Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Lucie 95

Et ça continue, la fin approche!

 

__________________________________________________________________________________

 

 

Le brouillard commençait enfin à tomber, au fur et à mesure que la nuit laissait sa place au jours suivant. Le vent persistant qui semblait ne jamais cesser dissipait la brume épaisse en fines volutes qui finissaient par s'évaporer comme des ronds de fumée. Le froid, mordant et constant, régnait sans partage sur ce monde blanc, et Arthur Kent se demandait s'il connaîtrait à nouveau la moindre sensation de chaleur. Ce n'était pas seulement son corps qui souffrait de la température, son esprit aussi : il avait l'impression de sentir geler les pensées sous son crâne, et il devait lutter pour les concentrer sur un seul but, celui de leur survie à Lucie et et lui. L'enfant n'avait pas dit un seul mot depuis qu'ils avaient laissé sa mère en arrière, plusieurs heures plus tôt. Des heures qui paraissaient des jours entiers, toute notion du temps devenant de plus en plus confuse à la surface d’Éclat. Kent avait entendu Lucie pleurer, mais pas longtemps : elle avait ravalé ses sanglots, s'ancrant dans un mutisme qu'Arthur n'osait pas briser. Il n'aurait su que dire, de toute façon. Rien ne pouvait effacer la peine et la douleur de la fillette. La mettre à l'abri, comme il l'avait promis à Martha, voilà la seule chose qu'il pouvait faire. Les mots viendraient plus tard, s'il les trouvait jamais. Lucie était une gamine forte, mais Arthur ne savait pas comment quelqu'un pouvait se remettre d'une aventure aussi terrible, surtout aussi jeune : tant de choses horribles et inconnues avaient été vues, tant de gens étaient morts, et elle avait en plus de tout cela perdu sa mère... Non, il n'imaginait pas la manière dont de tels événements pouvaient marquer une enfant. Mais elle ne serait pas seule, ça il pouvait s'en assurer. Après ce qu'ils avaient traversé tous les deux, il était bien incapable de ne serait-ce que songer à la laisser une fois qu'ils seraient arrivés à bon port. Et puis, quelque part, il savait qu'il avait autant besoin d'elle qu'elle avait besoin de lui. Elle lui donnait la meilleure raison possible pour continuer d'avancer quand faire un pas après l'autre devenait une épreuve incroyablement difficile, et il savait que lui-même ne se sortirait pas indemne de toutes ces péripéties. Il avait expérimenté plus de dangers et d'épreuves que parmi toutes les pages qu'il avait jamais écrites, et il avait encore de la peine à assimiler que tout ce qui s'était produit depuis sa montée dans le train à la Grande Gare du Complexe était réel.

Et il y avait tant d'éléments nouveaux à intégrer, tant de choses qu'il ne comprenait pas : les créatures qui rôdaient à la surface, et les connaissances si maigres que l'Hégémonie prétendait avoir à ce sujet ; le mal qui s'emparait des blessés et les condamnait si horriblement ; les actions de Diego Delgado, et la ferveur de sa cause inconnue ; la révélations des avant-postes bâtis à l'extérieur, quand tous croyaient que Haven était le seul autre port d'attache en-dehors du Complexe... Que tous les habitants d’Éclat soient aussi ignorant quant au monde qu'ils occupait lui paraissait de plus en plus ridicule et incohérent, et les excuses d'un monde hostile qui ne valait pas la peine d'être observé plus en avant à cause de ses dangers ne le satisfaisait plus. A bien y réfléchir, c'était ce qui rendait cette ignorance supportable : la sacro-sainte menace du monde extérieur. Mais les dirigeants ne pouvaient pas se permettre d'y souscrire eux aussi, n'est-ce pas ? Le major Adams avait eu l'air aussi perplexe qu'Arthur concernant les constructions éparses au-dessus du sol, et sur les agissements de Delgado. Et pourtant, il était officier, et le plus à même parmi tous les passagers du train à pouvoir éclaircir leur lanterne. Mais même lui n'en savait pas plus. Seulement la connaissance de cet avant-poste, et la direction qui sauverait peut-être la vie aux deux derniers survivants du train.

Perdu dans ses pensées engourdies, Arthur ne vit pas tout de suite qu'ils arrivaient enfin au bout de l'étroit sentier de montagne ; ce fut lorsque Lucie serra plus fort la main dans la sienne pou attirer son attention qu'il leva les yeux du sol pour contempler le décor qui s'offrait à eux...et il faillit en perdre le souffle. La montagne maintenant derrière eux, le paysage n'était plus qu'une gigantesque étendue blanche, dont émergeait ici et là quelques arbres clairsemés, la forêt ayant également cédé ses droits. La neige s'étendait à perte de vue, continuant sans nul doute au-delà de l'horizon, et Arthur en eut le vertige. Mais plus impressionnant que tout était l'effet du jour qui se levait enfin : le ciel retrouvait son bleu acier d'une unité totale, et l'éclat du soleil pâle qui s'y déployait donnait à la neige une teinte bleutée saisissante. C'était comme si le sol fusionnait avec le ciel, et Arthur eut l'impression que Lucie et lui étaient soudain perdus au milieu de cette étendue bleue sans le moindre repère, tels deux minuscules grains de poussière flottant dans l'espace.

« Wow ! » entendit-il dire Lucie ; c'était le premier mot qu'elle prononçait depuis leur fuite éperdue. Il n'y en eut pas d'autre, mais cela n'était pas nécessaire : il résumait parfaitement cette vision saisissante qui s'offrait à eux.

Arthur Kent prit une grande inspiration qui manqua geler jusqu'à ses poumons mais le fit brièvement se sentir incroyablement vivant, puis il se repéra par rapport à la direction que le major Adams lui avait donnée, et tira la main de Lucie pour donner le signal du départ : il était tant pour eux de se remettre en route.

Les commentaires sont fermés.