Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

What's up doc?

Cette fois-ci, pas d'historiette, et j'abandonne la forme en vous le temps d'un texte en je. Parce qu'il fallait que j'essaie. De trouver les bons mots, d'expliquer, de comprendre.

____________________________________________________________________________

 

« Mais finalement, qu'est-ce qui n'va pas chez toi ? Pourquoi tu ne fais rien, pourquoi être en assurance invalidité ?» est une question à laquelle je me confronte tous les jours. Bon, on ne me l'a jamais posée de cette manière-là, même si ça s'en est déjà approché. La plupart du temps, on danse sur des œufs comme si on ne savait pas comment me poser la question, et la plupart du temps, ça m'arrange bien parce que je ne sais pas comment répondre. Au fond, je suis sans doute celui qui me pose le plus la question, dans un éternel dialogue intérieur qui me laisse plus souvent à court de mots qu'autre chose. J'ai beau savoir, je sais rarement comment l'expliquer concrètement. Et ce n'est pas facile non seulement pour moi, mais plus encore dans mon rapport avec les autres.

 

Car qu'est-ce que je suis censé leur dire ? Comment arriver à expliquer quelque chose d'aussi intime quand je ne suis moi-même pas sûr de le comprendre ? Et si j'ai atteint une sorte de paix -fragile certes, mais de paix quand même- avec mon état, il en va parfois autrement lorsque je dois le confronter au monde extérieur, et au regard des autres. Bon, avant toute chose, je tiens à préciser qu'en ce qui concerne mes proches, j'ai de la chance : j'ai des amis formidables et une bonne famille. La plupart comprennent, et les autres l'acceptent même quand ils n'arrivent pas vraiment à comprendre. Mais même avec tout ce petit monde, j'ai de la peine à communiquer, à être qui je suis vraiment, à exister sans crainte. J'ai toujours l'impression de recevoir plus que je ne donne, d'écouter plus que je ne parle, parce que...et bien, parce que je ne sais pas comment dire ce que j'ai envie de dire. Comment soutenir, comment réconforter, comment encourager. C'est un de mes soucis, la communication. Un gigantesque blocage dont je suis incapable de déterrer les fondations, dépourvu de pistes sur lesquelles creuser. Non seulement je ne sais pas m'adonner au bavardage avec les inconnus, mais je me retrouve souvent dans cette situation terrible où je suis incapable de formuler ce que j'aimerais dire à ceux qui me sont le plus proches. Même quand c'est des mots simples, même quand c'est pour réconforter, même quand cela n'a tout bonnement aucune chance d'être mal pris et que je le sais pertinemment. Mais j'en suis incapable presque à tous les coups, ou alors je n'y arrive que par écrit, et par la suite. Sur le moment, je bloque, je suis dévoré d'une peur profonde, d'une ineffable panique, qu'il s'agisse de présenter ma sympathie ou de demander la moindre chose. Un vide absolu, une crainte qui me remue les tripes, et dont les raisons me sont inconnues. J'aimerais pouvoir dire plus, j'aimerais pouvoir partager plus, j'aimerais pouvoir me découvrir plus pour ces gens qui comptent autant pour moi, mais le premier pas m'est souvent insurmontable. De même que le second, voire le troisième. Et y arriver une fois, ou deux, ou plus, ne change rien : à chaque fois, c'est le même combat, aussi bien pour les grandes choses que pour les plus insignifiantes.

 

Mais ce n'est pas le cœur du problème, plutôt un symptôme qui en dérive. Non, le centre de tout ça est difficile à décrire parce qu'il n'y a pas de mot pour en désigner la condition. J'entends souvent dire que l'humain a un besoin trop grand de mettre dans des cases et que ce besoin s'avère réducteur, et sur le principe je suis d'accord. Mais dans le même temps, c'est très difficile quand on est incapable de décrire précisément ce qu'on traverse. J'ai beau le ressentir, j'ai beau le vivre, j'ai beau savoir ce que je sais, aux yeux de la société en général cela me donne une terrible impression d'invalidité (sans mauvais jeu de mots concernant notre chère AI, à savoir l'assurance invalidité en Suisse). Et comment leur donner tort ? Mes jambes fonctionnent, de même que mes autres membres et que le reste de mon corps physique. J'ai un cerveau en état de marche, je suis capable de prendre mes propres décisions, je ne suis pas confiné à une chambre d'hôpital, qu'il s'agisse d'un centre de soins physiques ou d'un asile.Aux yeux du monde, qu'est-ce qui peut justifier mon état ? De ne pas avoir d'étiquette, j'en deviens inclassable, ce que la société n'aime guère. Et pour ceux qui n'ont d'autre choix que de vivre leur vie à la dure « comme tout le monde », je deviens une énigme, voire une source de jalousie et de frustration. Si je suis capable de bouger, si je suis capable de réfléchir, si je suis capable de vivre comme je l'entends, pourquoi ce « traitement de faveur « ? Je dois sans doute faire semblant, ou à tout le moins forcer le trait, profiter du système. J'ai déjà entendu -généralement par échos, par personnes interposées- que si je montrais que je profitais de la vie, c'était que je n'avais aucune raison d'être à l'AI. Comme si je me devais d'être misérable en permanence pour le justifier, et que trouver le bonheur ou je peux est forcément incompatible. Je suis parfaitement conscient d'avoir beaucoup de chance : bons amis, bonne famille, bon environnement, bon cadre de vie, bonne santé physique. Et j'en suis d'autant plus conscient qu'il y a une quantité astronomique de gens qui souffrent bien plus que je ne souffrirai jamais de toute ma vie. Mais face à tout ça, qui suis-je ?

 

Mon problème, c'est que je ne sais pas vraiment comment qualifier mon problème. C'est un peu de ci, un peu de ça, mais ce n'est pas vraiment ci, et pas vraiment ça non plus. Tout ce que je peux faire, c'est essayer de mettre à l'écrit des mots que je serais incapable de trouver à l'oral, et de l'expliquer comme je le peux. Mon problème, c'est que c'est comme si mon esprit était conditionné à la faiblesse. Qu'il était incapable de correctement tenir le coup au-delà d'une certaine pression, souvent bien moindre à celle de la plupart des gens. Je le ressens comme une sorte de prédisposition naturelle et involontaire au burnout. C'est ce qui m'a fait m'effondrer une fois avant la fin du collège, c'est ce qui m'a fait m'effondrer au gymnase (lycée pour les français), c'est ce qui m'a fait m'effondrer pour de bon après plusieurs mois d'apprentissage d'employé de commerce. Je n'arrive pas à gérer le quotidien et ses exigences lorsqu'il s'accompagne d'études, d'un boulot, de ces obligations de tous les jours. Et là où c'est encore pire, c'est que j'ai de la peine à gérer mon quotidien tout court, même sans ça, même « à ne rien faire ». Je peux m'effondrer parce que gérer mon emploi du temps, mes tâches de tous les jours, mes loisirs me paraît souvent trop compliqué, trop épuisant, trop angoissant. Je peux me faire un burnout à cause de mes loisirs, et c'est de le dire ainsi où je réalise tout le ridicule de la chose, et où je ressens de la honte. De la honte d'être aussi faible, quand tant de gens supportent bien plus. Même l'écriture, une partie de ma vie que j'adore et qui m'a toujours attiré, s'est révélée de plus en plus difficile au fil des années. Écrire une page ou deux m'épuisera tellement qu'il me faudra parfois le reste de la journée pour m'en remettre. Devoir choisir ce que je vais faire, ce que je vais lire, ce que je vais voir... Rien que ça, cela représente un processus qui me paraît parfois herculéen. Souvent, je ressens un véritable besoin de vacances alors que je n'ai pas à travailler. Comment expliquer ça ? Comment ne pas en avoir honte ? Comment l'accepter ? Et cela se ressent aussi bien dans ma vie quotidienne que mes interactions avec les gens, qui me deviennent parfois elles aussi bien trop gargantuesques et drainantes d'une énergie que j'ai toutes les peines du monde à reconstituer.

 

Et je ne suis pas aidé par une fatigue chronique, dont le poids se fait ressentir de plus en plus au fil des années. Une fatigue dont personne n'arrive à trouver l'origine réelle. J'ai tout essayé : varier les horaires de sommeil, dormir peu, dormir beaucoup, être régulier, être irrégulier. Je peux arriver à m'imposer dans un rythme que je tiens, sans que la fatigue ne varie jamais d'un iota. J'ai perpétuellement l'impression d'avoir l'esprit dans une sorte de brouillard, et l'énergie d'une éponge. Je crois que le pire, c'est que quel que soit la qualité et la durée de mon sommeil, je ne me sens jamais reposé après une nuit. Jamais. Et je ne dis pas ça à la légère. La dernière fois que je me suis réveillé reposé, je m'en rappelle très précisément, moi qui ai toujours de la peine à me situer dans le passé. J'avais vingt ans, c'était pendant des vacances d'été au bord de la mer avec mes parents, et je me souviens très distinctement de ces derniers matins où je me sentais revigoré. Aujourd'hui, cela va faire dix ans que cela ne s'est jamais reproduit. Je ne sais plus ce que « reposé » veut dire, et ce quoi qu'il arrive. Alors ça m'use, petit à petit, de plus en plus.

 

Je passerai sur les angoisses, qui sont multiples et souvent dépourvues du moindre sens. Au moins, les crises d'angoisse semblent enfin sous contrôle. Je passerai également sur les phases de déprime cyclique, qui reviennent quoi qu'il arrive. Sur ma peur de la mort qui prenait des proportions paralysantes au collège déjà, et qui m'a poussé jusqu'à mon âge de jeune adulte à forcer mes parents à me répondre « à demain » quand je leur disais bonne nuit et ce toutes les nuits pendant des années et des années dans un rituel insensé. Et aujourd'hui encore, souvent je me retrouve à répéter mentalement un mantra qui ne change pas : « Je veux vivre, je ne veux pas mourir, et ce n'est pas une blague, pas une blague. » Je passerai sur les tocs et les tics, heureusement bien plus sous contrôle maintenant que par le passé. Sur les sanglots incontrôlables sans aucune raison encore maintenant, sur les longues séances de hurlement dans un coussin pour essayer d'évacuer une peine creuse et profonde dont je suis incapable de découvrir l'origine. Ma vie a toujours été un peu compliquée, elle a toujours été atypique, mais elle n'a jamais été mauvaise : je n'ai pas souffert, je n'ai pas vécu de traumatisme, je n'ai pas perdu de proche, j'ai eu énormément de chance. Et pourtant, je ne vais pas bien. Et je me déteste rien que de l'écrire. Et je me demande ce que je réserve l'avenir. Ma mère est schizophrène (mais sous contrôle depuis longtemps maintenant), et je me demande si la relation parfois difficile que j'ai avec elle alors que nous sommes pourtant proches n'est pas une conséquence de ce reflet d'avenir possible que je vois en elle. Pourtant, je ne suis pas schizophrène, je ne rentre pas dans cette case, ni dans une autre, du moins de ce que j'en sais. La névrose et la psychose s'entremêlent, « s'embrouillaficotent » (à défaut de trouver les bons mots, autant les inventer), sans jamais véritablement prendre le dessus. J'ai là aussi de la chance, dans le sens où je n'ai jamais véritablement perdu mon lien avec la réalité. Même si mon imagination et mes angoisses ont longtemps eu sur ma vie de tous les jours une emprise particulière. Comme lorsque j'imaginais, enfant puis jeune ados, que deux créatures qui n'auraient pas dépareillé dans un vieux cartoon en voulaient à ma vie et cherchaient à m'empoisonner, me poussant à forcer pendant des années mes parents à goûter tous mes plats avant d'oser manger. Ou le caractère animiste que j'ai longtemps associé à des objets ; à seize ans, je traitais encore mes peluches comme des êtres vivants, et je mettais toujours mon couteau et ma fourchette dans le même casier du lave-vaisselle pour ne pas les séparer. Et cela explique pourquoi j'avais autant de peine à jeter quoi que ce soit, quand tout pouvait représenter une vie, et donc une finalité. Pourtant, je crois que je n'ai jamais cru à tout ça ; que je me servais de mon imagination pour donner une vie à mes peurs et mes angoisses, tout en sachant que ce n'était pas vrai. Et aujourd'hui encore, si je n'aime pas me débarrasser d'un objet cassé qui peut encore servir, c'est parce que j'ai horreur d'imaginer qu'on puisse jeter sans état d'âme quelque chose uniquement parce qu'il ne fonctionne plus comme on le voulait, ou qu'il ne ressemble plus à ce qu'on attendait de lui. Et je peux encore passer dix minutes dans un grand magasin, à hésiter entre deux boîtes de petits pois parce que j'ai trop peur de faire de la peine à celle qui ne sera pas choisie.

 

Et pourtant, comme je l'ai dit plus haut, j'ai fait ma paix avec tout ça. Avec cette curieuse et puissante facette de mon existence. Je profite de ma vie au jour le jour, et j'en suis heureux. Du moins je le crois. Même si, une fois de plus, je ne sais pas comment l'expliquer aux autres, à la société, au monde. Comme si je n'en avais pas le droit. Et cela me fait peur ; non, sur certains points, ça me terrifie de plus en plus au fur et à mesure que les années passent. Comment me confronter à ce regard extérieur, comment continuer à avancer ? Tout en craignant les rechutes, les angoisses, les vagues de déprime noire qui reviennent en cycle, et tout en hésitant devant des putains de petits pois (pardon les petits pois). J'ai de la chance avec ma famille, avec les amis que j'ai, mais comment allez de l'avant quand ils avancent tous plus vite que moi ? Quand ils ont la force de vivre leur passion alors que j'en suis incapable ? Comment leur prouver que je veux rester là pour eux quoi qu'il arrive même si je ne sais pas comment le leur montrer, comment le leur dire ? Et puis, sur un autre registre, comment m'imaginer une vie sentimentale, ou une vie de famille ? Les amis, c'est une chose, mais comment imaginer trouver une partenaire capable d'assumer ce que je suis ? D'accepter le fait que je ne pourrai peut-être jamais travailler, jamais vivre « normalement », jamais avoir la possibilité de suivre une quelconque ambition ? Comment l'expliquer ? Vous m'imaginez essayez de le faire face à d'éventuels et hypothétiques beaux-parents, entre la salade et le poulet ? Avoir des enfants ? Comment pourrais-je assumer une telle chose, alors que j'ai autant de peine à m'assumer moi-même ? Vivre en couple, partager une vie, avancer à deux ? Sur la fin de notre relation, mon ex avait finir par me dire qu'elle m'imaginait incapable d'assumer une vie de couple, une vie de famille, des enfants. Et ce sont des mots qui sont restés avec moi, et qui le resteront sans doute toujours. De même que ce rêve que j'ai fait une nuit, où j'imaginais être père...pour me réveiller avec le sentiment catégorique que ce ne serait jamais possible.

 

Alors j'avance, comme je peux. La plupart du temps, je donne le change, et je donne l'impression d'aller bien. Ce qui n'est pas complètement faux, mais qui ne sera sûrement jamais complètement vrai non plus. Je m'accepte -du moins j'en ai l'impression- mais je ne sais pas si je m'accepte sous le regard des autres. Je lutte contre la fatigue qui me ronge, contre mon esprit qui me prend en traître, contre ma faiblesse que je n'arrive pas à combler. Et je profite de la vie comme elle vient, des petits plaisirs, en paix avec le fait que je n'accomplirai pas de grandes choses, mais refusant de ne profiter de rien pour autant. Mais quand est-il des autres ? Peut-être que cela ne devrait pas me toucher. Peut-être que si. Tout ce que je sais, c'est que je ne sais pas grand chose, ou surtout, que je ne sais pas comment le dire. Je suis qui je suis, et j'essaie d'en tirer le meilleur quand je m'en sens la force. Pour le reste... et bien, ma fois, on verra. Jusqu'à mes vingt ans, j'étais intiment convaincu -réellement persuadé- que ma vie allait s'arrêter à cet âge-là, parce que j'allais alors mourir (une source d'angoisse née dans l'enfance qui aura rendu l'adolescence...intéressante). Cette année, je vais en avoir trente, je suis toujours vivant, j'ai mes amis, j'ai ma famille. Comme on dit, ça pourrait toujours être pire.

 

Mais je sens qu'en ce moment, le cycle repasse en ma défaveur, et la période s'annonce à nouveau plus difficile après une assez longue période d'équilibre fragile. Alors j'essaie d'expliquer, j'essaie de mettre des mots sur tout ça, ce que je n'avais jamais réussi à ce point auparavant. Et si c'est loin d'être parfait...c'est une nouvelle étape. Mon psy me l'a conseillé, et c'est ainsi que je me repose une nouvelle fois de plus sur l'écrit, malgré l'épuisement nerveux que cela me procure.

 

« Qu'est-ce qui ne va pas, au fond ? », me demande-t-on souvent même quand on ne le formule pas. Je ne sais pas si c'est une réponse satisfaisante, d'autant que je n'oublie pas ce qui va.

 

Mais, ça aussi, c'est un début. Et encore une fois, car cela vaut la peine de ne pas être oublié : ça pourrait être pire.

 

Les commentaires sont fermés.