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Lucie 92

Une page de plus en direction de la fin...

 

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Lucie Robbins était à genoux dans la neige, ses petites mains gantées ôtant avec la force du désespoir un gravat après l'autre.A côté d'elle, Arthur Kent employait tous ses efforts à lui aussi élargir le passage, et ils pouvaient tous deux entendre Martha qui avançait de son côté. Elle donnait régulièrement de ses nouvelles d'une voix calme pour rassurer sa fille, mais cette dernière pouvait sentir la peur dans la voix de sa mère. Et c'était là quelque chose qu'elle n'était pas habituée à déceler dans la voix de sa mère. La dernière fois que la peur avait été aussi forte, c'était lorsqu'elle avait fui le père de Lucie avec cette dernière. Mais il s'agissait d'une peur à la Robbins, avec des accents de colère et de bravade dans la voix. Une peur qui ne prenait pas le contrôle, et qui nourrissait la rage de vivre. Lucie aussi avait peur, peur pour sa mère, le major Adams et monsieur Kent. Elle était si focalisée là-dessus qu'elle entendait à peine les chuchotements dans la brume. Il fallait aussi dire qu'elle s'y était habituée, depuis qu'ils avaient tous quitté le train pour l'extérieur. C'était comme si cet appel étouffé qu'elle avait ressenti toute sa vie à l'abri sous les tonnes de béton et d'acier du Complexe prenait soudain vie, devenant une présence presque tangible au coin des yeux, un chuchotement dans l'oreille. Mais elle n'avait pas le temps de s'en préoccuper maintenant, et puis c'était cet appel extérieur qui avait failli lui coûté la vie, qui avait précipité monsieur Travers dans les ténèbres, et qui les avaient tous mis dans ce pétrin. Lucie serra plus fort son bonnet autour de ses oreilles, et se remit à creuser.

 

* * *

 

Canton Adams s'adossa contre les débris, et vérifia une fois de plus que son arme était correctement chargée et en bon état. Elle n'avait pas souffert dans l'incident, fort heureusement, et il balayait la nuit et le brouillard de la lampe fixée au canon. Le souffle court, il devait se concentrer pour ne pas s'abandonner à des quintes de toux. Il avait les deux jambes étendues devant lui , engourdies par le froid. Ce qui ne l'empêchait pas celle qui était blessée de le faire souffrir. C'était comme si le mal venait de l'intérieur, mortel et glacé.

-Canton ?

Il tourna la tête et se retint de grimacer, affichant l'air le plus rassurant dont il était capable. A travers l'orifice béant dans la neige et la pierraille, il pouvait deviner le visage anxieux de Martha. Elle prenait la peine de vérifier comment il allait aussi souvent que possible quand elle n'était pas occupée à se déblayer une issue.

-Je ne suis pas encore mort, Martha.

-Vous les voyez ?

-Pas encore. Elle faisait évidemment allusion aux créatures qui avaient retrouvé leurs traces. Mais je ne les manquerai pas, soyez sans crainte.

-Je pense toujours que vous devriez essayer de nous rejoindre. De votre côté, il ne serait pas difficile de créer un véritable passage, et...

-Non. Le major secoua la tête dans la pénombre, repoussant une fois de plus la proposition de Martha. Il pouvait sentir la fureur que cela provoquait chez cette femme et, lui semblait-il aussi, la peine. Pourtant, Canton Adams n'avait nullement envie de mourir ici. Seulement, il savait quelque chose que Martha ignorait, et qui changeait les paramètres de son sauvetage éventuel. Quoi qu'il arrive, il allait y rester, il le savait maintenant. Peut-être était-il tant de l'avouer...

-Je ne pourrais pas venir avec vous même si j'en avais la possibilité, finit-il par dire, plus las qu'il ne l'aurait voulu. Regardez.

Il planta son arme dans la neige, la lumière sur ses jambes, et il déchira plus encore les reste de tissus qui ne protégeaient plus sa blessure depuis longtemps. De l'origine du choc, des lignes semblables à d'éclatantes veines bleues remontaient le long de la jambe. Semblables à celles qu''ils avaient pu observer chez madame Miguel et Kenneth Marsters.

-La dernière fois que j'ai contrôlé, ça remontait jusqu'à ma hanche. Cette saloperie gagne du terrain rapidement, c'est comme si je gelais de l'intérieur. Je n'atteindrai jamais l'avant-poste à temps, et même si j'y arrivais par miracle... Il n'y aurait rien là-bas pour arrêter ça.

-Pourquoi est-ce que vous ne me l'avez pas dit avant, Canton ? Martha était furieuse, usant de sa colère pour cacher son inquiétude et sa tristesse. La nouvelle l'avait ébranlé, Adams pouvait le dire, et il se demandait pourquoi il était ainsi capable de deviner ce que cette femme pouvait bien ressentir. Mais songer à toutes les implications qu'une telle connexion aurait pu amener était bien trop douloureux, plus encore que le mal qui rongeait sa chair.

-Je suis désolé, Martha. Vous savez dans quelle direction aller, Kent et vous, et vous devez penser à Lucie avant tout. Je pense que ces monstres n'auront aucune difficulté à escalader les gravats, et je pourrai au moins les retenir le temps de vous donner le plus d'avance possible.

En disant cela, il ne pouvait s'empêcher de penser à Jones et Velázquez. Si ces créatures avaient fini par arriver jusque là, cela voulait dire que le baroud d'honneur de ses deux derniers soldats s'était soldé par un échec. Non pas de leur part -ils avaient après tout gagné du temps pour leurs camarades- mais de celle de Canton lui-même, qui les avais envoyé à la mort avec sa bénédiction. Et maintenant, il ne restait plus que lui. L'officier grisonnant et condamné. Un nouveau cri féroce retentit dans la nuit, et il s'empara à nouveau de son arme, se trémoussant jusqu'à trouver la meilleure position de tir possible étant donné les circonstances.

-Je ne peux pas vous laisser, Canton. Je le refuse.

Martha, à nouveau. Et même si elle n'allait pas arriver à le faire flancher, une petite partie de lui-même était touchée par l'attention que lui portait cette femme. Plus qu'il n'aurais jamais cru être capable de l'être. Et voilà qu'il était trop tard, maintenant. Il réprima un ricanement ; voilà qui était si...typique.

-Vous n'avez pas le choix, dit-il, ferme. Pensez à...

Il ne finit pas sa phrase, coupé par des cris vifs ; déjà, Adams pouvait voir une silhouette se découper prudemment dans le brouillard. Puis une autre. Et encore une.

-Dépêchez-vous Martha ! Allez ! Puis, d'une voix plus forte, le ton du défi dans la voix, il s'adressa aux créatures qui s'avançaient :

-Allez saloperies, venez seulement ! Venez !

Le bruit du fusil en train de tirer se répercuta entre les rochers comme une tempête.

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