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Le vide

Quand vous vous réveillez le matin, vous n'êtes jamais seul. Et vous ne parler du malicieux farfadet invisible qui doit sans aucun doute éteindre votre réveil avant même que les notes ne parviennent jusqu'à votre cerveau endormir (1). Non, quand vous vous levez, le vide se lève avec vous. Il se déplace sans bruit dans votre sillage, ne réagit pas quand vous vous cognez inévitablement la cheville au coin du lit, et vous suis jusqu'à la salle de bain, où il vous regarder vous brosser les dents. Il fait ça très bien, le coup du regard perçant, surtout pour une entité fantasmagorique, qui ne sont pas réputées pour être dotées d'un système visuel. C'est un peu comme si c'était la peinture qui séchait qui vous regardait vous, mais en moins passionnant. Et pour vous, il y a peu de choses moins passionnantes que le brossage de dents. En-haut, en-bas, frotti, frotta, et rebelote, dans l'autre sens des fois que vos réflexes matinaux vous le permettent. C'est franchement déprimant en fait, le brossage de dents. Tâche répétitive de l'existence, comme passer la poussière sur le haut des meubles ou regarder le nouvel épisode de The Big Bang Theory. De toute façon, les dents finiront bien par tomber en rade, comme le reste de votre corps. C'est un truc typique du vide ça : après tout, s'il sait bien une chose, c'est qu'il n'y a que lui, et qu'on y reviendra toujours. Le reste, c'est du...pinaillage, comme arrive au cinéma cinq minutes après la fin du films et savoir qu'il n'y a pas de scène post-générique(2).

 

Après, il faut bien s'habiller, parce qu'il est communément admis qu'on ne se déplace pas nu comme un ver toute la journée, surtout si l'on sort de chez soi. Alors vous enfilez des vêtements, et le vide...vous enfile, vous.(3) Vous avez l'impression d'être le costume coincé à la va-vite sur une forme aussi indéfinissable qu'indescriptibles (ce qui n'est pas forcément la même chose). Intérieurement, vous vous sentez dodeliner de la tête comme l'une de ces petites figurines qui inondent une partie de moins en moins négligeable de votre petit appartement. Parfois, vous arrivez à prendre sur vous, à expulser le vide, à réintroduire votre enveloppe corporelle. Mais le vide, lui, est toujours là. Vous l'imaginez sous la forme d'un ballon qui flotte derrière vous, votre main sur la ficelle, prise entre deux feus : le lâcher, et n'être plus rien sans ce qui définit le peu que vous savez de votre identité...ou vous envoler avec, et n'être plus rien aussi. La différence est minime, mais au moins, vous posez la question vous rappelle qu'au milieu de tout ça, il y a encore cette part de conscience qui n'est autre que vous, bien vivante.

 

Un masque, que vous voyez dans votre miroir (enfin pas très bien, vous ne le nettoyez pas souvent, et puis vous n'avez jamais appris à le faire sans laisser de traces), que vous voyez sur les photos. Des photos où vous avez l'impression d'être un collage qu'on y aurait rajouté à la dernière minute, pour mieux correspondre avec ce décalage quasi permanent que vous vivez avec la réalité. Vous êtes là, mais vous n'êtes jamais vraiment...là. Comme en dédoublé, à observer le vide dans son déguisement d'humain, tandis que l'humain en question se retrouve déphasé d'un point de vue perspective. C'est comme se voir soi-même, tout en n'arrivant pas à se reconnaître, et ce parce qu'on n'arrive pas à savoir qu'il l'on est. Vous êtes un chat de Schrödinger perpétuel. C'est probablement quantique, on revient toujours au quantique, d'une manière ou d'une autre. Ce qui énerve souvent ceux qui ne comprennent pas grand chose au quantique, ou qui ont en simplement marre de voir se mot utilisé partout. Vous, vous ne comprenez pas forcément grand chose au quantique, mais cela ne vous ennuie pas. Après tout, quantique ou pas, il y a toujours le vide.

 

En ce moment, vous pensez beaucoup à la signification de la vie. Avoir la moitié du temps l'impression que vous ne la pilotez pas vraiment laisse du temps pour y réfléchir, de manière parfaitement détachée. Certes, vous vivez, jour après jour, et il y a même des bons jours. Certes, il y a même des jours qui valent carrément la peine d'être vécus, qui vous permettent de regarder le vide dans les yeux (ou ce qui en tient lieu, cela revient un peu à faire un concours de regard avec un bouton de porte, du genre à faire plisser les yeux d'un air bête et faire couler des larmes enflammées)et de lui dire : pas aujourd'hui. Le vide hausse alors ses métaphoriques épaules, en profite pour aller faire un petit tour, et sait pertinemment que votre esprit agité finira bien par le retrouver avant même d'avoir commencé le chercher. Le vide est toujours là, le vide est en vous. Ce vide qui cherche désespérément à se nourrir : de chaleur humaine, de contact, de rires, de larmes, de donuts au caramel au beurre salé, de livres, de films, de jeux et de séries. De vous, qui doit bien se trouver quelque part au milieu de tout ça : la personne que vous rêvez d'être, mais non pas la personne idéalisée, juste...et bien, savoir qui vous êtes. Autre que le vide.

 

Et puis vous vous méfiez des rêves. Vous préférez les cauchemars. En sait à quoi s'en tenir avec eux : à leur manière, ils sont directs, même si souvent tarabiscotés. Quand vous vous réveillez, vous savez que ce ne sont que des cauchemars. Qu'ils ne sont plus là. Qu'ils n'existent plus. Ce sont des rêves dont vous avez peur. Les plus beaux, ceux desquels c'est un supplice de se réveiller pour se confronter d'un coup sec à une réalité sans eux. Le rêve heureux d'avoir enfin trouvé la bonne personne, celle qui vous complète, le sentiment de plénitude. Le rêve où quelqu'un vous tend votre nouveau-né dans les mains, et où vous êtes saisi d'une émotion indescriptible parce qu'au réveil, vous savez que ça n'arrivera jamais. Le rêve où vous êtes vous, vraiment vous ; ou vous pouvez regarder le vide et ne plus avoir peur, parce qu'à la place du vide, vous voyez des étoiles, et une place dans l'univers, celui dont vous pourrez faire partie. Mais au réveil, il y a toujours le vide. Il se glisse sous la couette avec vous le soir, se lève avec vous le matin, vous accompagne tout au long de votre journée, et vous devenez le masque, vous donnez le change au mieux, et vous profitez des bons moments. Les meilleures jours, vous arrivez même à en profiter pour de vrai, à vous sentir vraiment là, connecté avec les gens que vous aimez plutôt que d'être continuellement déphasé. Avec le masque le plus pernicieux qui soit : le masque du sourire.

 

Avant vous, il y avait le vide. Après vous, il y aura le vide. Enfin, il y avait le monde avant vous, et l'univers qui va avec, et ils ne vont techniquement pas disparaître à votre mort, mais pour votre égoïste existence, c'est tout comme. Parce que plus vous y pensez, plus pour vous, on vient du vide pour retourner au vide. Chaque instant peut être le dernier, et parfois, vous ne savez plus comment en profiter face à un tel destin. Le vide, vous le connaissez depuis le début de l'adolescence, il ne vous a jamais quitté vraiment depuis. C'est votre constante. Le vide au début, le vide à la fin...et au milieu, un bref rêve, un beau rêve, vous en convenez. Vous voulez l'aimer, ce rêve. Vous voulez y croire. Qu'il compte plus que tout. Parfois, vous ne savez pas si vous en êtes capables. Parfois, vous vous demandez si vous n'allez pas arpenter jusqu'au bout le rêve avec le vide dans le cœur.

 

Parfois, pourtant, il se produite une étincelle. Vous ouvrez les yeux, vous êtes vraiment là, vous êtes vraiment vous, le sourire est vrai, et vous chérissez ceux qu'on vous renvoie en retour. Alors vous prenez la main du vide dans la vôtre, sans regarder en arrière, en essayant surtout de ne pas regarder en avant. Petit à petit, vous faites un pas après l'autre. Le vide est toujours là, et il le sera sans doute toujours, en ce qui vous concerne.

 

Et au milieu, le rêve.

 

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(1) Mais si, le fameux farfadet invisible ! Il y en a un au moins dans chaque maisonnée : il faut bien que quelqu'un éteigne le réveil, cache le dernier rouleau de papier toilette alors qu'on était persuadé qu'il en restait un, coince les pinces à spaghettis dans le tiroir et fasse disparaître une chaussettes de temps en temps.

(2) Le tout avec un paquet de popcorns mous, sans aucun doute l'un des plus grands fléaux auquel l'humanité est confrontée.

(3) Rien de sexuel là-dedans. (4)

(4) D'autant qu'il tire à vide, de toute façon.

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