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Lucie 87

Et ça continue!^^

 

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Ed Travers appela une nouvelle fois à l'aide, espérant que sa voix porterait à travers les arbres et le brouillard. Il se trouvait dans une situation des plus précaires, et il ne savait pas combien de temps il allait encore tenir...Quand le groupe s'était séparé pour partir à la recherche de la gamine, il avait erré d'abord sans grande conviction, terrifié de ce qu'il risquait de trouver au bout du faisceau de sa lampe torche. Sa casquette vissée sur la tête -qu'il ne l'ait pas perdue dans toutes ces aventures relevait du miracle!- il avait commencé par avancer prudemment, à l'affût du moindre bruit, du moindre mouvement suspect. Il n'avait d'abord eu aucune intention de payer de sa personne...et puis il avait pensé à Lucie. Réellement pensé à Lucie. Au fait que l'enfant avait sans-doute été la seule personne qui ne l'avait jamais rabroué depuis qu'il était monté à bord du train. Il se sentait responsable d'elle, et il comprit qu'il était après tout censé être responsable de tout le monde à bord. C'était lui, l'homme qui devait s'occuper des passagers lors de la traversée. C'était le poste pour lequel il avait travaillé dur, son ticket pour Éclat et un meilleur futur. Pas seulement pour lui, mais pour sa famille également. Il avait encore sa mère, et ses quatre sœurs. Ed avait été le petit dernier, le garçon de la famille, et toutes ces femmes s'étaient occupées de lui dès sa venue au monde. Il avait été entouré, presque étouffé parfois, mais il leur devait tout. Peut-être était-ce pour ça qu'il s'était ainsi laissé pousser par l'ambition. Mais maintenant qu'il se retrouvait loin de chez lui, à l'extérieur, il n'était plus si sûr de ses choix. Et s'il pensait autant à Lucie, perdue comme lui, c'était peut-être parce qu'il n'avait jamais eu de petite sœur, personne dont il aurait pu s'occuper en retour. Et cette enfant était perdue, seule, et il se devait de faire quelque chose.

Il avait entendu quelque chose, un son faible et lointain, et il s'était précipité dans sa direction. Il n'avait plus peur -ou, plutôt, il avait mis sa peur de côté- et chaque seconde comptait, il en était sûr. Il avait couru comme un dératé, trébuchant dans la neige et manquant plus d'une fois se cogner contre un tronc noir jaillissant de la brume. Soudain il n'y eut plus d'arbres du tout, et ce fut l'instinct de Travers qui le sauva lorsqu'il stoppa net sa course : devant lui, il n'y avait plus que du vide. Ils avaient rejoint la forêt en gravissant une colline...et il était maintenant au sommet d'un véritable flanc de falaise. Prudemment, il s'accroupit dans la neige pour regarder en-bas, mais le brouillard empêchait de voir à quel point la chute serait profonde. Tendant l'oreille, il pouvait entendre un son étrange qu'il aurait aussitôt assimilé à un torrent s'il en avait déjà entendu un : il n'y avait pas de telles choses, entre les murs de béton du Complexe. Mais ce n'était pas le bruit qu'il recherchait : il écouta encore, jusqu'à ce que la petite voix recommence ses appels.

Lucie.

-Tiens bon petite ! Travers se pencha un peu plus, luttant contre un vertige naissant. Lentement, de peur de faire un geste trop brusque qui le précipiterait dans le vide, il dirigea le faisceau de sa lampe vers le bas, perçant le brouillard. Il l'arrêta deux mètres plus bas, sur une toute petite corniche qui dépassait de la paroi. Et adossée contre la falaise, la pointe de ses petits pieds dans le vie, l'enfant ne bougeait pas. Elle ne leva même pas les yeux quand elle entendit Ed. Elle se contenta de répondre, d'une petite voix calme :

-Monsieur Travers, je crois que j'ai fait une bêtise...

-Ça va aller petite. Ne bouge pas. Les autres arrivent, avec ta mère. Ils vont te sortir de là, tu vas voir !

-la glace est en train de casser...

-Hein ?

Travers plissa les yeux pour mieux voir dans la lumière, et vit que le salut de Lucie ne reposait pas sur une saillie de la pierre mais sur un agrégat de glace. Et qui ne tiendrait pas indéfiniment, même sous le poids léger de l'enfant. Le responsable du train jura entre ses dents, regardant désespérément autour de lui. Les mains en coupe, il se mit à crier pour demander de l'aide, mais personne ne sortit des arbres pour venir l'aider. Ils étaient peut-être en chemin mais, pour le moment, il était seul.

-Monsieur Travers ?

-Ça va aller, répéta-t-il, essayant de s'en convaincre lui-même. Il déglutit sèchement, frottant ses mains gantées l'une contre l'autre. Il se sentait plus incapable que jamais, inutile et tout sauf à sa place.

-Monsieur Travers ?

Cette fois, l'appel de Lucie fut suivi d'un léger craquement qui résonna aux oreilles de Travers comme un coup de tonnerre. Et cela lui suffit pour se décider. Avec l'impression d'être un autre homme, il planta sa lampe dans la neige et, précautionneusement, s'accroupit et se mis dos au vide. Il chercha autour de lui jusqu'à ce qu'il trouve une souche dont les racines étaient plantées sur le borde de la falaise, et il s'y accrocha de toutes ses forces. Puis, lentement, très lentement, il se laissa glisser le long du bord, jusqu'à ce que ses pieds battent dans le vide. Terrifié, il continua pourtant de se laisser descendre.

-J'arrive petite ! Tiens bon !

Tiens bon. Il le disait autant pour lui que pour Lucie Robbins. Bon dieu, songeait-il, qu'est-ce que je suis en train de faire ? A cette pensée, un craquement retentit quand l'une des racines gelées se cassa, et Travers ne dut son salut qu'à la prise que son autre main trouva au dernier moment. Il était maintenant réellement suspendu dans le vide, et sa vie ne tenait effectivement plus qu'à un fil.

-Monsieur Travers ? Il y avait des accents d'inquiétude dans la voix de la gamine, restée étonnamment calme jusqu'à maintenant.

-Je vais bien, tout va bien...réussit-il à soufflé, étonné de son propre calme tout relatif. On va s'en sortir, on va s'en sortir...

Il se remit à crier, appelant une aide qui tardait à venir.

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