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  • Lucie 91

    Et voici deux pages pour bien commencer la semaine! Mine de rien, la fin se rapproche de plus en plus, cette fois c'est certain...

     

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    Assis sur un rocher plat qui perçait la neige, Arthur Kent se frottait les mains à travers ses gants dans l'espoir vain de les réchauffer. Il avait abandonné depuis longtemps toute idée de chaleur, même lorsque le major Adams avait tenté de faire un petit feu. Malgré l'allume-feu et les matériaux prévus pour de son paquetage, les flammes n'avaient pris qu'un instant dans un bref crépitement bleuté. C'était comme si l'atmosphère glaciale étouffait jusqu'à la plus petite velléité de réchauffement. Pourtant, l'équipement aurait du fonctionner, et il n'avait pas l'air défectueux. A croire que la surface essayait activement de faire tout son possible pour les gêner un peu plus, songeait l'écrivain, se maudissant pour son imagination. Il avait pensé sortir son cahier, mais il avait les doigts si engourdis qu'il doutait de la stabilité de son écriture. Et la profonde lassitude qu'il ressentait n'allait pas l'aider à prendre le dessus sur la crainte qui habitait son esprit. Il réussissait à rester calme pourtant, malgré les tremblements qui agitaient son corps et l'air gelé qui lui lacérait les poumons à chaque inspiration. Il s'étonnait un peu lui-même, n'ayant jamais vraiment été de ceux qui savaient faire face à l'adversité. Mais dans une situation pareille, les ressources de chacun étaient revues à la haute. Ils n'avaient pas vraiment le choix. Il ne restait qu'à espérer que cela soit suffisant pour affronter ce qui les attendait.

    L'air las, Arthur observait ses compagnons, tous en train de dormir. Cela faisait quelques heures qu'ils s'étaient arrêtés, et c'était à son tour de monter la garde. Une lampe torche était plantée dans la neige à portée de main, et le major lui avait confié une arme de poing. Kent espérait fortement ne pas avoir à s'en servir, doutant de ses prouesses avec un tel objet, et il savait que son rôle se bornerait à réveiller les autres si besoin était. Et cela lui convenait. Martha et Lucie Robbins dormaient pelotonnées l'une contre l'autre, recouverte d'une des couvertures de survie militaires fournies par le major. Ce dernier reposait adossé à un tronc en face des Robbins, l'air sérieux jusque dans son sommeil. Mais là où mère et fille dormaient aussi paisiblement que possible étant donné les circonstances -la présence de Lucie semblant même réchauffer sa mère plus que jamais- Canton Adams semblait passer un moment éprouvant. De temps en temps, Kent l'entendait grognait et le voyait serrer des dents, et de la sueur givrait sur son front. Sa jambe blessée était étendue devant lui dans une attelle de fortune, et Kent s'inquiétait de la gravité de la blessure. Aucun d'eux n'avaient les compétences de Sungmin en la matière, et Adams était du genre à garder pour lui la gravité d'un tel choc. Néanmoins, l'écrivain gardait confiance : le major avait prouvé qu'il ferait tout pour les mener à bon port, et il restait leur guide. Même s'il n'en savait visiblement pas beaucoup plus sur la situation que les civils, ce qui ne manquait pas de piquer la curiosité naturelle d’Arthur. Il n'avait pas besoin de se forcer pour imaginer les théories les plus folles. Aucune ne lui paraissait probable, mais cela lui faisait du bien de s'occuper l'esprit.

    Il en était là, installé aussi confortablement que possible, quand il entendit le premier cri. Il sentit aussitôt son sang se glacer dans les veines : il avait déjà entendu ce son. Quand ils avaient dû fuir les voitures en flammes, courant dans la neige en espérant échapper aux prédateurs qui les encerclaient. Le hurlement semblait isolé, curieusement haut perché, comme dans un appel, et fort heureusement aucune réponse ne lui parvint en retour. Du moins pour l'instant. Sans perdre de temps, Arthur Kent s'élança de son rocher pour retomber à quatre pattes dans la neige, cheminant tant bien que mal vers le major. Il lui secoua l'épaule et l'officier se réveilla aussitôt, servi par des années d'entraînement. Un éclat interrogateur balaya un instant la douleur dans ses yeux, bien vite remplacé par la dureté d'un homme d'action quand il entendit un cri. S'appuyant sur son arme pour se relever en grimaçant, il fit silencieusement signe à Kent de réveiller tout de suite les Robbins, ce que l'écrivain s'empressa de faire sans tarder. Martha réagit aussi promptement que possible compte tenu de l'engourdissement qui l'habitait elle aussi, et Lucie fut sur pied comme si de rien n'était. Elle ne lâchait plus la main de sa mère, et les quatre survivants se regroupèrent à flanc de montagne, face au petit chemin naturel et glacé qui serpentait le long de la falaise.

    -On n'a vraiment plus le choix, chuchota le major d'un air impérieux. Couper par les terres, par la forêt, nous remettrait trop facilement à la merci de ces saletés. L'autre chemin devrait être aussi peu pratique pour elles que pour nous, ce qui devrait nous donner un peu d'avance. Nous n'avons plus de temps à perdre, allons-y ! Kent, vous prenez la tête ! Suivez la direction que je vous ai indiquée, et n'en déviez pas. Je garderai nos arrières. Allons !

    Arthur n'hésita qu'une seconde, avant de prendre une profonde inspiration et de faire un premier pas en avant. Il n'était vraiment pas rassuré par l'étroitesse de la piste qui s'offrait à lui. Outre les pierres saillantes et les plaques gelées, il n'avait pas l'air très stable, et le vide noir qui longeait la falaise n'avait rien de rassurant. Surtout lorsqu'il se remémorait le sort d'Ed Travers. Mais le major avait raison, ils n'avaient plus le choix. Il commença alors à se mettre en route, aussi vite que possible tout en prenant ses précautions pour ne pas glisser et disparaître dans le gouffre à la première occasion. De sa main gauche, il pouvait tâter la paroi froide et imposante de la montagne, et il devait lutter contre l'instinct qui le poussait à se coller contre, loin du rebord. Derrière lui il pouvait entendre les autres prendre sa suite. Martha poussait de brefs encouragements destinés aussi bien à sa fille qu'à elle-même, et Lucie faisait preuve d'une concentration à toute épreuve. Le souffle court du major fermait la marche, et il se déplaçait aussi vite que le lui permettait sa jambe blessée, le doigt sur la gâchette de son arme, jetant de fréquents coups d’œil en arrière. De temps en temps, le même cri lugubre et terrifiant se faisait entendre derrière eux tous, ce qui poussait régulièrement Arthur Kent à accélérer le pas lorsqu'il redevenait trop prudent. Les hurlements semblaient lointains, mais impossible de savoir à quel point. Tous les sons semblaient distordus dans ce brouillard, et Arthur ne se fiait pas autant à ses sens qu'il l'aurait voulu. Il se contentait de continuer à avancer quoi qu'il arrive, et ce malgré le froid et la fatigue qui le tenaillaient, engourdissant un peu plus son corps à chaque pas. Il continua ainsi sur plusieurs centaines de mètres qui lui parurent être autant de kilomètres, jusqu'à ce que on pied butte dans un rocher plus gros que les autres. Cela ne suffit pas pour le faire trébucher malgré sa maladresse, mais il s'arrêta quand même. Il appuya à nouveau son pied contre le caillou et finit par se baisser pour y poser sa main.

    -Qu'est-ce qu'il se passe devant ? Kent ?

    -Une seconde major, marmonna distraitement l'écrivain. Qui ne rêvait pas : il sentait bien le caillou vibrer. Doucement, de manière sourde, mais assez pour qu'il puisse le réaliser en se concentrer bien. Saisi soudainement d'une peur glacée qui transforma son estomac en béton, il se colla ventre contre la paroi montagneuse, tournant la tête pour mieux y apposer son oreille.

    -Arthur ? Il y avait des éclats d'inquiétude dans la voix pourtant calme et maîtrisée de Martha.

    -Quelque chose est en train de se passer...répondit Kent. Puis, sans même se retourner, il se précipita soudain en avant, hurlant un mot  qui franchit ses lèvres froides :

    -Courez !

    Et avant même de savoir si les autres prenaient sa suite, il se mit à suivre sa propre injonction, beaucoup moins inquiet à l'idée de déraper et de faire une chute. Notamment parce qu'il risquait bien plus gros à lambiner. Entre avalanche et glissement de terrain, un pan de la montagne était en train de s'effondrer, et ils étaient pris au cœur du phénomène. Un terrible grondement recouvrit rapidement les cris et les bruits de courses, quand une masse énorme se mit à glisser de manière incontrôlables, arrachant de véritable morceaux de rochers gelés à la pierre. Des craquements sinistres épouvantables se déchaînaient là où la glace prédominait et se brisait, et Arthur Kent crut un instant que le monde entier allait lui tomber sur la tête. Il courut aussi vite que possible sur le terrain accidenté, battant des bras pour recouvrer son équilibre lorsqu'il traversait une zone difficile. Il entendait des cris derrière lui, étouffés par le bourdonnement terrible du danger qui les menaçait, et il ne comprenait plus rien à ce qu'il pouvait entendre. Seule la fuite importait. Mais il ne pouvait s'imaginer laisser derrière lui ses compagnons d'infortune, aussi finit-il par se retourner brièvement quand le chemin formait un coude au-dessus du vide, tournant pour mieux accompagner le tracé de la montagne. Et ce qu'il vit, ce fut plusieurs tonnes de roche et de neige qui se déversaient dans l'abîme, emportant tout sur leur passage. Il voyait Martha et sa fille courir vers lui, poussées par un Canton Adams qui claudiquait comme jamais, la bouche ouverte sur des cris et des ordres indiscernables. Puis un bruit épouvantable résonna au-dessus de leurs têtes quand une partie plus saillante de la paroi céda sous le déluge gris et blanc, se brisant comme une brindille avant de glisser le long du mur naturel. Cette véritable plaque de roche et de glace s'effondra pour venir obstruer le chemin. Hors de portée du désastre de peu, Arthur ne put que regarder quand Canton Adams poussa en avant Martha et Robbins de toutes ses forces dans le but de les propulser à l'abri, et quand tous les débris de la montagne vinrent les séparer dans un déluge gris et blanc.

     

  • Lucie 90

    Et hop, on arrive au passage 90, quand même! o/

     

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    Cela faisait plusieurs heures que le petit groupe marchait péniblement dans la neige. Martha tenait fermement la main de sa fille -qui ne s'en plaignait pas- et Arthur Kent se tenait aux côtés du major Adams, prêt à l'aider en cas de faux pas. Le soldat s'appuyait maintenant sur une grande branche gelée incroyablement dure, et il gardait les yeux fixés sur la boussole qu'il avait au poignet. La souffrance dans sa jambe était de plus en plus sourde, comme si son sang se mettait à pulser en un rythme lancinant, profond et incroyablement douloureux. Jamais un membre blessé ne lui avait fait aussi mal, et certainement pas de cette façon. Mais il ne pouvait y accorder d'importance, pas tant qu'ils ne seraient pas tous à l'abri. Là, il pourrait se permettre de souffler, et d'accepter ce qui lui était arrivé. Ce qui leur était arrivé à tous. Aucun des quatre survivants ne parlaient, concentrés sur leur marche à travers la brume épaisse. Ils avaient tous conscience de leur chance inouïe d'être en vie...et de ceux qui ne l'étaient plus. Canton essayait d'y penser le moins possible, mais c'était là peine perdue. Non seulement il n'avait pas su protéger tous ces civils comme il aurait dû, mais il avait perdu toute son escouade. Cinq hommes et femmes sous ses ordres, dont il avait été le responsable. Qu'il avait entraîné, et qu'il avait vu devenir une véritable unité, soudée et efficace. Et il ne restait plus que lui, l'officier. Celui qui n'aurait pas dû survivre. Il se dit une fois de plus qu'il aurait tout donné pour prendre la place d'un de ses gars. Il l'aurait fait sans hésiter, et les survivants auraient eu un jeune soldat solide pour les protéger plutôt qu'un vieux major blessé et fatigué.

    Mais Canton tenait le coup, du mieux qu'il le pouvait. Il n'avait pas le choix, de toute façon. Il était leur guide, et il n'allait pas faillir à cette tâche. Pour la mémoire de ceux qui n'étaient plus et qui leur avaient permis d'arriver jusque là, et surtout pour les vivants. Pour Arthur Kent, qui avançait sans se plaindre malgré la difficulté de la situation ; pour l'étonnante et la courageuse petite Lucie et pour sa mère, qui jetait de temps un temps un regard à Adams et le gratifiait d'un mince sourire qui le poussait à se reprendre et à avancer. Ce qu'ils faisaient tous, épuisés et meurtris par le froid, auquel seule Lucie semblait curieusement indifférente. Ils longeaient le sommet de la falaise, à une distance très respectable du bord, pour éviter de s'enfoncer plus en avant dans le brouillard qui semblait moins opaque en-dehors des arbres. S'ils pouvaient continuer de marcher ainsi, tout droit, ils devraient finir par tomber sur le fameux avant-poste, même si Canton n'était toujours pas sûr de ce qu'ils allaient réellement trouvé. Il espérait que l'endroit soit occupé, ou au moins facile d'accès. Régulièrement, il tentait de faire fonctionner sa radio, mais il n'obtenait que des parasites. Tout ce qui lui restait de réellement utile, c'était sa boussole et la direction dans sa tête.

    -Major, regardez...

    Adams leva les yeux suite à l'injonction de Kent, et découvrit la masse énorme qui se devinait dans la brume. C'était comme une montagne qui venait de faire éruption devant eux et dont le sommet allait se perdre loin, loin au-dessus des arbres. Impossible d'en estimer la taille, où jusqu'à quel point elle s'enfonçait dans les terres. Il y avait dans sa présence quelque chose de surréel qui s'accordait néanmoins avait tout ce qu'ils avaient pu voir de la surface. Lucie Robbins observait la roche bouche bée, et vint poser sa main contre la paroi, comme si l'enfant essayait de prendre le pouls d'une gigantesque créature.

    -Qu'est-ce qu'on fait, major ? On la contourne ?

    Adams prit le temps de réfléchir à la question de Kent, qu'il se posait lui-même. Il se frotta le menton des doigts de sa main libre, tandis qu'Arthur et Martha attendait de savoir ce qu'il en pensait.

    -Je ne suis pas sûr d'aimer cette option, finit-il par dire. Le brouillard est si épais dans la forêt que j'ai peur de nous y perdre, même avec ma boussole. Les radios sont déjà détraquées, je n'ai pas envie de prendre le risque de perdre notre seul moyen de nous diriger...

    -Et on ne peut pas savoir jusqu'où nous conduira un détour. Contourner ce mont pourrait aussi bien prendre des heures...que des jours, et nous ne pouvons pas nous le permettre. Je veux que ma fille soit en sécurité le plus vite possible.

    -Comme nous tous, Martha.

    -Bon, et bien comme on ne peut pas grimper par-dessus, j'imagine qu'il va nous falloir passer par le flanc... Le bord de la falaise est escarpé, mais assez large pour qu'on y marche à la file indienne. Si on est extrêmement prudents, bien sûr.

    La voix d'Arthur Kent n'était pas très assurée, mais Adams sentait qu'il était prêt à le faire, comme eux tous. Encore une fois, la situation ne leur laissait guère le choix. Le major s'approcha du bord, et tâta le sol de son bâton. Rocailleux et givré, il ne semblait pas trop glacé non plus, et ils devraient pouvoir y progresser sans glisser. A cet idée, il s'inquiéta de l'état de sa jambe et de ses capacités à avancer sur un tel terrain, mais il repoussa ses doutes ; il ne pouvait se permettre d'en avoir. Le chemin naturel n'était effectivement large que pour une seule personne de front, et une chute serait périlleuse, mais c'était la bonne direction. Adams prit encore quelques instants pour pondérer la question puis, une fois sa décision prise :

    -Très bien. Nous passerons par le flanc. Il faudra être plus prudents que jamais, et nous irons lentement, en espérant que la traversée ne sera pas trop longue. Mais avant, nous allons en profiter pour nous reposer et manger un peu. Nous en avons tous besoin, et je veux que nous soyons le plus en forme possible. Messieurs dames...repos !

    Avec un sourire, il cligna de l’œil à l'intention de Lucie, qui le lui rendit bien, et il alla s'asseoir avec les autres contre la paroi de la montagne, espérant pouvoir ainsi soulager sa jambe. Ils sortirent les rations de leurs sacs et partagèrent un petit repas froid issu des réserves du train. Là encore, ils ne parlèrent que peu. La fatigue, les courbatures, la peur et le froid prenaient la plupart de leur attention, et ils ne pouvaient rien faire d'autre qu'attendre le temps de se reposer. Outre la douleur, c'était le froid le plus terrible. Il s'infiltrait au plus profond de Canton, et mêmes les épaisses couches de vêtements militaires d'extérieur n'y pouvaient pas grand chose. Chaque respiration était difficile, du givre n'arrêtait pas de se former sur les parties exposées des visages, et la température était si glaciale que le major avait l'impression de brûler. Il avait l'impression d'avoir le crâne pris dans un étau de froid, ses pensées prisonnières dans la glace... La surface réclamait un lourd tribut, et il comprenait maintenant d'autant mieux pourquoi ses ancêtres avaient aussitôt décidé de s'enfoncer dans les profondeurs de ce monde quand ils étaient arrivés sur Éclat. Peut-être aurait-il mieux fallu que personne ne découvre jamais cette caillasse gelée, songea de manière diffuse le major, avant de secouer la tête. Tout n'était pas si terrible : la vie était correcte au sein du Complexe, et l'Hégémonie faisait de son mieux pour assurer la survie et le confort de son peuple. Mais quand on pensait à cette surface inexplorée et à ce monde qu'on connaissait si peu... Est-ce que cette vie allait pouvoir continuer longtemps ? Haven montrait que le changement était inévitable, et le nouveau complexe n'était qu'une première étape dans un plan d'ensemble que Canton Adams devinait de plus en plus grand. Mais il n'était qu'un soldat, ce n'était pas à lui de ses poser ses questions. Sa seule tâche, c'était de ramener ces gens en vie. Alors il repoussa ses doutes, mis de côté ses interrogations, essaya d'ignorer au mieux le froid et la douleur et ferma les yeux ; lui aussi avait besoin de repos.

     

  • Lucie 89

    Et hop, ça reprend, on ne va pas s'arrêter en si bon chemin!^^

     

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    -Lucie !

    La voix de Martha Robbins la précéda tandis qu'elle franchissait le couvert des arbres, avec le major Adams toujours appuyé contre elle. Devant eux, ils pouvaient voir Arthur Kent et l'enfant, serrés l'un contre l'autre dans le brouillard. Martha et le major échangèrent un bref regard, l'homme acquiesça à sa demande muette d'un bref signe de tête, et la femme le laissa appuyé contre un tronc avant de se précipiter vers sa fille. L'enfant leva les yeux en entendant son nom et se mit à courir elle aussi. En retrait, Arthur Kent se redressait, frottant la neige de ses pantalons épais. Pâle malgré le froid qui rougissait ses joues et son nez, il avait l'air sous le choc et secoua plusieurs fois la tête, clignant des yeux derrière ses lunettes embuées. Puis lorsqu'il réalisa que les nouveaux venus étaient bel et bien là, il s'autorisa enfin un bref soupir de soulagement.

    -Maman !

    Lucie se jeta dans les bras de sa mère, qui faillit trébucher sous le choc. Elle étreignit sa fille avec la force d'une mère qui était bien déterminée à ne plus perdre son enfant, et elle sentit la prison d'acier qui comprimait son cœur depuis la disparition de sa fille fondre quand Lucie blottit son petit visage dans son cou. La petite entourait elle aussi sa mère de toute la force qu'elle avait dans ses petits bras et dans un tel moment, rien ni personne n'aurait pu les séparer. Avançant lentement, se servant de son fusil d'assaut comme d'une cane, Canton Adams finit par rejoindre les Robbins. Il sourit dans sa barbe, heureux d'assister à une telle scène : la douleur dans sa jambe n'avait plus vraiment d'importance. Il croisa le regard de Kent, qui s'était rapproché à son tour, et les deux hommes n'eurent pas besoin de parler pour se comprendre.

    -Bon sang Lucie, je refais jamais quelque chose comme ça ! Qu'est-ce qui t'a pris ?

    Le soulagement le disputait à la colère dans la voix de Martha, et Lucie soutint le regard de sa mère quelques secondes, avant de baisser la tête avec honte.

    -Je suis désolée maman. Je suis vraiment désolée... J'ai cru... Et à cause de moi, monsieur Travers a...

    L'enfant fut incapable de finir sa phrase, et la détresse qui l'habitait à cet instant poussa aussitôt Martha à la serrer à nouveau contre elle, lui caressant doucement le dos pour essayer de l'apaiser.

    -Ça va aller ma grande, ça va aller, on s'est retrouvés toi et moi...

    Tout en rassurant sa fille, elle formula une question muette à l'adresse d'Arthur, qui déglutit péniblement avant de répondre :

    -Lucie était coincée, et Ed lui a permis de remonter, que je puisse la hisser en toute sécurité. Mais lui...

    -Travers est tombé, en conclut le major Adams, l'air grave.

    Kent hocha piteusement la tête, et Canton étouffa un juron. Travers avait beau avoir été un type insupportable -Canton, comme pratiquement tous les autres occupants du train, l'avait pris en grippe dès le début- il n'avait pas à finir comme ça. Adams y voyait un nouvel échec : pendant qu'il gisait dans la neige, stupidement blessé, quelqu'un d'autre était mort.

    -Il a fait preuve d'un grand courage, sur la fin...commenta l'écrivain, comme pour s'en convaincre lui-même. Il était manifestement bouleversé par la situation, et c'était compréhensible : rien dans son caractère n'était fait pour traverser une telle épreuve. Mais il était encore là, avec eux, et ils ne pouvaient se permettre de perdre une personne de plus. Il leur fallait rester plus soudés que jamais.

    -Vous avez fait tout votre possible, Kent. La gamine est sauve grâce à vous deux. Cela n'aurait servi à rien que vous le suiviez dans l’abîme.

    Un bref éclat de compréhension traversa la douleur qui se lisait dans les yeux de Kent, et il trouva la force de hocher la tête. Puis il regarda à nouveau la mère et sa fille, et Adams et lui échangèrent un bref sourire : tout n'était pas perdu. Toujours blottie dans les bras de Martha, Lucie ne pleurait pas. Les larmes n'auraient pas suffi à exprimer toute la peine de l'enfant. Pas en cet instant, en tout cas. Quand les deux Robbins desserrèrent leur étreinte, Lucie tenait contre elle l'appareil à musique que Ed Travers lui avait confié. Et bien en peine celui ou celle qui aurait voulu le lui prendre, ou même lui faire lâcher.

    -Salut petite. Content de te revoir, sourit simplement Adams à son égard.

    -Vous êtes blessé major ? L'inquiétude de la fillette était sincère, et il prit son air le plus brave avant de lui répondre :

    -Rien de grave, surtout pour un vieux soldat comme moi. Travers a été incroyablement courageux. Ce qu'il a fait été juste, il l'a décidé de son propre fait, et tu n'y étais pour rien. D'accord ?

    Lucie plongea son regard dans le sien et resta immobile de longues secondes, sa petite tête tournant à plein régime derrière ses sourcils froncés et sa bouche encore tordue par la peine. Mais elle finit par acquiescer, même si Adams savait qu'elle ne le faisait que pour être courageuse, et que la peine était bien loin de la quitter. De même que la culpabilité. Mais ils ne pouvaient rien y faire maintenant.

    -D'accord.

    -Bien. Adams se racla la gorge, redistribua son poids sur ses jambes de manière à mieux supporter la douleur, avant de reprendre. Nous ne pouvons pas rester ici. Le brouillard peut s'épaissir, et dieu seul sait quels autres horreurs se cachent à la surface. Il faut qu'on se remette en route. Je vais pouvoir retrouver la bonne direction, et on y va. Atteindre cet abri est notre seule chance.

    Si il s'agissait effectivement d'un abri qui était décrit dans ses documents. A vrai dire, le major ne savait pas du tout ce qu'ils allaient trouver au bout du chemin. Il savait seulement qu'ils n'avaient pas d'autre choix que de s'y rendre le plus vite possible.

     

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    Plus loin derrière le petit groupe, des cris et des sifflements pouvaient se faire entendre entre les arbres. Quelque chose remontait leur piste, quelque chose qui n'était pas incommodée par le brouillard ambiant. Quelque chose de blessé, quelque chose d'implacable, quelque chose de très en colère. La créature tendit son cou gracile vers le ciel, et poussa un long hululement farouche. Ici, elle était sur son domaine. Sans plus attendre, elle se remit en route.

     

    * * *