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Lucie 65

Une nouvelle page, et hop!

 

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John Horst tapotait des doigts l'accoudoir du siège où il s'était installé, nerveux. Il faisait tout son possible pour faire bonne figure, et s'il avait plutôt bien réussi jusqu'à maintenant, il lui était difficile d'écarter la peur qui l'étreignait. Cette peur n'était pas pour lui, pas vraiment. Il considérait avoir assez vécu pour s'inquiéter inutilement de son éventuelle fin prochaine : il était en paix avec lui-même. Non, il avait surtout pour tous ces autres passagers, qu'il avait appris à connaître et à apprécier depuis leur départ à tous du complexe de l'Hégémonie. Il ne pouvait s'empêcher de s'imaginer être, quelque part, responsable de leur sort, et ce n'était pas uniquement dû au hasard. Il était celui qui avait recommandé Diego Delgado pour l'accompagner à Haven et, sans lui, le jeune prêtre n'aurait jamais eu l'occasion de mettre son plan en branle. Quand il y réfléchissait bien, John savait qu'en réalité cela n'aurait que retardé l'échéance d'une telle catastrophe, mais cela ne soulageait pas sa conscience. Il avait beau n'avoir eu aucun contrôle sur tout ça, il se sentait malgré tout coupable. Il aurait dû réaliser que quelque chose clochait chez son confrère, mais il tenait tellement à voir le meilleur chez autrui qu'il avait une fâcheuse tendance à manquer de jugement. Il était de ce genre d'homme qui refusait qu'un autre être -qui plus est un homme de foi- puisse s'abaisser à commettre un acte aussi violent. Il n'avait rien vu venir, Delgado avait agi, et la petite Lucie avait failli en être la première victime. Et puis le jeune Stan Détroit, madame Miguel... Deux de leurs camarades étaient morts à cause de sa négligence. Et puis il y avait Moore, le complice du jeune prêtre, tué lui aussi.

Pour la énième fois depuis l'incident, Horst se demanda ce qui avait bien pu pousser ces deux hommes à agir ainsi. Certes, l'appât du gain était une motivation suffisante pour la plupart des hommes faillibles, comme ce Stuart Moore, mais il n'aurait imaginé qu'un de ses confrère puisse en être la victime. D'ailleurs, il doutait fortement que cela soit le cas. Delgado agissait pour une cause, une cause qui l'avait poussé à une terrible folie, et c'était là ce qui faisait vraiment peur à John Horst. Une cause, même mauvaise, était le meilleur moyen de faire agir ceux qui luttaient pour elle, et ce qu'elles qu'en soient les conséquences. Quelque chose avait convaincu Diego Delgado d'y adhérer, quelque chose l'avait poussé à s'abandonner à la traîtrise et à la violence. Un quelque chose qui ne devait pas être sous-estimé, un quelque chose que la plupart des gens -Horst le premier- avaient négligé. Un tel mouvement devait avoir des origines solidement ancrées au sein même de l'Hégémonie pour faire tomber dans ses filets des hommes comme Delgado, et l'ampleur du problème leur échappait à tous, Horst en était persuadé. Il avait essayé de parler à son jeune collègue depuis qu'il avait dû être maîtrisé suite à sa crise, mais sans succès. L'homme refusait de parler pour mentionner autre chose que ce bleu qui allait causer leur perte, du froid qui rugissait à l'extérieur et du vent qui allait balayer le monde. Il restait étonnamment calme pourtant, il n'y avait plus rien du fou qui s'était déchaîné des heures plus tôt. Mais il était impossible de tirer de lui quelque chose d'intelligible et, la plupart du temps, il se taisait et rien ne semblait pouvoir le faire réagir. John l'avait supplié de lui parler, de lui avouer la cause d'un tel comportement, de libérer sa conscience, mais il n'avait eu de plus substantiel en retour que le sourire tranquille, absolu, d'un fanatique mené par sa cause. Delgado n'avait pas l'air alarmé par la situation et il émanait de lui une forte assurance qui commençait à taper sur les nerfs de John.

Au moins, en parlant de ceux qui agissaient sur ses nerfs, Travers se tenait plutôt tranquille depuis la dernière intervention du major. John éprouvait une certaine pitié pour le responsable du train, projeté ainsi dans une situation hors de tout contrôle, mais le rouquin pouvait se révéler diablement agaçant. Mais c'était la peur qui le menait ainsi et cela, Horst pouvait le comprendre. Comme il comprenait la douleur muette d'Augustus Delgado, le poids des responsabilités qui pesait sur les épaules du major Adams et les craintes et les espoirs des autres passagers. Il n'avait d'autre choix que de continuer à traverser cette épreuve tous ensemble, et John était bien décidé à faire tout son possible pour y contribuer. Même si cela ne revenait pour l'instant qu'à faire preuve de courage, et à prier. Deux choses auxquelles croyait fermement le père John Horst. Tout à ses pensées, il croisa le regarde de Lucie, qui écoutait de la musique grâce à l'appareil que lui avait donné Travers. Elle sourit à John, radieuse, et l'homme sentit son fardeau s'alléger quelque peu. La bravoure de l'enfant était pour lui un véritable exemple, et il se dégageait de la gamine tellement de force et de chaleur qu'il ne pouvait pas y être insensible. Le charme de Lucie fonctionnait chez tout le monde, et ne vous lâchait plus. Dans une certaine mesure, même Travers et Delgado n'avaient pas été épargnés... Quelque part, John se dit qu'il y avait encore de l'espoir. Il sourit à Lucie en retour et tourna la tête pour essayer une nouvelle fois de discerner à travers la fenêtre les contours du paysage battu par les vents polaires. Il désespérait de ne toujours pas réussir à apercevoir un morceau de ciel, quand un mouvement l'attira du coin de l’œil. Travers venait de quitter Delgado et fouillait maintenant dans ce que John reconnut être le sac de voyage du jeune prêtre. Il était étrange que ces deux-la aient conversé, mais personne ne faisait réellement attention à eux de toute façon : tout le monde évitait Travers, et Delgado était entravé et bloqué sur son siège. N'empêche, John se demanda ce que les deux exclus avaient bien pu se raconter quand un frisson lui remonta le long de la colonne vertébrale. Il ne pouvait dire d'où lui venait cette impression aussi soudaine que désagréable, mais quelque chose clochait... Quelque chose de grave. Réagissant à l'instinct, il se redressa en un éclair et se mit à courir dans le couloir, se précipitant droit sur Ed Travers au moment où celui extirpait du sac une sorte de petit boîtier pas plus grand qu'un briquet.

-Travers, non ! Arrêtez !

Horst accéléra, sous le regard médusés des autres ; les soldats réagirent le plus vite, portant la main à leurs armes, mais il était trop tard : Travers appuya sur un bouton. L'espace d'une seconde, rien ne se passa. Puis un bruit assourdissant et un choc terrible firent trembler l'ensemble du train, déséquilibrant tous ceux qui s'étaient mis debout. A travers la vitre, une lueur rougeoyante était maintenant visible, venant de l'arrière du train : un des wagons de marchandise venait d'exploser.

 

Commentaires

  • Mais... mais...!

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