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Ecriture - Page 30

  • Lucie 49

    Ca reprend, avec un nouveau passage du journal d'Arthur!^^

     

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    « Journal d'Arthur Kent, deuxième jour

     

     

     

    ...passé une nuit plutôt tranquille étant donné les circonstances. Ce n'est pas comme si ces gros lézards allaient venir cogner à notre porte, mais j'ai été plutôt rassuré de voir qu'à mon réveil ce matin, l'escouade montait encore la garde. Je crois avoir été le premier à me réveiller parmi les civils, ce qui ne m'étonne guère : je n'ai jamais été un gros dormeur, je crois que je suis d'une nature trop anxieuse pour ça. J'ai toujours l'impression de perdre mon temps dès que je ferme les yeux. Et puis les idées fusent toujours mieux la nuit, ce n'est pas une légende... J'ai lutté le plus possible contre le sommeil, histoire de gagner quelques pages, mais j'ai quand même fini par m'écrouler. Après une telle journée, je ne pouvais pas faire autrement. Ça fait un sacré paquet d'émotions à gérer, et je ne commence que maintenant à réaliser qu'un homme est mort hier. Que sa mort est réelle, loin de toute fiction, et que je n'y peux absolument rien. Pourtant, je n'ai jamais connu Stuart Moore. Parmi les passagers, il n'y a que Lucie qui l'aura rencontré, et je ne pense pas qu'elle soit particulièrement affectée ; elle est encore à cet âge où les enfants ne perçoivent pas encore très bien la finalité de la mort. Du moins je le crois, il est très difficile de savoir à quel point cette petite fille appréhende ce qui l'entoure. Je vois surtout la perte de cet homme se refléter sur ses camarades soldats. D'après ce que j'ai pu entendre de leur bouche, Moore n'était pas l'ami de qui que ce soit, mais il faisait néanmoins partie des leurs, et l'escouade en est inévitablement affectée. Mais ces soldats tiennent remarquablement bien le coup et continuent d'être une présence solide et rassurante. Pour un peu, j'oublierais le scepticisme dont j'ai toujours fait preuve à l'idée que l'Hégémonie continue d'entretenir un corps d'armée alors qu'il n'y a jamais eu personne ici contre qui défendre nos frontières. Mais je me rends compte que notre plus grand adversaire n'est autre que cette planète elle-même, et que nous aurons toujours besoin d'hommes et de femmes courageux, déterminés et bien entraînés pour y faire face. Et je suis stupéfait de voir à quel point nous connaissons peu ce monde alors que nos ancêtres s'y sont établis il y a de cela plusieurs siècles. Nous nous sommes retranchés aussi rapidement que possible sous la surface, à l'abri derrière des tonnes de roche et de béton, désireux d'échapper très vite aux conditions extrêmement difficiles qui ont toujours fait rage dehors. Mais nous ne pourrons nous terrer indéfiniment dans notre trou si nous voulons nous développer correctement. Haven en est la preuve. Et je commence aussi à me demander si cela suffira.

     

    J'ai partagé du café avec André et Samantha -je réalise qu'il m'est déjà plus aisé de les appeler par leurs prénoms, c'est dire si l'adversité créée des lien- après m'être levé, les deux caporaux étaient les soldats de garde à mon réveil. Je crois que Samantha était sensée terminer seule la nuit, assurant le dernière tour de garde, mais qu'André s'est décidé à lui tenir compagnie. Je les ai observés un moment avant de les rejoindre, et il faudrait être aveugle pour ne pas percevoir le lien fort qui les unit. Il n'y a sans-doute qu'eux-mêmes pour encore détourner les yeux, comme c'est souvent le cas dans ce genre de situation. J'aurais bien envie de leur dire d'arrêter de perdre ainsi du temps qu'ils ne pourront jamais récupérer -pour avoir trop attendu moi-même, je ne le sais que trop- mais je crois que je ne me le permettrais jamais compte tenu de mes maigres performances dans ce domaine... Mais le café était chaud, à défaut d'être particulièrement savoureux -sans doute pioché dans les rations standards du train ou, pire, des militaires eux-mêmes- et la compagnie des caporaux agréables. Ils sont loin de posséder l'esprit obtus qu'on peut s'attendre à trouver chez un officier de carrière, et les manières pompeuses et grandiloquentes d'André cachent une personnalité très riche qui s'accorde à merveille avec la franchise aimable de Samantha. De leur placement dans ce train pour Haven, je n'ai pas appris grand chose de plus. Ils ont reçu l'ordre de s'y rendre pour rejoindre la garnison qui s'y trouve, voilà tout. Apparemment, l'Hégémonie y envoie régulièrement des escouades, mais les soldats ne sont au courant d'aucune raison particulière. Il en s'agit peut-être autrement des chefs d'escouade, mais je me vois mal aller interroger le major Adams -et lui, je me vois mal l'appeler par son prénom même dans la sécurité de mes pages- sur le sujet. J'en parlerai peut-être à Martha, je pense que s'il y a une personne à bord capable de tirer les vers du nez du major, c'est bien elle. Je crois que je ne vais d'ailleurs pas tarder à pouvoir le faire, les autres ont terminé de se réveiller, et je peux apercevoir de l'agitation... Je n'ai pas le temps de m'enquérir de tout cela que Paul vient nous trouver pour nous annoncer une sinistre nouvelle : madame Miguel est mourante. »

     

     

     

  • Lucie 48

    C'est bizarre, c'est toujours quand je suis le moins inspiré et que je me force le plus à m'y mettre que j'écris le plus... Deux pages pour aujourd'hui!^^

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    Il arrivait parfois -pas souvent- à John Horst de se demander d'où il tirait toute sa bonne humeur, où est-ce qu'il allait chercher tous ses sourires, ses clins d’œil et ses paroles réconfortantes. Après tout, il fut un temps où il n'étais pas certain de posséder une telle force en lui, et où il passait de longues périodes dépourvues du moindre sens, à fumer bien des choses plus fortes que le tabac fruité qui brûlait doucement dans sa pipe. Le prêtre n'avait pas connu Stuart Moore, mais il se serait trouvé bien des points communs avec le soldat décédé : tous deux issus des bas-fonds de l'Hégémonie, contraint d'avancer dans une adversité où ils pataugeaient jusqu'aux genoux et amateurs de bon tabac. Mais contrairement à Moore, John ne s'était laissé porter par le courant que jusqu'à un certain point. Jusqu'à ce que son cœur soit brisé, qu'il réalise qu'il n'y avait pas assez de bouteilles en ce monde pour réussir à en voir le véritable fond, et qu'il décide de garder la tête haute. Car John Horst n'avait pas été prêtre toute sa vie, ça non. Il avait passé plus de temps à répandre ses boyaux et son haleine sur les trottoirs que la bonne parole, même si cela faisait maintenant près de vingt ans qu'il officiait au sein de l'église. A soixante ans passés, l'homme commençait seulement juger avoir traversé assez d'épreuves pour réellement aider autrui à en faire de même. Il avait vécu, ça oui, et pas qu'un peu. Il avait même été marié, et il estimait avec conviction que quiconque n'ayant jamais expérimenté suffisamment longtemps l'institution qu'était le mariage n'était pas vraiment capable de comprendre quoi que ce soit à l'adversité, et encore moins de savoir comment la traverser. Le voyage de John à travers cette dernière avait été long, éprouvant et s'était la plupart du temps effectué de manière vacillante, mais il n'aurait pas été l'homme qu'il était aujourd'hui sans toutes ces épreuves. Et parfois, il était encore stupéfait d'avoir aussi bien tourné quand tout ou presque le prédestinait à rater un virage et finir dans un mur. Mais même dans ses périodes les plus noires -et c'était là un détail capital qui le différenciait d'un homme comme Stuart Moore- il avait refusé de passer plus de temps que nécessaire à se sentir désolé pour lui-même et à en vouloir au reste du monde. Non, le reste du monde, il avait fini par s'y plonger, bien décidé à en faire partie et, dans la foulée, à le rendre ne serait-ce qu'un peu meilleur. Du moins il était décidé à tout faire pour. Si lui s'en était sorti, il n'y avait pas de raisons que d'autres ne fassent pas de même. Plus souvent qu'à son tour, il suffisait d'un peu de cœur, de partage et d'une bonne pipe pour sortir la tête hors de l'eau. Avec un petit coup de pouce d'en haut, bien sûr, ajoutait toujours John Horst, qui croyait volontiers à une puissance supérieure, mais qui ne bougeait que rarement plus d'un pouce, histoire de ne pas écraser les simples mortels de toute sa force cosmique. Au final, John croyait surtout en l'institution et le bien qu'on pouvait faire à travers elle. En terme d'opinions, il restait un esprit ouvert et avait appris à ne pas y accorder plus d'importance que cela ; après tout, comme il aimait à le rappeler, il avait été marié...

     

    Et alors même qu'il se retrouvait coincé à la surface d'un monde hostile, avec une potentielle âme mal intentionnée dans les parages et des créatures d'on ne savait quel enfer aux portes, John Horst se disait qu'après tout, ça pourrait être pire. Il avait encore assez de tabac, la compagnie était bonne, et il était en vie. C'était un fait que bien trop de gens prenaient pour acquis à son goût, et n'y pensaient alors plus vraiment comme un avantage inouï, et ce même dans les moments les plus noirs. Selon Horst, du moment qu'on était en vie, les choses ne pouvaient que s'arranger. C'était un principe qu'il aimait partager avec ceux qui croisaient sa route, et qu'il retrouvait plus que jamais chez cette curieuse petite fille qui lui faisait face. Bien sûr, elle avait l'enfance avec elle, où la vie était une certitude si absolue qu'elle ne causait guère d'interrogation, mais il y avait en Lucie Robbins une flamme plus ardente encore que celle qu'on voyait dans les yeux marqués par les épreuves de sa mère. Parler avec la fillette était toujours une expérience unique, parfois un brin déstabilisante, et John Horst n'était pas le premier à ne vraiment réussir à savoir pourquoi. Mais l'expérience restait toujours agréable et, selon le vieux prêtre, incroyablement revigorante.

     

    -Tu n'arrives pas à dormir, petite ? finit-il par lui demander entre deux bouffées.

     

    -J'sais pas, j'ai pas vraiment réessayé. J'me suis réveillée, et j'avais plus sommeil.

     

    -Je vois ça.

     

    -J'ai fait un rêve. Mais j'ai l'habitude, comme j'ai dit à monsieur Delgado quand je l'ai vu dans l'autre wagon, avant.

     

    -Les rêves sont des choses bien curieuses. Diego ne l'avouera pas, mais je le soupçonne d'être lui-même un grand rêveur, derrière les airs sévères qu'il se donne.

     

    A la vérité, Diego Delgado était une énigme pour le vieil homme, qui se targuait pourtant d'être un bon juge de caractère. C'était sans doute pour cette raison que le clergé les avait envoyé tous deux à Haven, espérant que le tempérament de Horst finissent par déteindre sur son jeune et réservé collègue. Plusieurs personnes -dont Horst- s'inquiétaient parfois de voir à quel point le garçon pouvait se révéler... intense, faute d'un autre mot. Mais Diego était aussi un esprit brillant, et son vieux confrère trouvait sa compagnie stimulante, quand le jeune homme était d'humeur égale. Le reste du temps, le contact était plus...difficile.

     

    -Et vous, vous rêvez ? La question de Lucie prit un peu John Horst au dépourvu.

     

    -Moi ? Pas depuis longtemps. Je pense que j'ai passé l'âge de m'en souvenir ou, et c'est une chose différente, d'y accorder assez d'intérêt pour ce faire.

     

    -Jamais ?

     

    -Je ne dirais pas ça. Quel homme pourrait prétende ne plus jamais rêver ? C'est juste que je pense être trop vieux pour me perdre dans des chimères. Même si...

     

    Le vieux prêtre s'interrompit, la pipe à la main, tandis que son regard se perdait sur la vitre et l'obscurité au-dehors. La teinte du verre était toujours trop prononcée pour qu'on puisse discerner des détails à travers, mais on pouvait deviner une sorte de halo diffus, alors même que la nuit était tombée sur Éclat.

     

    -Même si quoi ?

     

    -Je me dis que nous voilà bloqués ici, à l'extérieur, sous un ciel véritable qui n'est pas constitué de roche et de béton, et que nous n'avons même pas l'occasion de voir des étoiles. J'ai toujours rêvé de voir les étoiles. Ailleurs que sur un écran, s'entend.

     

    -Je comprends. Il y a plein de choses que je veux voir, moi aussi ! Il y avait le train, et puis la neige, et puis le ciel, et Haven aussi. Mais les étoiles, c'est bien.

     

    -Ah bon ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

     

    -J'en ai vues dans mes rêves.

     

    -J'en voyais souvent dans les miens, aussi. Mais j'ai eu d'autres rêves, puis d'autres buts, et je n'ai jamais vraiment trouver le temps d'en accorder à nouveau pour tout ça. Pour les étoiles. Après tout, il y a des gens plus vieux que moi qui n'en ont jamais vues, et qui n'en verront jamais. J'ai l'impression que c'est notre lot à tous, ici bas.

     

    -Ça ne vous rend pas trop triste ?

     

    -Non. Pas vraiment. Un temps, ça aurait pu, mais maintenant je me dis que ça ne vaut pas la peine de se lamenter sur ce qu'on ne peut pas voir. Il vaut mieux profiter de ce qu'on a devant les yeux quand c'est le cas, plutôt que de regarder au-delà, dans un futur incertain, et de ne pas vraiment voir ce qui est important.

     

    -Oh. Je comprends. Enfin je crois.

     

    Lucie bailla à s'en décrocher la mâchoire, Horst sourit à nouveau :

     

    -Tu devrais peut-être aller te recoucher. Je suis sûr que d'autres rêves t'attendent !

     

    -Je sais. Je les connais. Mais j'ai bien envie de dormir, maintenant.

     

    Elle se laissa tomber à terre et, après quelques pas, elle se retourna et vint se planter devant le prêtre, glissant sa petite main dans la sienne, grosse et calleuse :

     

    -Vous verrez les étoiles avant la fin, ça, je le sais.

     

    Surpris, John ne sut pas trop quoi répondre à ça mais Lucie ne s'en formalisa pas ; elle lui offrit un beau sourire, sincère, lumineux, mais curieusement un peu triste, et s'en fut.

     

    -Bonne nuit, monsieur Horst.

     

    -Bonne nuit petite...répondit le prêtre, qui se remit à tirer sur sa pipe, songeur.

     

    La fillette retourna vers les sièges où elle avait établi son lit de fortune et, au passage, repassa devant la silhouette endormie du père Delgado. Et même dans la pénombre, elle pouvait voir qu'il n'avait plus l'air aussi paisible, même dans le sommeil : sans trop savoir comment, elle sut qu'il était en train de rêver, et qu'il n'aimait pas cela. Sur son visage endormi, on pouvait lire le fait qu'il essayait de fuir ses rêves. Un discret frisson remonta dans le dos de Lucie à cette pensée, mais elle décida de ne pas y accorder plus d'importance. Elle était à nouveau fatiguée, et ses rêves à elle l'attendaient. Le bleu l'attendait toujours. Lucie Robbins se hissa sur les sièges, se roula en boule sous la cape et les couvertures, et ferma les yeux.

     

  • Lucie 47

    Une petite page, ça continue!^^

     

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    Mais aussi traumatisante que fut la fin de son rêve, elle ne s'éveilla pas en sueur, le souffle court, les pupilles dilatées. Elle s'éveilla comme on cligne des yeux, sans le moindre effort, glissant avec aisance du songe à la réalité. Ou peut-être était-ce l'inverse, de cela elle n'était plus si sûre. Ce n'était pas non plus la première qu'un de ses rêves bleus -comme elle les appelait- se terminait ainsi, et si les premières fois elle en était effectivement sortie en hurlant, elle en revenait maintenant comme d'une promenade en chemin connu, à chaque fois plus proche du but. Et c'était cela qui comptait, et non pas les écueils en cours de route. D'autant que Lucie jugeait qu'il était idiot de s'effrayer de rêves. La vraie vie faisait bien plus peur, elle le voyait parfois dans les yeux de sa mère, quand celle-ci songeait au passé, avant qu'elle ne puisse les mettre toutes deux à l'abri. Et cette nuit, dans ce train, Lucie se sentait curieusement plus en sécurité que jamais. Et elle commençait à se dire qu'il ne s'agissait pas tant du train que de l'étendue sauvage dans laquelle il se retrouvait bloqué, à l'air libre. Elle songea à son rêve, quand les contours du wagon s'étaient brouillés autour d'elle lorsqu'elle en était sortie et, s'asseyant sur le siège, elle posa sa main paume ouverte contre la cloison, se demandant si elle allait passer à travers. Mais le métal froid était solide contre sa peau, et elle poussa un bref soupir presque imperceptible, ne sachant pas trop si elle en était soulagée ou, au contraire, déçue.

     

    Précautionneusement afin de ne pas faire de bruit, elle se balança hors de sa couchette improvisée pour atterrir sur le sol. Sur les banquettes en face d'elle, sa mère dormait, une mèche de cheveux rebelle collée sur son front, dépassant de la capuche de son manteau. Elle avait les sourcils légèrement froncés et ses yeux bougeaient régulièrement sous les paupières ; même dans ses rêves à elle, Martha Robbins semblait lutter. Désireuse de ne pas la réveiller, Lucie avança tout doucement pour gagner l'espace couloir. Daniel Grümman avait éteint les néons du wagon au moment du coucher, aussi l'obscurité n'était-elle troublée que par la lumière qui filtrait par l'étroite vitre de la porte de la voiture, derrière laquelle un des soldats de l'escouade prenait son tour de garde ; le major Adams avait jugé bon de ne prendre aucun risque. Quant au silence de la nuit, il était troublé par les respirations profondes, les ronflements et les mouvements inconscients qui constituaient l'orchestre étrange et familier d'autant de personnes rassemblées dans un même endroit légèrement inconfortable pour dormir. Le fond de l'air était bien plus frais que durant la journée mais, fort heureusement, les unités de chauffage de ce wagon continuaient d'assurer leur service minimum. Souhaitant se dégourdir les jambes, Lucie avança de quelques pas au milieu des dormeurs, réfléchissant à la fin de son rêve. Cette nuit encore il lui avait semblé progresser un peu plus loin, mais c'était la première fois que quelqu'un d'autre y apparaissait. Elle jeta un coup d’œil sur le carré de sièges où s'étaient installés les prêtres, et vit que Diego Delgado y était endormi, pelotonné dans une grande cape noir ; sa figure était toujours aussi pâle mais paisible, contrastant avec l'expression sévère qu'il affichait éveillé.

     

    Le père Horst, lui, n'était pas couché. Lucie le trouva plus loin, assis sur un siège qui jouxtait la grande fenêtre du wagon. Une couverture épaisse sur les épaules, il fixait le verre et avait une pipe à la main. De temps en temps, il la portait à ses lèvres avant d'expirer un discret nuage de fumée ; le tabac sentait bon, son odeur était douce et fruitée. Le vieil homme était manifestement plongée dans ses pensées, et il tapotait distraitement d'un rythme précis, comme celui d'une chanson, sur sa cuisse des doigts de sa main libre. Lucie eut l'impression de l'entendre fredonner tout bas, dans un semi-chuchotement, mais elle n'en était pas sûr, aussi décida-t-elle de s'approcher, curieuse. Doucement elle vint le rejoindre, pour ne pas le déranger, et elle s'installa sur le siège en face du sien. Oui, il était bien en train de chantonner dans sa barbe, l'air un peu absent et elle continua d'écouter. Elle finit même par reconnaître l'air, celui d'une vieille ballade classique de l'Hégémonie qui passait souvent à la radio, dans le brouhaha ambiant du bistrot où la mère de Lucie travaillait. La fillette en était à se demander si elle devait signaler sa présence quand le prêtre la remarqua de lui-même, tournant distraitement la tête. Aussitôt, sa large figure s'éclaira d'un de ses fameux sourires :

     

    -C'est la petite Lucie!s'exclama-t-il doucement, et cette dernière lui rendit son sourire. Il était très difficile de ne pas répondre à la bonne humeur du vieux prêtre, comme les autres passagers l'avaient appris durant cette éprouvante journée.