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Lucie 7

Hop, ce n'est pas parce que c'est dimanche que je vais tirer au flanc! Bon, là encore, pas grand chose, mais je continue au moins d'avancer, jour après jour, page après page! Voici donc le p'tit bout du jour!^^

 

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Bien sûr, ce n'était pas la première fenêtre que Lucie voyait. Même dans le tout petit appartement qu'elle habitait avec sa mère, dans leur vieux quartier, il y en avait aux murs, petites et étroites, mais incontestablement des fenêtres. Elles s'ouvraient sur la façade d'un autre immeuble trapu, que Lucie pouvait presque toucher du bout des doigts si elle se penchait à l'extérieur. Principalement décoratives, sorte d'atavisme immobilier, les fenêtres servaient surtout à donner l'impression aux habitants du complexe de ne pas être totalement enfermés dans leurs structures grisâtres. Elles n'étaient nullement faite pour laisser passer l'air de la nuit, et la seule lumière extérieure était celle, artificielle, des lampadaires la nuit, et des spots puissants installés au plafond le jour. Celle du train ne pouvait être plus différente, et pour une raison toute simple : le véhicule allait sortir au grand jour, sous le véritable ciel de la planète, dans la blanche immensité d’Éclat. Cela voulait dire que pour la première fois de sa vie, Lucie allait pouvoir contempler la terre, le ciel et l'horizon qui les liait. Elle resta plantée là, dans l'allée entre les siège, les yeux rivés sur cette promesse de découvertes sans nulle autre pareille. Et si la fillette était depuis longtemps excitée par la perspective d'un tel voyage, sa curiosité insatiable en éveil, ce fut sans doute la première fois qu'elle réalisait que sa vie allait définitivement changer.

Qu'elle ne verrait plus jamais la façade grise de l'immeuble dans face en se réveillant le matin ; qu'elle n'allait plus jamais courir et jouer dans les ruelles étroites de son quartier, entre les immeubles et les piliers de béton ; qu'elle ne se rendrait plus jamais à la petite école qui l'avait vue grandir et où elle prenait ses classes en compagnie de ses camarades et de ses professeurs, et elle sut aussi qu'elle ne les reverrait plus jamais ; elle ne reverrait plus non plus les habitués du bistrot où sa mère faisait des heures supplémentaires le soir, le vieux MacDarwin et ses histoires, et le patron si gentil qui s'était pris d'affection pour les Robbins et qui glissait toujours une goutte de gin industriel dans le grog de la petite fille, avec un clin d’œil ; qu'elle ne verrait plus jamais la silhouette miteuse du vieux chien du père MacDonald, ni le sourire du vieil homme lorsqu'il l'emmenait se dégourdir les pattes...

Soudain, Lucie sentit une boule lui remonter le long de la gorge et elle serra contre elle la sacoche d'Arthur Kent, luttant pour étouffer le sanglot qu'elle sentait trembler derrière ses lèvres pincées. Aussi fantastique que puissent être le train, le voyage et Haven, elle comprenait enfin qu'elle disait adieu pour de bon à son univers, au monde qu'elle avait toujours connu, et à tous ceux qui en avaient fait partie. Et même si les Robbins n'avaient jamais été très riches, même si elles avaient toujours vécu dans un des plus vieux et des plus étroits quartiers du complexe, et bien Lucie avait été heureuse. La vie au sein de l'Hégémonie n'était pas mauvaise, même très loin de Domaine. Tout le monde avait une tâche accomplir, et si tous n'étaient pas égaux, il n'y avait pas réellement de démunis non plus : tout le monde pouvait prétendre à une vie décente, et ceux qui travaillaient durs avaient la possibilité de se forger un avenir meilleur, comme Martha Robbins qui emmenait sa fille à Haven. Et Lucie allait pour toujours se souvenir avec tendresse de tous ces moments de sa courte vie passés à grandir au milieu d'un environnement aussi chaleureux qu'il était possible. Et de la chaleur, les habitants d'un quartier comme le sien n'en avaient jamais manqué.

-Lucie, c'est bien ça ? Comment vas-tu ?

Elle tourna la tête sur la droite et découvrit le visage ouvert du père Horst, qui était assis face au jeune père Delgado. Là où se dernier se tenait raide, le vieux prêtre était confortablement installé contre le dossier de son siège, ses doigts vigoureux tambourinant sur l'accoudoir. Son sourire était sincère et féroce, mais de la férocité joyeuse de ceux qui croquaient la vie à pleines dents. Lucie se dit qu'elle l'aimait bien, et sa bonne humeur la gagna, repoussant la tristesse et lui redonnant le sourire.

-Ah, j'aime mieux ça ! Un sacré voyage nous attend, et je sens que tu as de l'enthousiasme à revendre ! Ça tombe bien, moi aussi ! Diego n'en a pas beaucoup, mais c'est surtout parce qu'il est timide ; ce garçon a peur que la vie vienne lui taper sur l'épaule !

A la mention de son nom, le jeune homme esquissa un bref sourire un peu gêné, visiblement habitué aux piques de son collègue. Et puis il retourna à la contemplation de dieu seul savait quoi, perdu dans ses pensées.

-Te voilà ! Lucie se retourna et vit Arthur Kent, accompagné de sa mère. J'ai rangé ta valise dans le compartiment, tu peux me rendre ma sacoche maintenant.

-Merci!dit-elle en lui tendant l'objet. Il le palpa presque inconsciemment, comme s'il devait à tout prix s'assurer de l'avoir à nouveau en sa position. Mais il se détendit rapidement, avec un sourire :

-Merci à toi !

-J'imagine qu'on va s'installer ici, à côté de la fenêtre, fit Martha, qui connaissait bien sa fille. Elle avait laissé Arthur ranger également son bagage, et tous trois s'installèrent dans le groupe de siège situé en face de celui où les prêtres avaient pris place. John Horst se pencha au-dessus du couloir pour serrer la main d'Arthur Kent, et tous de dirent qu'ils allaient faire le voyage en agréable compagnie ; à part peut-être Diego Delgado, car il était difficile de dire à quoi pouvait bien penser ce jeune prêtre si discret. Ici et là, dispersés dans la grande voiture et ses nombreux sièges vides, d'autres passagers faisaient connaissance ou prenaient leurs aises, s'installant aussi confortablement que possible : le train n'allait pas tarder à se mettre en route et quitter la Grande Gare pour l'extérieur, le voyage pour Haven était enfin sur le point de commencer.

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