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Trou noir

C'est comme un gouffre. Enfin, non. Le gouffre implique la chute, et aussi étrange que soit la sensation, elle n'implique pas de tomber. Ou est-ce qu'on peut tomber sans bouger, comme si le monde se précipitait à votre rencontre pour mieux vous passer à travers, vous laissant avec l'équivalent métaphysiques de trois couches géologiques dans les gencives (ce qui n'est pas très bon pour le budget brosses à dents) ? C'est plutôt...et bien, comme un trou noir. Un trou noir qui grandit petit à petit dans le creux de votre poitrine, et dont les vrilles s'infiltrent jusqu'au plus profond de votre être. Parfois il se stabilise, et pendant un temps, l'alignement des planètes vous semble non pas forcément favorable mais...adéquat, comme si vous aviez enfin trouvez votre place dans l'univers, à la façon d'un horoscope dans le quotidien gratuit du jour (sagittaires aujourd'hui : mangez sain, vivez heureux, travaillez bien, et pour le reste prenez un biscuit chinois, on manque d'idées). Et puis voilà que l'entropie reprend son cours, que tout votre être se tord sans que vous ayez l'impression du moindre mouvement. Une étoile pressée, comme en formation...ou sur le point d'éprouver son point de rupture.

 

Ce n'est pas tant une question de destruction, mais plutôt d'usure. D'une fatigue incommensurable qui vous ronge comme le castor neurasthénique les barreaux de sa cage, désespéré à l'idée d'y trouver un semblant de liberté, et peut-être un bon tas de bois pour y construire un barrage quelque part. Sauf que votre barrage à vous est en train ce céder, et si ce n'est pas la première fois, il n'y a tout simplement rien qui coule. Le trou noir se nourrit de vos émotions, qu'il attire à lui avec la force inébranlable de la gravité. Comme si le manque d'énergie, de repos, vous empêchait de ressentir vraiment. S'en suit une sorte d'apathie que vous essayez de combler dès que vous le pouvez, trouvant un semblant de vie en bonne compagnie. Du moins quand vous en avez la force. Car toujours sortir devient difficile, prendre contact compliqué, et maintenir un lien éprouvant. La solitude vous terrifie, mais la compagnie vous épuise. Une équation que vous avez bien de la peine à balancer en ce moment.

 

Vos émotions, vous ne savez pas ce qu'elles deviennent. Vous avez l'impression de les sentir vaguement, ou du moins de conserver l'idée que vous êtes censé en faire. Mais le trou noir les arrache, les emmagasine quelque part tout au fond de vous, où vous pouvez les voir mais pas les toucher. N'attendant peut-être qu'une occasion pour toutes ressortir d'un coup, vous submerger à travers une gigantesque vague émotionnelle et chaotique avant de vous laisser lessivé sur le sable (ce qui vous enthousiasme moyen, parce que le sable, c'est pénible, on en a partout, même dans les oreilles, et c'est un peu comme les paillettes : trois jours et douze douches plus tard, on en trouve toujours un peu dans les coins). Les mauvaises comme les bonnes nouvelles n'ont plus guère d'impact, et vous restez silencieux plutôt que de mimer à outrance joie ou désarroi. Ni l'un ni l'autre ne vous semble approprié, c'est bien là le problème.

 

Lorsqu'on vous demander comment ça, vous avez l'impression de passer votre temps à dire que vous êtes fatigué. En fait, vous avez l'impression d'avoir épuisé tous les sujets de conversation quant à votre vie quotidienne. Ce n'est même pas que vous vous sentez mal, vous ne savez pas comment vous vous sentez. Vide, comme si vous vous observiez de l'extérieur, et que ce qui vous arrivait ne vous arrivait pas vraiment, ne suscitant chez vous qu'un intérêt poli, un peu comme celui que l'on réserve à certains membres de sa famille éloignée lors d'un repas de fête et que hocher le tête au rang d'art devient un élément de survie essentiel. Oh, c'est vous ! Ils vous arrive...des trucs. Ou pas. Aux autres aussi. Vous êtes mieux à l'intérieur, merci bien.

 

Ces derniers jours, vous avez fait du rangement. Comme vous n'en avez pas fait depuis un bon moment. Pas beaucoup de choses débarrassées, mais de l'ordre fait, et un bon coup de ménage (enfin, rien de vraiment débarrassé...à part les deux sachets de médicaments périmés retrouvés dans votre pharmacie. D'ailleurs, vous êtes à peu près persuadé qu'une loi ineffable du multivers implique que toutes les pharmacies de particuliers sont remplies au trois quarts de médicaments périmés dont leurs propriétaires ne se rappellent même pas l'usage initial. Le dernier quart est généralement constitué d'un fond de bouteille de carmol, de sparadraps éparpillés et d'un tube de pommade.). Mais finalement, vous avez déjà l'impression que ce n'est qu'un appel de plus au désordre à revenir. Ce n'est pas le vide que vous recherchiez. Un vide à l'allure de trou noir, qui tempête parfois chez vous en un redoutable sentiment de colère, de rage pure à qui vous ne trouvez aucune cible, si ce ne sont vos maladresses et autres petits tracas du quotidiens qui menacent de vous faire à hurler à vous en arracher la voix.

 

Sinon, rien. Juste cette ouverture en vous que vous n'arrivez à combler, et cette absence d'émotions, ou du moins leur mise en sourdine qui vous pousse à trouver refuge dans celles que vous éprouvez encore plongé dans un bon livre, un jeu vidéo ou une bonne série. Mais même là, la fatigue vous y arrache parfois. Là où vous pouviez lires des livres d'une traite sans faiblir, une cinquantaine de pages d'un coup vous fatigue aujourd'hui, votre concentration s'éparpillant. C'est comme avoir en permanence une brume stagnant dans les méandres de votre cerveau, et un voile devant la manière dont vous expérimentez la vie. C'est la volonté qui faiblit, votre faiblesse qui prend le pas, votre trou noir qui s'étend ou se comprime comme un accordéon qu'on aurait jeté dans un escalier (à la manière d'une bande-son de certains films d'art et d'essai). C'est la sensation de n'avancer dans rien, et de se retrouver submergé par une quantité de choses, cette danse à deux doigts du burnout pour une vie qui ne devrait pas en connaître un seul. Et vous ne savez plus quoi à dire à ceux qui vous entourent.

 

C'est comme un gouffre qui grandit. Enfin, non. Le gouffre implique la chute, et vous n'êtes pas en train de tomber. C'est plutôt comme un trou noir à l'intérieur de vous. Pas destructeur, pas trop ; pas la fin, pas vraiment. Juste présent.

 

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