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Ecriture - Page 31

  • Lucie 46

    Après quelques soucis internet, revoici donc une nouvelle page!^^

     

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    Elle était seule, et partout où portait son regard il n'y avait pas âme qui vive. Pas le moindre mouvement non plus, le monde autour d'elle était totalement immobile. Immuable même. Ce monde ci en était la définition par excellence, la définition de ce mot qu'elle n'était même pas sûre de connaître. Mais ici, tout était différent. Ici, elle connaissait bien des choses qu'elle n'avait jamais apprises. Ici, elle savait. Elle savait... et bien, elle ne savait pas trop quoi, mais de manière aussi certaine qu'elle savait qu'il fallait se laver les mains avant de manger ou qu'il fallait faire ses devoirs pour la date prévue. Dans l'ensemble, elle devait bien avouer que c'était plutôt bizarre, mais elle ne s'en souciait pas outre-mesure, parce que le bizarre rendait toujours les choses bien plus intéressantes. Et puis pour savoir, elle n'avait pas forcément besoin de comprendre. A vrai dire, cela lui paraissait bien plus facile comme ça. Plus naturel aussi. Voilà, c'était le mot : naturel. Elle se sentait ici chez elle, plus que dans le petit appartement du complexe et plus qu'elle ne le serait jamais à Haven. Ou n'importe où ailleurs. En fait, elle n'était pas encore chez elle à proprement parler mais c'était bien ici, dans ce monde éclatant, qu'elle savait être sur le bon chemin. Celui qui la mènerait chez elle, et elle se demandait si elle pourrait y amener sa mère avec elle, ainsi que tous ses amis qu'elle avait laissé derrière elle et ceux qu'elle s'était fait en chemin. Mais pour ça, il lui fallait le trouver, ce bout du chemin. Alors elle se mit en route.

     

    Autour d'elle, elle pouvait presque voir flotter dans les airs les contours anguleux du train, mais ils étaient aussi volages qu'un courant d'air et se ridèrent quand elle passa à travers sans y prêter la moindre attention. Après tout, elle avait déjà traversé ainsi les murs épais de son ancien immeuble dans le vieux quartier et jusqu'aux parois rocheuses du complexe lui-même. Peu importe les obstacles qui se dressaient sur son chemin, elle n'avait qu'à avancer pour tous les traverser, pas plus tangibles que des souvenirs prêts à s'évaporer. Alors, un pas après l'autre, elle pénétra dans le blanc du paysage qui s'étendait à l'infini. Sous ses petits pieds botter, elle pouvait sentir la neige épaisse crisser. C'était là quelque chose qu'elle n'avait pourtant jamais expérimenté, mais qui faisait partie de ce qu'elle savait...sans savoir comment. Aucune importance, parce qu'elle savait aussi qu'il lui fallait avancer. Qu'elle devait se rendre quelque part, quelque part chez elle. Parfois, la neige lui arrivait aux genoux mais elle ne la gênait pas, elle s'y sentait aussi à l'aise qu'un poisson dans l'eau, même si elle n'avait jamais vu de poisson. Sur son dos, la cape militaire qu'on lui avait donnée glissa et disparut avant de toucher le sol. Elle n'y accorda qu'une attention distraire, car elle n'avait pas froid ici. Son manteau n'était même pas boutonné jusqu'en haut, elle ne portait pas d'écharpe et ses cheveux libérés de l'étreinte d'un bonnet flottaient au vent. Un vent qui était la seule autre source de bruit que ses pas dans la neige. Il soufflait mais elle n'en souffrait pas, elle en bénéficiait même, avait l'impression qu'il la soutenait, la guidait, la faisait avancer dans le bon sens, poussant gentiment contre son dos.

     

    Et puis elle les vit. Plus nettement que lorsqu'elle les avait imaginées dans sa tête quand les autres les avaient décrites. Elle les voyait nettement parce que ce n'était pas la première fois qu'elle se joignaient à elle, à chaque fois de plus en plus complètes, de plus en plus détaillées. Leurs jambes puissantes se détendaient quand elles bondissaient dans la neige autour de la fillette, leurs longues queues zigzagant dans leur sillage. Les créatures avaient l'air féroce, et leurs griffes et leurs crocs scintillaient dans la lumière du jour, mais elle les trouvait belles, et elle savait qu'elle aussi, elles voulaient rentrer à la maison. De temps en temps, l'une d'elles s'arrêtait net et relevait la tête vers le ciel, poussant un cri bref et déchirant avant de reprendre son chemin de plus belle, presque comme effrayée. Quant à elle, elle savait pourquoi. Elle regarda en l'air, manqua se perdre dans le ciel immense dépourvu du moindre nuage et dans lequel flottait le globe très pâle et très éloigné d'un soleil discret, puis elle regarda derrière elle, où il n'y avait plus que du bleu. Au-dessus, et derrière elle, que du bleu qui gagnait du terrain, se déployait comme une gigantesque toile dont il serait impossible de se défaire et qui absorbait tout sur son passage. Elle en avait peur, mais il le fascinait également ; il y avait en tout cas une chose qu'elle ne savait pas, et c'était s'il fallait le fuir ou s'y abandonner. Elle voulait surtout arriver là où elle devait se rendre, au bout du chemin, où elle trouverait quoi faire. A chaque fois, elle arrivait plus loin, elle était plus proche du but, mais à chaque fois le bleu la rattrapait avant et tout se terminait. Alors elle pressa le pas, se mettant presque à courir de toute la force de ses petites jambes, et elle avait l'impression de voir quelque chose droit devant elle, un petit point noir qui grossissait, grossissait... C'était un homme, elle s'en rendait compte, et c'était la première fois qu'elle voyait quelqu'un ici, sur le même chemin qu'elle. Elle accéléra encore, voulut se précipiter vers lui, et elle finit par discerner les traits de son visage, reconnaissant la peau pâle et la mine sérieuse de Diego Delgado. Alors ses jambes se rebellèrent, car le prêtre avait les yeux grand ouverts et ils étaient d'un bleu uni et intense, sans pupille, de ce même bleu qui se déversait partout en ce monde, et elle avait l'impression d'y tomber, comme au bord d'un précipice, et elle voulut ouvrir la bouche pour hurler, mais aucun ne remonta dans sa gorge pour franchir ses lèvres, il n'y avait plus que du bleu...

     

    Et Lucie Robbins se réveilla.

     

  • Lucie 45

    On contine, avec une nouvelle page "journal".^^

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    « Journal d'Arthur Kent, premier jour, suite

     

     

     

    ...rien de nouveau. La situation ne semble en effet subir aucun changement, et je crois commencer à percevoir les premiers effets réels dus à la nervosité de mes camarades. Les discussions à demi-mots sont maintenant plus fréquentes que les éclats de voix joyeux, et tous semblent avoir perdu un peu de leur éclat. Ce qui n'a rien d'étonnant, après la journée que nous venons tous de passer. Moi-même, si mon esprit se trouve en de meilleures dispositions, je me sens épuisé, mentalement surtout. Il faut dire que je n'ai pas fait grand chose d'autre que m'apitoyer sur moi-même et me livre à une introspection bienvenue, et que je ne suis au moins pas de ceux qui ont les muscles endoloris. J'ai eu la chance de ne pas avoir été poursuivi par de sanguinaires créatures de cauchemar. A ce sujet, je suis finalement bien content de la présence à nos côtés de l'escouade d'Adams. Outre leurs personnalités finalement agréables chacun dans leur genre, leur confiance en eux et leur professionnalisme contribuaient grandement à calmer nos humeurs à nous, les passagers. Ça, et leurs fusils presque aussi grands qu'eux, bien sûr. Je me suis toujours vu comme un pacifiste -ce qui n'a rien d'extraordinaire dans une société comme la notre où le conflit armé est pratiquement inexistant- mais c'est fou comme ce genre de considération perd de son importance lorsque de telles armes à feu risquent bien d'être le dernier rempart entre nous et une mort horrible. Non pas que nous soyons sur le point d'en arriver là, nous sommes aussi en sécurité que possible étant donné les circonstances, mais je préfère avoir ces armes -et les personnes qui savent s'en servir- avec nous dans ce wagon plutôt que, disons, n'importe où ailleurs. Je crois que nous pensons tous la même chose. J'ai parlé avec Kenneth, et il m'a assuré qu'il n'y avait personne d'autre qu'il aurait aimé avoir pour nous protéger que ces hommes et cette femme en uniforme. Il m'a raconté en détail l'attaque qu'ils ont subi plus loin dans le train, et comment les réactions de Ravert et Velázquez ont été exemplaires ; certes, ils avaient subi un entraînement militaire, mais n'avaient jamais été au combat. Mais je sais aussi que Ken n'a pas été en reste, Velázquez ne s'est pas caché de lui devoir la vie, même si notre ingénieur n'aime pas à s'étaler sur le sujet. Je crois bien qu'il s'agit de la personne la plus humble, et au caractère le plus facile que j'ai jamais rencontré. Il est venu me voir peu après Lucie, et sa compagnie me fait beaucoup de bien. J'ai pu lui parler un peu de ce qui me tarabustait, et il m'a écouté sans me juger. C'est un de ces types qui inspirent une vraie confiance, et je crois que je me serai fait un ami au cours de ce voyage. C'est étonnant de se dire que si nous n'avions pas traversé une telle adversité, nous n'aurions sans-doute pas songé à nous rapprocher autant. Étonnant, et peut-être un peu triste, je ne sais pas. Qu'il faille en arriver à de telles extrémités pour se reposer sur autrui, alors que la vie regorge d'autres opportunités pour ce faire, et surtout pour mieux en profiter. Je suis sans doute en train d'apprendre une nouvelle leçon. Dommage qu'il ait fallu que je me retrouve coincé au milieu d'un désert de glace pour ça. Heureusement, la compagnie est bonne, même si elle commence à fatiguer. Il n'y guère que Martha et sa fille qui donnent l'impression d'avoir conservé toute leur énergie. C'est normal de la part d'une petite fille aussi curieuse j'imagine, pour qui tout est une aventure, mais Martha continue de m'épater : sa force de caractère est telle qu'elle pourrait... et bien, arrêter un train, tiens. Je crois qu'elle a toujours eu a prendre sur elle et à se montrer forte pour les autres, sa fille en premier. Aujourd'hui, elle l'aura fait pour nous tous. Bon, et il y a aussi le major Adams, mais je commence à me dire qu'il en faudrait vraiment beaucoup pour ne serait-ce que le perturber un brin. C'est à peine si je l'ai vu cligner des yeux ! Martha et lui sont naturellement devenus les deux individus vers lesquels le reste d'entre nous se tournent lorsqu'il s'agit de prendre une décision. A vrai dire, le major est le choix logique pour une autorité supérieure, mais je crois que même lui préfère agir avec l'accord silencieux de Martha. Il se dégage de cette femme une force qui ne donne aucune envie de la contrarier sans que cela soit absolument nécessaire. Et je ne serai certainement pas celui qui la contredirai. Au fond, ça ne m'étonne pas que ces deux-là s'accordent à ce point. Je ne dirai toujours pas que ça me fait plaisir, par contre... Ça reste un peu indigeste, comme le sandwich à la dinde industriel que j'ai avalé tout à l'heure. Peut-être que c'est ce que nous devrions jeter à ces monstres, histoire de leur plomber l'estomac. Et peut-être est-il temps pour moi de me reposer, mes yeux n'arrêtent pas de se fermer tout seul et mon écriture de se traîner de plus en plus. Je vois que la plupart des autres sont déjà en train de s'installer pour la nuit, se créant de petits nids aussi douillets que possible sur les banquettes du wagon. Grümman pourra couper les lumières depuis son tableau de bord, et nous pourrons fermer les yeux, rassurer des tours de garde qu'effectueront les soldats et des volontaires comme Ken, par pure précaution. Ce qui est sûr, c'est que nous avons tous besoin de repos après autant d'émotions. Et on dit bien que demain est un autre jour : avec un peu de chance, nous y verrons plus clair au matin, et la situation aura évolué dans le bon sens pour nous mener, enfin, à Haven. »

     

     

     

     

     

     

     

  • Lucie 44

    Une p'tite page en ce mardi!^^

     

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    -Vous écrivez beaucoup.

     

    Ce n'était pas une question, mais une simple constatation établie d'une voix tranquille. Mais dans l'évidence, on sentait une sincère pointe d'intérêt, et Arthur Kent leva les yeux de son ouvrage pour découvrir ceux, clairs et curieux, de Lucie Robbins. La fillette était venue s'asseoir sur le siège en face de lui et balançait ses petites jambes dans le vide, ses pieds touchant à peine le sol.

     

    -Oh, c'est toi. Dans la bouche d'Arthur, une telle évidence paraissait bien moins charmante, et plutôt maladroite. Mais ça, il en avait l'habitude. C'est mon travail, tu sais.

     

    -Mais là, vous n'écrivez pas de livre.

     

    -Non, c'est vrai. Disons que je m'accorde une pause sur l'élaboration de mon prochain travail. J'ai décidé de chroniquer les événements qui se passent maintenant, histoire d'en garder une trace.

     

    -Comme un journal.

     

    -Voilà. Tu as déjà écrit un journal ?

     

    -J'ai essayé, quelques jours, une fois. Maman m'avait offert un beau cahier, et tout. Mais j'ai vite trouvé ça ennuyeux. Je préfère lire, en fait. Et puis il ne m'arrivait rien d'assez intéressant pour en parler. Alors je me suis dit que je ferais sûrement mieux de vivre plein de trucs d'abord, que les raconter en vaille la peine.

     

    -C'est sensé. En tout cas, je crois qu'après aujourd'hui, tu pourras dire que ça vaut le coup.

     

    -C'est sûr. Dites, je peux vous poser une question ?

     

    -Bien sûr, répondit Arthur. Il avait l'étrange impression de se précipiter dans une sorte de piège mais, comme la plupart des autres passagers, il s'était trop attaché à cette curieuse fillette pour l'ignorer.

     

    -Pourquoi est-ce que vous êtes si triste ?

     

    Bon, ça, il ne s'y attendait pas vraiment. Pas du tout, en fait. Mais au lieu de rester perplexe la bouche ouverte, comme il réagissait généralement à ce genre de chose, il se surprit à réellement réfléchir à sa réponse. C'était inhabituel pour lui, qui préférait inventer les sentiments d'autrui sur le papier plutôt que de se confronter aux siens plus que nécessaire. L'introspection n'était pas vraiment le point fort d'Arthur Kent; et dans son malheur, il en venait même à se demander s'il en avait, des points forts. Mais pour une fois, il était dans une situation assez particulière pour lui donner l'envie d'être honnête non seulement avec les autres mais aussi -et surtout- avec lui-même.

     

    -Je pense...que c'est parce que j'y suis habitué. Je sais qu'à la base, j'avais une bonne raison de l'être. Et je m'y suis accroché. Ça me permet d'être encore lié au passé, à ce que je pouvais y voir d'important. C'est plus facile que de penser à autre chose, en tout cas. Plus facile que d'oublier.

     

    -Oublier quoi ?

     

    -Une...bonne amie. Qui ne s'est avéré être rien d'autre. Et qui m'aura, elle, sûrement très vite oublié.

     

    -C'est stupide.

     

    -Pardon ? Là, Arthur Kent en resta effectivement la bouche ouverte.

     

    -Si c'est votre amie, elle ne va pas vous oublier parce que vous partez loin. J'ai des amis, au complexe, et même si je les reverrai jamais, j'vais pas les oublier. Ce qui est triste, c'est de plus les voir, mais ils existent toujours.

     

    -Tu es une petite fille très...logique. Arthur ne savait pas trop quoi dire.

     

    -On me l'a déjà dit. Surtout la maîtresse, à l'école. On disait aussi que j'étais bizarre.

     

    -C'est très bien, d'être bizarre !

     

    -Alors ça tombe bien, vous aussi vous l'êtes. Bizarre.

     

    Arthur se surprit à sourire : il se rappelait quelqu'un d'autre, celle qui lui avait souvent dit la même chose en riant, et qu'il fuyait maintenant en allant se terrer à Haven. Et les paroles de Martha Kent, qu'il avait jugées dures quand elle les lui avait assénées tantôt, prenaient soudain tout leur sens. Elle avait eu raison, il s'était comporté comme le dernier des imbéciles. Au final, il était en train de se dire que la personne dont il avait le plus besoin de fuir, c'était bien lui-même...

     

    -Ne soyez pas triste, soyez bizarre !

     

    Lucie lui sourit, d'un sourire sincère d'enfant, lumineux, simple, et Arthur Kent sentit enfin son humeur s'améliorer un peu. Puis, saisi d'une inspiration subite, il se mit à fouiller dans sa sacoche jusqu'à ce qu'il en ressorte un des petits carnets vierges qu'il emportait toujours avec lui. Il y joignit un stylo-plume, et tendit les objets à la fillette :

     

    -Tiens, c'est pour toi. Peut-être que tu as une histoire qui vaut la peine d'être racontée, maintenant.

     

    -Merci !

     

    Ses nouveaux trésors en mains elle sauta à terre, se dressa sur la pointe des pieds pour embrasser l'écrivain sur la joue, et se rassit en posant aussitôt le carnet ouvert sur ses genoux. Et avec application, elle se mit à écrire. Arthur Kent la regarda faire quelques instants puis, comme saisi d'une énergie nouvelle, il reprit son propre ouvrage là où il en était resté.