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Lucie 9

Une petite page, aujourd'hui, mais une page quand même!^^

 

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Dans la voiture des passagers, aucun de ces derniers n'avait ignoré les vibrations qui secouaient l'ensemble du train, d'abord assourdissantes et sèches, puis de plus en plus sourdes, jusqu'à ne plus devenir qu'un doux ronronnement en arrière-plan. La main sur la vitre, Lucie s'amusait de ressentir ce bourdonnement qui lui passait dans la main pour remonter le long de son bras. Elle avait l'impression d'être dans l'estomac d'un monstre gigantesque, et elle adorait ça. Cela n'avait rien avoir avec les petits trains rapides qui permettaient de se déplacer aux quatre coins du complexe où elle venait ; ces derniers étaient rapides et silencieux, alors que le mastodonte de métal qui l'avait avalée avançait plus précautionneusement, plus lentement, mais avec cette grisante sensation d'être totalement instoppable. Elle essayait de discerner les détails du tunnel à travers la fenêtre, mais elle ne voyait que du noir ; à l'intérieur, le wagon était éclairé par des lampes halogènes fixées au plafond. Certaines grésillaient faiblement, témoignant de leur grand âge mais, comme l'ensemble du train, elles avaient cette rassurante sensation d'avoir été faites pour durer.

-C'est grisant, de se demander à quoi ressemble l'extérieur, n'est-ce pas ? John Horst avait remarqué le manège de la fillette, collée à la fenêtre. Qui sait-ce qu'il peut bien nous réserver ? J'en ai vu des images, même quelques vidéos, mais ce n'est pas la même chose.

Lucie décolla son visage de la vitre pour croiser le regard bienveillant du prêtre, et elle hocha la tête, polie. Et comme il avait bien raison, elle n'eut rien à répondre. Et la gamine savait très bien que parfois, les adultes n'engageaient la conversation que pour le plaisir de s'entendre parler. Et si le prêtre ne donnait nullement l'impression d'être imbu de sa personne, il avait l'air de quelqu'un qui appréciait d'avoir une chose à dire plutôt que de se confronter au silence.

-Je me rappelle, quand j'avais ton âge, à quel point toutes ces histoires sur Éclat me captivaient. C'est notre monde, après tout, me disais-je, et nous en savions si peu sur lui !

-Et puis vous avez grandi, et vous avez jugé bon de ne plus vous y intéresser... Diego Delgado intervint dans la conversation, et Lucie réalisa que c'était la première fois qu'elle l'entendait vraiment se mettre à parler. Il avait une voix agréable, plutôt grave pour son âge, mais aux discrets accents presque vibrants, comme animés d'une grande tension difficilement contenue.

-Pas du tout ! lui répondit joyeusement John Horst. J'ai peut-être grandi, mais ces questions ne m'ont jamais vraiment quitté ! Maintenant que je suis réellement sur le point d'aller à la surface, je remarque que je les avais seulement écartées, le temps d'une vie. Et de me les poser à nouveau, d'imaginer enfin m'y confronter, je trouve ça diablement excitant !

-Nous ne sommes pas fait pour la surface, rétorqua Delgado, qui n'avait pas pu s'empêcher de grimacer aux mots de son collègue ; mais il conserva un ton neutre, dépourvue d'agressivité. Si cela avait le cas, nous y serions établis, aujourd'hui. Je ne comprends pas l'insistance de l'Hégémonie à poursuivre dans cette direction... Dehors, il n'y a que la blancheur de la neige, le souffle désagréable du vent, la morsure du froid... et le bleu. La grande désolation du bleu, où que porte le regard dès qu'il se lève aux cieux et devient fou.

-Allons Diego, vous allez faire peur à notre jeune amie, à raconter vos simagrées. C'est un mythe, voilà tout !

-Elle n'a pas l'air effrayée (et de fait, Lucie ne l'était pas ; à vrai dire, elle était captivée par la tournure que prenait la conversation, qui rejoignait le sujet d'autres histoires terribles et délicieuses qu'elle avait entendues se raconter entre deux verres de gin, au-dessus du comptoir du bistrot qu'elle ne verrait jamais plus). Et c'est là quelque chose que tout le monde devrait savoir.

-Je n'ai jamais vraiment entendu cette histoire, lança Arthur Kent, rejoignant la conversation. Et pourtant, les histoires, c'est mon rayon, enfin je crois.

-Tout le monde a entendu parler du bleu, d'une façon ou d'une autre. Ce n'est pas qu'une simple histoire.

-Bien sûr, il y a toujours eu des rumeurs pour raconter la folie qui se serait emparée d'hommes restés trop longtemps à la surface, mais tout de même...

-Monsieur Kent, c'est parce que nous ne sommes pas faits pour y marcher. C'est aussi simple que cela : c'est l'enfer, dehors, le coupa Delgado, des accents catégoriques dans la voix. Nous ne sommes plus faits pour le ciel, et ce depuis bien longtemps.

-Bah ! John Horst agita une grosse main dans le vide, comme pour balayer les propos de son jeune collègue. Tout ce que je sais, c'est que je suis vieux, et que je me réjouis de voir le ciel au moins une fois avant de mourir. Peu m'importe qu'il soit bleu, rose ou violet à pois jaunes !

Delgado se renfrogna ; il n'était visiblement pas du tout d'accord avec son aîné, mais jugea bon de ne pas le contredire plus en avant.

-Pour ça, nous allons bientôt être fixés. C'était la voix de Martha Robbins, qui s'était jusque là bien gardé de participer à la conversation, sachant comment étaient les hommes dès qu'il était question de se chamailler. Tous la fixèrent, et elle sourit en désignant la fenêtre, à travers laquelle une vive lueur semblait illuminer de plus en plus les ténèbres du tunnel qui les menait au-dehors.

-Je crois que nous sommes sur le point de sortir !

 

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