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Ecriture - Page 3

  • Crise de réalité

     

    Vous êtes terrifié. Votre crâne résonne sans cesse, comme la sensation du vertige lorsqu'on ôte le vertige : vous ne vous cognez pas partout en manquant de tomber, mais la cloche invisible vibre sous vos cheveux. Une nouvelle constante qui vous a assailli progressivement, avant que vous ne remarquiez enfin que c'était là.

     

    Mais ce n'est pas ce qui vous fait peur. Non, cette peur est primale, ancienne, universelle et, en ce moment totalement hors de contrôle. Vous avez peur de la fin. Sans raison palpable outre que son inéluctabilité. Tout à commencer il y a plus ou moins deux semaines où, perclus par vos soucis d'endormissements, vous avez repensé à cette maladie fort rare se traduisant à terme par un trouble de l'insomnie fatale. Vous aviez par hasard appris son existence quelque temps auparavant, la classant aussitôt sur la liste des choses terrifiantes dont vous auriez nettement préféré continuer d'ignorer l'existence (comme la sortie d'un nouvel album de ABBA ou l'existence des mars frits écossais). Et en y repensant, votre esprit a immédiatement cru bon d'en faire le point d'orgue de vos angoisses, les concentrant instantanément (comme des nouilles) sur la fatalité inexorable d'un tel diagnostic. Une angoisse irraisonnée, certes, mais n'est-ce pas là le sens des angoisses ? Et, plutôt que de s'arrêter là, cette fixation a ouvert la porte à cette ancienne peur que vous aviez réussi à mettre de côté depuis bien longtemps : la peur de la mort.

     

    A l'âge de douze/treize ans, la soudaine prise de conscience de votre mortalité vous avait plongé dans la première dépression de votre vie, allant jusqu'à vous faire manquer une ou deux semaines d'école à son paroxysme. Les années passant, la peur s'était étiolée, nageant à une distance de sécurité de vos craintes jusqu'à devenir diffuse, lointaine.

     

    Et voilà que vous replongez en plein dedans.

     

    Ce n'est pas la peur de tomber raide mort là tout de suite, mais la peur de l'inévitabilité de la chose. Le fait de savoir que, quoi qu'il arrive, cela va bien vous arriver un jour. Cette réactualisation de cette crainte s'est cristallisée en vous au point de constamment parasiter vos pensée depuis une quinzaine de jours. La cessation de l'existence -et l'incompréhension que cela représente- vous paralyse, un gouffre constant s'agitant au creux de votre estomac. Vous n'arrivez pas à vous changer les idées. Films, jeux, séries, lectures ne vous offrent que quelques minutes de répit ici et là avant de replonger votre esprit dans la terreur. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà que le tout s'accompagne de ce que vous qualifieriez de « crise de réalité ».

     

    Il y a de ces gens qui s'extasient de l'infinité de l'univers et du miracle que notre existence représente. En ce moment, vous trouvez cela infiniment terrifiant plutôt que réconfortant. L'existence vous apparaît comme absurde. Pourquoi l'univers, pourquoi la Terre, pourquoi l'humanité, la vie, pourquoi vous ? Plus rien n'a de sens, au point que vous avez de la peine à vous concentrer sur le monde autour de vous. Vous pouvez vous mettre à contempler votre fourchette d'un air effaré, comme frappé de l'absurdité de son existence.

     

    Vous avez beau essayé de vous rassurer -vous êtes, de ce que vous en savez, dans une santé physique décente, et à 36 ans vous pouvez encore vous considérer comme jeune- rien n'y fait. La peur est là, surgissant à tout moment au premier pan de votre esprit, vous figeant sur place, déversant en vous les affres de l'angoisse ; et le reste du temps, vous la sentez là, diffuse, tandis que tout vous paraît absurde, aléatoire, dépourvu de sens. Vous regrettez terriblement de ne pas croire en la moindre puissance supérieure. Vous n'arrivez pas non plus à en parler vraiment, vous sentant ridicule. Il y a des problèmes bien plus tangibles, actuels, qui taraudent le monde autour de vous. Vous n'êtes pas malade, vous n'êtes pas condamné, vous n'avez aucun raison d'être à ce point désespéré. Même si vous savez que les angoisses -et les crises qui vont avec- sont irrationnelles, vous en avez presque honte. Mais c'est en train de vous dévorer de plus en plus, aussi essayez-vous de l'exprimer à travers quelques mots tapés sur votre clavier. Essayer de faire un peu sortir tout ça, d'une manière ou d'une autre.

     

    Il y a aussi la peur d'un futur possible, pas encore concret, qui ne se réalisera peut-être pas, mais qui vous pèse plus que vous ne le croyiez. Les antécédents de souffrance mentale et de sénilité dans votre famille maternelle, l'inconnu de ceux de votre famille paternelle. Avez-vous une voie toute tracée menant au brouillard cérébral, à la perte de vous-même avant la mort elle-même ?

     

    Et vous ne savez pas comment arrêter de penser à tout. Comment ignorer ces peurs qui ont longtemps été tenues à distance. Comment vous concentrer sur le moment qui compte: l'instant présent. Et dans ces cas-là, vous vous sentez également dévoré par une solitude qui prend de plus en plus de place. Vous commencez à vous dire que le fait de vivre seul, sans présence régulière, commence à vous peser. L'absence d'une présence solide, de contacts affectifs, de contacts physiques (pas uniquement romantiques ; simplement la sensation de la peau de quelqu'un d'autre contre la vôtre, d'un bras autour de vos épaules, d'être pris dans les bras et de prendre dans les bras. De pouvoir vous abandonner à une intimité que vous n'arrivez pas à retrouver.) Vous ne savez plus quoi trouver pour vous sortir de cette angoisse existentielle actuellement permanente, quoi trouver pour vous rappeler qu'il s'agit avant tout de vivre sa vie dans le présent et d'en profiter au maximum, sans craindre sa fin en permanence.

     

    Alors vous espérez que ça finira par passer. Que cet état ne sera pas constant, parce que vous ne sauriez pas comment le gérer. Vous espérez juste de pouvoir, enfin, retrouver la beauté de simplement se sentir en vie.

     

    D'être, enfin, rangé au côté du miracle plutôt que de l'absurde.

  • Le bouchon et l'aspirateur

    Voilà bien longtemps -des années et des années!- que vous n'aviez pas tenté une petite historiette, dans cette petite version fictive du quotidien qui vous avait longtemps accompagné. Vous ne savez pas trop pourquoi, mais aujourd'hui, vous avez eu soudain l'occasion de vous y replonger, l'espace de quelques mots.

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    Vous n'auriez jamais dû passer l'aspirateur. Pas aujourd'hui. Vous l'aviez senti. Si si, parfaitement. C'est une de ces fameuses journées. Où il va se passer quelque chose, de manière totalement inévitable. Tellement inévitable que finalement, vous n'auriez pas passé l'aspirateur, quelque chose d'autre serait arrivé. Les vitres auraient éclaté subitement sous le doux contact du chiffon, le lait aurait explosé à peine sorti du frigo, quelqu'un aurait sonné à la porte avec une sommation venue de nulle part comptant vous expulser d'ici la fin de la semaine avant de saisir votre chat. (1) Au fond, ce n'est pas plus mal qu'il ne s'agisse que de l'aspirateur. On peut vivre sans aspirateur. Avec assez de poussière, on pourrait sûrement se rouler dedans comme avec la neige. Évidemment, vous êtes allergique, donc vous seriez plutôt en train de vous rouler dans les restes palpitants de vos poumons expirés par le nez, mais il n'empêche que ça resterait possible.

     

    L'aspirateur, donc. Une de vos fonctions attitrées dans la répartition du planning. Entre les courses de la semaine, l'organisation de la paperasse et tout un lot des petites choses du quotidien. En terme de ménage, vous êtes capables de vous en sortir avec n'importe quoi pourvu qu'il ne s'agisse pas de repassage. Vous n'avez jamais repassé un seul de vos vêtement dans toutes vos décennies d'existence. Vous n'en êtes pas fier, mais vous ne le regrettez pas non plus. C'est un concept qui vous a toujours paru particulièrement étrange, cette manie de vouloir défroisser à tout prix des vêtements qui finiront chiffonnés d'ici la fin de la journée. Peut-être parce que vous avez tendance à ne porter que des t-shirt, et que si on rassemble quelques vêtements disparates, vous avez à peine un costume complet dans le lot. Et puis vous avez toujours peur d'être attaqué par le fer à repasser. Un objet beaucoup trop lourd et beaucoup trop chaud pour vous inspirer la moindre confiance. De plus, petit, vous vous étiez coincé une jambe dans la table pliante (vous vous êtes coincé au moins une jambe dans la plupart des accessoires pliants de la planète, à ce jour). Du coup vous êtes prêt à faire tout le reste, mais s'il y a quelque chose à repasser, vous passer la main. De préférence pour qu'elle ne finisse pas sous le métal brûlant parce que vous étiez trop occupé à penser à quelque chose de beaucoup plus intéressant que le repassage.

     

    Vous avez toujours assumé le reste de vos fonction avec l'acceptation tacite de quelqu'un qui reconnaît la valeur du compromis. Vous ne diriez pas exactement que vous le faite avec entrain (2), mais vous le faites naturellement. Ayant longtemps vécu seul, dans cette étrange période suivant le départ de vos parents et l'emménagement avec celle qui partage définitivement votre vie, c'était de toute façon votre prérogative. Vivre à deux n'y changeant rien, d'autant que vous êtes celui qui travaille à la maison, et qui peut se permettre le luxe de gérer son temps d'une manière optimisée (même si vous risquez de mettre deux heures pour changer une ampoule parce que les étapes sont aussi nombreuses que délicates, et que c'est fou le nombre d'autres tâches importantes et immédiates que l'on rencontre sur son chemin lorsqu'on a pourtant décidé de s'appliquer précisément à une autre). L'aspirateur fait simplement partie de votre part. Une fois par semaine, vous le sortez pour pour quelques instants de vrombissement furieux (et une semaine sur deux, vous y ajoutez un bon coup de panosse). Il y a le nettoyage de la salle de bain, aussi le même jour, mais cela demanderait une autre chronique à elle seule.

     

    L'aspirateur, donc, ne vous a jamais dérangé plus que ça. Le bruit couvre de manière bienheureuse vos vocalises approximatives (vous faites partie de ces gens-là qui prennent à cœur le « chantant en travaillant »), et vous vous laissez tirer par l'objet plus que vous ne le dirigez vraiment avec la plus redoutable des précision. Vous le laissez tressauter entre vos mains, entraîné dans son sillage comme dans celui d'un cochon à la recherche de sa précieuse truffe (vous n'avez encore jamais trouvé de truffe chez vous, hélas.). Il s'agite, vibre et se secoue parfois comme un grand-huit, mais vous finissez toujours par aller dans les moindre recoins, derrière les meubles, sous le canapé et partout là où il est nécessaire d'aller vrombir. Ce qui plaît très moyennement à petit chat qui, dès qu'il entend le redoutable appareil lancer sa première note, file se cacher quelque part, généralement au fond d'une pantoufle.

     

    Ce n'est pas une bête qui en demande beaucoup, l'aspirateur. Il suffit de changer son sac de temps en temps (la recherche du sac en question prenant à peine moins de temps que le changement d'une ampoule), de préférence avant qu'il n'implose, et d'éviter de se prendre les pieds dans l'appareil lorsqu'on est un tantinet distrait. Au jour d''aujourd'hui, votre canapé a essayé de vous tuer plus de fois que votre aspirateur, ce qui est plutôt une bonne chose. Vous avez confiance en votre aspirateur. Vous le connaissez, maintenant. Vous n'avez pas à vous en méfier comme l'un de ces petits aspirateurs automatiques, dont la rondeur bonhomme cache sans doute de sombre secrets et qui, s'il passait moins de temps à se cogner dans les murs comme une souris ivre, serait sans nul doute en train de planifier le soulèvement des machines.

     

    Mais rien n'est parfait, pas même votre fidèle aspirateur, et encore moins cette journée qui vous fait dire depuis le début que le monde entier aurait mieux fait de rester couché. Il suffit de peu de choses : cet innocent bouchon de bouteille d'eau en plastique, tombé derrière un meuble il y a probablement trois ou quatre couches géologiques de cela. Sa rencontre avec l'aspirateur. Le bruit effroyable et soudain de l'objet crissant à l'intérieur du tube en métal comme une poule effarée jetée dans une machine à laver (faisant manquer quelques battements à votre petit cœur surpris – et faisant sauter une pantoufle d'au moins un mètre au-dessus du sol vous renseignant sur la présence exacte de petit chat), le souffle soudain asthmatique de la bête (l'aspirateur, pas le petit chat), le manque flagrant d'aspiration... Et, après inspection, le triste constat du fameux bouchon logé solidement en plein cœur du tuyau, comme une pâte avalée trop vite lors d'un dîner mouvementé.

     

    Après avoir vainement secoué le tuyau dans tous les sens, vous réalisez avec un effroi palpable (au moins) que le sinistre morceau de plastique est bel et bien coincé. Et même muni des ustensiles les plus longs et fins (dont une astucieuse et inutile construction en baguette chinoises née des espoirs les plus fous d'un cerveau alors ravagé par le doute (3)), impossible de l'en déloger ! Découragé, sur le point d'abandonner pour l'instant, vous avez alors repéré un détail d'intérêt : une vis fixant le long tube en métal au reste, plus épais, du tube en plastique. Ce qui présentait une solution alors évidente, mais aussi compliquée par le fait suivant : si le ménage, globalement, ne représente pas pour vous une épreuve, le bricolage est à un tout autre niveau. Probablement celui de la Fosse des Mariannes, en ce qui vous concerne. Clouer deux planches de bois ensemble revient à éviter de justesse l'apocalypse quand c'est dans vos mains que reposent l'espoir d'accomplir une telle tâche. Malgré tout, refusant d'abandonner (vous auriez dû), vous avez plongé dans divers tiroir à la recherche d'un tournevis, attaché à un couteau suisse coincé dans au moins trois autres objets (bien sûr, il était dans LE tirroir de la cuisine. Celui où sont cachés tous les objets qu'on cherche sans arrêt, sans préoccupation de leur fonction première, le tout étant bien entendu emmêlé d'une manière grotesque, et bloquant le tiroir d'une manière telle qu'il vous faudrait au moins trois ans d'ingénierie pour réussir à vous en sortir sans que cela ne soit encore pire).

     

    C'est donc après moult efforts et un acharnement de plus en plus nerveux que vous êtes enfin parvenus à dévisser la chose...pour voir du plastique exploser soudain entre vos doigts une fois la tension relâchée (voilà, vous saviez bien que quelque chose allait finir par exploser aujourd'hui). Vous regardez, sans comprendre -mais aussi sans grande surprise, de cette façon résignée qu'on les gens de constater les dégâts- les petits bouts de plastique ayant ricoché ici et là dans la cuisine. Avec, entre les mains, un tuyau de métal certes débarrassé de son bouchon, mais aussi -et c'est là où ça devient un brin plus embêtant- du reste de l'aspirateur. Comment ? Vous n'en avez aucune idée. Est-ce que cette vis était le le dernier sceau empêchant la fin du monde, vous ayant ainsi fait relâcher les quatre cavalier de l'apocalypse et tout ce qui s'ensuit ? Dur à dire, par les temps qui court. Toujours est-il que vous vous retrouvez tristement en train de maintenir comme faire ce peut le tuyau dans le reste de la machine, réussissant machinalement à terminer la tâche de nettoyage, le dos voûté comme une petite vieille ployant sous les sacs de légumes (dont sort toujours une carotte avec son beau plumeau vert de feuille. Vous n'avez jamais vu de carotte comme ça quand vous allez au marché. Les petites vieilles doivent toutes les prendre avant vous). Votre esprit enfiévré imagine un instant de scotcher le tuyau à l'autre, avec un de ces gros scotchs qui réparent, on le sait, n'importe qui n'importe quand, mais la solution vous paraît temporaire, à la manière d'un sparadrap mental sur la blessure béante de votre psyché en détresse, destinée à vous réduire à l'état d'un trou noir aspirant (ah ah!) petit à petit chaque aspect de votre âme jusqu'à ne laisser de vous qu'une coquille vide sur le sol de la cuisine.

     

    Là, votre morceau d'aspirateur dans les mains, vous devez avoué que vous sentez non pas bête, mais soudainement affreusement triste. Comme lorsqu'un événement des plus mondains fait sauter quelque chose en vous qui s'était tranquillement amalgamé jusqu'à ce qu'il trouve la bonne raison de déborder. La noirceur, le vide, l'entropie attendant toute chose -et tous les gens- qui vous entourent. Quand votre tendre moitié finit par rentrer, vous êtes toujours là, pensif. Un peu cassé vous aussi. Peut-être avec toujours moins de vis. Petit chat ronronne sur vos genoux depuis tout à l'heure, et vous acceptez une main solide pour vous relever. Un échange de regard suffit, le contact de sa peau contre votre peau produit une étincelle. L'aspirateur attendra. Ça se répare, où ça se change. La ruine de votre esprit est toujours là, toujours pas loin de déborder, de prendre le dessus.

     

    Mais ce soir encore, vous n'êtes pas seul. Votre vie continue de se construire, fragile mais toujours nouvelle. Ce soir, le reste peut attendre.

     

    Au moins jusqu'à la semaine prochaine.

     

     

     

    1. La sonnerie de la porte, c'est toujours une mauvaise nouvelle. Ou plutôt, vous êtes constamment persuadé que cela ne peut être qu'une mauvaise nouvelle. Généralement sous la forme d'un monsieur inquiétant pourvu d'un costard noir et de lunette de soleil destiné à vous arracher votre chat pour toujours parce que vous avez payez une facture en retard il y a trois ans et six semaines. Vous êtes de ces gens qui vous sentez coupable par défaut. Peut-être que c'est vous qui avait fait ça, mais si, vous savez, ça !

    2. Vous vous méfiez terriblement des gens qui persistent à dire qu'iels aiment faire le ménage.

    3. Et le désespoir. Par le doute, et le désespoir.

  • Chuter sur place

    C'est comme dégringoler, encore et toujours, la terre juste sous les pieds mais toujours hors de portée. Vous tombez depuis si longtemps que vous n'avez tout simplement plus l'impression de bouger. Tout est la même chose. C'est autour de vous que tout se passe vite, que le temps, les autres filent à une vitesse qui vous monte à la figure mais ne vous touche même pas, ne réussissant pas à vous entraîner au passage malgré tous leurs effort. Et les efforts ils en font, ils tendent le bras, ils tendent leur cœur, ils tendent leur âme, mais vous n'arrivez même plus à les effleurer du bout des doigts.

     

    Vous tombez en sur place. Aspiré par le vide, bien sûr, mais aussi retenu par ces réserves d'énergies bornées plantées en vous, qui vous tirent dans l'autre sens au point de vous tordre de plus en plus, vous empêchant de basculer pour de bon dans ce vide qui vit avec vous depuis toujours. Depuis avant même votre naissance, quand le vide s'attaquait déjà sournoisement à votre mère. Votre mère que le vide torture aujourd'hui à travers son esprit et sa mémoire, faisant d'elle une personne si différente qu'elle pourrait aussi bien ne plus être votre mère. Elle n'est plus votre mère. Le vide l'a tué, à sa manière, en la laissant debout, et vous commencez à peine à faire le deuil. Le deuil de la sagesse de votre parrain, emporté lui aussi par son propre vive il y a bientôt un an. Un rocher de votre existence effrité en un instant, des souvenirs comme de la poudre entre les doigts et une incapabilité de votre part à en souffrir autrement qu'en faisant le mur.

     

    Le mur face aux vide, ce mur qui vous aura permis de tenir jusqu'à aujourd'hui malgré les épreuves et les effondrements. Ce mur qui siphonne chaque jour un peu plus de votre énergie pour lui permettre de rester dressé face à tout ce que peut vous envoyer la vie dans les dents. Ce mur, générateur de cette endurance têtue qui vous aura permis de gérer et de survivre à des situations compliquées, qu'il s'agisse d'une crise de schizophrénie matérnelle alors que vous étiez enfant, en vacance avec elle, dans une chambre d'hôtel. Une endurance qui vous a fait mettre de côté les brimades et les insultes, mais aussi les espoirs placés en vous qui n'ont jamais aboutis. Une endurance qui vous permet d'être fonctionnel malgré votre atypie, malgré vos faiblesses, malgré votre fatigue, malgré vous manques. Une endurance qui vous permet non pas vraiment d'avancer, mais de ne pas basculer dans l'oubli et le désintérêt le plus total. Une endurance qui vous coûte tellement d'énergie que vous n'en trouvez plus pour écrire, rêver, imaginer. Autant d'éléments de votre vie pendant longtemps aussi essentiel que chacune de vos respirations qui s'en vont de plus en plus loin, vous asséchant l'esprit comme le beurre étalé trop longtemps sur la tartine de Bilbo.

     

    Où est passé celui que vous étiez ? Celui qui écrivait constamment un projet ou un autre, qui se lançait d'histoire en histoire sans même les terminer parce que ce qui comptait c'était de faire naître les idées là où elles venait. Il y avait tous les vous imaginés par d'autres : celleux qui vous voyaient brillant, paléontologue, libraire, bibliothécaire, écrivain, universitaire, même employé de commerce quand il n'y avait plus que le dépit. Mais pour les grandes aspirations comme pour les petites, le vide a continué de vous précipiter dans cette chute sans fin et sans impression de mouvement. Et votre énergie, siphonnée par vos mécanisme de défense. Pour être fonctionnel. Pour vivre au jour le jour, faire vos courses, entretenir votre appartement, vos factures, tout ce qui est nécessaire. Au point où la seule idée d'en arriver à la prochaine lessive vous terrifie tellement que vous sentez les larmes vous monter aux yeux et votre esprit épuisé se tordre face à la répétition des tâches essentielles.

     

    Vous persistez. Vous ne basculez jamais totalement dans le noir, vous ne coupez jamais tous les ponts, vous gardez un peu de cette énergie pour cela, pour ne pas faire du mal à vos proches, ou du moins le moins possible, en vous retirant d'eux. Des proches qui vous soutiennent de leur mieux, de manière indéfectible et inconditionnelle, et que vous aimez tellement, même si vous savez de moins en moins comment le montrer. Des proches qui ne suffisent pas à étouffer la solitude glaciale qui vous dévore de l'intérieur, vous donnant l'impression de vous ratatiner un peu plus vers l'intérieur chaque jour comme un trou noir qui s'écroule. Comme le vide. Comme de rêver chaque nuit d'une solitude vaincue, d'une vie vécue, d'une personne trouvée, et de vous réveiller chaque matin pour réaliser une fois de plus qu'il n'en est rien. Vous l'avez déjà dit, mais rien n'a changé : ce ne sont pas les cauchemars que vous redoutez. Ce sont les beaux rêves. Ceux qui se terminent.

     

    Une solitude qui vous étouffe. Un manque d'intimité que vous n'arrivez pas à trouver qui vous recouvre comme des sables mouvants. Un désir -non, un besoin- de contact physique, à un point tel où le manque en devient douloureux, comme si votre peau brûlait de l'absence d'une simple étreinte. Un contact physique que vous n'arrivez pas à trouver chez votre famille, chez vos amis, où chaque interaction de ce type est pour vous presque aussi douloureuse, remplie de tension et d'une résistance que vous n'arrivez pas à repousser. Rares sont les gens avec qui un tel contact vous met à l'aise. Il n'y a pratiquement que dans l'intimité d'une relation de couple que vous arrivez à vous y abandonner, à ce contact tant rechercher. A vous en nourrir, vous en apaiser. L'absence de cette intimité de couple, voilà qu'elle vous pèse de plus en plus, elle aussi. Jamais vous n'êtes autant vous-mêmes, autant à l'aise, qu'avec la bonne personne. Mais à quoi bon ? Qu'avez-vous à offrir à qui que ce soit dans le domaine amoureux ! Comment pourriez-vous assumer quoi que ce soit ? Être la personne que l'autre mérite ? Seriez vous capable de vivre avec quelqu'un ? D'apporter la moindre chose qui pourrait pousser une personne à vous aimer ? Vous avez perdu cette illusion. L'autre personne méritera toujours mieux, quelqu'un de plus fort. C'est une des choses que vous désirez le plus -vous plongez dans les bras de quelqu'un, être vous-mêmes, vous sentir en sécurité...et offrir sécurité vous aussi- et parfois vous avez l'impression qu'il y a quelque chose, que vous pourriez.... Vous ne savez pas comment ça marcherait. Vous avez tellement envie d'aimer, sans imaginer en être digne, sans imaginer que vous pourriez suffire à quelqu'un. Vous serrez contre vous un coussin, une peluche, avec l'énergie du désespoir, et vous gardez dans votre tête un fragment de souvenir, de quand cela vous paraissait possible, avec la bonne personne. L'espoir. La plus douloureuse des énergies qui s'amenuisent.

     

    Parfois, quand le vide recule un peu, vous souffler pendant quelque temps. Vous êtes plus à ce que vous faites, vous vous sentez moins seul au milieu des gens, vous profitez de vos activités et de vos proches tant que ça dure. Mais de moins en moins d'écriture, de moins en moins d'énergie pour autre chose que cette énergie du fonctionnel, pour continuer de gérer votre vie de tous les jours plutôt que de vous écrouler et de vous laisser aller sans considération pour les gens autour de vous. Ce dont vous espérez rester incapables jusqu'au bout, quel que soit le prix à payer.

     

    C'est comme dégringoler, encore et toujours, la terre juste sous les pieds mais toujours hors de portée. Tiraillé par la chute autour de vous, le vide à l'intérieur...et, parfois, une note d'espoir qui brûle dans votre cœur, ne laissant plus que des braises sur lesquelles vous ne savez plus trop comment souffler.