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De Tinder

Les relations sentimentales vous ont toujours un peu échappé, principalement parce que vous n'avez jamais trop su comment les attraper. Pendant longtemps, vous considériez que c'était quelque chose qui n'arrivait qu'aux autres, comme les blessures de guerre ou les enfants. Et puis, le temps et une expérience toute relative aidant, vous avez fini par vous en faire une idée plus précise. De ce que vous en attendiez, ou non. Quoi qu'il en soit, l'élément le plus problématique vous a toujours paru celui de rencontrer les gens. Vous n'avez pas de boulot, vous sortez rarement dans les bars et encore moins dans les boîtes de nuit (qui représentent pour vous un autre type de mystère à part entière). Ensuite, vous vous voyez mal aborder qui que ce soit que vous n'avez pas eu l'occasion d'apprendre à connaître avant. Or, vous n'êtes pas toujours doué pour forger de nouvelles relations, même amicales. Souvent, c'est l'écrit qui vous y aura aidé, vous sentant généralement plus à l'aise avec un clavier entre les mains qu'entre quatre yeux. Ce qui explique aussi pourquoi vous avez souvent tendance à vous sentir mal à l'aise en tête à tête plutôt qu'en groupe, et ce y compris d'un point de vue entièrement platonique.

 

Du coup, Tinder semblait être un processus logique, en cette ère fascinante concernant la manière de communiquer avec son prochain et sa prochaine. Et pourtant, il vous aura fallu longtemps pour y songer. Dans votre esprit, tout ce qui s'apparentait de près ou de loin à un site de rencontre évoquait des rencontres furtives et étranges dans des couloirs sombres, sans doute parce que vous avez dû absorber trop de poncifs de narrations utilisés dans les films et séries de la vieille époque, le tout mâtiné d'une culture populaire amalgamée de divers racontars et une imagination facilement influençable (vous avez franchement de la peine à vous retrouver dans votre propre esprit ; quand vous y ouvrez une porte, c'est généralement pour retomber par une fenêtre de l'autre côté dans une suggestion mentale aussi imprévisible qu'inattendue)- Et puis, finalement, en voyant des gens s'en servir et en voyant ce médium popularisé aussi bien dans les conversations que dans les fictions, cela vous a rendu curieux. Pourquoi pas ? Cela n'engage à rien, et surtout pas à se retrouve devant une inconnue, l'air d'un lapin paniqué pris dans les phares.

 

La première étape, outre choisir les photos de votre profil (un processus qui vous a paru des plus étranges et singuliers dans un tel contexte, comme si vous aviez dû grimper dans une vitrine), fut d'écrire un bref profil, une expérience plus compliquée pour vous qu'une dissertation le jour du bac. Vous auriez pu opter pour la simplicité, comme le font grand nombre de gens sur Tinder : à savoir signaler nom et âge, et se contenter de ça. Mais l'idée de se lancer ainsi vous paraissait plus terrifiante que de laisser au moins une vague impression maladroite de qui vous pouvez bien être. Histoire que tout le monde puisse se faire une sorte d'idée, bien que vous ne soyez pas particulièrement convaincu du résultat (la plupart du temps vous ne savez pas vraiment qui vous êtes, alors sur Tinder...).

 

Et puis, très vite, vous avez développé une sorte d'intérêt principalement sociologique pour la plate forme. Profil après profil, vous étiez de plus en plus fasciné par la manière dont autant d'inconnues décidaient de se révéler au monde dans le but de faire de nouvelles rencontres. Petit à petit, vous en êtes venus à y repérer un grand nombre de paramètres, ce qui ne lasse pas de vous intriguer. Faire de nouvelles rencontres devenait finalement secondaire à cette curieuse contemplation de tous ces êtres réunis ici plus ou moins pour le même but (en supposant qu'on y trouve peu d'assassins psychopathes à la hache et d'IA astucieuses s'entraînant à leur future conquête du monde). Voici donc quelques observations en vrac sur tous ces profils (féminins) que vous avez pu rencontrer :

 

-un assez grand nombre de femmes mentionnent leur taille exacte, au centimètre près. C'est même parfois la seule information outre nom, métier et photo. Ce qui ne manque pas de vous interpeller. Est-ce devenu un critère de séduction indispensable dans l'évolution des parades amoureuses ? La majorité des hommes ont-ils besoin de savoir si leur partenaire éventuelle aura les moyens de les regard de haut ou s'ils pourront continuer de les toiser en toute impunité ? Y-a-t-il un fétichisme des centimètres dont on ne vous aurait pas parlé ? Vous, vous vous sentez profondément confus aussi bien face à Linda, 1m64 qu'à Patricia, 1m78. S'agit-il d'un code pour quelque chose qui vous aura échappé ? Pourquoi cette fascination sur la taille, surtout lorsque c'est la seule information offerte ? D'autant qu'à ce que vous avez pu en voir, c'est quelque chose que les hommes ne mentionnent pas plus que cela sur le profils à eux. Il en faut définitivement peu pour que vous vous posiez d'insondables questions. Est-ce que c'est pour que l'homme sache s'il doit ou nom se munir de semelles compensées (ou d'un escabeau pour les moins chics) avant un rendez-vous ?

 

-poser avec un animal est asse populaire. Il y a les inévitables chiens et chats, bien sûr, mais ils ne sont pas forcément les plus nombreux. Souvent, il s'agit de se montrer en compagnie d'un animal exotique. Et, fait intéressant, il semblerait qu'il y ait des tendances selon la période pendant laquelle vous passez du temps sur l'application. A vos débuts, les tigres avaient la côte. Dernièrement, vous avez vu passer pas mal de koalas. Peut-être est-ce pour signaler que le profil en question a vu de près un animal redoutable et survécu (d'autant qu'il paraît que les koalas sont en réalité de sales petites bêtes vicieuses). Ou alors, c'est surtout pour illustrer ce qui apparaît grosso modo dans trois profils sur quatre, à savoir...

 

-l'amour du voyage. Sur Tinder -du moins concernant les gens qui remplissent la partie description du profil- c'est probablement la caractéristique qui revient le plus souvent. Tout le monde ou presque aime voyager, a envie de voyager, ou passe tellement de temps à voyager qu'on se demande comment ils ont pu trouver le temps d'écrire trois lignes. Vous n'avez rien contre les voyages, au contraire (c'est généralement votre porte-monnaie qui n'est pas d'accord, mais il s'agit d'un rabat-joie notoire), mais c'est quelque chose qui vous paraît plus ou moins aller de soi. Un peu comme si vous vous mettiez à préciser que vous trouviez plutôt pas mal de respirer et que tiens, ce serait chouette de le faire à deux.

 

-les descriptions uniquement constituées de smilies, qui vous donne l'impression d'être un égyptologue en pleine description de hiéroglyphes. Particulièrement lorsque vous vous retrouvez face à trois lignes (minimum) de symboles différents.

 

-l'absence totale de description, qui a plus que tout tendance à vous bloquer ; avec uniquement un nom et une photo en face de vous, vous avez tendance à paniquer, comme s'il vous fallait au moins un minimum de mots pour vous donnez l'illusion de ne serait-ce que vaguement faire connaissance avec la personne derrière (ce qui vous rappelle étangement le fait de déchiffrer les ingrédients avant d'acheter ou non un produit)

 

-là où des amies vous ont raconté que pas mal d'hommes aimaient poser en compagnie de leurs voitures, vous n'avez encore jamais vu de femme avec la sienne. Pour la simple bonne raison que celles qui se présentent avec leur véhicule privilégient la moto. Y compris les quelques profils dont la seule photo était celle d'une moto. Uniquement d'une moto. Peut-être existe-t-il quelque part des motos ayant atteint le stade de la conscience, anxieuses à l'idée de rencontrer la bonne route pour la poursuite de leur existence.

 

-les skieuses. Un nombre incommensurable de skieuses, posant en parka sur fond de neige et de ciel bleu, un bonnet vissé sur les oreilles, des lunettes de ski sur les yeux. Une nuit, vous allez sans doute faire un rêve bizarre où une Suisse post-apocalyptique aura été envahie par une armée de skieuses à bonnet (ou de snowboardeuses, ne soyons pas sectaire). Vous n'avez encore vu personne poser à côté d'un caquelon à fondue.

 

-à la place, un grand nombre de sportives accomplies. Qui apprécient de faire du cheval après une descente en ski, parce que c'est plus sympa pour aller à la piscine avant la partie de squash. Le simple fait de lire ce genre de profil vous épuise comme si vous veniez de courir un marathon (et vous indique clairement que vous serez probablement incapable de suivre le rythme plus d'une demi-journée, d'autant que la dernière fois que vous avez skié, vous êtes resté coincé une demi-heure dans un fossé)

 

-boire du vin est une activité populaire. La bière aussi, mais le vin apparaît plus souvent. Good wine, of course (parce qu'un grand nombre de profil -voire la majorité- sont écrits en anglais, le vôtre y compris). Vous avez toujours de la peine à boire ne serait-ce qu'une gorgée de vin rouge sans grimacer. Vous commanderez une grenadine.

 

-sans êtres les plus nombreuses, on y trouve tout de même un nombre relativement de maillots de bains, de décolletés plongeants et de positions suggestives, parfois les trois à la fois (mais jamais avec un koala, il doit être difficile de poser de manière suggestive en compagnie d'un koala). Ce qui a le mérite d'être plus ou moins clair, vous imaginez.

 

-un détail que vous aimez bien : il est possible de choisir sa chanson fétiche, et l'on peut voir les préférences spotify des gens qui l'utilisent. Vous avez souvent l'impression qu'une playlist peut en dire beaucoup sur quelqu'un que le reste ; on devrait s'échanger les smartphones et autres lecteurs mp3 lors d'une première rencontre, histoire de consulter les titres les plus écoutés. Si ça se trouve, ça simplifierait bien des choses

 

-il y a aussi les gens qui, en tant que description, se content de mettre une citation. Souvent sans en signaler l'auteur, peut-être pour s'assurer d'attirer plus aisément l’œil d'un connaisseur. Ou alors, on se retrouve face à une référence obscure, un peu à la manière du pêcheur qui aura balancé à l'eau son appât le plus spécialement adapté à un seul type de poisson ; ce qui n'est pas bête quand on a pas envie de pêcher en gros

 

-une catégorie peu commune, mais survenant assez souvent pour être notée : les femmes mettant une photo d'homme comme seule information, outre un prénom. Une autre interrogation de plus. Ou de paysage. Peut-être que les montagnes aussi ont envie de sortir le samedi soir.

 

Et ce ne sont là que quelques unes des observations communes ou curieuses que vous avez pu faire au gré des swipes à gauche ou à droite. Qui sont pour vous une grande source d'angoisse (parfois, vous avez l'impression qu'il vous serait plus simple de déterminer ce qui n'est pas une source d'angoisse dans votre vie, vous qui pouvez passer cinq minutes plantés devant deux paquets de petits pois surgelés identiques en magasin parce que vous avez peur que l'autre se sent délaissé), parce que vous avez facilement tendance à swiper du mauvais côté sans faire exprès. Par maladresse, alors que vous essayiez d'accéder à une autre information, la plupart du temps. Ou par réflexe où, à force de swiper à gauche, vous faites de même pour le profil de cette fille qui annonçait être fan de Star Wars, de jeux vidéos et de bouquins. Et puis il y a votre grand ennemi, à savoir le super-like, que vous vous retrouvez à envoyer sans en avoir l'attention parce que votre gros doigt maladroit et les écrans tactiles ne font pas toujours bon ménage. D'autant que vous ne savez toujours pas à quoi correspond vraiment un super like. Mais ce type d'erreur vous stresse tellement que vous avez l'impression de vous retrouver dans la foule après avoir avoir par erreur déchargé l'arme que vous aviez à la main.

 

Mais tout ceci n'est rien en comparaison de votre plus grande crainte : le match. Encore aujourd'hui, vous ne savez pas ce que vous attendez de Tinder, ni même si vous en attendez réellement quelque chose. C'est plus devenu une manière épisodique de passer le temps dans les transports en commun, généralement plus motivée par la curiosité et la découverte de tous les moyens qu'ont les gens de remplir leur profil qu'une véritable recherche de l'âme sœur. D'autant que depuis quelque temps, l'application semble trouver de nouveaux moyens pervers d'augmenter vos angoisses naturelles, en vous signalant que quelqu'un, quelque part, a liké votre profil. Ce qui vous poussez à envisager chaque futur swip comme une décision tactique avant une guerre nucléaire, ou à culpabiliser terriblement parce qu'il s'agit sans doute d'un de vos maudits super like envoyés par erreur. Ou alors, il s'agit comme vous de personnes maladroites en proie aux mêmes crises existentielles concernant les moyens de rencontre électroniques. Vous vous êtes toujours dit que vous auriez avoir un match, vous ne sauriez pas quoi en faire, un peu à la manière du chat qui a miaulé vingt minutes pour qu'on lui remplisse sa gamelle et qui, une fois devant, se retrouve à la contempler d'un air hébété. En fait, vous avez eu votre premier match l'autre jour, et votre premier réflexe a été l'envie de filer vous cacher sous une couverture. Visiblement, vous avez tout autant de peine à l'idée d'entamer une conversation avec quelqu'un que vous ne connaissez pas sur Tinder comme n'importe où ailleurs. Et la seule idée que cela puisse mener à une rencontre dans la vie réelle, soit à un premier rendez-vous, vous paraît parfaitement saugrenue. Finalement, vous doutez que ce soit un outil qui puisse réellement vous permettre de rencontrer qui que ce soit, même s'il reste étrangement fascinant à observer, du moins à une certaine distance. Un peu comme les mines antipersonnel. Quelle que soit la manière de faire, l'idée de rencontrer qui que ce soit continue de vous paraître profondément étrange. Mais, au fond, peut-être que c'est une caractéristiques inévitables du processus.

Ou alors, c'est qu'il vous faut simplement trouver un koala pour la photo.

 

 

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