèlent en faite extraordinairement spacieux, défiant les lois de la physique et s’étendant qui plus est sur deux étages et au moins autant de sous-sols (ce qui n’est pas le cas unique des magasins d’habits : les petites libraires et magasins d’antiquités sont également très forts dans ce domaine). Car après de nombreux longs mois jamais troublés par cette tâche ô combien pénible, vous avez fini par admettre à contrecœur et sous la torture (du moins vous préférez le prétendre) que oui, vous auriez besoin de nouvelles frusques à vous mettre sur le dos et ailleurs. Si cela ne tenait qu’à vous, vous vous baladeriez en permanence avec  le minimum vital de vêtements jusqu’à ce qu’ils finissent par tomber en poussière autour de vous. Mais comme très peu de choses en ce bas monde dépendent de vous (ce qui rend, au choix, le monde un peu plus triste ou carrément meilleur), vous avez cédé sous les remontrances et les conseils de vos proches, fatigués de vous voir avec les trois même t-shirt sur le dos, de veux qui commencent à se faire trop petit pour le ventre rebondi de celui en quoi le travail consiste principalement à rester assis devant son ordinateur et à se lever pour prendre le train jusqu’au bureau de son éditeur. Alors vous voilà une fois de plus, une fois de trop, en train d’arpenter un de ces maudits magasins pour le salut de vos oreilles qui en avaient jusque là d’entendre ces critiques incessantes.

 

Enfin, le salut de vos oreilles, c’est vite. Vous avez en effet oublié que vous ne partagez absolument pas les goûts musicaux de ceux qui choisissent les programmes crachés à plein tube par les magasins de fringues. Entre le dernier rap à la mode et le nouveau morceau de techno audacieuse que vous ne sauriez pas différencier du précédent succès et dans lequel vous reconnaissez déjà les notes du futur hit, votre sensibilité acoustique n’est pas vraiment titillée. Vous ne demandez pas à ce que l’on passe du Bach lorsque vous essayez un pantalon, mais un peu de variété dans les sons proposés ne feraient pas de mal. Vous plaignez sincèrement les vendeurs qui doivent subir ça à longueur de journée. Même de la musique qu’on aime, on en deviendrait vite profondément dégoûté si c’était pour l’écouter plus de six heures non stop (tiens, vous croyez enfin déceler pourquoi vous avez soudain décidé de passer de Henri Dès à Jean-Jacques Goldman lorsque vous aviez dix ans). Et à parler de vendeurs de vêtements, ce ne sont pas pour vous les monstres gorgés d’agressivité et de dédain que décrivent nombre de personnes guère plus amoureuses du shopping vestimentaire que vous. Peut-être est-ce que parce que vous n’allez que très peu dans ce genre de boutiques, ou parce que vous avez toujours eu de la chance, toujours est-il que vous n’êtes jusqu’ici tombé que sur des créatures professionnelles et plutôt sympathiques. Non, c’est vraiment le procédé même de choisir et d’acheter des vêtements qui vous déprime.

 

Déjà parce que vous n’avez aucun goût. Pour vous, le summum de l’art vestimentaire consiste généralement à attraper chaque matin dans votre armoire, les yeux encore fermés par le sommeil, les premiers vêtements vous tombant dans la main sans vous soucier une seule seconde de la moindre cohérence vestimentaire. Vous balader en t-shirt violet, shorts vert kaki, chaussettes montantes et sandales n’est pas pour vous un problème. Vous croyez comprendre que c’en est surtout un pour la rétine d’autrui. Sauf de votre compagne qui s’en fiche, en grande partie parce qu’elle est victime du même problème que vous, à savoir qu’elle n’accorde aucune importance au diktat de la mode en particulier et à ces histoires compliquées de vêtements en général. Et qu’elle fait partie de cette détestable catégorie dont les membres paraissent automatiquement bien habillés quoi qu’ils mettent sur le dos. Elle ne s’inquiète pas beaucoup d’aller faire les boutiques non plus, car elle est aussi de celles dont deux vêtements sur trois ne sont pas à eux mais à une amie-une mère-une belle-sœur- une collègue, et qui réussit à se faire offrir le troisième par… une amie-une mère-une belle-sœur-une collègue à Noël, à son anniversaire ou à n’importe quelle occasion. Vous, si vous devez déballer un papier cadeau pour trouver dessous une belle chemise ou un pull confortable, vous vous sentez déçu comme un gamin qu’on aurait violemment privé de Noël (en même temps, vous réagissez un peu pareil pour tout présent n’étant pas un livre, ce qui donne bien des soucis à votre entourage, incapable de garder la trace de tous ceux que vous possédez déjà dans vos nombreuses étagères et autres bibliothèques), à moins qu’il s’agisse de t-shirt rigolos. De plus, vous êtes distraits, nullement intéressé par la chose et doté de l’instinct vestimentaire d’un ornithorynque qui, comme on le sait, ne s’embarrassent nullement de savoir si leur short s’accorde avec leur haut. Vous êtes même capable de trouver une chemise ou un pull plutôt sympa et de vous en saisir pour aller l’essayer avant de soudainement réaliser que vous êtes encore au rayon femme. C’est dire… 

 

Enfin, l’essayage représentant pour vous une autre plaie de ces séances de shopping. Féru d’une certaine loi du moindre effort, l’idée de passer plus de cinq minutes dans une de ces cabines étriquées à enlever et enfiler dix machins différents vous barbe profondément. Toute cette énergie gaspillée qui aurait été bien mieux employée à ne pas être dépensée confortablement chez soi, où personne ne viendra vous dire que ce vieux sweater jaune si confortable ne va pas avec ce short rose (un tragique accident de machine à laver). Voilà pourquoi, au grand désespoir de toute personne vous accompagnant dans une telle aventure, vous avez tendance à vous accrocher au premier vêtement qui vous va relativement comme si votre vie en dépendait. Non, vous ne voulez pas aller ailleurs voir s’il y a  plus joli ou meilleur marché, oui, celui-ci ira très bien alors qu’on vous laisse aller faire la queue  (interminable) à la caisse avec pour fuir ensuite comme si vous aviez les feux de l’enfer aux trousses. Et une fois à la caisse, vous ne pouvez vous empêcher de penser que tout cet argent aurait quand même été bien mieux employé ailleurs. Voilà pourquoi cela fait plus de trois ans que vous n’avez ne serait-ce qu’envisager de changer de godasses, bien décidé à garder les mêmes aux pieds jusqu’à elles s’effritent en lambeaux et vous permettent de devenir dans quelle rue vous vous trouvez rien qu’à la texture du pavé.

 

Mais aujourd’hui, vous n’avez pas le choix, il vous faut une belle chemise (votre ventre rebondi d’écrivain affamé en étant la raison, comme on le sait), un beau gilet peut-être même, soyons-fous, un nouveau pantalon accordé (parce que, vous l’avouez de mauvaise grâce, c’est important, de se sentir bien dans son pantalon ; la vie paraît toujours beaucoup plus belle dans un pantalon confortable), parce que c’est le mariage de tata Glenda dans trois jours et que si vous y allez sans faire un effort, vous en entendrez encore parler au mariage de vos éventuels petits-enfants (et oui, il s’agit bien de la même tata Glenda , qui a su rester une femme très entreprenante malgré son âge). Alors vous poussez un profond soupir et, entre deux notes d’un titre projeté à fond par les haut-parleurs dont vous croyez comprendre qu’il est question de filles faciles, de voitures, de soleil et, curieusement, de trampolines, vous rassemblez tout votre courage et pénétrez une fois de plus en enfer.

Au moins, ils ont l’air d’avoir de chouettes chapeaux."

 

Commentaires

  • "(un tragique accident de machine à laver).
    et, curieusement, de trampolines"

    Tu m'as tuée! xD

  • Les trampolines ont souvent cet effet: c'est dangereux ces trucs là. ^^

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