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Humeur - Page 12

  • Lost (at home)

    « Et vous Philippe, vous avez mangé à midi ? »

    Vous avalez votre gorgée d’eau, manquant la faire passer de travers, et vous songez à gratifier d’un regard noir la personne capable de poser une question pareille. Vous vous retenez, vous contentant de diriger votre regard partout ailleurs sur les murs du bistrot, espérant que votre interlocuteur comprendra par votre dérobade visuelle que vous n’avez aucune envie d’engager la conversation. Las, rien n’y fait ; vous vous seriez retourné les globes oculaires dans les orbites que cela n’aurait pas dérouté l’impertinent futile. Vous finissez par grogner une réponse avant de vous dépêcher de boire à nouveau un peu d’eau, faisant mine de vous concentrer intensément sur la couverture du livre de philosophie consacré à David Hume que vous aviez posé sur la table en arrivant.

    Small talk.

    Décidément, les anglais sont très forts. Aucune expression en français ne correspond autant à l’idée que vous vous faites du bavardage. « Petite parole ». Small talk. Les deux mots roulent délicieusement sur la langue de votre esprit tandis que vous fuyez tout ce qui s’y rapproche de près ou de loin. Vous haïssez bavarder de tout et de rien. Vous abhorrez de devoir parler de votre journée. Vous exécrez parler du temps qu’il fait, et vous ne supportez pas de parler de votre repas de midi. Franchement, qui cela peut-il bien intéresser ? Certainement pas la personne qui vous l’a demandé. Non, elle, elle pense déjà à autre chose, cherchant quoi dire pour briser le silence que tant de gens trouvent inconfortables. Vous détestez cette manie qui consiste à parler de n’importe quoi pour vu qu’on parle. Que ce soit le serveur du bistrot qui engage la conversation ou du vendeur de la Fnac qui vous dit qu’il fait beau aujourd’hui. Vous n’en avez rien à carrer, du temps qu’il fait, et lui non plus. Mais c’est plus fort que lui, comme une sorte de force ancestrale et maléfique qui pousse les gens à débiter des bêtises pareilles. Si ça se trouve, en vous rendant votre monnaie, il va –horreur !- tenter une pique ridicule de ce que vous nommez « humour de tous les jours, au secours ». Quelque chose comme «Ah ben faudra les arroser, histoire de faire pousser les billets ! ». Atterré, vous ne répondrez rien, fourrez les piécettes dans votre porte-monnaie et fuirez au plus vite le désespérant.

    C’était le dernier jour des activités communautaires aujourd’hui. La dernière fois que vous êtes contraint de vous retrouvé dans ce bistrot pendant une heure trente de temps un vendredi après-midi, histoire de socialiser. Une heure trente d’ennui élastique qui vous revient dans la figure en claquant au rythme des blagues de comptoir, des récits de journées et des questions aussi pertinentes qu’un gâteau au homard. Ca ne veut rien dire ? Your point. C’est comme le « small talk » : ça ne veut strictement rien dire. Et vous, vous ne savez que dire à ces gens. Leur parler du concert de Damien Saez auquel vous avez assisté hier soir ? Aucun d’eux ne sait qui sait, et ils ne se soucient pas plus que vous de la manière dont vous avez passé votre soirée. Vous, vous avez envie de sortir, de prendre l’air qui commence à vous manquer, de partir peut-être.

    Partir loin, avec votre compte en poche et des idées plein la tête, qui tournent comme un vol d’alouettes sur un tambour. En perdre quelques unes en route peut-être, trouver une gare et une destination au hasard. Ou tout simplement vous écrouler quelque part. De toute façon, vous savez que vous finissez toujours par rentrer à la maison. Par revenir à votre vie solitaire parmi vos amis et vos écrans, à vous perdre parmi les pilules et le reste. Le reste, c’est un peu de tout. L’obligation de chercher un appartement, de gérer sa paperasse, de promener la chienne, de vous coucher le soir et de vous lever le matin. Il n’y aurait de toute façon personne pour vous trouver à la gare, pour vous suivre ou pour vous en ramener. Pas plus qu’il y en a pour parler avec vous de ce qui compte, du futur qui vous effraie, de la dernière chanson qui vous a touché ou de Lost. Pas vraiment, pas souvent. Vous enviez ceux qui sont deux, ceux qui sont bien. Vous en avez marre d’être tout seul devant votre écran. Mais vous y restez, parce que qui sait ce qu’il y a de l’autre côté, prêt à vous dévorer  après vous avoir demandé qu’est-ce que vous aviez mangé pour le dîner, et commenté le temps qui passe vite, pfou, c’est fou !

    Vous ne savez pas ce que vous voulez, et c’est peut-être vous qui vous dévorer de ne pouvoir partager tout ce que vous aimeriez. A qui pouvez-vous en vouloir, de toute façon ? Une vie, un boulot, une femme, un amant, des enfants, des projets, un chemin tracé dont ils ne peuvent dévier. Vous, vous êtes assis au bord, l’Hymalaya dans vos chaussures. Etes-vous heureux ? est la question qui devrait être vraiment estimée. En ce qui cous concerne, peut-être devriez-vous l’être. Et eux, le sont-ils ? Le croient-ils ? Où sont-ils, tous ? Vous les enviez, ceux qui sont deux, ceux qui sont plus, ceux qui avancent.

    Vous ne pouvez pas partir. Vous ne pouvez que rentrer, toujours. Même si vous ne savez pas où.

    Fair enough.

    L’anglais est décidément une langue formidable.

     

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    podcast

    On The Way Back Home - Lucero

  • La nostalgie éthérée de soirs d'été (ou la nostalgie fantôme d'un souvenir passé jamais réalisé)

    Il y a de ces nostalgies étranges, particulières, qui se plaisent à monter en vous comme la marrée le long des contreforts de la mémoire (c’est joli, ça, les contreforts de la mémoire. Vous penserez à le réutiliser au détour d’une ou l’autre conversation. Des fois que vous ne sauriez pas quoi dire, cela pourrait toujours faire son petit effet). Ce sont des sensations, des émotions, des souvenirs qui rejaillissent en vous quand vous vous y attendez le moins. Souvent, cela part d’une atmosphère. Une ambiance particulière, quelque chose dans l’air qui vous pousse à vous replonger dans les abîmes du temps passé.

     

    L’une de ces soirées d’été, où vous vous baladiez la nuit sur les trottoirs de la vieille ville, profitant de la douce chaleur nocturne et admirant les lumières chaleureuse de la cité. Les terrasses des bars encore ouvertes malgré l’heure tardive, où vous êtes tantôt arrêté pour boire un verre bien mérité en compagnie de vos amis. Ils sont encore là, vous accompagnant dans vos pérégrinations nocturnes, tels des aventuriers du bitume à la recherche du plaisir simple de refaire le monde une nuit d’été. A la recherche d’un Graal de quartier, où la musique s’échappe avec délices des fenêtres ouvertes d’une gargote qui n’attend plus que vous, celle où vous réunissez au moins une fois par semaine pour vous retrouver, raconter vos dernières journées, faire le point ou simplement profiter d’un silence complice en bonne compagnie. Tout autour de vous, les conversations fusent, les tablées parlent, rient, boivent, s’amusent. Vous regardez défiler les passants du passé, tranquilles ou pressés, toujours altiers. Des rois et des reines de la nuit, sortant de boîte, ou se dirigeant vers la prochaine. Ou alors d’un pas rapide, direction la station pour ne pas rater le dernier bus, le dernier métro.

    Un rire plus fort, une blague cent fois racontées, une histoire mille fois mise en scène, mais qui n’appartient qu’à vous tous réunis, qui vous voyez tout le temps et pour tant pas assez souvent. Du temps à rattraper, des histoires à raconter, des regards complices à échanger autour d’une bière, d’un coca glacé et d’une cigarette dont les effluves de tabac goudronné se joignent à l’odeur si particulière d’une telle atmosphère. L’heure tourne, toujours trop vite, toujours favorite. Une bande de copains s’installe non loin, et vous vous retrouvez dans chacun. Deux bandes d’amis qui se rejoignent. Les soucis, les pépins, les tracas sont échangés, comparés, moqués tandis qu’on oublie l’espace d’un café les responsabilités. Elles reviendront nous étouffer bien assez vite, peut-être le lendemain d’un doux soir de cuite. Mais aucune importance, ce soir c’est la danse des répliques qui balancent. Vous vous êtes tous déjà dit les mêmes histoires, les mêmes blagues, les mêmes vannes, mais cela n’a pas d’importance ; ce sont les vôtres, celles qui comptent, qui valent la peine qu’on les raconte. C’est une fin de semaine, comme celle d’avant et celle qui précède, comme la prochaine fois et celle qui suivra. Vous vous retrouvez entouré, de ceux qui vous aiment, de ceux que vous aimez, toute la bande au complet malgré les délais. Délais d’une vie bien remplie, d’un travail à accomplir, d’études à finir et de vie à mourir. Juste une fois par semaine, du temps volé dont le pesant est d’or, un or qui brille dans les yeux et qui pare chaque rire. Car vous savez bien qu’il est important, pour de tels moments de toujours trouver un peu de temps. Le temps d’un café avalé entre quelques mots échangés, ou le temps plus long d’une bière ou deux qui voient vos lèvres se délier. Puis la soirée s’avance, elle doit bien se terminer, vous le savez. Qu’elle dure depuis longtemps ou qu’elle vienne de débuter, des retrouvailles en coup de vent ou une bienheureuse éternité. L’importance du temps n’est pas les heures écoulées, mais ce qu’on peut en tirer de chaque minute.

     

    Non loin de vous, presque en face, le sourire d’une inconnue attrapé au vol, précieusement conservé dans le mouchoir de poche d’une nuit d’été.

     

    Il y a de ces nostalgies étranges, particulières, qui se plaisent à monter en vous comme la marrée le long des contreforts de la mémoire (ouais, c’est classe quand même, y a pas à dire). Ce sont des sensations, des émotions, des souvenirs qui rejaillissent en vous quand vous vous y attendez le moins. Souvent, cela part d’une atmosphère. Une ambiance particulière, quelque chose dans l’air qui vous pousse à vous replonger dans les abîmes du temps passé. Comme cette nostalgie d’un soir d’été. Et ce qu’il y a de plus dur, à sentir ces fantômes de souvenirs vous assaillir comme si vous y étiez, c’est que vous réalisez que vous ne les avez jamais vécus.

    C’est la nostalgie du temps passé la plus particulière : celle de ce temps qui, en définitive, n’est jamais arrivé.

  • Solitude

    Vous êtes là, en train de passer une journée plutôt tranquille quand soudain… Paf ! Oui, vous ne voyez pas d’autre mot. Paf. Comme une gifle dans la figure, un coup de poing dans le ventre ou un paquebot de plusieurs tonnes vous tombant sur le coin de la pomme (on ne dira jamais assez à quel point un paquebot s’écrasant de nulle part sur le pauvre personnage en dessous est un ressort comique formidable). En fait, tout cela, c’est peut-être parce que justement vous avez passé une journée tranquille. Trop tranquille. Comme celle d’avant. Et celle d’avant. Ainsi que celle qui précède et toutes ses bonnes copines, fidèles comme des matrones à leurs réunions Tupperware.

    Car, il faut bien l’avouer, il ne se passe pas grand-chose dans votre vie. Par exemple, le moment le plus exaltant de votre semaine a dû être celui où vous avez trouvé dans une boutique d’occasion quatre Disney que vous n’aviez pas encore. Et encore. Vous n’avez personne avec qui les regarder, et une fois rentré vous découvrez que le lecteur VHS refuse de fonctionner. Comme ça, sans raison. Il doit être caractériel, le lecteur VHS ; il doit être trop occupé à jalouser le lecteur DVD (bien qu’il n’ait pas vraiment de raison pour ce faire, vu la fréquence à laquelle ce dernier est utilisé lui aussi : à croire qu’au fond, il n’y a personne pour regarder des films, chez vous.). Vous pensiez pourtant que ces derniers temps, tout n’allait pas trop mal. Vous aviez l’impression de vous occuper, d’avoir toujours quelque chose à faire ; vous ne passiez plus le principal de votre temps à traîne de la cuisine à votre lit et du lit à la cuisine.

    Vous vous trompiez. Patatra, comme une cascade dans une vieille bande dessinée, vous avez dévalé les escaliers de vos habitudes, laissé échapper vos certitudes. Certes, vous ne manquez pas de choses à faire : des piles de romans à lire, des jeux à faire, des films et des séries en grande quantité, et d’autres choses encore. Seulement voilà : toutes ces choses, vous les faites seuls. Et vous réalisez que vous avez de plus en plus de mal à en profiter de cette manière. Et vous ne maniez pas l’hyperbole : seul est bien le mot. Famille et activités communautaires mises à part (même ça, ça commence à sentir bon le parfum de la triste routine), vous avez dû en tout et pour tout avoir un jour d’interactions sociales. Il parait qu’il y a des gens qui ont assez d’amis pour en voir chaque jour, mais vous vous êtes laissé dire qu’il s’agit de gens avec une vie réelle. De ceux qui partent travailler tous les matins, par exemple. Quelque part, rien de tel pour avoir une raison de sortir de chez soi. Manque de bol, vous, ça a plutôt tendance à vous envoyez dans le cabinet de votre psychiatre attitrée, au bord de la rupture, accessoirement en larmes et même, quelques fois, à deux doigts d’agrafer la main d’un collègue (mais ceci est une autre histoire).

    Ce genre de révélations ont tendance à vous frapper quand vous vous y attendez le moins. Par exemple –comme aujourd’hui- lorsque vous vous apprêtez tranquillement à regarder l’un des épisodes de la semaine des nombreuses séries que vous suivez. Au moment de lancer la machine, le premier doute vous assaille, bondissant sur vous tel la tique vengeresse sur le teckel pataud : à quoi bon ? Ce n’est pas comme si vous alliez ensuite avoir l’occasion de le partager, cet épisode. Vous n’osez presque plus dire plus de deux phrases à une tierce personne concernant –par exemple- une série, parce que vous avez alors l’impression de ne parler que de ça. Seulement, comme autrement, vous n’avez pas l’occasion d’en parler, ça vous vient tout de suite à l’esprit et vous avez envie de le partager, et donc d’en parler. Ce qui irrite les gens parce que du coup, comme dit plus haut, vous en parlez trop, et vous revoilà à la case départ. Un véritable cercle vicieux. Qui vaut pour pratiquement toutes les expériences que vous mourrez d’envie de partager qu’il s’agisse d’une série, d’un bouquin, d’un jeu, d’un film…

    Ce premier sursaut d’aquabonisme passé, vous vous dites que tant pis, quoi que vous fassiez maintenant, vous le faites peut-être seul mais au moins c’est quelque chose que vous aimez. Cela pourrait être pire. Quitte à larver devant un écran, autant le faire sans complexe si on ne veut pas craquer un beau matin et s’exiler au Yémen uniquement coiffé d’une théière en faïence. Et puis, de la rue à votre fenêtre s’élèvent les rires et les cris d’une quelconque bande de jeunes, d’amis, de potes, qui traînent ensemble, profitant de cette belle fin d’après-midi. Peut-être ces jeunes innocents iront-ils boire leur verre de l’amitié hebdomadaire, ou folâtre gaiement sur les chemins primesautiers d’une jeunesse désoeuvrée mais gaie qu’ils ne savent pas encore perdues. Et c’est aussi là que vous vous rendez compte que vous auriez donné n’importe quoi pour être à leur place. Parce que la vôtre, qu’elle soit devant un écran, un bouquin ou un cahier, elle n’est finalement qu’une place unique dans le morne wagon de votre existence. Vous qui manquez de peu l’ulcère quand on vient s’asseoir dans votre espace lors d’un trajet en transports en communs, vous ne supportez plus votre unique place assise dans le train de la vie. Ni votre tendance quasi-maladive aux métaphores clichés, comme celles qui parlent de train et qui font souvent le bonheur des adolescents accrochés aux écouteurs de leurs mp3 sur fond de musique rap. Vous, vous réalisez que vous préférer Patrick Bruel (ces derniers jours, vous avez développé une étrange fascination pour un album live de ce chanteur ; vous vous demandez si c’est une raison supplémentaire de vous inquiéter.).

    Alors encore une fois, vous finissez par vous précipiter sur votre clavier pour écrire ces quelques lignes. Quelques lignes que vous avez l’impression d’avoir tapées maintes et maintes fois, avec quelques changements de vocabulaire et plus ou moins de métaphores foireuses (mais jamais de musique rap). L’espace de quelques minutes, vous allez vous sentir mieux. D’avoir ainsi mis des mots sur les émotions (ou plutôt leur manque) qui s’agitent en vous. Vous allez, le cœur léger, pouvoir regarder l’un de vos plaisirs coupables de la semaine.

    Mais une fois l’épisode fini, vous vous tournerez et il n’y aura qu’avec le mur que vous pourrez le partager. Et si les murs ont des oreilles, ils n’ont pas de cœur. Alors vous allez sans doute étouffer un sanglot (un rien vous émeut aux larmes, ces derniers temps, c’est terrible ; vous pourriez presque fondre en larmes devant l’émotion se dégageant disons… d’ « Un Dîner Presque Parfait », tiens. C’est dire que vous êtes grave, comme disent les jeunes. Ou en tout cas comme disaient les jeunes du temps de votre jeunesse. Maintenant, vous ne savez plus trop ce qui est branché.), tourner en rond, fixer le vide, chercher le sommeil, et demain sera une nouvelle journée.

    Comme un nouvel épisode. Et toujours seul.