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Lucie 82

Une pageounette!

 

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Le caporal Velázquez bloqua sa respiration, l’œil rivé dans la lunette de son fusil. Il suivait du regard l'une des créatures au loin, qui s'élançait au devant des autres. Sans doute un éclaireur, et cette pensée le fit frissonner. L'intelligence de ces monstres n'était plus à démontrer, et la surchauffe provoquée par Marsters semblait les avoir rendus plus prudents. Celui au flanc brûlé qui avait appelé les autres rôdait à l'arrière de la meute, se déplaçant de long en large comme un général faisant sa revue. De temps en temps, il leva la tête vers le ciel et poussait l'un de ses hurlements si caractéristiques, auxquels répondaient les autres, par groupes. Celui qui s'était avancé accéléra soudain la cadence, mais Velázquez était prêt : il visa, anticipant le mouvement, et la détonation secoua la nuit comme un coup de tonnerre. Le pied droit de la bête explosa dans une gerbe de sang, et elle s'écroula dans la neige en hurlant. Satisfait, le soldat s'autorisa un bref soupir, contemplant sa cible qui se trémoussait sur le sol : elle n'irait pas plus loin. Plus loin derrière, les autres répondirent à ses appels avec des sifflements aigus, sans la rejoindre pour autant. La démonstration de force avait fait son petit effet, et Velázquez sourit, content de lui. Qu'elles le craignent donc, il n'allait pas leur faire de cadeau !

Allongé dans la neige, il était si concentré qu'il avait à peine conscience du froid, ou de ses membres engourdis. Il ne faisait qu'un avec son fusil, et jamais il ne s'était senti autant à sa place. En fait, maintenant qu'il était aussi proche de la mort, il n'avait jamais été aussi vivant. Son objectif était clair : gagner du temps pour les autres. Il était bien décidé à ne pas les laisser tomber, ou il ne s'appelait pas André Ladislas Montauban Velázquez. Doucement, sans se presser, il actionna la culasse du fusil pour le recharger, et ajusta sa position sur le trépied. Les cris des créatures continuaient, les plus forts provenant de celle qui avait été blessée. Le caporal les fit défiler dans son viseur, sans pour autant faire feu : il préférait économiser ses munitions tant qu'il ne serait pas absolument nécessaire de tirer. Pour le moment, les monstres restaient en arrière, prudents. Deux d'entre eux s'approchèrent non loin de celui qui était tombés, mais ne firent pas mine de le dépasser. Ils se contentèrent de le regarder, leurs museaux reptiliens humant l'air. L'un deux finit par lever les yeux, et Velázquez eut la désagréable impression qu'il cherchait à croiser son regard. Il y avait une détermination cruelle dans ces pupilles fendues, quelque chose qui allait au-delà du simple animal. Il était fou de se dire qu'après tout ce temps passé sur Éclat, personne n'avait jamais aperçu ses créatures. Du moins, personne qui n'avait survécu pour venir le raconter. Certes, l'humanité passait le moins de temps possible à la surface, mais cela n'expliquait pas tout : en les voyant agir maintenant, le soldat n'aurait pas étonné d'apprendre que ces bestioles auraient volontairement décidé de cacher leur présence. Et peut-être qu'elles expliquaient les disparition de personnels lors des constructions en extérieur, racontées par de vieux ouvriers dans les bars du Complexe. Quoi qu'il en soit, ce monde était leur demeure, et elles n'avaient pas résisté à l'aubaine née de l'arrêt forcé du train. Elles pourraient les survivants un à un dans la nuit, sans personne pour savoir ce qu'ils seraient devenus. Velázquez allait tout faire pour empêcher cela.

-Approchez seulement mes jolies, approchez...murmura-t-il pour lui même.

Elles ne se firent par prier. Après un nouveau cri de la brûlée, qui semblait avoir pris le commandement des opérations, plusieurs d'entre elles reprirent leurs avancée. Les deux qui s'étaient arrêtées aux côtés de celle à la patte en charpie se saisirent soudainement de son cou, plantant leurs crocs dans la gorge exposée. Leur victime hurla de plus belle, essayant faiblement de se débattre, mais elle ne put rien faire : il suffit d'une torsion effectuée de concert par ses bourreaux pour la faire taire définitivement. Velázquez observa la scène avec un détachement né de l'horreur, se demandant s'il s'agissait là d'un acte de pitié pour un congénère désormais infirme...ou une exécution pure et simple du plus faible. Puis elles reprirent leur course, droit sur la pente, droit sur les arbres, silhouettes obscures filant sur la neige.

Velázquez visa, et un nouveau coup de feu retentit. Ce ne serait pas le dernier.

 

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