Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Lucie 61

Mine de rien, ça continue!

 

____________________________________________________________________________________

 

 

-Est-ce que tu regrettes, parfois ?

-Hein ?

Le caporal Velázquez leva la tête du petit livre qu'il était en train de lire à la mince lueur du mini-projecteur qui faisait partie du paquetage militaire de l'escouade. L'engin était réglé au minimum afin d'économiser son énergie. Les deux soldats de veille étaient installés dans le petit espace entre le wagon des passagers et le suivant. Les portes fermées, ils pouvaient discuter sans craindre de réveiller les dormeurs, et rien ne risquait de leur échapper. Quiconque voulait rejoindre l'avant du train les trouverait sur son chemin. Ce qui n'enchantait pas particulièrement Velázquez lorsqu'il songeait aux intrus plutôt voraces qui rôdaient plus loin, mais il n'en était pas moins prêt à faire son devoir. Et puis il l'effectuait en bonne compagnie...

-De t'être engagé, je veux dire. Est-ce que tu le regrettes ? reprit le caporal Samantha Jones.

-L'uniforme est un peu vieillot, mais il conserve une certaine prestance.

-Sérieusement, Monty.

-Sérieusement ?

André Ladislas Montauban Velázquez glissa un marque-page dans son livre, qu'il rangea soigneusement dans sa poche. Sa collègue était la seule dans leur petit groupe qui l'appelait par ce surnom qui, coïncidence étrange, était le même que lui donnait sa famille. Et c'est en songeant à cette dernière qu'il sut quelle serait sa réponse :

-Non, pas vraiment. J'ai beaucoup de regrets, ça va de pair avec ma fascinante personnalité, mais je suis très content d'être là où je suis plutôt que d'être coincé au domaine Velázquez.

-Tu en parles toujours comme si tu avais fait la guerre... Le fameux domaine Velázquez, ça ne pouvait pas être si terrible. Ça ne m'aurait pas dérangé, en tout cas.

-Crois moi Sam, si tu avais été à ma place, tu aurais très vite compris qu'il s'agissait effectivement d'une sorte de guerre. Le conflit, c'est la seule chose que mes parents comprennent, comme leurs parents avant eux.

-Je suis sûre que je m'en serais très bien tirée : je suis facile à vivre, moi.

-Je veux bien admettre qu'il y a deux ou trois trucs qui me manquent, mais je ne reviendrais pas en arrière. Même perdu à la surface, dans un train qui prend de plus en plus les courants d'air. Non, vraiment, tu ne trouves pas qu'on se les gèle de plus en plus ?

Velázquez s'emmitoufla plus profondément dans sa couverture, et décida de renfiler les gants qu'il avait ôtés pour lire.

-Tu as toujours été frileux. Mais Grümman nous a dit que le train devait dériver de l'énergie pour rester fonctionnel. Le seul véritable chauffage qui reste est celui du wagon des passagers.

-C'est une des choses pour lesquelles je ne regrette rien, tu sais. Protéger des gens comme eux.

Si Samantha en fut surprise, elle ne le montra pas. Mais elle sourit ; elle ne dit rien, laissant l'autre caporal continuer sur sa lancée.

-Je veux dire... Je sais bien que ce n'est pas comme si on était en plein conflit, mais s'il devait un jour se produire quelque chose de grave, c'est une bonne chose qu'il y ait des gens pour protéger ceux qui en ont besoin. Et je suis content de faire partie de ces gens-là. J'en suis fier. Je suis plus utile ici qu'au domaine de mes parents, et j'en suis plus fier de tout ce que j'ai pu faire par le passé. Alors non, pas de regrets. D'autant qu'aujourd'hui, on a vraiment besoin de nous.

-Tu crois que ce sera le cas à Haven aussi ? Ou que cet accident n'est qu'un événement isolé ?

-Je suis optimiste de nature, mais on sait que ce n'était pas un accident. Cela n'augure rien de bon, surtout si d'autres types aussi cinglés que Delgado s'en mêlent.

-Tu crois que le major devrait parler aux autres de...tu sais quoi ?

-S'il ne l'a pas encore fait, c'est parce qu'il n'est pas encore sûr que c'est le bon moment pour renier le protocole. Mais on ne va pas pouvoir rester ici éternellement, voilà qui est certain. Toujours pas de secours, des bêtes aux crocs acérés partout autour de nous, une pauvre vieille femme morte et un cinglé saucissonné... Le moment va venir, on n'aura plus le choix.

-Je ne dois pas dire que j'en m'en réjouis, quelque part.

-Ouais, je vois ce que tu veux dire. Il fait un temps à rester dedans, hein ? Et toi Sam, pas de regrets ?

-Non. Je ne serais pas arrivée à grand chose autrement qu'en m'engageant. Oh, je suis pleine de capacités étonnantes, on le sait, mais je n'avais pas vraiment le moyen de les faire fructifier. Ni beaucoup de monde d'où je viens.

-Au moins, tu es tombé sur nous!fit Velázquez, son habituel sourire éclatant sur les lèvres.

-Ouais, heureusement que Paul et Sungmin sont là pour remonter ton niveau.

-Aïe.

-Au fait, tu sais où es le major ?

-Il est toujours un ou deux wagon plus loin, je crois que Martha voulait lui parler.

-Tu crois que...

-Elle et le major ? J'ai de la peine à imaginer Adams s'éprendre de qui que ce soit. Ou alors il cache bien son jeu.

-Et tu es un expert lorsqu'il s'agit de cacher son jeu, hein ?

-Ça, ma grande, tu le verras lors de notre prochaine partie de cartes, quand les autres seront réveillés.

Avec un nouveau sourire, Velázquez se laissa aller en arrière sur son strapontin, sortant son livre de sa poche. Et par-dessus les pages, il jeta un nouveau coup d’œil à Sam Jones, et s'il n'avait pas menti sur les raisons qui l'empêchaient de regretter d'avoir un jour enfilé l'uniforme, il n'avait pas exprimé la plus importante. Et il se demandait si il y arriverait un jour...

 

Commentaires

  • ^^

Les commentaires sont fermés.