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Lucie 79

Pas grand chose ces derniers jours, je sais... Du coup, un passage un peu plus long aujourd'hui!

 

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Diego Delgado se laissa tomber à genoux dans la neige, à quelques mètres seulement de la voiture des passagers. Le feu avait commencé à s'en prendre à cette dernière, mais le jeune homme ne donnait pas l'impression de s'en soucier. Il se mit à fouiller les environs, jusqu'à ce qu'il tienne entre ses mains un petit éclat de métal projeté par les explosions. Lentement, avec application, il la mania aussi habilement que ses mains gantées en étaient capables, et commença à découper le plastique qui lui liait les poignets ensemble. Les soldats avaient pris la peine de le vêtir chaudement, mais ils avaient refusé de le libérer, méfiants. A raison. A la première occasion, il avait profité du chaos ambiant pour fausser compagnie au reste du groupe. L'apparition de la créature survivante avait donné d'autres préoccupations à ses geôliers, et il était aussitôt revenu sur leurs pas, filant droit vers la carcasse du train, là où personne n'allait plus le suivre, du moins devait-il le penser. Il était à nouveau libre. Ou presque. C'était là quelque chose que John Horst ne pouvait accepter. Le vieux prêtre avait vu son collègue s'enfuir, et il était déterminé à ne pas le laisser s'en sortir aussi impunément. Ne serait-ce que parce qu'il devait leur répondre à tous de sa trahison, et parce qu'il avait encore des réponses à leur donner. Horst avait dépassé le stade du pardon, il avait perdu le calme presque sans-faute qu'il s'était forgé avec les années, et il n'avait plus qu'une seule pensée en tête : retrouver Diego Delgado

Ce dernier, entièrement concentré sur sa libération, ne vit pas Horst se faufiler dans son dos, essayant de faire le moindre bruit possible. Il sentait enfin céder les menottes lorsqu'il fut soulevé par le col de son manteau et projeté violemment sur le sol. Son visage s'écrasa dans la neige, et il crut un instant qu'il allait s'étouffer avec. Mais il fut à nouveau tiré en arrière, et il reprit son souffle en crachant, secoué par la toux. L'espace d'un instant, il se surprit à réaliser que, curieusement, ce n'était pas aussi froid qu'il l'aurait cru. Puis les mêmes mains qui l'avaient jeté à terre le firent pivoter, et il se retrouva nez à nez avec John Horst. Le vieux prêtre était l'incarnation même de la colère, telle une furieuse créature des glaces issues de la terre, sa barbe emmêlées pleine de cristaux gelés.

-Vous n'allez pas vous en sortir comme cela, Diego ! Pas après tout ce que vous avez fait ! Je le refuse !

Delgado n'eut même pas le temps de répliquer : Horst conclut sa tirade par un coup de poing qui fit craquer le nez de sa cible, et il fut plaqué contre la paroi du wagon. Son vieux collègue était encore en forme, bien fort, son étreinte implacable. Du sang coulait sur le visage de Delgado, qui se remit à cracher de plus belle jusqu'à ce que John lui colle son avant-bras contre la gorge, sous le menton. Leurs regards se croisèrent, et aucun des deux ne voulut baisser les yeux. Ceux de Horst n'étaient que fureur.

-Votre trahison ne restera pas impunie ! Et si notre seigneur ne juge pas bon de vous arrêter lui-même, c'est moi qui m'en chargerait. Vous avez fait trop de mal pour espérer autre chose.

-Et qu'est-ce que vous allez faire? crachota Delgado à la figure de son aîné, du défit dans la voix. Me tuer, vous ?

Horst parut un bref instant interloqué :

-Vous croyez vraiment que je ne peux en être réduit qu'à cela ? Ce n'est mas rôle de décider de qui mérite la mort, pas plus que ce n'est le vôtre. Ce qui ne vous a pas empêché de provoquer celle de toutes ces personnes. Des personnes qui ont donné leur vie pour nous. Mais non, je ne compte pas vous tuer, Diego. Mais je ne vous laisserai pas vous enfuir dans la nuit. Vous avez des réponses à nous donner, et des crimes à répondre !

-Je croyais qu'il n'y avait que devant le seigneur qu'un homme devait répondre de ses crimes. Et fut un temps, je le croyais vraiment, comme vous. Mais ici, sur cette planète infernal et gelée, il n'a aucune incidence. Il n'est pas avec nous. Il n'y a que le froid, le froid et la mort et, au-delà, le bleu.

-Bon sang, de quoi est-ce que vous parlez, à la fin ? Cessez votre délire !

-Vous me prenez pour un fou, quand je suis l'un de ceux qui a retrouvé tous ses esprits. Qui a vu le bleu, et qui sait ce qui nous attend tous. Comme l'enfant, comme ceux qui m'ont trouvé. C'est vous qui êtes fou, John, vous et le reste de ce monde maudit. Sauf que vous ne le savez pas encore ! Laissez moi vous ouvrir les yeux...

-Taisez-vous !

-Vraiment ? Je croyais que vous vouliez que je parle, John...

-Que vous expiez vos fautes !

Delgado se mit à ricaner, l'air plus pâle et plus dément que jamais, et pourtant John décela quelque chose dans son regard qui lui glaça le sang plus que la température qui régnait à l'extérieur. Un éclat dans les yeux du jeune prêtre, qui ne donnait pas l'impression d'être issu de sa folie, mais de quelque chose d'autre. Comme chez un homme qui venait de recouvrer la raison, et qui trouvait cela bien plus insupportable que la pire des afflictions de l'esprit.

-Alors j'en expierai une nouvelle...

John fronça les sourcil suite aux mots de son prisonnier...et sentit une vive douleur dans le ventre tandis que Delgado lui enfonçait l'éclat de métal dans la chair à travers tous ses vêtements, le même éclat qui lui avait permis de se libérer les mains. Poussant un grognement, Horst relâcha sa prise et recula de quelques pas maladroits, comme rendu particulièrement incrédule par la situation. Il descendit une de ses mains et sentit le métal enfoncé dans son corps, et le sang qui coulait en une petite rivière qui venait rougir la neige dans un grésillement. Puis il contempla Delgado, qui reprenait son souffle ; le jeune prêtre avait l'air secoué par son acte, mais il secoua plusieurs fois la tête, comme pour reprendre ses esprits.

-Je n'aurais jamais dû en arriver là... Mais ils m'attendent, tous. Ma mission... Le bleu m'attend. Pardon, John...

Il y avait de la sincérité dans la voix de Delgado, mais elle avait rapidement laissé de la place à une détermination froide, et quelques secondes avaient suffi pour que le jeune homme retrouve cet air détaché qui déstabilisait tant John. Plus encore que le métal qui lui déchirait les entrailles. Le vieux prêtre restait là, debout, comme incapable de réaliser pleinement ce qui venait de lui arriver. Il regardait son meurtrier se frotter les poignets, puis se pencher dans l'encadrement de la porte du wagon. Comme s'il recherchait quelque chose.

-Je n'ai pas menti à Travers, John. Il y avait bien une balise cachée quelque part dans mes affaires.

Les deux hommes se découpaient étrangement dans la neige et les flammes, comme deux ombres issues de la terre. Tout cela semblait irréel, tellement irréel, songeait John, avec ce ciel sans fin au-dessus de leurs têtes...

-Je vais la retrouver, et il sera temps pour moi de l'utiliser. Il faut...

-Non !

Le cri de John se répercuta dans la nuit tandis qu'il se jeta sur Delgado. Il passa ses bras puissants autour du cou de son jeune collègue, et ce dernier eut l'impression d'être pris dans l'étreinte d'un ours. Leurs deux silhouettes n'en formaient plus qu'une désormais, dans la neige et le feu, avec le train massif en arrière-plan, comme le décors final sur les planches d'un théâtre.

-John... Les mots sortaient difficilement de la gorge serrée de Delgado. Qu'est-ce que... vous faites... John...

-Tu ne t'en tireras pas ainsi, démon ! Je refuse ! Pas après tout ce que tu as fait !

Et sur ces mots, John Horst se mit à serrer de plus en plus fort, implacable et vengeur. Il pouvait sentir Delgado lutter de toutes ses forces mais il n'en avait cure. Il pouvait sentir la douleur qui lui déchirer les entrailles et la vie qui s'échappait de son corps, mais il n'en avait cure. Il n'avait plus qu'un but, plus qu'une seule chose à accomplir, et il ne s'abandonnerait pas à la mort avant de l'avoir réalisée. Et puis, petit à petit, les gestes de Delgado se firent plus faibles, plus espacés...jusqu'à ce que Horst le sente entièrement flasque dans sa prise. Il y eut un craquement, et puis plus rien, plus rien du tout. Le prêtre lâcha sa victime, qui lui glissa des mains autant qu'elle s'écroula, grotesquement appuyée dans l'ouverture de la porte. Soufflant comme un bœuf, Horst recula de manière maladroite, comme pour mieux observer son acte. Pour mieux s'en rendre compte.

-Je refuse...souffla-t-il.

Il pouvait sentir ses forces l'abandonner, comme s'il avait pu les retenir plus qu'il n'aurait dû, et qu'elles prélevaient maintenant leur dû. Le dernier de tous. A son tour, il se laissa tomber dans la neige. Il se retrouva d'abord à genoux, puis roula sur le dos avec un grognement de douleur. D'un geste, il sortit l'éclat de métal et le jeta plus loin, avant de faire pression de ses mains gantées sur sa blessure béante. Il savait que cela ne servirait plus à rien, mais il le fit quand même. Il avait de la peine à réfléchir correctement, à réaliser toute la portée de son acte. Il se sentait incroyablement seul et, pour la première fois, il fut saisi d'un doute à l'idée de ce qui l'attendait, après. Mais il avait fait son devoir, il n'avait pas pu laisser cet homme s'échapper, pas comme ça... Cela n'aurait pas été juste. Puis il pensa à tous les autres passagers, à Lucie et à sa mère, aux soldats qui avaient tout fait pour les protéger... Et il pria pour eux, en silence, pour maintenir la peur et la douleur à distance. Il ne pouvait rien faire de plus, son temps était passé. Depuis trop longtemps, peut-être.

Sur le dos, John Horst contemplait le ciel noir et immense, constellé d'étoiles brillantes. Le ciel qu'il n'avait pas réussi à observer à travers la vitre épaisse du wagon, le ciel qu'il avait tant voulu voir un jour. Et il le voyait, maintenant. Plus que cela, il le vivait. Il avait l'impression que le rayonnement doré des étoiles l'enveloppait et, malgré la douleur, il se sentait incroyablement vivant, à sentir ainsi l'air, le véritable aire, celui de la surface, et le froid. Peu lui importait le froid. Toute sa vie, il avait voulu voir un spectacle pareil, et voilà qu'il lui était offert. Il se rappela la conversation avec Lucie qu'il avait eu dans le train, ce qui lui semblait des mois, des années auparavant plutôt que des jours, quand ils avaient parlé du ciel. Il l'attendait maintenant, il le sentait tout autour, comme il n'avait jamais rien senti auparavant. Un véritable instant de grâce.

Et ainsi, allongé sur le dos sous le ciel infini, John Horst poussa son dernier soupir, qui monta s'élever parmi les étoiles qui brillaient enfin pour lui.

Commentaires

  • Ah nooonn !!! Pas John !!! ... maiheu >

  • Rooooh... encore?! Moi je dis que t'as choppé le virus "R. R. Martin"! Enfin... là, au moins, c'est une "belle mort" pour ce brave John...

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