Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 5

  • Chaos

    Comme je n'ai pas pris le temps d'écrire hier et aujourd'hui, j'en profite pour mettre ici la troisième et dernière partie de la genèse de mon monde d'Iqhbar.^^ Voici donc!

     

    ____________________________________________________________________________________

     

     

    Chaos

     

     

     

    « Il sommeillait la plupart du temps entre deux galaxies, plus immense que le plus grand des univers et pourtant pas plus grand qu'un atome de matière. Il se laissait dériver, happant des matières mortes et vivantes sur son passage afin de les rejeter en de nouvelles possibilités. Il était la fin et le début, le néant et le tout; il était le laboureur des multivers quels qu'ils soient. Et l'anormalité de la croissance d'Iqhbar l'avait éveillé, comme jamais il ne l’avait encore été. Il sut qu’elles en étaient les instigatrices, pour en avoir rencontrées et absorbées au cour de ce que, faute d’autre mot, nous pouvons appeler ses déplacements. Elles avaient toujours été son contraire : là où elles créaient, lui apportait la fin. Mais ils étaient aussi complémentaires, car sa fin permettait de nouveaux débuts, de nouvelles découvertes, de nouvelles histoires… Jamais elles ne l’avaient craint pas plus qu’il ne les avait haïes . Elles savaient qui il était. Certaines d'entre elles je jetaient parfois à sa rencontre lorsqu'elles le croisaient, afin de découvrir un autre niveau, d'être rejetées avec leur savoir dans les univers. Il n’était pas pour elles un danger, mais le symbole de toute une myriade de nouvelles possibilités, et chacun de ses éveils occasionnait chez elles le plus vif intérêt. Mais cette fois-ci, ce fut différent. Ce qu’il sentit suite à l’épanouissement d’Iqhbar fut si particulier qu’il ne put savoir si c’était la première fois qu’il le sentait ou si cela faisait tellement longtemps qu’un tel phénomène s’était produit qu’il l’avait oublié.

     

     

     

    Alors il se mit en route.

     

     

     

    Elles le sentirent. Elles n’avaient pas toutes quitté Iqhbar lors de leur dernier exode, non. Elles étaient peu, parmi les plus curieuses et les plus éveillées. Celles qui avaient fini par s’attacher plus qu’il était coutumier de leur espèce de ce monde qu’elles avaient créé avec tant d’amour. Certaines d’entre elle partirent à le rencontre de celui qui arrivait, décidées à finir leur cycle pour en débuter un nouveau, leur savoir rejeté et distillé dans l’univers, mais d’autres ne quittèrent pas Iqhbar. Elles sentaient en elle se manifester la plus curieuse de toutes les choses : l’émotion. Une vive émotion pour Iqhbar et ses créatures pourvues de leur étincelle, et elles ne purent se résoudre à l’abandonner. La vie n’avait pas fini de s’y développer et de les surprendre et, pour la première fois, elles décidèrent de s’opposer à celui qui arrivait.

     

     

     

    La bataille, la guerre, pour autant qu'ils soient des mots appropriés pour décrire ce qu'il s'en suivit, fut terrifiante, énorme et grandiose. Les éléments se déchainèrent sur Iqhbar sous la pression qu'il leur imposait, déversant ses parcelles de néant affronter les races de ce monde. Car devant les cataclysmes que son approche provoquait, ces peuples avaient décidé de tenir bon et de lutter contre ces légions qui se déversaient du ciel. Car la rencontre de celui qui apportait la fin avec ce monde plein de vie touchée par l’étincelle fut singulière. Il sentit ses propres émanations entrer en résonnance avec la fameuse étincelle, et c’est ainsi que ces légions de créatures grotesques mais dangereuses apparurent, dotées d’une vie et d’une conscience, mais toujours dévorés par ce besoin impérieux de détruire toute chose. Tandis que les océans et les montagnes se soulevaient, engloutissant des communautés entière, le combat se déclara partout à la surface du monde, les armées des peuples d’Iqhbar se heurtant aux meutes chaotiques qui se déversaient au cœur de leurs frontières. Sourdes aux appels désespérés, les Puissances se retirèrent alors complètement de ce plan de l’existence, terrifiés à l’idée de perdre le pouvoir et le savoir qui étaient les leurs, s’enfonçant au cœur d’Iqhbar dans le seul but d’échapper au chaos, abandonnant ceux qui en étaient pourtant si souvent venus à les libérer.

     

     

     

    Mais parmi les races et les peuples du monde de plus en plus désespérées il en était un plus fort et plus vaillant que les autres, rassemblant les troupes, unissant les défenseurs et n’hésitant jamais à frapper l’ennemi. Il s’agissait des dragons, la race la plus ancienne, la plus sage et la plus puissante des peuples éveillés. De leurs cités volantes ils menaient l’assaut, insufflant courage et force dans le cœur de leurs alliés. Jamais ils n’envisagèrent d’abandonner et, lorsqu’ils fendaient les cieux en déversant sur le chaos la magie qu’ils maitrisaient comme aucun autre, l’espoir renaissait dans le cœur de ceux qui marchaient sur Iqhbar. Mais même les dragons ne pouvaient retenir indéfiniment les vagues de chaos toujours plus dévastatrices et rapprochées qu’il envoyait tandis qu’il se rapprochait de plus en plus, nullement retenu par les efforts qu’elles faisaient…

     

     

     

    Car elles luttaient de leur côté mais, n’ayant jamais eu besoin de combattre, elles ne savaient guère comment s’y prendre, pas plus qu’elles ne comprenaient réellement ce que cela signifiait. Elles connurent pour la première fois la détresse, la souffrance et la peur ; non pas pour elles, mais pour tous ces peuples qui mouraient et disparaissaient à la surface de ce monde qu’elles avaient contribué à créer. A chacune de leurs tentatives pour le repousser, lui, elles n’arrivaient qu’à peine à retarder l’échéance. Elles comprirent que, bien que l’ayant modifié, elles ne faisaient pas réellement partie de ce monde qu’était Iqhbar. Et c’est ainsi qu’elles surent comment procéder. Elles devaient se lier à lui pour mettre leur plan à exécution, et pour ce faire elles avaient besoin d’un conduit. Les Puissances les ayant abandonnées, elles portèrent le choix sur les dragons, en qui leur étincelle était la plus grande. Pour la toute première fois, elles se manifestèrent directement, devant les plus sages des dragons, et uniquement eux. Ces derniers acceptèrent et convainquirent leur peuple tout entier de servir de canal à la puissance qu’elles possédaient. Ainsi, dans un dernier vol pour la défense d’Iqhbar, les dragons s’élevèrent dans les cieux face à celui qui était enfin arrivé au plus près d’Iqhbar et s’apprêtait à l’absorber pour de bon. Alors elles fusionnèrent intégralement avec Iqhbar, se coulant en la planète tels des torrents d'énergie pure en crue. Décuplée par les dragons, cette énergie déclencha des cataclysmes plus terrible encore, mais elle représentait malgré tout la dernière chance de ce monde contre lui.

     

     

     

    Le choc fut terrible.

     

     

     

    Il enveloppa Iqhbar de son manteau de vide et pourtant bourdonnant de chaos, mais les forces conjuguées d'Iqhbar le firent passer à travers telle une épée de légende fendant la roche. Il passa donc à travers, continuant son chemin comme à son habitude, déjà prêt à se rendormir. N’ayant guère de conscience, n’ayant jamais été pris en défaut, il ne pouvait envisager que sa tâche ne fut pas accomplie. La vie et sa conscience avaient été sauvées sur Iqhbar. Mais le prix fut conséquent : elles faisaient désormais partie intégrante de ce monde, privée de toute possibilité d’agir et d’influencer se monde, incapables à jamais de se manifester et condamnées à voir leur conscience se dissiper dans son intégralité. De ce sacrifice découla la profonde modification de la magie qui avait toujours été partie intégrante d’Iqhbar. A jamais changée, perturbée par ce chaos, elle devint une force imprévisible et dangereuse, née des échos de celles qui s'étaient sacrifiées, et il fallut de nombreux âges pour qu’elle se laisse à nouveau domestiquer ; mais de manière radicalement différente… Quant au monde lui-même, s’il n’avait pas été détruit, les dégâts n’étaient pas moins immenses. Les grands continents s’étaient fracturés, dispersant ceux qui y avaient vécu et engloutissant plusieurs civilisations de plus. Les gouvernements n’étaient plus que l’ombre d’eux-mêmes, et plus d’un peuple n’eut d’autre choix que de repartir de zéro. Inconscients des véritables forces qui s’étaient opposées, nombre des êtres parcourant Iqhbar tinrent les dragons pour responsables de ce cataclysme, et les rares survivants de cette race noble et ancienne maintenant diminuée n’eurent d’autre choix que de se faire oublier. Qui plus est, sous la pressions des deux forces ayant précédées la fusion, une infime partie de lui s'était également coulée en Iqhbar, apportant de surprenantes modifications en ce monde du renouveau. Les survivants de ses légions prospérèrent, s’enfonçant sous la surface pour en chasser les nains, se répandant dans les marécages et les terres sombres. Les innombrables borghs grouillaient, nouvelle menace issue de l’ombre, et leurs grands cousins urborgs devinrent une partie intégrante mais malaimée de l’amalgame de peuples qui parcouraient Iqhbar. Bien malgré eux, ils marquèrent la fin des elfes, la seule race qui avait décidé de les accueillir à bras ouverts. Les elfes, qui furent décimés par un mal mystérieux, un mal transmis par les urborgs et trouvant ses racines dans le chaos lui-même et auxquels les elfes furent particulièrement sensibles. Bientôt, ils disparurent, et leurs alliés et amis nains en connurent une colère d’autant plus grande qu’ils étaient chassés de leurs royaumes souterrains par les marées de borghs qui y élisaient domicile. Les nains repoussèrent les urborgs dans les terres sombres d’Ostrie, et s’établirent dans les forêts de leurs amis disparus. Dans les cieux, les Avelins avaient été parmi les plus épargnés par la catastrophe et leur agressivité naturelle les poussa à chasser les derniers dragons et Gwaehyrs des cités volantes pour établir un nouvel empire. Les Aqualites, plus distants que jamais, se retirèrent dans leurs domaines des profondeurs aquatiques, chassant et éliminant les derniers représentant des autres races sous-marines. Une à une, les autres races s’isolèrent, des pam’thaa sur leurs montagnes aux farouches minotaures sur leur île. Alors il en est une qui prospéra comme jamais : la race des humains, plus nombreuse et vigoureuse qu’elle ne l’avait jamais été. Ce furent les humains qui fondèrent les premiers royaumes qui devinrent ceux qu’ils sont aujourd’hui, et qui redonnèrent à Iqhbar les bases de la civilisation globale qu’elle connait aujourd’hui. Au fil des âges, les terres se rapprochaient à nouveaux, les continents se reformaient, et les échanges reprenaient. Sans aucun signe des Puissances, tous développèrent de nouvelles croyances basées sur l’essence de la vie qui animait Iqhbar, culminant dans le spiritualisme actuel. Les nains peaufinèrent de nouvelles technologie dont la plus aboutie n’est autre que la technomagie, utilisant d’une nouvelle manière cette magie différente afin de faire fonctionner les machines les plus étranges. Une magie qui se laissait à nouveau canaliser, au fur et à mesure que les peuples apprenaient à la redécouvrir. Une magie qui dépendant des fées, ces étranges créatures apparues peu après le cataclysme…

     

     

     

    Pour la première fois, tous ces peuples ne purent compter que sur eux-mêmes pour se reconstruire, et rebâtir ce qui avait été perdu. Iqhbar était née une seconde fois. »

     

     

     

    Inus, le Chroniqueur

     

  • Lucie 48

    C'est bizarre, c'est toujours quand je suis le moins inspiré et que je me force le plus à m'y mettre que j'écris le plus... Deux pages pour aujourd'hui!^^

    ____________________________________________________________________________________

     

     

    Il arrivait parfois -pas souvent- à John Horst de se demander d'où il tirait toute sa bonne humeur, où est-ce qu'il allait chercher tous ses sourires, ses clins d’œil et ses paroles réconfortantes. Après tout, il fut un temps où il n'étais pas certain de posséder une telle force en lui, et où il passait de longues périodes dépourvues du moindre sens, à fumer bien des choses plus fortes que le tabac fruité qui brûlait doucement dans sa pipe. Le prêtre n'avait pas connu Stuart Moore, mais il se serait trouvé bien des points communs avec le soldat décédé : tous deux issus des bas-fonds de l'Hégémonie, contraint d'avancer dans une adversité où ils pataugeaient jusqu'aux genoux et amateurs de bon tabac. Mais contrairement à Moore, John ne s'était laissé porter par le courant que jusqu'à un certain point. Jusqu'à ce que son cœur soit brisé, qu'il réalise qu'il n'y avait pas assez de bouteilles en ce monde pour réussir à en voir le véritable fond, et qu'il décide de garder la tête haute. Car John Horst n'avait pas été prêtre toute sa vie, ça non. Il avait passé plus de temps à répandre ses boyaux et son haleine sur les trottoirs que la bonne parole, même si cela faisait maintenant près de vingt ans qu'il officiait au sein de l'église. A soixante ans passés, l'homme commençait seulement juger avoir traversé assez d'épreuves pour réellement aider autrui à en faire de même. Il avait vécu, ça oui, et pas qu'un peu. Il avait même été marié, et il estimait avec conviction que quiconque n'ayant jamais expérimenté suffisamment longtemps l'institution qu'était le mariage n'était pas vraiment capable de comprendre quoi que ce soit à l'adversité, et encore moins de savoir comment la traverser. Le voyage de John à travers cette dernière avait été long, éprouvant et s'était la plupart du temps effectué de manière vacillante, mais il n'aurait pas été l'homme qu'il était aujourd'hui sans toutes ces épreuves. Et parfois, il était encore stupéfait d'avoir aussi bien tourné quand tout ou presque le prédestinait à rater un virage et finir dans un mur. Mais même dans ses périodes les plus noires -et c'était là un détail capital qui le différenciait d'un homme comme Stuart Moore- il avait refusé de passer plus de temps que nécessaire à se sentir désolé pour lui-même et à en vouloir au reste du monde. Non, le reste du monde, il avait fini par s'y plonger, bien décidé à en faire partie et, dans la foulée, à le rendre ne serait-ce qu'un peu meilleur. Du moins il était décidé à tout faire pour. Si lui s'en était sorti, il n'y avait pas de raisons que d'autres ne fassent pas de même. Plus souvent qu'à son tour, il suffisait d'un peu de cœur, de partage et d'une bonne pipe pour sortir la tête hors de l'eau. Avec un petit coup de pouce d'en haut, bien sûr, ajoutait toujours John Horst, qui croyait volontiers à une puissance supérieure, mais qui ne bougeait que rarement plus d'un pouce, histoire de ne pas écraser les simples mortels de toute sa force cosmique. Au final, John croyait surtout en l'institution et le bien qu'on pouvait faire à travers elle. En terme d'opinions, il restait un esprit ouvert et avait appris à ne pas y accorder plus d'importance que cela ; après tout, comme il aimait à le rappeler, il avait été marié...

     

    Et alors même qu'il se retrouvait coincé à la surface d'un monde hostile, avec une potentielle âme mal intentionnée dans les parages et des créatures d'on ne savait quel enfer aux portes, John Horst se disait qu'après tout, ça pourrait être pire. Il avait encore assez de tabac, la compagnie était bonne, et il était en vie. C'était un fait que bien trop de gens prenaient pour acquis à son goût, et n'y pensaient alors plus vraiment comme un avantage inouï, et ce même dans les moments les plus noirs. Selon Horst, du moment qu'on était en vie, les choses ne pouvaient que s'arranger. C'était un principe qu'il aimait partager avec ceux qui croisaient sa route, et qu'il retrouvait plus que jamais chez cette curieuse petite fille qui lui faisait face. Bien sûr, elle avait l'enfance avec elle, où la vie était une certitude si absolue qu'elle ne causait guère d'interrogation, mais il y avait en Lucie Robbins une flamme plus ardente encore que celle qu'on voyait dans les yeux marqués par les épreuves de sa mère. Parler avec la fillette était toujours une expérience unique, parfois un brin déstabilisante, et John Horst n'était pas le premier à ne vraiment réussir à savoir pourquoi. Mais l'expérience restait toujours agréable et, selon le vieux prêtre, incroyablement revigorante.

     

    -Tu n'arrives pas à dormir, petite ? finit-il par lui demander entre deux bouffées.

     

    -J'sais pas, j'ai pas vraiment réessayé. J'me suis réveillée, et j'avais plus sommeil.

     

    -Je vois ça.

     

    -J'ai fait un rêve. Mais j'ai l'habitude, comme j'ai dit à monsieur Delgado quand je l'ai vu dans l'autre wagon, avant.

     

    -Les rêves sont des choses bien curieuses. Diego ne l'avouera pas, mais je le soupçonne d'être lui-même un grand rêveur, derrière les airs sévères qu'il se donne.

     

    A la vérité, Diego Delgado était une énigme pour le vieil homme, qui se targuait pourtant d'être un bon juge de caractère. C'était sans doute pour cette raison que le clergé les avait envoyé tous deux à Haven, espérant que le tempérament de Horst finissent par déteindre sur son jeune et réservé collègue. Plusieurs personnes -dont Horst- s'inquiétaient parfois de voir à quel point le garçon pouvait se révéler... intense, faute d'un autre mot. Mais Diego était aussi un esprit brillant, et son vieux confrère trouvait sa compagnie stimulante, quand le jeune homme était d'humeur égale. Le reste du temps, le contact était plus...difficile.

     

    -Et vous, vous rêvez ? La question de Lucie prit un peu John Horst au dépourvu.

     

    -Moi ? Pas depuis longtemps. Je pense que j'ai passé l'âge de m'en souvenir ou, et c'est une chose différente, d'y accorder assez d'intérêt pour ce faire.

     

    -Jamais ?

     

    -Je ne dirais pas ça. Quel homme pourrait prétende ne plus jamais rêver ? C'est juste que je pense être trop vieux pour me perdre dans des chimères. Même si...

     

    Le vieux prêtre s'interrompit, la pipe à la main, tandis que son regard se perdait sur la vitre et l'obscurité au-dehors. La teinte du verre était toujours trop prononcée pour qu'on puisse discerner des détails à travers, mais on pouvait deviner une sorte de halo diffus, alors même que la nuit était tombée sur Éclat.

     

    -Même si quoi ?

     

    -Je me dis que nous voilà bloqués ici, à l'extérieur, sous un ciel véritable qui n'est pas constitué de roche et de béton, et que nous n'avons même pas l'occasion de voir des étoiles. J'ai toujours rêvé de voir les étoiles. Ailleurs que sur un écran, s'entend.

     

    -Je comprends. Il y a plein de choses que je veux voir, moi aussi ! Il y avait le train, et puis la neige, et puis le ciel, et Haven aussi. Mais les étoiles, c'est bien.

     

    -Ah bon ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

     

    -J'en ai vues dans mes rêves.

     

    -J'en voyais souvent dans les miens, aussi. Mais j'ai eu d'autres rêves, puis d'autres buts, et je n'ai jamais vraiment trouver le temps d'en accorder à nouveau pour tout ça. Pour les étoiles. Après tout, il y a des gens plus vieux que moi qui n'en ont jamais vues, et qui n'en verront jamais. J'ai l'impression que c'est notre lot à tous, ici bas.

     

    -Ça ne vous rend pas trop triste ?

     

    -Non. Pas vraiment. Un temps, ça aurait pu, mais maintenant je me dis que ça ne vaut pas la peine de se lamenter sur ce qu'on ne peut pas voir. Il vaut mieux profiter de ce qu'on a devant les yeux quand c'est le cas, plutôt que de regarder au-delà, dans un futur incertain, et de ne pas vraiment voir ce qui est important.

     

    -Oh. Je comprends. Enfin je crois.

     

    Lucie bailla à s'en décrocher la mâchoire, Horst sourit à nouveau :

     

    -Tu devrais peut-être aller te recoucher. Je suis sûr que d'autres rêves t'attendent !

     

    -Je sais. Je les connais. Mais j'ai bien envie de dormir, maintenant.

     

    Elle se laissa tomber à terre et, après quelques pas, elle se retourna et vint se planter devant le prêtre, glissant sa petite main dans la sienne, grosse et calleuse :

     

    -Vous verrez les étoiles avant la fin, ça, je le sais.

     

    Surpris, John ne sut pas trop quoi répondre à ça mais Lucie ne s'en formalisa pas ; elle lui offrit un beau sourire, sincère, lumineux, mais curieusement un peu triste, et s'en fut.

     

    -Bonne nuit, monsieur Horst.

     

    -Bonne nuit petite...répondit le prêtre, qui se remit à tirer sur sa pipe, songeur.

     

    La fillette retourna vers les sièges où elle avait établi son lit de fortune et, au passage, repassa devant la silhouette endormie du père Delgado. Et même dans la pénombre, elle pouvait voir qu'il n'avait plus l'air aussi paisible, même dans le sommeil : sans trop savoir comment, elle sut qu'il était en train de rêver, et qu'il n'aimait pas cela. Sur son visage endormi, on pouvait lire le fait qu'il essayait de fuir ses rêves. Un discret frisson remonta dans le dos de Lucie à cette pensée, mais elle décida de ne pas y accorder plus d'importance. Elle était à nouveau fatiguée, et ses rêves à elle l'attendaient. Le bleu l'attendait toujours. Lucie Robbins se hissa sur les sièges, se roula en boule sous la cape et les couvertures, et ferma les yeux.

     

  • Lucie 47

    Une petite page, ça continue!^^

     

    _______________________________________________________________________________________

     

     

    Mais aussi traumatisante que fut la fin de son rêve, elle ne s'éveilla pas en sueur, le souffle court, les pupilles dilatées. Elle s'éveilla comme on cligne des yeux, sans le moindre effort, glissant avec aisance du songe à la réalité. Ou peut-être était-ce l'inverse, de cela elle n'était plus si sûre. Ce n'était pas non plus la première qu'un de ses rêves bleus -comme elle les appelait- se terminait ainsi, et si les premières fois elle en était effectivement sortie en hurlant, elle en revenait maintenant comme d'une promenade en chemin connu, à chaque fois plus proche du but. Et c'était cela qui comptait, et non pas les écueils en cours de route. D'autant que Lucie jugeait qu'il était idiot de s'effrayer de rêves. La vraie vie faisait bien plus peur, elle le voyait parfois dans les yeux de sa mère, quand celle-ci songeait au passé, avant qu'elle ne puisse les mettre toutes deux à l'abri. Et cette nuit, dans ce train, Lucie se sentait curieusement plus en sécurité que jamais. Et elle commençait à se dire qu'il ne s'agissait pas tant du train que de l'étendue sauvage dans laquelle il se retrouvait bloqué, à l'air libre. Elle songea à son rêve, quand les contours du wagon s'étaient brouillés autour d'elle lorsqu'elle en était sortie et, s'asseyant sur le siège, elle posa sa main paume ouverte contre la cloison, se demandant si elle allait passer à travers. Mais le métal froid était solide contre sa peau, et elle poussa un bref soupir presque imperceptible, ne sachant pas trop si elle en était soulagée ou, au contraire, déçue.

     

    Précautionneusement afin de ne pas faire de bruit, elle se balança hors de sa couchette improvisée pour atterrir sur le sol. Sur les banquettes en face d'elle, sa mère dormait, une mèche de cheveux rebelle collée sur son front, dépassant de la capuche de son manteau. Elle avait les sourcils légèrement froncés et ses yeux bougeaient régulièrement sous les paupières ; même dans ses rêves à elle, Martha Robbins semblait lutter. Désireuse de ne pas la réveiller, Lucie avança tout doucement pour gagner l'espace couloir. Daniel Grümman avait éteint les néons du wagon au moment du coucher, aussi l'obscurité n'était-elle troublée que par la lumière qui filtrait par l'étroite vitre de la porte de la voiture, derrière laquelle un des soldats de l'escouade prenait son tour de garde ; le major Adams avait jugé bon de ne prendre aucun risque. Quant au silence de la nuit, il était troublé par les respirations profondes, les ronflements et les mouvements inconscients qui constituaient l'orchestre étrange et familier d'autant de personnes rassemblées dans un même endroit légèrement inconfortable pour dormir. Le fond de l'air était bien plus frais que durant la journée mais, fort heureusement, les unités de chauffage de ce wagon continuaient d'assurer leur service minimum. Souhaitant se dégourdir les jambes, Lucie avança de quelques pas au milieu des dormeurs, réfléchissant à la fin de son rêve. Cette nuit encore il lui avait semblé progresser un peu plus loin, mais c'était la première fois que quelqu'un d'autre y apparaissait. Elle jeta un coup d’œil sur le carré de sièges où s'étaient installés les prêtres, et vit que Diego Delgado y était endormi, pelotonné dans une grande cape noir ; sa figure était toujours aussi pâle mais paisible, contrastant avec l'expression sévère qu'il affichait éveillé.

     

    Le père Horst, lui, n'était pas couché. Lucie le trouva plus loin, assis sur un siège qui jouxtait la grande fenêtre du wagon. Une couverture épaisse sur les épaules, il fixait le verre et avait une pipe à la main. De temps en temps, il la portait à ses lèvres avant d'expirer un discret nuage de fumée ; le tabac sentait bon, son odeur était douce et fruitée. Le vieil homme était manifestement plongée dans ses pensées, et il tapotait distraitement d'un rythme précis, comme celui d'une chanson, sur sa cuisse des doigts de sa main libre. Lucie eut l'impression de l'entendre fredonner tout bas, dans un semi-chuchotement, mais elle n'en était pas sûr, aussi décida-t-elle de s'approcher, curieuse. Doucement elle vint le rejoindre, pour ne pas le déranger, et elle s'installa sur le siège en face du sien. Oui, il était bien en train de chantonner dans sa barbe, l'air un peu absent et elle continua d'écouter. Elle finit même par reconnaître l'air, celui d'une vieille ballade classique de l'Hégémonie qui passait souvent à la radio, dans le brouhaha ambiant du bistrot où la mère de Lucie travaillait. La fillette en était à se demander si elle devait signaler sa présence quand le prêtre la remarqua de lui-même, tournant distraitement la tête. Aussitôt, sa large figure s'éclaira d'un de ses fameux sourires :

     

    -C'est la petite Lucie!s'exclama-t-il doucement, et cette dernière lui rendit son sourire. Il était très difficile de ne pas répondre à la bonne humeur du vieux prêtre, comme les autres passagers l'avaient appris durant cette éprouvante journée.