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Lucie 47

Une petite page, ça continue!^^

 

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Mais aussi traumatisante que fut la fin de son rêve, elle ne s'éveilla pas en sueur, le souffle court, les pupilles dilatées. Elle s'éveilla comme on cligne des yeux, sans le moindre effort, glissant avec aisance du songe à la réalité. Ou peut-être était-ce l'inverse, de cela elle n'était plus si sûre. Ce n'était pas non plus la première qu'un de ses rêves bleus -comme elle les appelait- se terminait ainsi, et si les premières fois elle en était effectivement sortie en hurlant, elle en revenait maintenant comme d'une promenade en chemin connu, à chaque fois plus proche du but. Et c'était cela qui comptait, et non pas les écueils en cours de route. D'autant que Lucie jugeait qu'il était idiot de s'effrayer de rêves. La vraie vie faisait bien plus peur, elle le voyait parfois dans les yeux de sa mère, quand celle-ci songeait au passé, avant qu'elle ne puisse les mettre toutes deux à l'abri. Et cette nuit, dans ce train, Lucie se sentait curieusement plus en sécurité que jamais. Et elle commençait à se dire qu'il ne s'agissait pas tant du train que de l'étendue sauvage dans laquelle il se retrouvait bloqué, à l'air libre. Elle songea à son rêve, quand les contours du wagon s'étaient brouillés autour d'elle lorsqu'elle en était sortie et, s'asseyant sur le siège, elle posa sa main paume ouverte contre la cloison, se demandant si elle allait passer à travers. Mais le métal froid était solide contre sa peau, et elle poussa un bref soupir presque imperceptible, ne sachant pas trop si elle en était soulagée ou, au contraire, déçue.

 

Précautionneusement afin de ne pas faire de bruit, elle se balança hors de sa couchette improvisée pour atterrir sur le sol. Sur les banquettes en face d'elle, sa mère dormait, une mèche de cheveux rebelle collée sur son front, dépassant de la capuche de son manteau. Elle avait les sourcils légèrement froncés et ses yeux bougeaient régulièrement sous les paupières ; même dans ses rêves à elle, Martha Robbins semblait lutter. Désireuse de ne pas la réveiller, Lucie avança tout doucement pour gagner l'espace couloir. Daniel Grümman avait éteint les néons du wagon au moment du coucher, aussi l'obscurité n'était-elle troublée que par la lumière qui filtrait par l'étroite vitre de la porte de la voiture, derrière laquelle un des soldats de l'escouade prenait son tour de garde ; le major Adams avait jugé bon de ne prendre aucun risque. Quant au silence de la nuit, il était troublé par les respirations profondes, les ronflements et les mouvements inconscients qui constituaient l'orchestre étrange et familier d'autant de personnes rassemblées dans un même endroit légèrement inconfortable pour dormir. Le fond de l'air était bien plus frais que durant la journée mais, fort heureusement, les unités de chauffage de ce wagon continuaient d'assurer leur service minimum. Souhaitant se dégourdir les jambes, Lucie avança de quelques pas au milieu des dormeurs, réfléchissant à la fin de son rêve. Cette nuit encore il lui avait semblé progresser un peu plus loin, mais c'était la première fois que quelqu'un d'autre y apparaissait. Elle jeta un coup d’œil sur le carré de sièges où s'étaient installés les prêtres, et vit que Diego Delgado y était endormi, pelotonné dans une grande cape noir ; sa figure était toujours aussi pâle mais paisible, contrastant avec l'expression sévère qu'il affichait éveillé.

 

Le père Horst, lui, n'était pas couché. Lucie le trouva plus loin, assis sur un siège qui jouxtait la grande fenêtre du wagon. Une couverture épaisse sur les épaules, il fixait le verre et avait une pipe à la main. De temps en temps, il la portait à ses lèvres avant d'expirer un discret nuage de fumée ; le tabac sentait bon, son odeur était douce et fruitée. Le vieil homme était manifestement plongée dans ses pensées, et il tapotait distraitement d'un rythme précis, comme celui d'une chanson, sur sa cuisse des doigts de sa main libre. Lucie eut l'impression de l'entendre fredonner tout bas, dans un semi-chuchotement, mais elle n'en était pas sûr, aussi décida-t-elle de s'approcher, curieuse. Doucement elle vint le rejoindre, pour ne pas le déranger, et elle s'installa sur le siège en face du sien. Oui, il était bien en train de chantonner dans sa barbe, l'air un peu absent et elle continua d'écouter. Elle finit même par reconnaître l'air, celui d'une vieille ballade classique de l'Hégémonie qui passait souvent à la radio, dans le brouhaha ambiant du bistrot où la mère de Lucie travaillait. La fillette en était à se demander si elle devait signaler sa présence quand le prêtre la remarqua de lui-même, tournant distraitement la tête. Aussitôt, sa large figure s'éclaira d'un de ses fameux sourires :

 

-C'est la petite Lucie!s'exclama-t-il doucement, et cette dernière lui rendit son sourire. Il était très difficile de ne pas répondre à la bonne humeur du vieux prêtre, comme les autres passagers l'avaient appris durant cette éprouvante journée.

 

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