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  • Lucie 76

    Je me sentais inspiré aujourd'hui, du coup ce sont trois pages de postées aujourd'hui! La véritable dernière ligne droite commence je pense, après ce nouveau "passage charnière".^^

     

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    -C'est le moment de vérité...finit par commenter le caporal Velázquez, tandis que tous terminaient de s'occuper. Ils avaient entendu le bruit de l'explosion, phénoménal, et ils avaient senti tout le train trembler et grincer autour d'eux. A la surface d’Éclat, une grosse boule de feu avait un bref instant plongé ce monde glacé dans une chaude lumière.

    -Vous croyez que ça a marché?demanda Ed Travers, qui avait enfoncé un épais bonnet par-dessus sa casquette, laissant dépasser la visière. Comme tout le monde, il avait enfilé autant de couches de vêtement que possible, et avait encore jeté une des couvertures de secours sur ses épaules.

    -Je crois...

    John Horst avait le nez collé à la fenêtre, essayant de discerner des détails à travers le filtre. L'obscurité régnait à l'extérieur, la nuit était complètement tombée. Il ne lui semblait pas voir de mouvements, mais il se fiait plus à ce qu'il pouvait entendre, et cela faisait un petit moment que n'avait pas retenti le bruit des monstres cognant la cloison.

    -Ken a réussi...annonça Arthur Kent d'une petite voix néanmoins pleine de défi, à la mémoire de son ami.

    -Je suis désolée, Arthur. Martha lui prit le bras, réconfortante, et Lucie ne lâchait plus la main de l'écrivain depuis que la communication avec l'ingénieur avait été rompue pour de bon. Ken était un homme bon.

    -Le meilleur, répondit Kent ; il avait des larmes dans les yeux, mais elles ne tombaient pas.

    -Monsieur Marsters a fait son devoir mieux que la plupart des hommes, renchérit le major Adams. A nous de ne pas faillir sa mémoire. Son sacrifice nous a donné la fenêtre dont nous avions besoin. Le feu avance, on peut l'entendre crépiter derrière notre porte ; nous ne pouvons plus attendre, il faut y aller. Tenez-vous prêts, tous.

    Il fit le tour de l'assemblée du regard, et les autres hochèrent la tête pour signifier leur accord. Horst aida Diego Delgado à se lever. Le jeune prêtre était toujours entravé, mais il avait été chaudement vêtu lui aussi ; malgré tout, ils étaient résolu à ne pas l'abandonner. Ne serait-ce que pour mieux le questionner une fois en sécurité à l'avant-poste ou, mieux encore, à Haven. Ils ne laissaient derrière eux que les morts, emportant leurs souvenirs. Le train serait leur bûcher funéraire : ils ne pouvaient se permettre de traîner les corps avec eux. C'était nécessaire, même si cela dérangeait grandement Adams, qui n'aimait pas du tout laisser de ses camarades derrière lui. Il n'avait pas le choix, mais ça ne rendait pas cet acte d'abandon plus difficile. Mais il lui fallait se concentrer sur les vivants.

    -Tout le monde est prêt ? Il va faire froid dehors, sacrément froid. Une fois à l'extérieur, je mènerai la marche en m'aidant des coordonnées dont je dispose. Il va nous falloir avancer vite, sans s'arrêter, et en restant attentifs. D'autres choses rôderont peut-être encore dehors. Nous assurerons au mieux la protection du groupe, mais je veux que vous soyez tous aussi vigilants que possible. Il ne tiendra qu'à nous de faire en sorte que ce ne soit pas notre dernière course. Faites là compter.

    Il attendit, mais personne ne parla à sa suite. Ils attendaient tous le signal du départ, graves et silencieux. Adams se sentit fier d'être à leurs côtés, et il se jura de faire tout son possible et plus encore pour les mener à bon port. Ils comptaient sur lui.

    -Bien. Il enclencha la radio : capitaine Grümman, nous sommes parés. Vous pouvez ouvrir les portes. Bonne chance.

     

    * * *

     

    Daniel Grümman entendit la voix du major par-dessus les parasites de sa radio. Celle-ci fonctionnait de moins en moins bien, mais cela n'avait plus vraiment d'importance. Tout soudain, il n'en aurait plus besoin. Engoncé lui aussi dans autant de couches qu'il avait pu en enfiler, le conducteur but une dernière gorgée de café froid. Il enfila encore une sorte d'épais poncho en laine synthétique par-dessus le tout ; il ne lui restait plus que ses gants à mettre, mais il avait encore besoin de ses doigts nus pour entrer la dernière commande.

    -Reçu major. Je vous donne le signal dès que c'est fait. Bonne chance à vous. A vous tous. Grümman, terminé.

    Daniel contemplait son tableau de bord, et sentit sa gorge se serrer. C'était la dernière fois qu'il voyait son train, celui dans lequel il avait passé une grande partie de sa vie. Il avait l'impression d'abandonner une partie de lui-même, la plus importante ; et seul les pensées qu'il réservait à sa famille lui permettaient d'avancer. De songer à autre chose qu'à cette impression qu'il avait de trahir son plus fidèle camarade en le laissant, blessé à mort, agoniser à l'air libre et froid, dans la neige et la glace. Seul. Ce n'était qu'un véhicule, il le savait bien, mais ce train représentait quelque chose de plus. Il avait appris à le connaître comme on connaît un être cher, sachant identifier chacun de ses grincements, le moindre son pour en tirer le plein potentiel. Et il l'abandonnait, maintenant. Mais il n'avait plus le choix. Dans une série de gestes nés de l'habitude d'une vie, Daniel manipula les commandes une dernière fois. Il n'avait maintenant plus qu'à appuyer sur son dernier bouton : celui qui allait déverrouiller d'un coup toutes les portes extérieures. Cette fois il enfila ses gants, et laissa un doigt en suspend, comme hésitant. Il n'entendait plus les créatures, mais cela ne voulait pas dire qu'elles ne rôdaient pas, quelque part.... Marsters ne les avait peut-être pas toutes emportées avec lui. Et il n'y avait qu'un seul moyen de le savoir. Grümman inspira profondément, ferma les yeux, et appuya sur le bouton.

    Rien ne se passa.

    Il essaya une fois de plus, pressant plus fort, et toujours rien. Et puis, enfin, un faible grincement qui venait de la porte externe de la voiture de tête, celle que Stan Detroit avait empruntée il y a ce qui lui semblait des années auparavant. Grümman se leva, la radio à son oreille, et s'approcha :

    -Major, voilà qui est fait. C'est bon de votre côté ?

    Quelques grésillements, puis la voix d'Adams :

    -Négatif. Nous n'arrivons pas à ouvrir la nôtre.

    -Merde ! Grümman poussa toute une série de jurons, avant de continuer : Il y a dû y avoir un court-circuit quelque part, ma commande n'a pas suffi... Je vais devoir sortir, et ouvrir depuis l'extérieur...

    -Vous êtes sûrs ?

    -Il n'a pas d'autres moyen. Je vous tiens au courant.

    Il coupa la communication et contempla sa porte quelques instants, avant de la pousser. L'air froid s'infiltra aussitôt dans la cabine, et il commit l'erreur de respirer à plein poumons. Il fut secoué d'une violente quinte de toux et manqua tomber à genoux. Reprenant son souffle, il se concentra pour contrôler sa respiration, et fit son premier pas à la surface. Et s'il avait déjà eu froid lors de ses innombrables voyages aux commandes du train, suite à des défauts de chauffage, il n'avait jamais eu aussi froid qu'en ce moment-même. Rien d'étonnant à ce que les colons se soient enterrés sous des couches de terre et de béton à leur arrivée sur ce foutu monde gelé...

    En grommelant, tremblant comme une feuille, Grümman tapa plusieurs fois sur la grosse lampe de poche qu'il avait prise avec lui pour mieux se guider dans l'obscurité. Il éclaira les alentours, et ne vit que de la neige à perte de vue, et ce qui ressemblait à de gros arbres à quelques centaines de mètres. A vrai dire, la lampe n'était pas nécessaire : il y avait tellement d'étoiles dans le ciel noir, et la neige était si blanche qu'il voyait plutôt bien. Mais la lampe le rassurait, et il ne put se résoudre à l'éteindre. Il n'entendait aucun bruit, si ce n'était le crissement de ses pas sur la neige, qui lui donnait l'impression d'être un vacarme épouvantable. Péniblement, se disant une fois de plus que ce n'était décidément plus de son âge, il fit le tour de la voiture de tête. Il pesta contre ce boîtier de commandes externes mal placé, et il lui semblait l'apercevoir quand il crut voir du coin de l’œil quelque chose bouger. Paniquant, il voulut accélérer le pas et glissa sur une plaque de glace traîtresse en poussant un cri. Il lui fallut quelques dizaines de secondes pour se relever en jurant. Puis il prit le temps de bien regarder autour de lui, mais ne vit rien pour corroborer ses craintes.

    -Un vieux fou qui sursaute pour rien dans le noir...grogna-t-il. Allons Dan, tu vaux mieux que ça...

    Honteux d'avoir été aussi craintif, il profita de sa colère pour rassembler son courage, et se remit en route. Il grimaçait de douleur à chaque pas ; sa cheville droite avait souffert de sa chute. Mais il finit par atteindre son but : le boîtier était là, celui qui pouvait permettre d'accéder aux systèmes d'ouvertures depuis l'extérieur, au cas où. Chaque respiration lui gelant les poumons, Daniel se mit au travail, forçant l'ouverture avec l'un des outils qu'il avait accroché à sa ceinture. Le boîtier céda dans un claquement bref, et le conducteur poussa un bref cri de victoire. Il regarda à nouveau autour de lui, ne vit rien, et braqua sa lampe sur les entrailles du boîtier. Cela devait être facile, il y avait un levier quelque part et...

    -Ahah, te voilà !

    Il dut poser sa lampe, et utiliser la force de ses deux bras fatigués pour tirer sur le levier. Il y eut une étincelle, puis un bourdonnement sourd, signe que la manœuvre avait fonctionné.

    -Major, ici Grümman. J'ai rétabli les commandes d'ouverture. Je retourne dans la voiture de tête pour vous ouvrir, cette fois-ci pour de bon.

    Il entendit à peine la réponse du major tandis qu'il prenait le chemin du retour. Il était intégralement concentré sur sa tâche, et il voulait en finir en plus vite. Le retour fut aussi pénible que l'aller mais cette fois-ci au moins, il ne sursauta pas comme un vieux fou dans le noir, même si le trajet fut plus long à cause de sa cheville blessée. Il fut incroyablement soulagé lorsqu'il atteignit la porte d'où il était sorti, et il regagna avec soulagement la chaleur relative de la cabine. Il ferma derrière lui, prudent, et s'installa sur son fidèle fauteuil, qui avait pratiquement la forme de son corps, après tant d'années installé dessus. Il prit quelques secondes pour reprendre son souffle, et localisa à nouveau le bouton d'ouverture centralisée. Cette fois-ci, cela devait marcher.

    Il appuya.

    -Major, c'est bon de mon côté. Désolé du contretemps.

    -Pas de problèmes, capitaine Mieux vaut tard que jamais. Ça marche, nous avons pu ouvrir. On se retrouve dehors. Merci, capitaine Grümman.

    -Pas de quoi major, pas de quoi...

    Daniel avait retrouvé son calme et, malgré la tristesse d'abandonner ainsi son vieux camarade d'acier, il se disait enfin que tout n'allait finalement pas mal se passer. Ils allaient pouvoir rentrer, revoir ceux qui comptaient, et c'était là l'important. Il se laissa aller contre le dossier de son fauteuil, goûtant à sa victoire, reprenant son souffle avant d'affronter une nouvelle sortie. La dernière. Il... Un bruit étrange lui fit se dresser les poils sur sa nuque. Il avait été si concentré sur sa tâche qu'il s'était installé sans prendre le soin de jeter un œil dans la voiture. La voiture qu'il avait laissée ouverte pendait qu'il était rétablir le système depuis l'extérieur. Lentement, très lentement, le conducteur fit pivoter son fauteuil...et se retrouva nez-à-nez avec le museau d'une des créatures. Elle avait dû monté à bord pendant sa brève absence, et elle s'était terrée au fond de la voiture de tête. Elle s'approcha un peu plus, grondant doucement ; elle n'avait pas l'air si grande, peut-être qu'il s'agissait d'une jeune. Elle semblait blessée, une marque noire courait sur son flanc, comme brûlé. Et tandis qu'il observait tous ces détails comme dans état second, Daniel Grümman savait qu'ils n'avaient aucune importance. Mais il ne pouvait en détacher le regard. Il pouvait pratiquement sentir son fidèle vieux train respirer autour de lui, l'envelopper une dernière fois. Et il sut qu'il ne le quitterait pas, finalement. Et qu'il ne retrouverait pas la famille qu'il avait laissé tant de fois, à parcourir ainsi la surface. Il eut plein de petites pensées de ce genre, toutes très claires, plus claires que jamais. En face-de lui, la position de la mâchoire de la créature donnait l'impression curieuse qu'elle était en train de sentir. Ne pas faire de mouvements brusques, ne pas faire de mouvements brusques...furent parmi les dernières pensées de Daniel Grümman ; tout en sachant que cela ne servait à rien. Mais il avait fait tout ce qu'il pouvait, il avait ouvert les portes, il avait servi le train jusqu'au bout, de même que les passagers. Il...

    La créature se jeta en avant, et les hurlements de Daniel Grümman sortirent s'envoler à la surface d’Éclat, froide et indifférente.

  • Lucie 75

    On en arrive petit à petit à la dernière ligne droite, je pense.

     

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    -Je fais ce que je peux...

    Kenneth articulait difficilement, un tournevis entre les dents. Il devait de plus hausser la voix pour se faire entendre par-dessus le concert de grincements et de sifflements qui régnait dans la salle des machines. Il avait poussé au maximum le volume de la radio fixée contre la cloison, mais cela suffisait à peine pour se faire comprendre maintenant qu'il avait bien avancé dans son ouvrage. Car plus il avançait, plus les machines donnaient l'impression de vouloir lui résister, et plus elles hurlaient. L'ingénieur avait l'impression de violer un système vivant, mais il savait aussi qu'il était allé bien trop loin pour s'arrêter maintenant. Il n'avait pas le choix, de toute façon. Pas avec le feu qui allait forcer d'un instant à l'autre les passagers à tenter une sortie. Arthur lui avait raconté, horrifiée, ce qui était arrivé à Jung Sungmin et Augustus Miguel, et Marsters était déterminé à faire tout son possible pour éviter une nouvelle catastrophe. Et il avait l'impression que le plan fonctionnait : depuis quelques minutes, il pouvait discerner parmi le bruit ambiant les coups sourds des bestioles qui s'élançaient contre le wagon des machines. Elles étaient de plus en plus nombreuses, attirée par la chaleur que dégageait cette voiture. Chaleur que Marsters s'efforçait non seulement de maintenir, mais de pousser à son maximum. Au-delà, même.

    Il ricana à cette idée, sachant que le retour lui était de toute façon interdit. Des créatures rôdaient à l'intérieur, il savait qu'il y en avait dans les wagons situés entre lui et les autres. L'explosion causée par Travers avait sans nul doute ouvert de nouvelles brèches dans le train, et ces monstres avaient dû en profiter. Kenneth pouvait presque les sentir se masser tout autour de lui, contre la porte, contre les cloisons... Son ricanement se mua en une quinte de toux ; ces dernières étaient de plus en plus fréquentes, de pus en plus violentes, et la sensation de froid qui partait de sa blessure n'arrêtait pas de grandir. Il avait la curieuse impression qu'elle réagissait à la présence des prédateurs, comme si tous deux étaient liés. Ou peut-être commençait-il à délirer et, dans ce cas, il n'avait vraiment plus de temps à perdre.

    -Courage mon vieux, fit la voix d'Arthur Kent ; Adams avait dû redonné la radio à l'écrivain.

    -Je n'aurais jamais cru en disposer pareillement, grogna l'ingénieur en réponse, se saisissant du tournevis d'une main tandis que de l'autre, il écartait un panneau de commandes. Il pouvait voir ses veines bleuir de plus en plus sur son bras ; au fur et à mesure que son travail augmentait la chaleur de la zone, ce qui dévorait son corps réagissait en le faisant devenir de plus en plus froid. Mais c'était une bataille que cette infection ne gagnerait pas : Marsters en finirait selon ses propres termes. Il songea à Ravert et à Jung, à leur sacrifice, et aux vivants qui comptaient sur lui pour maximiser leurs chances de s'en sortir. Quand il avait obtenu son poste, celui qui allait le mener un jour sur la route de Haven, Kenneth s'était attendu à une nouvelle étape de sa vie, toute aussi confortable que l'ancienne, avec comme seule excitation le plaisir de la recherche dans un nouvel environnement. Et il réalisait que même dans la situation présente, il n'aurait changé tout cela pour rien au monde.

    -Je crois que j'y suis... Mais ne vous interrompez pas Arthur, continuer, je crois que vous étiez sur le point de commencer un nouveau chapitre...

    La voix de l'écrivain, qui s'efforçait de la maîtrise pour rejoindre le courage de Marsters, permettait à ce dernier de conserver le moral. L'un de ses plus grands regrets était d'avoir fait la connaissance d'un homme comme Arthur Kent aussi tard dans sa vie, et de ne pas pouvoir plus longtemps profiter de cette amitié sincère. Ils en auraient vécu des aventures, à Haven, songeait l'ingénieur tandis qu'il écartait une série de fils pour plonger plus profondément son outil dans les entrailles du train. De longues minutes passèrent ainsi, tandis qu'il accomplissait sa tâche. Et ce ne fut que lorsqu'il sentit qu'il avait atteint son but qu'il se permit d'interrompre son ami pour la dernière fois :

    -J'y suis, Arthur. J'espère que vous êtes prêt.

    -Nous le sommes. Il n'y a vraiment pas d'autre moyen ? Vous ne pourriez pas...je ne sais pas, vous arranger pour nous rejoindre ?

    -Et manquer le feu d'artifice ? Je crains que nom, mon vieux. Ça a été un plaisir que de vous connaître. Dites au revoir aux autres pour moi... Marsters toussa, déglutit, s'essuya la bouche et vit qu'il avait craché du sang. Son bras blessé était devenu si bleui qu'il ne le sentait plus. Mais il n'en avait plus besoin, son autre main suffirait. Dès qu'il pousserait plus loin l'outil, qu'il atteindrait le cœur du train...

    -Merci pour tout, Ken.

    La voix d'Arthur tremblait, mais elle restait forte, et Kenneth pouvait sentir en elle une sorte de fierté résolue qui se mêlait à la souffrance.

    -Sauvez-vous, Arthur. Et raconter notre histoire. Voyez ça comme le signal...

    -Ken ? Kenneth ?

    Mais Kenneth ne répondit pas ; il éteignit la radio, pianota de ses doigts valides sur plusieurs commandes, banda les muscles de son bras pour tourner une dernière valve, puis revint là où il avait enfoncé son outil. Tout autour de lui, il pouvait sentir la présence des créatures qui se regroupaient autour de la chaleur ; il pouvait sentir leur avidité pour cette dernière, il en était certain maintenant. Et il allait leur en donner.

    D'un geste décidé, l'ingénieur appuya de tout son poids, et il sentit céder les derniers circuits délicats qui préservaient les machines d'une surchauffe fatale. L'explosion fut bien plus terrible que celle produite par l'appareil de Delgado et, tandis qu'il mourrait, Kenneth Marsters eut la satisfaction de savoir qu'il emportait autant de créatures avec lui qu'il en était possible.

    C'était, il en convenait, ce qu'on pouvait appeler du bon travail.

     

  • Lucie 74

    Le passage du jeudi!^^

     

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    -Je suis désolé...

    La voix de Jung Sungmin était faible, et le soldat luttait pour prononcer chaque mot. Couché sur une banquette, il était devenu bien pâle, presque cadavérique. Assise en face de lui, Martha Robbins pressait des chiffons imbibés de sang sur sa blessure. Guidé par les faibles indications du médecin, John Horst lui avait fait une injection d'antidouleurs, pris dans son matériel. C'était là tout ce qu'ils avaient pu faire.

    -Chut, ne dites rien. Vous n'avez rien fait de mal, Sungmin.

    Martha se fendit de son sourire le plus rassurant malgré sa peine, comme lorsque sa fille était malade et qu'elle faisait tout pour qu'elle se sente mieux. En songeant à Lucie, elle se demandait sans arrêt à quel point la situation pouvait l'affecter. Sungmin s'était occupé d'elle lorsqu'elle avait été blessée lors de l'incident, et la fillette appréciait beaucoup le jeune médecin, comme eux tous. Et puis il y avait la conduite de monsieur Miguel et son suicide... Les soldats avaient installés son corps auprès de celui de sa femme, et l'avaient recouvert d'une couverture, sans mot dire. Les deux époux étaient à nouveau réunis, mais à quel prix... Mais Lucie n'avait visiblement pas été plus effrayée que cela. L'enfant prenait sur elle-même, sa mère pouvait le sentir, mais elle faisait preuve d'une résistance que Martha commençait presque à trouver inquiétante. Pour le moment, Lucie avait été confiée à Arthur Kent, qui continuait de parler à Marsters via sa radio.

    -Elle s'en sortira, elle est forte...

    Jung avait suivi le regard de Martha. La femme changea légèrement de position pour mieux ajuster sa prise sur la blessure, réussissant à conserver son sourire.

    -Je sais. Merci encore, pour vous être occupé d'elle.

    Lucie avait tenu à venir voir Sungmin, sans faire preuve de la moindre crainte. Elle s'était montrée si confiante que le médecin en avait été curieusement soulagé. Elle avait déposé un baiser sur sa joue, avant de le laisser au soin des adultes.

    -Je suis vraiment désolé, major...répéta le moribond.

    -Vous n'avez pas à l'être. Vous avez fait votre devoir.

    Canton Adams n'avait pas quitté le chevet de son soldat. Il n'avait pas pu être aux côtés de Paul Ravert, ni même de Stuart Moore, mais il était là pour Sungmin. L'officier était très affecté, Martha le connaissait assez pour le deviner. Jones et Velázquez étaient là eux aussi, auprès de leur ami, de même que le père Horst.

    -Tiens le coup, mon vieux, renchérit Velázquez.

    -Vous allez...me manquer...

    La respiration du soldat était de plus en plus difficile. Il bougea faiblement sa main, et elle rencontra celle du major, qui la serra avec émotion. Plus personne ne parlait, si ce n'était Kent, à l'autre bout du wagon, occupé à accompagner Marsters dans sa tâche. Jung poussa un grognement, du sang coula à travers les chiffons, mais Martha ne prit pas la peine de les changer à nouveau ; cela ne servait plus à rien.

    -N'en voulez pas...à Augustus... Il ne voulait...il ne voulait pas être seul. Comme moi...

    -Personne n'en veut à personne. Adams mentait, mais apaiser les derniers instants de son soldat était tout ce qui comptait, maintenant. Il serra plus fort la main de Sungmin.

    -Paul... La voix du blessé n'était plus qu'un murmure. Paul, je suis là...

    Et puis, plus rien. Dans sa main, le major sentit celle du soldat se relâcher. Jung Sungmin était mort.

    -Merde !

    Adams flanqua un coup rageur contre le dossier d'un siège, et Velázquez serra brièvement Jones dans ses bras. Et pendant que John Horst fermait les yeux du mort, Martha luttait pour retenir ses larmes. Elle sentit quelqu'un lui tirer la manche et elle prit sa fille dans ses bras. Aucune d'eux ne prononça le moindre mot.

    -Merde, répéta le major, et il parut soudain très fragile, et très seul. Sa radio se mit à grésiller. Il prit quelques secondes pour se recomposer avant de l'enclencher :

    -Adams.

    -Grümman. Je voulais vous dire que j'étais prêt à ouvrir les portes, j'ai les commandes en main.

    -Nous avons perdu le soldat Jung.

    -Je...Je suis désolé, major.

    -Merci, capitaine Grümman.

    -Major, le... le feu progresse. Vous n'avez plus beaucoup de temps.

    Ponctuant leur conversation, on entendait les bruits sourds résultant des créatures qui continuaient de se jeter régulièrement contre les cloisons. A croire qu'elles essayaient volontairement d'user le moral de leurs proies.

    -Reste à espérer que le plan de Marsters marchera, finit par répondre le major. Sortir pour se jeter dans la gueule du loup ne servira à rien.

    -Rester ici et brûler non plus.

    -Je sais, capitaine. Si on devait en arriver là, nous sortirons et nous nous battrons plutôt que de rester pris au piège. Je vais demander à tout le monde de se préparer pour la sortie. Vous nous rejoindrez après avoir ouvert les portes.

    -Je...je ferai de mon mieux, major.

    -J'y compte bien, je tiens à vous serrer la main !

    -Ce serait bien, major... Ce serait bien. J'attends sur Marsters, et je me tiens prêt. Grümman, terminé.

    Canton Adams ferma sa radio, ferma les yeux et prit une profonde inspiration avant de se masser les tempes. Puis il sentit la main de Martha sur son épaule, et ce simple contact lui permit de s'éclaircir l'esprit. Il la regarda, avec sa fille, et il reprit courage.

    -Merci, dit-il, tout simplement.

    -De rien.

    Puis il se dirigea vers Arthur Kent, et lui fit signe de lui passer sa radio :

    -Où en êtes-vous, monsieur Marsters ?