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Lucie 8

Une nouvelle semaine commence, en espérant que je continuerai de garder le même rythme que la précédente malgré toutes les distractions qui m'attendent!^^ Mais pour l'instant, voici!

 

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Dans la voiture de tête au nez bombé, Ed Travers observait du coin de l’œil les passagers en train de s'installer, sur le petit écran relié à la caméra de surveillance. L'angle n'était pas idéal, et l'image n'était pas très nette, mais cela suffisait à se faire une idée de la scène. Le système de sécurité était aussi ancien que le train, et il n'avait jamais vraiment servi à espionner ceux qui montaient à bord ; il datait d'une époque où les responsables aimaient pouvoir s'assurer de la sauvegarde des précieux matériaux que le train transportait d'un complexe à l'autre, lors des derniers jours de la colonisation proprement dite.

-Tout le monde est à bord. Les derniers heureux élus de l'Hégémonie, avec leur ticket doré pour Haven...commenta Travers, d'un ton un peu morne qui jurait avec l'enthousiasme forcé dont il faisait généralement preuve. Il tapota l'écran de surveillance d'une pichenette, comme pour en chasser la neige statique qui avait tendance à brouiller plus encore l'image. Le jeune homme avait fait le voyage, aller et retour, un très grand nombre de fois, mais il n'avait jamais posé le pied plus loin que le quai de Haven. Il ne croyait pas plus que cela au rêve que représentait le fameux complexe, guère intéressé par le progrès, mais il estimait avoir accompli assez durant ses voyages, et travaillé assez dur pour prétendre à plus. Ses superviseurs ne le jugeaient pas à sa juste valeur...

-Je ne sais pas s'ils sont aussi heureux que ça, Ed. La plupart de ceux qui se débrouillent pour obtenir leur sauf-conduit le font parce que rester en arrière n'est plus une option...

Installé dans son fauteuil au haut dossier, Daniel Grümman écoutait d'une oreille les commentaires de Travers ; il était surtout concentré sur les nombreux voyants, interrupteurs et cadrans du tableau de bord qu'il partageait avec son aide, Stan Detroit. Depuis vingt ans qu'il effectuait chaque mois le même trajet, Grümman n'avait jamais éprouvé la frustration qu'il voyait grandir de plus en plus chez Ed Travers. Le chef conducteur était la définition même du vieux de la veille que plus rien n'étonnait, et qui se contentait de faire son boulot avec l'amour du travail bien fait. Et il n'y avait rien que Grümman aimait autant que de parcourir la surface d’Éclat aux commandes de son engin, sous un vrai ciel et non un plafond de roche et de béton illuminé artificiellement par des spots. Daniel Grümman n'aurait échangé sa place pour rien au monde. D'autant qu'il n'avait pas vraiment grand chose à faire ; le trajet étant automatisé, il n'était qu'officiellement aux commandes. Son travail consistait à lancer et arrêter la machine, et à surveiller l'état de l'engin tandis qu'il filait à la surface. Et cela lui suffisait : il n'était pas un homme compliqué. Voilà pourquoi il n'avait jamais vraiment songé à ce qui pouvait attendre les passagers Haven, ni à ce qu'il pourrait faire de sa vie s'il devait un jour renoncer à sa carrière. Il se contentait de s'assurer que le train parvenait à bon port. Et à cinquante ans passés, il n'envisageait toujours pas la moindre retraite, même s'il s'occupait soigneusement d'enseigner à Stan Detroit toutes les ficelles du métier. Et puis, le garçon faisait une compagnie plus agréable que Travers ; Grümann ne détestait pas le responsable, mais il ne l'avait jamais beaucoup aimé non plus...

-Tous les systèmes semblent en ordre, on dirait que les moteurs ont correctement préchauffé, annonça Stan après qu'un voyant plus gros que les autres se soit mis à clignoter en vert. Grümman haussa un sourcil :

-Semble ?

-Pardon. Tous les systèmes sont en ordre, j'ai revérifié.

-Bien. Toujours s'assurer que tout fonctionne comme de bon. Ça veut donc dire qu'on va pouvoir se mettre en route, Ed !

-Pile dans les temps, tant mieux. Les capteurs à la surface entre ici et Haven nous disent que le temps risque d'être agité, et je n'aimerais pas que nous nous retrouvions bloqués comme l'année dernière.

-Bah, quelques heures de plus dans ce tas de ferraille, ce n'est pas si terrible. Tant que nous arrivons à bon port. Et puis la météo n'a jamais été vraiment fiable, tu sais comment les appareils de détection se comportent là-dehors.

-N'empêche que je serai vraiment rassuré une fois qu'on aura passé le point critique. Pas question de traîner !

-Tout ira bien, comme d'habitude. Nos autres passagers sont bien installés ?

-Je crois. Ils ne se sont pas mêlés aux civils, du moins pour l'instant. Ils voyagent avec leur équipement. Je ne m'attendais pas à ce que l'Hégémonie nous fasse transporter une escouade ce mois-ci... Je me demande ce qu'ils vont faire à Haven, ceux-la !

Grümman haussa les épaules sans répondre ; il ne se posait que rarement des questions. Il trouvait que la vie se déroulait bien plus simplement ainsi.

-Vous pouvez lancer la machine, tous les deux. Je vais rejoindre un moment nos citoyens si chanceux ; peut-être que je vais réessayer d'engager la conversation avec la belle blonde, y a pas de raison...

Travers tapota l'épaule de Grümman comme un professeur condescendant celle de son élève, et Stan Detroit secoua la tête.

-Quel con! Lâcha-t-il une fois que la porte se soit refermée derrière Travers.

-Il l'est sans-doute un peu, mais il n'est pas méchant. On s'y habitue, tu verras.

-Je ne sais pas comment vous faites...

-Sans me mettre martel en tête pour rien.

Grümman gratta son épaisse barbe rousse d'une de ses mains larges comme des battoirs, puis observa la figure honnête, avide d'apprendre de Stan Detroit. A tout juste vingt ans, le gosse faisait un apprenti plus que potable, qui apprenait vite et mettait du cœur à l'ouvrage. Il avait encore tendance à vouloir effectuer les choses plus vite que la musique, mais il aurait tout le temps de se calmer. Et puis cette grande asperge maigre et dégingandée s'en sortait bien.

-Allez petit, fais nous démarrer, il est temps de partir !

Le visage de Stan s'illumina, et ses mains volèrent au-dessus du tableau de bord sous la surveillance bienveillante de Grümman. Enfin, la valse des interrupteurs s'arrêta, le jeune homme vérifia soigneusement toutes les indications une dernière fois, puis tira un gros levier.

-C'est parti !

Lentement d'abord, puis de plus en plus vite, un grondement sourd se mit à faire vibrer l'intégralité du train, et une épaisse vapeur monta des roues qui commençaient à crisser sur le rail, comme impatientes de s'élancer enfin en avant. Une sirène assourdissante se fit entendre sur le quai de la Grande Gare et, enfin, toutes ces tonnes d'acier et d'alliages divers se mit à avancer au rythme grondant des systèmes de pistons. Plus loin, en avant, maintenant que tout le personnel avait quitté le secteur, une lourde cloison était relevée à l'aide d'un puissant mécanisme, dévoilant dans le mur une entrée béante où les rails continuaient et qui mènerait, de plus en plus vite, le train rugissant vers la surface. Le voyage venait de commencer pour de bon.

 

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