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Lucie 54

Comme toujours, ce sont les jours où je dois me plus le forcer pour m'y mettre que j'arrive à écrire le plus. Deux pages pour le passage du jour, donc!^^

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-Je ne comprends plus rien, maugréa Arthur Kent, les bras croisés sur la poitrine. Il avait la fâcheuse impression d'avoir été précipité au sein de l'histoire la plus folle, une histoire sur laquelle il n'avait aucun contrôle. Comme la plupart des événements qui survenaient dans sa vie et le laissaient généralement plus confus qu'autre chose. C'était peut-être pour cela qu'il aimait tant écrire ses propres histoires, cela lui donnait le sentiment d'avoir au moins un monde qu'il comprenait, et duquel il décidait la moindre des directions. Seulement, même dans ses histoires, il se produisait rarement des catastrophes comme celle qui se succédaient depuis qu'il était monté à bord de ce fichu train. Un danger en cachait sans arrêt un autre, et il se demandait ce qui allait bien leur tomber sur la tête maintenant que le premier d'entre eux avait manifestement perdu la raison. Et que cela soit arrivé à l'un des plus réservés d'entre eux, le tranquille père Delgado, n'augurait rien de bon pour la suite. Arthur avait beau fouiller sa mémoire, il ne se rappelait pas avoir vu le moindre signe avant-coureur de la folie qui avait soudainement saisi le prêtre. Ce dernier s'était peu mêlé aux autres, et il ne s'était guère montré aimable, mais ce n'était pas une raison pour se conduire ainsi. Même si, en y repensant, il y avait toujours eu quelque chose chez lui qui faisait froid dans le dos. Quelque chose dans ses yeux, peut-être, une intensité presque maladive. Mais cela n'aurait pas été la première fois que l'imagination d'Arthur lui aurait joué un tour, et il n'était plus sûr de rien. Bon, il ne l'avait jamais vraiment été au cours de son existence, mais c'était là un sentiment qui atteignait de nouveaux sommets.

 

-Moi non plus, renchérit Kenneth Marsters. Ou du moins, je ne comprends rien qui ait du sens. Rien de logique, et j'ai basé ma carrière sur un enchaînement logique des choses. Là, j'ai l'impression d'être face à un puzzles dont on aurait mélangé les pièces avec plusieurs de ses semblables. Quand on y réfléchit vraiment, rien de tout cela ne s'additionne, comme si tout ceci n'était finalement qu'un fâcheux concours de circonstances.

 

-La faute à pas de chance ?

 

Kenneth ne répondit pas tout de suite, une main sur le torse, là où sa blessure le démangeait à travers ses couches de vêtements. Il semblait regarder au-delà de ce qui se trouvait devant lui, à la recherche d'une solution qui lui échappait. Puis il finit par rendre les armes, poussant un soupir :

 

-Ouais, quelque chose comme ça. Je n'avais jamais vraiment cru en la chance -ou son absence- mais depuis hier, je crois que je n'ai pas d'autre choix que de revoir mon opinion sur la question. Tout ce que je voulais, c'était profiter des installations de Haven, poursuivre mes recherches, peut-être même faire du travail sur le terrain...

 

-Pour ça, vous êtes servi.

 

-Plus que je ne le voudrais. Mais mon travail aurait été basé sur ce que nous pensions tous connaître de cet endroit, sur la logique que nous lui prêtions, et je réalise que nous ne connaissons ce monde que très peu malgré les siècles que l'Hégémonie y a passé. Et je me demande si, en y accordant plus d'attention, nous aurions pu prévoir le cours que les événements ont pris ces derniers temps.

 

-Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?

 

Kenneth fronça les sourcils, comme s'il s'en voulait à lui-même, puis lâcha un deuxième soupir, suivi d'un mince sourire :

 

-Je n'étais pas censé en parler -ça faisait partie de mon contrat, du contrat de tous ceux qui vont travailler dans certains postes sensibles à Haven- mais il se passe des choses étranges à la surface depuis quelques temps. Des choses qui inquiètent assez les hautes sphères de l'Hégémonie pour qu'elles développent enfin un complexe comme Haven. Ce dernier est en train de se transformer en un véritable poste d'écoute de notre monde.

 

-Et dans ce poste d'écoute, vous n'avez jamais entendu parlé d'infections bizarres ou de lézards géants mangeurs d'hommes ?

 

-Si c'est le cas, on ne m'a encore jamais soumis ces données.

 

-Elles étaient peut-être là depuis longtemps, seulement nous ne leur avons jamais accordé l'attention qu'elles méritent.

 

-Cette fois, c'est moi que vous intriguez, Arthur.

 

-Les légendes, les vieilles histoires transmises depuis l'époque de la colonisation. Je ne peux m'empêcher d'y trouver quelques échos avec ce qui nous arrive aujourd'hui.

 

-Je ne m'y connais pas vraiment sur le sujet, mais je ne serais pas surpris d'apprendre que vous avez raison. Des choses plus surprenantes se sont produites. Et dans vos histoires, il y a quelque chose qui pourrait expliquer pourquoi notre bon père Delgado aurait tout à coup péter un plomb ?

 

-Je ne suis pas sûr. Peut-être... Des histoires sur la déraison qui aurait touché des ouvriers et des explorateurs, à notre arrivée sur Éclat. Qui nous auraient poussé à trouver refuge sous la surface et à ne plus se préoccuper du dehors.

 

Les deux hommes firent silence et, comme la plupart des autres passagers, observaient d'un air sinistre Diego Delgado. L'homme était calme, maintenant, et se contentait de rester assis sur un siège, presque apathique. Les soldats lui avaient liés pieds et mains et deux d'entre eux se tenaient à ses côtés en permanence. Canton Adams dit quelque chose dans la radio que lui avait donnée Ravert avant de l'éteindre et de la confier à nouveau au soldat, puis il vint s'asseoir face au jeune prêtre. D'un signe, il demanda à Horst de le rejoindre, et Martha Robbins et Ed Travers se rapprochèrent également. Martha ne lâchait plus Lucie, qu'elle tenait serrée contre elle, et Travers était plus agité que jamais. Le major, lui, restait parfaitement calme, une expression imperturbable sur son visage buriné par les épreuves tandis qu'il rivait ses yeux bleus dans ceux, sombres et luisants, de Delgado.

 

-Mon père, commença-t-il, il faut que vous m'aidiez à comprendre. Vous m'avez tout l'air d'un jeune gars plutôt sensé, pas du genre à monter les tours sans une très bonne raison, aussi j'aimerais comprendre ce qui a pu vous pousser à agir ainsi.

 

-Diego, vous pouvez tout nous dire. Vous devez tout nous dire. Nous sommes là pour vous aider, renchérit John Horst d'une voix douce, rassurante. Il était sincèrement affecté par l'état de son jeune collègue, et il s'en voulait énormément de n'avoir décelé aucun signe de sa folie. Oui, le garçon lui avait toujours semblé un peu étrange, réservé ; trop peut-être. Dieu seul savait ce qui avait pu se passer derrière ces yeux sombres...

 

Pour toute réponse, Delgado se contenta de les regarder en retour, inexpressif. Après le déchaînement dont il avait fait preuve alors que les autres essayaient de le maîtriser, le voir aussi calme avait quelque chose de presque menaçant. Les soldats, notamment, attendaient de lui à tout moment qu'il se remette en rage et se tenaient prêts, armes à la main. Mais toute fougue semblait avoir déserté le prêtre. De temps en temps, ses lèvres remuaient doucement, et l'on pouvait deviner les mêmes mots qu'il prononçait sans-cesse depuis sa capture.

 

-Vous avez voulu vous en prendre à une vieille femme souffrante, et pour ce faire vous n'avez pas hésité à résister à mes hommes, et ce dans l'exercice de leurs fonctions. C'est quelque chose de plutôt grave en soi, mais d'autant plus périlleux dans la situation dans laquelle nous nous trouvons, reprit Adams.

 

-...le rêve bleu... Vous ne comprenez pas...

 

-De quel rêve parlez-vous, Diego ? s'enquit Horst.

 

-Le seul qui compte... Celui qui vient du ciel et qui m'a choisi... Non, vous ne comprenez pas...

 

-Du ciel ? Expliquez-vous mon garçon, pour votre propre salut !

 

Mais Delgado ne répondit rien d'autre et entreprit à nouveau de regarder droit devant lui, inexpressif et immobile. Horst voulut dire autre chose, mais Adams l'arrêta, une main sur son bras, et se pencha en avant, amenant son visage droit devant celui de Delgado. Quelques centimètres à peine les séparaient.

 

-Dites moi, mon père, commença le major, qui avait visiblement une idée derrière la tête. Est-ce que c'est un rêve qui vous a aussi poussé à saboter ce train ?

 

 

 

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