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Lucie 3

Deux pages de plus aujourd'hui, serais-je en train de me sentir plus confortable dans le procédé? En tout cas, toujours est-il que pour l'instant, je trouve encore de quoi écrire! Et c'est plutôt agréable. Sur ce, la suite, donc!

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Lucie n'était pas la seule à les avoir remarqués, et tout le monde ou presque les suivait des yeux, chuchotant dans leur sillage. C'était là un spectacle assez peu commun pour faire sensation : peu de soldats étaient déployés en temps normal, car ils n'avaient personne à combattre. La garde bleue suffisait généralement à assurer la sécurité des complexes, et les militaires apparaissaient lors d'événements officiels ou lorsqu'ils effectuaient des manœuvres d'entraînement urbain, plutôt rares. Leur dernière grande intervention publique avait eu lieu lors de l'effondrement, où ils avaient joint leurs efforts à ceux des secours pour évacuer et sécuriser la zone sud sinistrée. L'armée était surtout utilisée à la manière d'un symbole, quand nulle guère ne risquait de se produire sur le monde désolé d’Éclat. Mais si les soldats de l'Hégémonie n'étaient pas très nombreux, ils restaient impeccablement entraînés et faisaient sans conteste partie de l'élite. Un rappel efficace et impressionnant de l'ordre et de la sécurité qui régnaient sous la surface du monde.

Comprenant qu'il s'agissait là d'une vision inhabituelle, Lucie observait les cinq hommes et la femme en uniforme, fascinée. Leur comportement n'avait rien de celui qu'elle aurait imaginé chez des soldats, et ils n'étaient de loin pas aussi guindés que ceux qu'on pouvait apercevoir dans les retransmissions officielles. Ils avaient cette allure et ce maintien nonchalants de véritables professionnels, et ils dégageaient quelque chose de féroce malgré la décontraction qu'ils affichaient ouvertement. L'un d'eux dit quelque chose en l'accompagnant d'un geste de la main, et plusieurs de ses camarades s'esclaffèrent. Leurs vestes rouges doublées d'or et de bleu, impeccablement taillées, les faisaient ressortir au milieu de la foule et leurs bottes en cuir synthétique résonnaient sur le sol dur de la Grande Gare. Ils portaient tous un énorme sac à dos qui s'élevait au-dessus de leur têtes coiffées d'une casquette, et l'une de leurs mains gantées de blanc maintenait toujours en place le lourd fusil à l'aspect impressionnant dont la courroie étaient glissée autour d'une épaule. Mais plus que leur aspect haut en couleurs, c'était leur attitude qui impressionnait la fillette. Il émanait d'eux quelque chose de féroce et de joyeux, comme s'il n'y avait rien en ce monde capable de les ébranler. Ils étaient plein de vie et ne s'en cachaient pas ; seul celui qui ouvrait la marche, un officier trapu au nez d'aigle, aux épais sourcils et à la courte barbe noire bien taillée, affichait un air réservé, presque taciturne. Lucie n'y prêta pas beaucoup d'attention parce que fermant la marche aux côtés de la seule femme du groupe, petite et noueuse, se trouvait l'homme le plus beau qu'elle ait jamais vu. Grand et élancé, chacun de ses traits semblait avoir été sculpté avec la plus grande adresse : son nez fin et élégant, son menton délicat, ses lèvres plissée sur un sourire en coin, et l'élégante moustache qui les ornait. Ses cheveux d'un blond dorés partaient en arrière et ressemblaient à une courte crinière, et ses yeux verts étincelaient comme la pierre de l'unique collier que possédait la mère de Lucie et qu'elle portait le dimanche ou lors d'une grande occasion. Cet homme, aux longues mains de pianistes et à la démarche souple qui lui donnait des allures de félin, semblait littéralement taillé pour les grandes occasions et il s'en rendait compte. Si l'aristocratie avait eu court au sein de l'Hégémonie, il en aurait assurément fait partie. Plus d'une femme tournait la tête sur son passage et rougissait en le suivant du regard, jusqu'à la vieille dame au chat ; à chacune, le soldat blond adressait à qui un délicat hochement de tête, à qui un éclatant sourire révélant deux rangées de parfaites dents blanches et, à une occasion, il souffla même un baiser du bout de son gants blanc à une jeune ouvrière qui rougi tellement que sa combinaison orange sembla perdre de sa couleur. Et il finit par apercevoir Lucie, qui l'observait intensément, aussi il ralentit le pas jusqu'à s'arrêter à ses côtés. D'un geste plein d'emphase, il retira sa casquette de sa main libre et s'inclina avec un clin d'oeil à l'adresse de la fillette, le sourire aux lèvres :

-Quelle ravissante petite demoiselle tu fais !

Lucie resta sans voix, peu habituée à de telle manière. On lui avait déjà dit qu'elle était jolie, mais elle ne croyait pas avoir jamais été qualifiée de ravissante. Et jamais avec cette voix, qui sonnait comme du velours, et donc chaque intonation était soigneusement calculée et parfaitement maîtrisée. Une voix à l'image de son propriétaire, avec un léger accent traînant, mais tout sauf désagréable. La fillette regarda autour d'elle, comme pour s'assurer qu'il n'était pas en train de s'adresser à quelqu'un d'autre. Mais non, c'était bien à elle qu'il s'était adressée !

-Comment t'appelles-tu, petite ? demanda-t-il.

Avant que Lucie ne puisse réponde sa mère, dont elle serrait toujours la main, s'avança comme pour se mettre entre le soldat et sa fille, et foudroya l'homme du regard. Elle était passée experte dans l'art de décocher des regards noirs à tous ceux qui avaient le malheur de l'agacer et, sans trop savoir pourquoi, elle se sentait particulièrement agacée par cette homme.

-Et qui êtes-vous ? ee questionna-t-elle d'un ton acerbe à l'adresse du grand blond. Vous vous conduisez toujours de cette manière avec des gamines inconnues ?

-Ma dame, fit-il en se redressant d'un coup avec adresse. Je suis le caporal André Ladislas Montauban Velázquez, et je me conduis ainsi avec tout le monde. Et j'ajouterai que vous êtes la digne beauté que je ne fais que percevoir chez votre fille.

Un peu plus loin, la femme soldat au côté de qui il marchait tantôt leva les yeux au ciel et poussa un profond soupir. Quant à la mère de Lucie, elle ne se laissa pas troubler par l'attitude de l'homme, et ne se fit pas prier pour le lui faire savoir :

-Et bien, caporale Velázquez, je vous prierais, vous ainsi que tous vous prénoms, de ne pas importuner les jeunes filles. Je suis sûr que l'armée à mieux à faire de vous.

-Croyez moi madame, on essaie, intervint la femme avec un air d'excuse sur son visage délicat. A côté de Velázquez, elle paraissait plus petite encore, mais elle ne semblait pas plus déplacé que lui dans son uniforme. Ses cheveux auburn étaient ramassés dans un petit chignon de type réglementaire, et elle avait des yeux noirs très expressifs, pour l'instant très occupés à faire preuve d'une certaine lassitude contrite. Je vous prie d'excuser le caporal Velázquez s'il s'est montré importun. Je crains qu'il n'en ait fait sa spécialité.

-Sam ! C'est ainsi que tu me vois, après tout ce temps ? riposta Velázquez, l'image même de la fierté blessée.

-Ce n'est rien...

-Hey, Velázquez, Jo6nes ! On se bouge, oui ?

La grosse voix de stentor qui venait de retentir appartenait à l'officier du détachement, revenu quelques pas en arrière tandis que le reste de ses hommes observait la scène en souriant. Il devait avoir entre quarante et cinquante ans, c'était difficile à dire, avec le visage dur et buriné qu'était le sien. Il avait des rides profondes et des yeux légèrement enfoncés au-dessus de son nez d'aigle ; il n'était sans-doute pas considéré très beau par quiconque, mais il possédait les yeux les plus bleus et les plus intenses que Lucie avait jamais vu. Et, à sa façon, il était encore bien plus impressionnant que le caporale Velázquez.

-Oui major ! Le soldat Jones décocha un coup de coude dans les côtes de Velázquez. Allez André, on y va ! M'dame, mamzelle. Elle porta deux doigts à son front pour un salut poli et s'apprêta à tirer le soldat blond à sa suite, mais ce dernier s'accroupit devant Lucie, mit la main derrière son oreille et fit mine d'en sortir un bonbon à l'orange, enveloppé dans son petit emballage blanc. Et si Lucie ne fut guère impressionnée par le tour, elle accepta la friandise de bon cœur et avec un sourire. Les oranges comme les bonbons étaient rares.

-Merci.

-De rien, ce fut un plaisir... Tu ne m'as toujours pas dit comment tu t'appelles ?

-Lucie. Lucie Robbins.

-Et bien ce fut un plaisir, Lucie Robbins. Il lui fit un autre clin d’œil puis se releva avant de saluer comiquement la mère de Lucie, la main sur la tempe : Vous de même, ma dame.

Après un dernière sourire flamboyant, il emboîta le pas du soldat Jones et rejoignit le reste de ses camarades sous le regard sévère du major. Ce dernier dirigea brièvement son regard bleu si perçant sur Lucie et sa mère, et la fillette se sentit frissonner. Puis les soldats reprirent leur route, silhouettes de couleurs parmi la mare plus terne des vêtements du commun. Délicatement, sans se presser, Lucie déballa son bonbon et le mit dans sa bouche, avant de ranger le papier froissé dans la poche de son manteau de laine.

-Il y a des gens impossibles...lança sa mère, et Lucie hocha distraitement la tête, très occupée à savourer le goût de l'orange et du sucre. Pour sa part, elle ne les avait pas trouvés si désagréables que ça ; ils étaient même plutôt intéressants ! Mais la mère partageait rarement les points de vue de sa fille sur ce qui pouvait être intéressant. Martha Robbins était pourtant une bonne âme, mais elle le dissimulait sous un tempérament méfiant qui lui avait permis de traverser bien des épreuves. Pour le reste, elle ressemblait beaucoup à sa fille : toutes deux avaient de longs et très minces cheveux blonds très clairs, la peau pâle et les yeux bleus, et toutes deux étaient de stature délicate, à la manière d'oiseaux un peu fragiles. Mais derrière cette apparence délicate se cachait chez l'une comme l'autre un caractère affirmé, caractère qui était l'apanage des femmes Robbins, comme aimait souvent à le répéter Martha en souriant. Encore jeune -elle dépassait à peine la trentaine- Martha avait réussi à avancer seule dans la vie en refusant de se laisser marcher sur les pieds et en évitant de piétiner ceux des autres. Tâche qui s'était révélée être plus délicate -mais aussi plus gratifiante- avec l'arrivée de cette petite fille curieuse qu'était Lucie. Et qu'elle était bien détermine à continuer d'accomplir au mieux de ses possibilités. Voilà pourquoi elles se retrouvaient aujourd'hui toutes les deux sous le dôme bétonné de la Grande Gare, avec tous ce qu'elles possédaient dans deux valises usées. Elles allaient partir pour Haven.

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