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Lucie 5

Allez, ça continue!^^

 

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Vêtu d'un manteau usé trop grand pour lui enfilé sur une chemise boutonnée de travers, il était d'un physique si commun qu'on ne l'aurait sans-doute jamais remarqué dans une foule s'il n'avait pas été aussi agité. Des cheveux châtain foncé, un visage peut-être un peu rond mais sans signes distinctifs, un vague début de barbe, des lunettes qui tressautaient sur nez au rythme de sa course un peu pataude typique de quelqu'un guère accoutumé à l'exercice physique. Il avait une vieillie sacoche de cuir coincée sous le bras, et les roues de la valise derrière lui semblaient animées d'une vie propre, rebondissant sur chacune des aspérités qui croisaient leur chemin. En fait, il donna aussitôt à Martha l'impression d'être le type même de l'homme destiné à se prendre les pieds dans toutes les ornières disséminées sur sa route. Il finit par arriver au guichet, hors d'haleine, après avoir manqué trébucher plus d'une fois dans sa course. Lâchant la poignée de sa valise, il s'accroupit brusquement, plié en deux alors qu'il essayait de reprendre son souffle, serrant sa sacoche contre sa poitrine.

-Ça va aller mon gars? lui demanda le guichetier, qui s'était penché au-dessus de son comptoir, observant le dernier arrivé avec un amusement teinté de curiosité. Le train n'est pas encore parti, vous n'allez pas le rater. Vous avez vos papiers ?

-Hein? L'homme leva un regard intrigué sur le fonctionnaire, comme s'il n'avait aucune idée de ce dont il pouvait bien parler.

-Vos papiers. Ceux qui attestent de votre droit à embarquer pour Haven.

-Mes... ? Quoi ? Ah, oui, mes papiers. Bien sûr, pardon, ça m'était sortir de la tête... Je dois les avoir quelque part...

L'homme aux lunettes se releva avec un sourire d'excuse, qui se mua rapidement en grimace paniquée tandis qu'il fouillait une à une les poches de son manteau. Puis de ses pantalons. Il vérifia le tout plusieurs fois. Un son qui ressemblait à un petit râle de panique s'échappa d'entre ses lèvres et il se laissa retomber sur le sol, où il s'assit en tailleurs, sa sacoche ouverte devant lui. Il en examinait l'intérieur avec une énergie proche du désespoir, ses doigts passant fiévreusement entre les chemises remplies de feuilles de papier.

-Non, c'est pas vrai ! Dites moi que c'est pas vrai ! Il recommença son examen, sans plus de succès, et finit par abandonner, la tête dans les mains.

-Excusez moi...

-Non ! Pourquoi est-ce qu'il faut toujours qu'il m'arrive ce genre de trucs ?

-Monsieur...

-Hein ?

Éberlué, il sentit qu'on tirait sur sa manche et il ouvrit un œil pour voir Lucie qui lui présentait une petite liasse de documents froissés.

-Ils sont tombés de votre manteau quand vous êtes arrivé...

-De quoi ? Il cligna plusieurs fois des yeux derrière ses lunettes, éberlué. Puis l'information fit son chemin et dispersa le désespoir dont il était saisi. Mes papiers ! Oui, c'est bien ça !

Il se releva à nouveau, se frotta les cuisses puis les pans de son manteau qui avaient traînés sur le sol, et il prit les documents que lui tendait la fillette avant de les tendre au guichetier qui s'en saisit sans commentaires, l'air de celui qui en avait vu d'autres. Et pendant qu'ils les compulsait, l'homme aux lunettes se pencha pour serrer vigoureusement Lucie dans ses bras :

-Je ne sais pas qui tu es, mais merci ! Tu me sauves la vie !

-Lucie! Fit-elle d'une voix étouffée, le visage enfoncé dans le manteau trop grand de l'homme.

-Hey, dites donc, vous ! s'exclama Martha. A ces mots, l'homme relâcha son étreinte et se fendit d'un sourire gêné :

-Oh, pardon. Mais cette jeune fille vient de me sauver la vie !

-Vous ne seriez pas porté sur l'exagération des fois ?

-C'est tout moi, on me le reproche souvent. Arthur Kent.

-Martha.

-C'est votre fille ?

-Oui.

-Vous allez à Haven vous aussi ?

-D'après vous ?

-Ah. Oui. C'est évident.

-Tout est en ordre, mon gars, les interrompit le guichetier en rendant à Arthur ses papiers. Ce dernier le remercia et les fourra quelque part dans son manteau, distraitement.

-Maman, on y va !

Lucie tapait du pied sur le sol, devant la grande porte. Elle pensait qu'ils avaient suffisamment attendu comme cela, et elle était impatiente de voir le train. Martha poussa le chariot contre le mur, près d'autres engins du même type, et entreprit de le débarrasser des deux valises.

-Attendez, laissez moi vous aider ! s'exclama Arthur. Martha le contempla en haussant un sourcil, dubitative : il avait sa valise à roulettes dans une main, sa sacoche sous l'autre bras, et il semblait déjà dépassé. Mais il y avait une telle envie de bien faire dessinée sur son visage honnête qu'elle n'eut pas le cœur de décliner son offre. Il ne l'aurait sans-doute pas laissée faire de toute façon, et il s'avançait déjà vers le chariot, se contorsionnant maladroitement pour essayer de saisir un bagage de sa main libre sans pour autant laisser s'échapper les siens. Encore une fois ce fut Lucie qui vint à son secours, bien décidée à ne pas perdre plus de temps là-dessus.

-Monsieur Kent peut porter ma valise, qui est plus petite, et moi je peux porter sa sacoche, elle n'a pas l'air lourde du tout !

-Ma sacoche ? C'est-à-dire... Instinctivement, Arthur resserra son emprise sur son précieux bagage, en proie à un dilemme soudain. Puis il poussa un petit soupir avant de sourire à la fillette : Bah, j'imagine qu'elle ne risque rien avec une fille aussi dégourdie que toi. Faisons ça ! Mais fais-y très attention, je tiens beaucoup à ce qu'elle contient !

Acquiesçant, Lucie s'empara précautionneusement de l'objet, dont elle put glisser la petite courroie autour de son épaule, comme une besace. De son côté, Arthur Kent saisit la valise de la fillette de sa main libre et, avec Martha, ils purent enfin tous trois franchir la grande porte automatique, qui s'ouvrit sans un bruit devant eux. La fillette dut se retenir pour ne pas courir tandis qu'ils traversaient un long couloir étroit, qui déboucha sur une porte semblable à la première. Et au-delà, ils débouchèrent enfin sur le quai du secteur un de la Grande Gare, le quai du seul train qui bravait l'extérieur et qui allait les conduire à Haven. Les lieux étaient encore mieux entretenus que le reste de la gare, et les murs et le plafond blanc étaient baignés dans une vive lumière brillante qui aurait fait plisser les yeux à Lucie si elle n'avait pas été aussi occupe à dévorer du regard la fantastique apparition qui captivait toute son attention : le train. Elle resta là, bouche bée, à le contempler en compagnie de sa mère et d'Arthur ; même les deux adultes étaient impressionnés, et il en fallait pourtant beaucoup pour impressionner une femme comme Martha Jones.

-C'est stupéfiant ! Quel engin ! fut le commentaire d'Arthur Kent.

Et de fait, le train était le véhicule le plus massif, le plus spectaculaire de toute l'Hégémonie depuis que les vaisseaux colonisateurs avaient été démantelés en usines plusieurs siècles auparavant. Et pour les futurs passagers, l'engin était plus impressionnant encore ; il n'avait plus rien à voir avec le métro qui circulait sous la surface du complexe. Il était comme un géant massif d'acier et d'alliages plus résistants encore, robuste silhouette grise et noire qui se découpait dans la blancheur du quai. L'esthétique n'était de loin pas sa fonction première : il était constitué de longs wagons aux lignes grossières et à l'air pataud, et la voiture de tête au front bombé lui donnait l'air d'un puissant et redoutable mastodonte de métal. Et aux yeux de Lucie, c'était la chose la plus incroyable qu'elle avait jamais vue. Rien qu'à imaginer que dans quelques minutes seulement elle allait entrer à l'intérieur de ce monstre, elle avait l'impression de rêver. Elle suivait du regard, captivée, les trois bandes de peinture écaillée qui parcouraient le flanc de l'engin : rouge, bleu et or, les couleurs de l'Hégémonie. Sur les toits des wagons, plusieurs gros nodules étaient disposés à intervalles réguliers, et une batterie d'engins compliqués semblables à de grosses et solides antennes était visible plus ou moins au milieu du convoi. Au niveau des rails, une épaisse vapeur s'échappait des systèmes des roues et venait se disperser en épais nuages de brume blanche sur le quai. Lucie voulut s'approcher du bord pour mieux voir mais Martha la retint solidement par la main.

-Ah, vous êtes les derniers ! lança une voix joyeuse au timbre clair.

S'extirpant du wagon le plus proche, un homme à l'air affable sauta sur le quai et vint à la rencontre du trio en agitant la main, un large sourire révélant ses dents sous sa moustache rousse. Il portait une casquette bleue et un uniforme de la même couleur fendu de deux bandes rouges et or sur les côtés, et des lunettes teintées en bleu complétaient la tenue.

-Je suis Ed Travers, votre responsable de bord ! Les autres sont déjà montés, on n'attend plus que vous.

Il avait l'air sympathique, et il dégageait tellement d'énergie qu'on s'attendait presque à ce que son corps se mette à vibrer d'enthousiasme. Martha s'en méfia aussitôt, le classant d'office dans la catégorie des bout-en-train forcés, dépourvus de réelle personnalité. Mais au moins, cela ferait sûrement de lui quelqu'un d'accommodant.

-Allez, venez ! Vous verrez, vous vous plairez à bord de cette merveille ! On a même des jeux très bien, tu ne verras pas le temps passer ! annonça-t-il triomphalement à l'adresse de Lucie, persuadé de l'impressionner. Mais cette dernière ne lui accorda pas plus d'attention que cela et le dépassa en courant pour monter d'une traite les quelques marches qui menaient à l'intérieur.

-Et bien, voilà une véritable voyageuse enthousiaste où je ne m'y connais pas ! Brièvement décontenancé, Ed Travers afficha un nouveau sourire et invita Martha et Arthur à suivre la fillette. Les deux adultes s'exécutèrent, hissant leurs bagages, tandis que Ed Travers fermait la marche, lançant d'une voix qui se voulait pleine d'emphase :

-Bienvenue à bord du train pour Haven !

 

 

 

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