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L'apologie du désespoir

 

 

Il ne s’agira pas ici de se complaire dans l’auto-apitoiement, ni même de revenir sur tous les soucis qui ont tendance à vous retomber dessus depuis quelques temps comme autant de recouvreurs de dettes sur le mauvais payeur. Non, en fait, il s’agit plutôt d’une nouvelle révélation qui vous a frappé entre les deux il y a quelques heures, tandis que vous vous teniez debout au milieu de la grande pièce principale et quasi-vide de votre futur appartement. Vous deviez être en train d’imaginer un des futurs aménagements possibles de votre premier chez-vous, ou encore de vous demander à quel point cette nouvelle vie en solitaire allait vous changer quand vous vous êtes brutalement aperçu d’une chose : voilà que vous étiez en train de tirer des plans sur la comète, comme à votre habitude. A vous dire que, forcément, cela n’allait que pouvoir être une bonne expérience pleine de chouettes surprises. Qu’à partir de là, le reste de votre vie allait suivre avec armes et bagages pour changer, évoluer et s’améliorer. Une demi-douzaine de scénarios improbables mais ô combien passionnants et agréables avaient déjà traversé votre tête comme autant de TGV la campagne paisible.

 

Quand tout à coup, une nouvelle pensée soudaine, saisissante, stupéfiante, imposante : pourquoi de telles espérances ?

 

Vous avez sans doute dû cligner des yeux comme un lapin effarouché avant que votre cerveau ne reparte pour un tour sur cette nouvelle route qui s’offrait enfin à lui. En effet, pour quelle raison tordue étiez-vous déjà en train de mettre si haute la barre de vos attentes ? A penser naïvement que tout ne pourrait que bien se passer et que vous étiez sur le point de gambader sur la route champêtre du bonheur accompagné du chant des petits oiseaux bleus. Tout d’abord, vous avez mis ça sur le compte de votre nature profonde : depuis toujours, vous êtes un grand optimiste. Malgré vos angoisses (nombreuses), vos complexes (légions) et votre manque (légendaire) de confiance en vous, vous n’avez jamais réussi à faire taire totalement cette petite voix en vous qui restait persuadée contre vents et marrées que tout finirait par s’arranger. Que les méchants seraient chassés, que les nuages allaient se dissiper et que vous alliez trouver votre princesse (et, éventuellement, adopter un dinosaure). Même les déprimes les plus noires que vous avez traversées comme autant de tempêtes n’ont jamais totalement submergé la balise flottante, clignotant d’un optimisme certes intermittent mais toujours présent. Cette maudite lueur d’espoir.

 

Ah, l’espoir, cette qualité humaine si souvent louée, ce parangon de ces petites choses auxquelles s’accrocher quand tout va mal et que le monde dehors est noir, froid, dur et méchant. Cette capacité innée et totalement inouïe à se persuader que quelque chose de bien finira toujours par arriver. Cette lumière au bout du tunnel, cette vérité qui vous attend, ce but souvent insaisissable mais ô combien tentant, ô combien séducteur. Et, à votre avis, ô combien pernicieux. Pourtant, vous avez longtemps cru que l’espoir représentait tout ce dont la vie ne pourrait jamais vous priver. Cette tendance à se dire qu’une fois au fond du trou, on ne peut que remonter. Que ça ira mieux demain, ou la semaine prochaine, voir d’ici dix ans ; cette certitude ancrée en nous qui pousse à nous dire que le temps finit par tout effacer (vous commencez de plus en plus à penser que loin d’oublier, loin de laisser couler, on ne fait qu’accumuler). Que malgré tout ce qui peut vous tomber sur le coin de la pomme, il vous reste cette merveilleuse possibilité de croire en un monde meilleur, que tout pourrait un jour changer, et que vous pourrez enfin aspirer à tous ces rêves qui jadis vous permettaient de tenir. L’espoir, ce merveilleux panacée de l’âme. Et son poison le plus vicieux.

 

Là où l’espoir vous blesse, c’est lorsqu’il se conjugue à cette imagination débordante dont vous êtes la proie et qui laisse sans arrêt tourner votre cerveau en roue libre. Vous multipliez les scénarios auxquels aspirer, vous vous surprenez à rêver à tant de choses merveilleuses qui pourraient, après tout, bien finir par se produire. Vous vous en bourrez le crâne, vous vous en enivrez jusqu’à relever la tête de votre marasme et de regarder vers ce futur qui vous fait si peur avec une félicité nouvelle ! Autant dire que cela ne fait qu’édifier autant de tours desquelles tomber. A chaque fois, vous ne finissez que par vous y brûler les ailes, à cet espoir. Et pourtant vous y revenez toujours, comme le papillon de nuit à la flamme. Encore et encore, comme une chanson de Cabrel. Et vous vous demandez maintenant si cette capacité que vous avez toujours eue d’espérer et que vous preniez pour une de vos plus grandes forces ne serait pas plutôt une de vos pires faiblesses, un défaut dans la cuirasse si important que vous aviez jusqu’ici occulté son existence. Combien de fois cet espoir, que vous pensiez être la grue qui vous sortait de la dépression et des angoisses, n’a-t-il pas fini par être aussi la raison du prochain plongeon dans la souffrance ? A chaque espoir pourchassé, à chaque espoir imaginé, à chaque espoir que vous avez cru voir se réaliser un jour, vous vous en êtes mordus les doigts. Alors franchement, à quoi bon, hein ?

 

A quoi bon se dire que les angoisses peuvent disparaître quand elles ne font que s’éloigner de notre champ de vision pour mieux revenir nous frapper dans le dos ? A quoi bon s’imaginer déjà accomplir une tâche particulière quand on ne sait absolument pas si on en sera un jour capable ? Et, surtout, à quoi bon se laisser séduire à nouveau et se prendre à imaginer ce nouveau potentiel de possibilités ? Et de se retrouver, au final, encore une fois à baisser sa garder, à laisser son cœur parler, à se dire que oui, cette fois-ci, cette personne pourrait être la bonne, quelque chose pourrait se passer, tout pourrait arriver… pour être à nouveau rejeté, loin de cette mer des possibles, sur le rivage comme une vieille chaussure noyées. Une fois de plus. Franchement, ça commence sérieusement à vous fatiguer, plus que toute autre chose. Se heurter une fois de plus à l’inaccessible, rendu d’autant plus douloureux par cette maudite capacité à imaginer, rêver et espérer. Se heurter de nouveau à un panneau sens unique, en quelques sortes. Et, à nouveau, se lamenter sur cet espoir perdu et ces rêves qui ne resteront que des rêves. Ah, se passer de ces rêves ! De ces rêves qui vous tombent dessus la nuit en vous projetant non pas dans un univers fantastique rempli de dragons  ou dans un de ces univers loufoques dépourvus de sens, mais qui se contentent de vous faire vivre, le temps d’une nuit, une version légèrement différente de votre vie de tous les jours. Une version meilleure, où vous vivez ce que vous ne pouvez obtenir et qui rend le réveil d’autant plus difficile. Vous en avez marre de rêver votre vie en mieux (et vous regrettez amèrement l’époque où vous rêviez plutôt de combattre dans la forêt les méchantes sorcières armées de hache en compagnie de Morgan Freeman ; ou quand vous chassiez le vélociraptor à vélo…). Et vous finissez par envier ceux qui de leurs rêves ont tiré des croyances. Au point de regretter vous-mêmes de ne pas être du bois dont on fait les religieux. D’être privé d’une telle certitude, d’un tel espoir d’une vie meilleure, aussi irrationnel puisse-t-il être. Et si vous en arrivez là, c’est que vous ne savez vraiment plus quoi faire de tout cet espoir qui persiste en vous.

 

Alors au fond, à côté de cet espoir si présent mais en même temps insaisissable, improbable ou imprévisible, vous êtes en train de subir l’attrait soudain du désespoir. Mais pas dans le sens chargé de pathos du mot, où l’on imagine le pauvre être frappé du fatal désespoir recroquevillé sur le sol en position fœtale et pleurant toutes les larmes de son corps. Non, par désespoir vous entendez simplement l’absence d’espoir. Nul apitoiement, nul découragement, mais nulle attente non plus. Une philosophie de l’instant extrême où les rêves les plus fous n’ont plus leur place, et ce même lorsqu’ils pourraient très bien se réaliser. Après tout, on ne sait jamais de quoi demain sera fait, alors pourquoi s’entêter à l’imaginer sans cesse meilleur ? Pourquoi ne pas se contenter tout simplement de l’attendre sans espoir ? Juste de l’attendre. Et de voir ce qu’il réserve quand ça nous arrive. Si c’est quelque chose de bien, tant mieux : profitons de cette agréable surprise. Et si le lendemain reste difficile, et bien on le gérera comme on a géré tous les précédents. Pas d’espoir, pas de perte. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut s’attendre au pire : abandonner l’espoir ne signifie pas automatiquement succomber à son contraire. Vous, vous voyez plutôt tout cela comme une manière de prendre les choses comme elles viennent.  Sans s’épuiser à se réjouir inutilement, sans se perdre en conjectures, sans  imaginer autant de belles choses qui, lorsqu’elles ne se produisent pas, ne peuvent que vous enfoncer encore plus.

 

Et vous en avez carrément ras le bol de vous faire enfoncer, un espoir après l’autre. A quoi bon, encore une fois. Ne serait-il pas plus reposant, plus logique de ne s’attendre à rien ? Et de s’abandonner, enfin, à cette apologie du désespoir –dans le sens, encore une fois, de l’absence d’espoir sans pour autant sombrer dans la crise de larmes? Après tout, côté crises de larmes, n’est-ce pas ce fichu espoir si profondément ancré en vous qui a tendance, depuis quelques temps, à vous y précipiter n’importe quand n’importe où ? Vous commencez à penser que oui. Une fois de plus, vous vous y êtes laissé piéger. Peut-être que cette révélation n’est qu’un nouveau stratagème de défense établi par votre esprit pour tenter de préserver. Peut-être êtes-vous totalement à côté de la plaque. Quoi qu’il en soit, en ce moment, vous êtes fatigué d’espérer.

 

Au final, vous voulez juste continuer d’avancer.

Commentaires

  • Tu en franchis des pas ces temps, Maître Renard! =)
    ça vaut ce que ça vaut, mais perso j'approuve ta philosophie du désespoir, et espère (haha) que celle-ci saura t'apporter ce que ton inconditionnel optimisme (et ton imagination) n'ont pas su faire.
    (Epictète est ton ami)

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