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Lucie 90

Et hop, on arrive au passage 90, quand même! o/

 

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Cela faisait plusieurs heures que le petit groupe marchait péniblement dans la neige. Martha tenait fermement la main de sa fille -qui ne s'en plaignait pas- et Arthur Kent se tenait aux côtés du major Adams, prêt à l'aider en cas de faux pas. Le soldat s'appuyait maintenant sur une grande branche gelée incroyablement dure, et il gardait les yeux fixés sur la boussole qu'il avait au poignet. La souffrance dans sa jambe était de plus en plus sourde, comme si son sang se mettait à pulser en un rythme lancinant, profond et incroyablement douloureux. Jamais un membre blessé ne lui avait fait aussi mal, et certainement pas de cette façon. Mais il ne pouvait y accorder d'importance, pas tant qu'ils ne seraient pas tous à l'abri. Là, il pourrait se permettre de souffler, et d'accepter ce qui lui était arrivé. Ce qui leur était arrivé à tous. Aucun des quatre survivants ne parlaient, concentrés sur leur marche à travers la brume épaisse. Ils avaient tous conscience de leur chance inouïe d'être en vie...et de ceux qui ne l'étaient plus. Canton essayait d'y penser le moins possible, mais c'était là peine perdue. Non seulement il n'avait pas su protéger tous ces civils comme il aurait dû, mais il avait perdu toute son escouade. Cinq hommes et femmes sous ses ordres, dont il avait été le responsable. Qu'il avait entraîné, et qu'il avait vu devenir une véritable unité, soudée et efficace. Et il ne restait plus que lui, l'officier. Celui qui n'aurait pas dû survivre. Il se dit une fois de plus qu'il aurait tout donné pour prendre la place d'un de ses gars. Il l'aurait fait sans hésiter, et les survivants auraient eu un jeune soldat solide pour les protéger plutôt qu'un vieux major blessé et fatigué.

Mais Canton tenait le coup, du mieux qu'il le pouvait. Il n'avait pas le choix, de toute façon. Il était leur guide, et il n'allait pas faillir à cette tâche. Pour la mémoire de ceux qui n'étaient plus et qui leur avaient permis d'arriver jusque là, et surtout pour les vivants. Pour Arthur Kent, qui avançait sans se plaindre malgré la difficulté de la situation ; pour l'étonnante et la courageuse petite Lucie et pour sa mère, qui jetait de temps un temps un regard à Adams et le gratifiait d'un mince sourire qui le poussait à se reprendre et à avancer. Ce qu'ils faisaient tous, épuisés et meurtris par le froid, auquel seule Lucie semblait curieusement indifférente. Ils longeaient le sommet de la falaise, à une distance très respectable du bord, pour éviter de s'enfoncer plus en avant dans le brouillard qui semblait moins opaque en-dehors des arbres. S'ils pouvaient continuer de marcher ainsi, tout droit, ils devraient finir par tomber sur le fameux avant-poste, même si Canton n'était toujours pas sûr de ce qu'ils allaient réellement trouvé. Il espérait que l'endroit soit occupé, ou au moins facile d'accès. Régulièrement, il tentait de faire fonctionner sa radio, mais il n'obtenait que des parasites. Tout ce qui lui restait de réellement utile, c'était sa boussole et la direction dans sa tête.

-Major, regardez...

Adams leva les yeux suite à l'injonction de Kent, et découvrit la masse énorme qui se devinait dans la brume. C'était comme une montagne qui venait de faire éruption devant eux et dont le sommet allait se perdre loin, loin au-dessus des arbres. Impossible d'en estimer la taille, où jusqu'à quel point elle s'enfonçait dans les terres. Il y avait dans sa présence quelque chose de surréel qui s'accordait néanmoins avait tout ce qu'ils avaient pu voir de la surface. Lucie Robbins observait la roche bouche bée, et vint poser sa main contre la paroi, comme si l'enfant essayait de prendre le pouls d'une gigantesque créature.

-Qu'est-ce qu'on fait, major ? On la contourne ?

Adams prit le temps de réfléchir à la question de Kent, qu'il se posait lui-même. Il se frotta le menton des doigts de sa main libre, tandis qu'Arthur et Martha attendait de savoir ce qu'il en pensait.

-Je ne suis pas sûr d'aimer cette option, finit-il par dire. Le brouillard est si épais dans la forêt que j'ai peur de nous y perdre, même avec ma boussole. Les radios sont déjà détraquées, je n'ai pas envie de prendre le risque de perdre notre seul moyen de nous diriger...

-Et on ne peut pas savoir jusqu'où nous conduira un détour. Contourner ce mont pourrait aussi bien prendre des heures...que des jours, et nous ne pouvons pas nous le permettre. Je veux que ma fille soit en sécurité le plus vite possible.

-Comme nous tous, Martha.

-Bon, et bien comme on ne peut pas grimper par-dessus, j'imagine qu'il va nous falloir passer par le flanc... Le bord de la falaise est escarpé, mais assez large pour qu'on y marche à la file indienne. Si on est extrêmement prudents, bien sûr.

La voix d'Arthur Kent n'était pas très assurée, mais Adams sentait qu'il était prêt à le faire, comme eux tous. Encore une fois, la situation ne leur laissait guère le choix. Le major s'approcha du bord, et tâta le sol de son bâton. Rocailleux et givré, il ne semblait pas trop glacé non plus, et ils devraient pouvoir y progresser sans glisser. A cet idée, il s'inquiéta de l'état de sa jambe et de ses capacités à avancer sur un tel terrain, mais il repoussa ses doutes ; il ne pouvait se permettre d'en avoir. Le chemin naturel n'était effectivement large que pour une seule personne de front, et une chute serait périlleuse, mais c'était la bonne direction. Adams prit encore quelques instants pour pondérer la question puis, une fois sa décision prise :

-Très bien. Nous passerons par le flanc. Il faudra être plus prudents que jamais, et nous irons lentement, en espérant que la traversée ne sera pas trop longue. Mais avant, nous allons en profiter pour nous reposer et manger un peu. Nous en avons tous besoin, et je veux que nous soyons le plus en forme possible. Messieurs dames...repos !

Avec un sourire, il cligna de l’œil à l'intention de Lucie, qui le lui rendit bien, et il alla s'asseoir avec les autres contre la paroi de la montagne, espérant pouvoir ainsi soulager sa jambe. Ils sortirent les rations de leurs sacs et partagèrent un petit repas froid issu des réserves du train. Là encore, ils ne parlèrent que peu. La fatigue, les courbatures, la peur et le froid prenaient la plupart de leur attention, et ils ne pouvaient rien faire d'autre qu'attendre le temps de se reposer. Outre la douleur, c'était le froid le plus terrible. Il s'infiltrait au plus profond de Canton, et mêmes les épaisses couches de vêtements militaires d'extérieur n'y pouvaient pas grand chose. Chaque respiration était difficile, du givre n'arrêtait pas de se former sur les parties exposées des visages, et la température était si glaciale que le major avait l'impression de brûler. Il avait l'impression d'avoir le crâne pris dans un étau de froid, ses pensées prisonnières dans la glace... La surface réclamait un lourd tribut, et il comprenait maintenant d'autant mieux pourquoi ses ancêtres avaient aussitôt décidé de s'enfoncer dans les profondeurs de ce monde quand ils étaient arrivés sur Éclat. Peut-être aurait-il mieux fallu que personne ne découvre jamais cette caillasse gelée, songea de manière diffuse le major, avant de secouer la tête. Tout n'était pas si terrible : la vie était correcte au sein du Complexe, et l'Hégémonie faisait de son mieux pour assurer la survie et le confort de son peuple. Mais quand on pensait à cette surface inexplorée et à ce monde qu'on connaissait si peu... Est-ce que cette vie allait pouvoir continuer longtemps ? Haven montrait que le changement était inévitable, et le nouveau complexe n'était qu'une première étape dans un plan d'ensemble que Canton Adams devinait de plus en plus grand. Mais il n'était qu'un soldat, ce n'était pas à lui de ses poser ses questions. Sa seule tâche, c'était de ramener ces gens en vie. Alors il repoussa ses doutes, mis de côté ses interrogations, essaya d'ignorer au mieux le froid et la douleur et ferma les yeux ; lui aussi avait besoin de repos.

 

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