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Lucie 94

Un pas de plus, on y est presque.

 

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Dans un grognement, Canton Adams réussit une fois de plus à repousser les terribles crocs qui tentaient de se refermer sur lui. Avec l'énergie du désespoir, il flanqua un puissant coup de crosse sur l'extrémité du museau de la bête ; il entendit un craquement, et sa victime siffla de douleur. Le major s'arc-bouta fortement contre les gravats, dos contre ceux-ci, et pu placer le canon sous la mâchoire ennemie. Il pressa sur la détente, et une gerbe de sang chaud l'éclaboussa tandis que le monstre s'écroulait à moitié sur lui, saisit de convulsions. Adams se passa une main sur le visage, chassant le liquide rouge de son champ de vision, des tâches sombres devant les yeux dues à la douleur qu'il ressentait dans chaque fibre de son corps. Plus loin, il pouvait voir trois autres créatures, dont celle qui semblait mener la danse et qui les poursuivait depuis le train. A croire qu'il s'agissait là d'une rancœur bien réelle qui allait au-delà de la chasse du moindre repas potentiel dans un environnement difficile.

Gigotant pour trouver un angle de tir par-dessus la carcasse, l'homme jura entre ses dents. Ses munitions étaient pratiquement épuisées et, quand bien même il aurait disposé de plus de réserves, il n'aurais jamais la possibilité de tuer les trois créatures avant qu'elles n'en finissent avec lui. Il avait fait tout ce qu'il pouvait pour faire gagner du temps aux autres, maintenant il...

-Canton ?

Il secoua la tête, persuadé d'avoir imaginé l'appel. Mais la voix était bien réelle. Celle de Martha, qui provenait de derrière les rochers.

-Canton ? Major ?

-Martha, qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi...pourquoi...

Il aurait voulu dire « Pourquoi êtes vous encore là ? » mes les mots moururent dans sa gorge. Si elle était encore présente, cela ne pouvait signifier qu'une chose : qu'ils n'avaient pas réussi à la dégager. Qu'elle était coincée ici avec lui, loin de sa fille. Et pire que tout, il y avait une infime, minuscule partie égoïste de Canton qui se réjouissait à cette idée : il n'était pas seul. Martha était avec lui, maintenant. Il chassa aussitôt cette pensée, honteux, le souffle court. Il sentit des cailloux rouler derrière lui, et la main de Martha Robbins passa à travers l'interstice pour venir se poser sur son épaule. Même à travers le gant et les habits, le contact le réconforta, et il sentit doté d'une énergie nouvelle. Presque paisible.

-Je suis désolé, dit-il. J'aurais dû vous protéger. J'aurais dû tous vous protéger.

-Vous l'avez fait, major. Jusqu'au bout. Vous avez fait votre devoir. Et plus encore.

-Martha, je...

-Chut, Canton. Dites moi plutôt où vous en êtes de votre côté...

-Au bout, répondit-il franchement. Les autres ?

-Ils sont partis.

-Je suis désolé, dit-il une fois de plus.

-Pas autant que moi, croyez le. Mais c'était la seule chose à faire. Elle aura une vraie chance. Arthur est avec elle, ils vont s'en sortir. Ils doivent s'en sortir.

-Je ne sais pas si je vais pouvoir les retenir longtemps, Martha...

-Vous n'aurez plus à le faire. Je les vois à travers les failles. Ils viennent vers nous...

-Je vais tenter de...

-Non, laissez les faire, plus ils seront proches, mieux ce sera.

-Qu'est-ce que vous avez en tête ?

-La structure est fragile de ce côté ci. Des tonnes de caillasse reposant sur des débris gelés... J'ai essayé d'éprouver leur résistance pour voir, et il suffirait de peu pour qu'elle cède. Je n'en ai pas parlé avant, parce que ça n'aurait pas aidé à me dégager ou à ouvrir un passage en toute sécurité, mais maintenant...

-Maintenant, c'est notre porte de sortie. La dernière. A tous les deux, mais aussi pour ces saletés. Ce n'est pas sur eux, que je vais tirer mes dernières balles.

-Merci pour tout, major.

-Pas besoin de ça. Et je préfère quand vous m'appelez Canton.

-J'aurais... J'aurais bien aimé que...

-Je sais, se contenta-t-il de dire. Certaines choses n'avaient pas besoin d'être prononcées. Et puis il était trop tard. Ou peut-être pas. Peut-être était-ce ainsi que cela devait se passer. En s'aidant de sa bouche, il tira sur le gant de sa main libre. Le voyant faire, Martha se débarrassa aussi du sien et leurs mains se serrèrent l'une dans l'autre. Elles avaient beau être froides, ainsi exposées à la température glaciale sans protection, mais ce contact les réchauffait l'un l'autre. Ils n'avaient besoin de rien de plus.

-Elles avancent, commenta le major. En face de lui, les monstres cheminaient prudemment sur l'étroit passage. Ils ne pouvaient progresser de front, mais ils étaient proches les uns des autres. Sans-doute espéraient-ils profiter de l'avantage du nombre une fois pour toute, se bondissant au-dessus les uns des autres pour gravir la pente de l'avalanche et se débarrasser d'Adams une bonne fois pour toute.

-Avancez, salopards...siffla-t-il entre ses dents. Puis, hurlant : Avancez !

Il sentait toujours la main de Martha dans la sienne, et cela lui suffisait. Cela lui suffirait jusqu'à la fin. Les monstres se rapprochèrent, grondant et grognant, et il crut déceler une lueur étrange dans le regard du meneur, comme si ce dernier se rendait compte que quelque chose clochait.

-Viens me chercher, connard !

Quelque chose dans sa voix dut agacer et provoquer le prédateur, et l'intelligence dérangeante qui habitait son regard fut aussitôt remplacé par un air furieux clairement monstrueux. Il leva la tête, poussa son curieux hululement, et les trois êtres se précipitèrent droit devant eux.

-Maintenant!fit la voix de Martha, et Canton se tourna pour pointer son arme sur la base des gravats. Il fit feu, son arme crachotant de longues et puissantes rafales qui sapèrent les fondations fragiles. Pendant une seconde qui parut durer une éternité, tout sembla rester en suspend, et il crut que rien n'allait se passer. Puis un terrible grondement se répercuta dans la vide, et il sut qu'il avait réussi. Les créatures le comprirent aussi, trop tard, et leurs sifflement de rages ne pouvaient rien contre la nature qui s'abattait sur eux. Mains dans la mains, Canton Adams et Martha Robbins eurent une dernière pensée l'un pour l'autre, quand des tonnes de roche, de glace et de neige s'élancèrent à leur rencontre.

Lorsque tout fut fini, on pouvait encore voir leurs mains désormais inertes dépassé du manteau blanc balayé par les vents : elles ne s'étaient pas lâchées.

 

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