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Blog - Page 8

  • What's up doc?

    Cette fois-ci, pas d'historiette, et j'abandonne la forme en vous le temps d'un texte en je. Parce qu'il fallait que j'essaie. De trouver les bons mots, d'expliquer, de comprendre.

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    « Mais finalement, qu'est-ce qui n'va pas chez toi ? Pourquoi tu ne fais rien, pourquoi être en assurance invalidité ?» est une question à laquelle je me confronte tous les jours. Bon, on ne me l'a jamais posée de cette manière-là, même si ça s'en est déjà approché. La plupart du temps, on danse sur des œufs comme si on ne savait pas comment me poser la question, et la plupart du temps, ça m'arrange bien parce que je ne sais pas comment répondre. Au fond, je suis sans doute celui qui me pose le plus la question, dans un éternel dialogue intérieur qui me laisse plus souvent à court de mots qu'autre chose. J'ai beau savoir, je sais rarement comment l'expliquer concrètement. Et ce n'est pas facile non seulement pour moi, mais plus encore dans mon rapport avec les autres.

     

    Car qu'est-ce que je suis censé leur dire ? Comment arriver à expliquer quelque chose d'aussi intime quand je ne suis moi-même pas sûr de le comprendre ? Et si j'ai atteint une sorte de paix -fragile certes, mais de paix quand même- avec mon état, il en va parfois autrement lorsque je dois le confronter au monde extérieur, et au regard des autres. Bon, avant toute chose, je tiens à préciser qu'en ce qui concerne mes proches, j'ai de la chance : j'ai des amis formidables et une bonne famille. La plupart comprennent, et les autres l'acceptent même quand ils n'arrivent pas vraiment à comprendre. Mais même avec tout ce petit monde, j'ai de la peine à communiquer, à être qui je suis vraiment, à exister sans crainte. J'ai toujours l'impression de recevoir plus que je ne donne, d'écouter plus que je ne parle, parce que...et bien, parce que je ne sais pas comment dire ce que j'ai envie de dire. Comment soutenir, comment réconforter, comment encourager. C'est un de mes soucis, la communication. Un gigantesque blocage dont je suis incapable de déterrer les fondations, dépourvu de pistes sur lesquelles creuser. Non seulement je ne sais pas m'adonner au bavardage avec les inconnus, mais je me retrouve souvent dans cette situation terrible où je suis incapable de formuler ce que j'aimerais dire à ceux qui me sont le plus proches. Même quand c'est des mots simples, même quand c'est pour réconforter, même quand cela n'a tout bonnement aucune chance d'être mal pris et que je le sais pertinemment. Mais j'en suis incapable presque à tous les coups, ou alors je n'y arrive que par écrit, et par la suite. Sur le moment, je bloque, je suis dévoré d'une peur profonde, d'une ineffable panique, qu'il s'agisse de présenter ma sympathie ou de demander la moindre chose. Un vide absolu, une crainte qui me remue les tripes, et dont les raisons me sont inconnues. J'aimerais pouvoir dire plus, j'aimerais pouvoir partager plus, j'aimerais pouvoir me découvrir plus pour ces gens qui comptent autant pour moi, mais le premier pas m'est souvent insurmontable. De même que le second, voire le troisième. Et y arriver une fois, ou deux, ou plus, ne change rien : à chaque fois, c'est le même combat, aussi bien pour les grandes choses que pour les plus insignifiantes.

     

    Mais ce n'est pas le cœur du problème, plutôt un symptôme qui en dérive. Non, le centre de tout ça est difficile à décrire parce qu'il n'y a pas de mot pour en désigner la condition. J'entends souvent dire que l'humain a un besoin trop grand de mettre dans des cases et que ce besoin s'avère réducteur, et sur le principe je suis d'accord. Mais dans le même temps, c'est très difficile quand on est incapable de décrire précisément ce qu'on traverse. J'ai beau le ressentir, j'ai beau le vivre, j'ai beau savoir ce que je sais, aux yeux de la société en général cela me donne une terrible impression d'invalidité (sans mauvais jeu de mots concernant notre chère AI, à savoir l'assurance invalidité en Suisse). Et comment leur donner tort ? Mes jambes fonctionnent, de même que mes autres membres et que le reste de mon corps physique. J'ai un cerveau en état de marche, je suis capable de prendre mes propres décisions, je ne suis pas confiné à une chambre d'hôpital, qu'il s'agisse d'un centre de soins physiques ou d'un asile.Aux yeux du monde, qu'est-ce qui peut justifier mon état ? De ne pas avoir d'étiquette, j'en deviens inclassable, ce que la société n'aime guère. Et pour ceux qui n'ont d'autre choix que de vivre leur vie à la dure « comme tout le monde », je deviens une énigme, voire une source de jalousie et de frustration. Si je suis capable de bouger, si je suis capable de réfléchir, si je suis capable de vivre comme je l'entends, pourquoi ce « traitement de faveur « ? Je dois sans doute faire semblant, ou à tout le moins forcer le trait, profiter du système. J'ai déjà entendu -généralement par échos, par personnes interposées- que si je montrais que je profitais de la vie, c'était que je n'avais aucune raison d'être à l'AI. Comme si je me devais d'être misérable en permanence pour le justifier, et que trouver le bonheur ou je peux est forcément incompatible. Je suis parfaitement conscient d'avoir beaucoup de chance : bons amis, bonne famille, bon environnement, bon cadre de vie, bonne santé physique. Et j'en suis d'autant plus conscient qu'il y a une quantité astronomique de gens qui souffrent bien plus que je ne souffrirai jamais de toute ma vie. Mais face à tout ça, qui suis-je ?

     

    Mon problème, c'est que je ne sais pas vraiment comment qualifier mon problème. C'est un peu de ci, un peu de ça, mais ce n'est pas vraiment ci, et pas vraiment ça non plus. Tout ce que je peux faire, c'est essayer de mettre à l'écrit des mots que je serais incapable de trouver à l'oral, et de l'expliquer comme je le peux. Mon problème, c'est que c'est comme si mon esprit était conditionné à la faiblesse. Qu'il était incapable de correctement tenir le coup au-delà d'une certaine pression, souvent bien moindre à celle de la plupart des gens. Je le ressens comme une sorte de prédisposition naturelle et involontaire au burnout. C'est ce qui m'a fait m'effondrer une fois avant la fin du collège, c'est ce qui m'a fait m'effondrer au gymnase (lycée pour les français), c'est ce qui m'a fait m'effondrer pour de bon après plusieurs mois d'apprentissage d'employé de commerce. Je n'arrive pas à gérer le quotidien et ses exigences lorsqu'il s'accompagne d'études, d'un boulot, de ces obligations de tous les jours. Et là où c'est encore pire, c'est que j'ai de la peine à gérer mon quotidien tout court, même sans ça, même « à ne rien faire ». Je peux m'effondrer parce que gérer mon emploi du temps, mes tâches de tous les jours, mes loisirs me paraît souvent trop compliqué, trop épuisant, trop angoissant. Je peux me faire un burnout à cause de mes loisirs, et c'est de le dire ainsi où je réalise tout le ridicule de la chose, et où je ressens de la honte. De la honte d'être aussi faible, quand tant de gens supportent bien plus. Même l'écriture, une partie de ma vie que j'adore et qui m'a toujours attiré, s'est révélée de plus en plus difficile au fil des années. Écrire une page ou deux m'épuisera tellement qu'il me faudra parfois le reste de la journée pour m'en remettre. Devoir choisir ce que je vais faire, ce que je vais lire, ce que je vais voir... Rien que ça, cela représente un processus qui me paraît parfois herculéen. Souvent, je ressens un véritable besoin de vacances alors que je n'ai pas à travailler. Comment expliquer ça ? Comment ne pas en avoir honte ? Comment l'accepter ? Et cela se ressent aussi bien dans ma vie quotidienne que mes interactions avec les gens, qui me deviennent parfois elles aussi bien trop gargantuesques et drainantes d'une énergie que j'ai toutes les peines du monde à reconstituer.

     

    Et je ne suis pas aidé par une fatigue chronique, dont le poids se fait ressentir de plus en plus au fil des années. Une fatigue dont personne n'arrive à trouver l'origine réelle. J'ai tout essayé : varier les horaires de sommeil, dormir peu, dormir beaucoup, être régulier, être irrégulier. Je peux arriver à m'imposer dans un rythme que je tiens, sans que la fatigue ne varie jamais d'un iota. J'ai perpétuellement l'impression d'avoir l'esprit dans une sorte de brouillard, et l'énergie d'une éponge. Je crois que le pire, c'est que quel que soit la qualité et la durée de mon sommeil, je ne me sens jamais reposé après une nuit. Jamais. Et je ne dis pas ça à la légère. La dernière fois que je me suis réveillé reposé, je m'en rappelle très précisément, moi qui ai toujours de la peine à me situer dans le passé. J'avais vingt ans, c'était pendant des vacances d'été au bord de la mer avec mes parents, et je me souviens très distinctement de ces derniers matins où je me sentais revigoré. Aujourd'hui, cela va faire dix ans que cela ne s'est jamais reproduit. Je ne sais plus ce que « reposé » veut dire, et ce quoi qu'il arrive. Alors ça m'use, petit à petit, de plus en plus.

     

    Je passerai sur les angoisses, qui sont multiples et souvent dépourvues du moindre sens. Au moins, les crises d'angoisse semblent enfin sous contrôle. Je passerai également sur les phases de déprime cyclique, qui reviennent quoi qu'il arrive. Sur ma peur de la mort qui prenait des proportions paralysantes au collège déjà, et qui m'a poussé jusqu'à mon âge de jeune adulte à forcer mes parents à me répondre « à demain » quand je leur disais bonne nuit et ce toutes les nuits pendant des années et des années dans un rituel insensé. Et aujourd'hui encore, souvent je me retrouve à répéter mentalement un mantra qui ne change pas : « Je veux vivre, je ne veux pas mourir, et ce n'est pas une blague, pas une blague. » Je passerai sur les tocs et les tics, heureusement bien plus sous contrôle maintenant que par le passé. Sur les sanglots incontrôlables sans aucune raison encore maintenant, sur les longues séances de hurlement dans un coussin pour essayer d'évacuer une peine creuse et profonde dont je suis incapable de découvrir l'origine. Ma vie a toujours été un peu compliquée, elle a toujours été atypique, mais elle n'a jamais été mauvaise : je n'ai pas souffert, je n'ai pas vécu de traumatisme, je n'ai pas perdu de proche, j'ai eu énormément de chance. Et pourtant, je ne vais pas bien. Et je me déteste rien que de l'écrire. Et je me demande ce que je réserve l'avenir. Ma mère est schizophrène (mais sous contrôle depuis longtemps maintenant), et je me demande si la relation parfois difficile que j'ai avec elle alors que nous sommes pourtant proches n'est pas une conséquence de ce reflet d'avenir possible que je vois en elle. Pourtant, je ne suis pas schizophrène, je ne rentre pas dans cette case, ni dans une autre, du moins de ce que j'en sais. La névrose et la psychose s'entremêlent, « s'embrouillaficotent » (à défaut de trouver les bons mots, autant les inventer), sans jamais véritablement prendre le dessus. J'ai là aussi de la chance, dans le sens où je n'ai jamais véritablement perdu mon lien avec la réalité. Même si mon imagination et mes angoisses ont longtemps eu sur ma vie de tous les jours une emprise particulière. Comme lorsque j'imaginais, enfant puis jeune ados, que deux créatures qui n'auraient pas dépareillé dans un vieux cartoon en voulaient à ma vie et cherchaient à m'empoisonner, me poussant à forcer pendant des années mes parents à goûter tous mes plats avant d'oser manger. Ou le caractère animiste que j'ai longtemps associé à des objets ; à seize ans, je traitais encore mes peluches comme des êtres vivants, et je mettais toujours mon couteau et ma fourchette dans le même casier du lave-vaisselle pour ne pas les séparer. Et cela explique pourquoi j'avais autant de peine à jeter quoi que ce soit, quand tout pouvait représenter une vie, et donc une finalité. Pourtant, je crois que je n'ai jamais cru à tout ça ; que je me servais de mon imagination pour donner une vie à mes peurs et mes angoisses, tout en sachant que ce n'était pas vrai. Et aujourd'hui encore, si je n'aime pas me débarrasser d'un objet cassé qui peut encore servir, c'est parce que j'ai horreur d'imaginer qu'on puisse jeter sans état d'âme quelque chose uniquement parce qu'il ne fonctionne plus comme on le voulait, ou qu'il ne ressemble plus à ce qu'on attendait de lui. Et je peux encore passer dix minutes dans un grand magasin, à hésiter entre deux boîtes de petits pois parce que j'ai trop peur de faire de la peine à celle qui ne sera pas choisie.

     

    Et pourtant, comme je l'ai dit plus haut, j'ai fait ma paix avec tout ça. Avec cette curieuse et puissante facette de mon existence. Je profite de ma vie au jour le jour, et j'en suis heureux. Du moins je le crois. Même si, une fois de plus, je ne sais pas comment l'expliquer aux autres, à la société, au monde. Comme si je n'en avais pas le droit. Et cela me fait peur ; non, sur certains points, ça me terrifie de plus en plus au fur et à mesure que les années passent. Comment me confronter à ce regard extérieur, comment continuer à avancer ? Tout en craignant les rechutes, les angoisses, les vagues de déprime noire qui reviennent en cycle, et tout en hésitant devant des putains de petits pois (pardon les petits pois). J'ai de la chance avec ma famille, avec les amis que j'ai, mais comment allez de l'avant quand ils avancent tous plus vite que moi ? Quand ils ont la force de vivre leur passion alors que j'en suis incapable ? Comment leur prouver que je veux rester là pour eux quoi qu'il arrive même si je ne sais pas comment le leur montrer, comment le leur dire ? Et puis, sur un autre registre, comment m'imaginer une vie sentimentale, ou une vie de famille ? Les amis, c'est une chose, mais comment imaginer trouver une partenaire capable d'assumer ce que je suis ? D'accepter le fait que je ne pourrai peut-être jamais travailler, jamais vivre « normalement », jamais avoir la possibilité de suivre une quelconque ambition ? Comment l'expliquer ? Vous m'imaginez essayez de le faire face à d'éventuels et hypothétiques beaux-parents, entre la salade et le poulet ? Avoir des enfants ? Comment pourrais-je assumer une telle chose, alors que j'ai autant de peine à m'assumer moi-même ? Vivre en couple, partager une vie, avancer à deux ? Sur la fin de notre relation, mon ex avait finir par me dire qu'elle m'imaginait incapable d'assumer une vie de couple, une vie de famille, des enfants. Et ce sont des mots qui sont restés avec moi, et qui le resteront sans doute toujours. De même que ce rêve que j'ai fait une nuit, où j'imaginais être père...pour me réveiller avec le sentiment catégorique que ce ne serait jamais possible.

     

    Alors j'avance, comme je peux. La plupart du temps, je donne le change, et je donne l'impression d'aller bien. Ce qui n'est pas complètement faux, mais qui ne sera sûrement jamais complètement vrai non plus. Je m'accepte -du moins j'en ai l'impression- mais je ne sais pas si je m'accepte sous le regard des autres. Je lutte contre la fatigue qui me ronge, contre mon esprit qui me prend en traître, contre ma faiblesse que je n'arrive pas à combler. Et je profite de la vie comme elle vient, des petits plaisirs, en paix avec le fait que je n'accomplirai pas de grandes choses, mais refusant de ne profiter de rien pour autant. Mais quand est-il des autres ? Peut-être que cela ne devrait pas me toucher. Peut-être que si. Tout ce que je sais, c'est que je ne sais pas grand chose, ou surtout, que je ne sais pas comment le dire. Je suis qui je suis, et j'essaie d'en tirer le meilleur quand je m'en sens la force. Pour le reste... et bien, ma fois, on verra. Jusqu'à mes vingt ans, j'étais intiment convaincu -réellement persuadé- que ma vie allait s'arrêter à cet âge-là, parce que j'allais alors mourir (une source d'angoisse née dans l'enfance qui aura rendu l'adolescence...intéressante). Cette année, je vais en avoir trente, je suis toujours vivant, j'ai mes amis, j'ai ma famille. Comme on dit, ça pourrait toujours être pire.

     

    Mais je sens qu'en ce moment, le cycle repasse en ma défaveur, et la période s'annonce à nouveau plus difficile après une assez longue période d'équilibre fragile. Alors j'essaie d'expliquer, j'essaie de mettre des mots sur tout ça, ce que je n'avais jamais réussi à ce point auparavant. Et si c'est loin d'être parfait...c'est une nouvelle étape. Mon psy me l'a conseillé, et c'est ainsi que je me repose une nouvelle fois de plus sur l'écrit, malgré l'épuisement nerveux que cela me procure.

     

    « Qu'est-ce qui ne va pas, au fond ? », me demande-t-on souvent même quand on ne le formule pas. Je ne sais pas si c'est une réponse satisfaisante, d'autant que je n'oublie pas ce qui va.

     

    Mais, ça aussi, c'est un début. Et encore une fois, car cela vaut la peine de ne pas être oublié : ça pourrait être pire.

     

  • Retour au pays

    Il ne s'agit pas d'une nouvelle historiette, mais d'une petite tranche de vie. Vous êtes retourné à la bibliothèque aujourd'hui, et cela valait bien quelques mots. Il est bon d'être retour.

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    Vous êtes de retour à la maison. C'est la première pensée qui vous est venue lorsque vous avez franchi le seuil de votre bibliothèque municipale, et ce pour la première fois depuis au moins dix ans. A peine à l'intérieur, voilà que vous êtes frappé par un sentiment d'un grand confort ; cette curieuse sensation que vous éprouvez à chaque fois que vous pénétrez dans l'un de vos sanctuaires. Il y a bien des lieux saints qui vous laissent de marbre, mais une bibliothèque vaudra toujours pour vous toutes les églises du monde. Surtout celle-ci. Tandis que vous vous imprégnez de l'atmosphère familière, vous demandez une fois de plus pourquoi il vous a fallu autant de temps pour y retourner. Et, surtout, pourquoi vous aviez arrêter de vous y rendre. Ce qui était pour vous le lieu de visites coutumières, toujours mensuelles et souvent quasi hebdomadaires a fini par disparaître de votre vie. Vous n'avez même pas l'impression que le procédé fut progressif : un jour, vous n'y êtes simplement plus revenu. Peut-être que cela fait simplement partie de la vie qui change, où ce qui vous apparaissait depuis votre enfance comme des pierres d'achoppement inamovibles de votre existence se révélaient finalement tout aussi fragiles que d'autres. A la fin de votre adolescence, votre vie était plus que jamais en train de se modifier pou former les bases de ce qu'elle est aujourd'hui. Peut-être que les études en moins, dépourvu de raisons de vous pousser à aller à la bibliothèque pour les cours ou pour un élément professionnel de votre existence, y a contribué. Ce n'est pas que vous aimiez moins les livres, en tout cas. Tout ce que vous savez c'est qu'un jour, le dernier livre que vous aviez rendu s'est avéré être le dernier. Du moins jusqu'à aujourd'hui.

    Vous n'y aviez pas repensé plus que ça, ces dernières années. La vie étant ce qu'elle est, vos intérêts se sont diversifiés et votre amour des histoires s'est propagés sur un nombre de médiums toujours plus grands. Pendant longtemps, vous avez alors été affublé de cet étrange idée que vous profitiez mieux d'un livre qui vous appartenait, que vous pouviez ranger dans votre bibliothèque et reprendre absolument n'importe quand sans la moindre contrainte de temps ou précaution. Même les livres qu'on vous prêtait vous intéressait moins. Vous préfériez les acheter au risque d'être déçu. Maintenant que vous y pensez, toute cette manière de faire vous confond, comme si vous ne comprenez plus comment vous en êtes passé par là. Vous qui avez toujours aimé le partage des découvertes et des histoires, qu'il s'agisse des vôtre ou de celles d'autrui. Peut-être avez-vous cru enrichir votre jardin intérieur ; maintenant, vous avez plutôt l'impression d'avoir limité vos horizons. Et puis, il faut bien l'avouer, vous avez fini par moins lire. Vous qui dévoriez au moins un livre par semaine depuis votre enfance -souvent plus- vous avez fini par attribuer de moins en moins de temps à la lecture. D'autres intérêts gourmands en temps se sont greffés sur votre temps libre, et vous avez perdu des habitudes de lecture sans même le remarquer. Du moins pas tout de suite. Cela doit faire deux ans que vous réalisez pleinement à quel point. Votre vitesse de lecture a diminué, votre concentration aussi. Les romans qui vous happaient de la première à la dernière pages se faisaient plus rares. Non pas parce que vous n'en trouviez plus à votre goût, mais parce que vous ne leur laissiez plus vraiment cette option. Il y avait toujours quelque chose d'autre à faire, et la peur de manquer de temps vous a très longtemps paralysé au point de réduire vos activités plutôt que de vous pousser à mieux vous y consacrer. Et vous n'aimiez pas pas. Vous aviez l'impression de perdre, chaque année un peu plus, une part de ce qui faisait de vous...et bien, vous. Cela vous manquait terriblement. Et depuis que vous avez décidé d'y remédier, vous vous sentez un petit plus vous même au fil du temps. Cette année, vous avez décidé de vous replonger plus que jamais dans la lecture. De lui accorder le temps nécessaire sans se soucier d'en perdre. Car maintenant que vous y penser, comme peut-on considérer que le temps est perdu tant que l'on aime ce que l'on lit ?

    Le retour à la bibliothèque, c'est sans doute l'étape suivante la plus logique. Vous n'en doutez plus en tout cas, maintenant que vous faites la queue à l'accueil, observant avec un plaisir retrouvé la petite vie qui se glissait entre les rayonnages. Les gens de tous les âges et de tous les horizons qui viennent avec leur pile de documents -livres, cds, dvds- sous le bras, pour les emprunter ou les rapporter. Ceux qui consultent les rayons, qui étudient, qui lisent, qui partagent. C'est une sorte de communion des esprits qui ne connaît pas de frontières, et où les préjugés n'ont plus d'emprise. La connaissance, le plaisir, la recherche, le travail se mêlent sans jamais s'opposer. C'est un monde des possibles qui s'offre aussitôt à vous. Vous n'en revenez pas que la somme dérisoire qu'il vous ait coûté pour refaire une carte vous donne aussitôt accès à un univers aussi gigantesque. Ou, plutôt, à un véritable multivers où tout semble à portée. Il suffit de prendre un livre pour mettre le pied dans des mondes qui vous ont jusque là été étrangers. Autant de livres pour autant de portes. Autant de petites choses pour autant de potentielles grandes découvertes. Il faut parfois de peu pour changer une vie, et c'est dans ce genre d'endroit que vous le réalisez d'autant plus. Et plus que jamais, vous en comprenez l'importance. Et leur nécessité, quoi qu'on puisse en penser aujourd'hui. Même pas forcément pour vous, mais pour ceux qui ont fait d'un tel lieu un élément fondamental de leur vie. Une plate-forme aussi rassurante qu'inépuisable. Vous n'aviez pas réalisé à quel point cela vous manquait maintenant que vous y avez remis les pieds. Et maintenant que vous vous baladez avec votre carte flambant neuve dans votre porte-monnaie, c'est comme si vous aviez récupéré une petite partie de vous-même que vous ne saviez même pas avoir perdu. Vous vous sentez plus léger. C'est comme un retour au pays, où les racines nourrissent l'âme et lui redonnent de cet éclat qu'elle avait un peu oublié.

    Vous vous rappelez votre première bibliothèque, celle du village où vous avez passé plus des vingt premières années de votre vie. Elle n'était pas très grande, mais elle avait décuplé votre monde comme jamais. Il y avait les livres dont vous êtes le héros, que vous consommiez avec un vif plaisir, et qui vous mèneront plus tard aux jeux de rôles. Et dont vous adoriez voir les écrits de précédents lecteurs sur les fiches de personnages, ou au détour d'un paragraphe. Un livre de bibliothèque, c'est un livre qui a vécu. Qui est passé entre des dizaines, des centaines, des milliers de mains. Qui a une histoire ajoutée qui vient bien au-delà des mots. C'est une histoire qui a été lue, transmise, et vous avez le privilège de la partager avec des inconnus qui vous paraissent l'être un peu moins. Vous vous souvenez à quel point vous vous sentiez faire partie d'un monde plus grand, un livre de bibliothèque entre les mains. Vous qui vous êtes toujours senti un peu à part du reste du monde, nouant difficilement des liens, n'osant pas toujours aller vers l'autre, maladroit avec vos paroles comme avec vos sentiments, vous n'étiez plus seul avec un de ces livres. Vous étiez le nouveau maillon d'une grande chaîne, et vous aviez la chance de partager ce que tant d'anonymes avaient partagé avant vous. Vous vous rappelez de votre première grande bibliothèque, la bibliothèque jeunesse de la grande ville, où votre mère vous avez amené vous inscrire. Les rayonnage de bds, une grande passion de votre mère qui vous a toujours permis de vous connecter l'un à l'autre malgré les difficultés d'une relation atypique et compliquée. Et puis les romans, bien sûr. Vous n'auriez pas cru qu'il pouvait en exister autant, de toutes les tailles et de toutes les formes. Et vous pouviez à tous leur donner une chance. Sans aucune limite, sans aucune peur de perdre du temps ou de l'argent sur une lecture déçue. D'ailleurs, aucune lecture n'était décevante : même lorsque le livre ne vous plaisait pas, c'était une occasion de découvrir un peu plus qui vous étiez, à travers vos goûts, vous affinités et vos sensibilités pour tous les types d'histoires.

    Vous vous rappelez de votre inscription à la bibliothèque municipale en elle-même, passant de leurs locaux jeunesse à celui, mystérieux et un peu effrayant, du monde des grands. Vous pensiez que le multivers ne pouvait pas être plus grand, et vous vous trompiez. Il était infini, avec des ramifications qui vous échappent encore aujourd'hui. Cela doit avoir quelque chose à voir avec le quantique ; dans le doute, tout vous paraît toujours quantique. Et c'est dans cette bibliothèque que vous avez eu accès au quantique bien avant qu'il ne soit mentionné en passant au détours d'un de vos cours de gymnase. Car c'est pendant votre adolescence qu'un ami vous avait découvrir l'auteur qui changerait à jamais votre vie : Terry Pratchett. Et c'est dans cette bibliothèque que vous avez frénétiquement emprunté volume après volume de sa fourmillante série du Disque-Monde. Et c'est dans leurs pages que vous avez appris ce qu'était le quantique ou, du moins, l'utilisation qu'on pouvait en faire dans une histoire pour en exploiter tout le potentiel comique, mais aussi et surtout tout le potentiel humain. Car c'est grâce à Pratchett que vous avez appris à mieux comprendre l'humain, et sans bibliothèque, vous n'auriez sans doute pas pu vous y consacrer autant à un moment aussi charnière de votre existence. Aujourd'hui, vous profitez de votre retour dans ce sanctuaire pour retrouver sa place sur les rayons. Vos pas vous guident automatiquement, le chemin maintes fois parcours vous revenant naturellement sans même y penser. Mais vous êtes parti longtemps, et l'agencement des lieux à changer. Alors vous redécouvrez la place des rayonnages, autant d'occasion pour s'étonner d'un titre ou d'une couverture qui n'aurait jamais attiré votre regard autrement. Vous soulevez plus d'un livre, ouvrez plus d'un recueil, parcourez brièvement plus d'une page. Et puis vous trouvez la nouvelle place accordées au romans de fantasy et de science-fiction, avec leurs vieux comparses les policiers. Et si l'endroit à changer, le reste est le même. Vous suivez des doigts les reliures des romans du Disque-Monde, plus nombreux que jamais. Vous croyez même vous souvenir de plusieurs d'entre elles, et vous vous rappelez l'impact que chacun de ses livres avait eu sur vous bien avant que vous ne mettiez les moyens pour les avoir dans votre propre bibliothèque. Vous vous rappelez aussi des longues vacances d'été, où il était possible d'emprunter encore plus de livre que d'habitude, et pour une période plus longue. De la fin de l'enfance à la fin de votre adolescence, vous alliez en vacances avec vos parents avec le gros sac qui contenait les vingt, trente livres qui allaient vous accompagner en France, au bord de mère comme sur les terrasses des cafés ou le soir, couché sur votre lit ou dans la capucine du camping-car, penché sur une nouvelle histoire. Vous transformant à chaque page un peu plus en la personne que vous êtes aujourd'hui, comme tous ceux qui s'étaient penchés avant vous sur tous ces récits.

    Aujourd'hui, vous retrouvez tout ça, et même plus. Votre carte dans une main, un livre dans l'autre, vous faites à nouveau la queue après avoir récupéré votre carte. Car vous ne pouviez partir sans un nouveau trésor sous le bras. Voilà qui aurait été tout bonnement impensable. Vous retenant de prendre tout ce qui vous passait sous la main, vous avez jugé plus judicieux de vous contenter d'un seul ouvrage pour commencer. Car vous avez encore plein de livres qui vous attendent à la maison, et vous préférez vous montrer raisonnable pour mieux profiter de tous ces mondes qui s'offrent à vous. Vous avez opté pour un gros morceau ceci dit, un gigantesque roman de Thomas Pynchon qui vous intrigue depuis que vous avez découvert l'auteur l'an passé, avec le film « Inherent Vice » (devenu aussitôt un de vos films cultes) dont vous aviez vite fait en sorte de lire le roman. Et là, vous vous retrouvez avec « Contre-Jour », dont le résumé vous intrigue depuis que vous vous êtes penché sur la bibliographie de Pynchon. Et que vous n'avez jamais réussi à trouver en librairie. Et voilà que pour les trente prochains jours, vous pourrez vous plonger dans cet univers qui semble aussi qu'éclectique que passionnant. Il y est visiblement question d'expositions universelles, de luttes anarchistes dans l'ouest américain, de la Venise du début du siècle, de la révolution mexicaine et des mystères de l'Orient. Vous y trouverez, selon le quatrième de couverture, aussi bien des espions fourbes que des savants fous, des prestidigitateurs et des aéronautes. Car il y est aussi question d'aéronefs, et vous êtes partial lorsqu'il s'agit d'aéronefs. C'est tout un monde passé de mains en mains qui se retrouve dans les vôtres.

    Alors que votre tour approche à l'accueil, deux bibliothécaire réalisent que l'odeur persistante de marijuana qui embaumait tout une partie de la bibliothèque depuis un moment venait en fait d'une pile de livres rendus plus tout, imprégnés de l'odeur. Dans la file à côté de vous, une jeune mère tient la poussette d'une main, et sous son autre bras repose aussi bien des livres que des dvds de séries. Un vieil homme discute tranquillement avec un autre membre du personnel, et des étudiants viennent poser des questions pour leurs recherches. Un jeune homme, arrivé avec une pils de cds -des livres audios- se fait gentiment expliquer qu'il en a bien trop pris, n'ayant pas réalisé que plusieurs boîtes contenaient deux ouvrages qui comptaient séparément. Il se lance alors dans la difficile entreprise de laisser de côté certaines de ses découvertes ; du moins pour un temps. Ce qui vous rappelle vos propres délibérations, chaque vacances d'été, où il s'agissait alors de prendre avec vous les meilleurs ouvrages. Tout autour de vous, la bibliothèque vit de ses mille vies, toutes nées d'horizons différents. Sur le comptoir, vous prenez un marque-page sur la pile offerte, sur lequel est imprimé le petit coup de cœur d'un bibliothécaire. Cette fois, il s'agit d'un des derniers romans du Disque-Monde : vous décidez de voir cela comme un signe. D'autant que dans le Disque-Monde, les bibliothèques et autres libraires ont toujours eu une place de choix. “A good bookshop is just a genteel Black Hole that knows how to read.” disait-il dans son roman “Guard! Guards!”. Au fond, voilà qui s'applique aussi à toute bibliohèque, selon vous.

    Il est bon d'être retour.

  • Catharsis

    Sans-doute le texte le plus personnel, sincère et non forcé que j'ai écrit depuis bien, bien trop longtemps. Ça fait du bien.

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    Ce soir, vous avez eu envie de sortir. Comme ça, tout à coup, hop, sans avoir à la base rien prévue d'autre que de rester tranquillement chez vous à jouer à un jeu vidéo ou bouquiner du Terry Pratchett (depuis la mort de cet homme -qui, même si vous ne l'avez jamais rencontrée, était ce qui se rapprochait le plus pour vous d'un mentor, ou au moins de l'homme le plus humain que dont vous ayez déjà suivi le travail- vous vous êtes décidés à lire tous les romans de sa plume que vous n'aviez encore jamais lu, à savoir principalement ses quelques premiers romans, les pre-Disque-Monde, sa serie phare). Bref, vous êtes alors retrouver au début de votre soirée à vous habiller en bondissant partout (et ce n'est pas facile de s'habiller en bondissant, laissez-moi vous le dire ! Surtout pour les boutons. On peut plonger dans plein d'habits, mais dès qu'il y a des boutons, ça complique tout). Si vous bondissez, c'est parce que vous avec un besoin de dehors, de grand air et d'espace comme cela ne vous arrive pas que peu. Et pas le besoin légitime et vivifiant de l'homme jugeant qu'il n'a que trop longtemps été enfermé entre ses quatre murs et qu'il est temps pour lui de communier à nouveau avec la nature, l'exercice et -s'il se sent d'humeur chafouine- de tenter à nouveau d'aller dragouiller la nana qui promène son chien tous les jours à la même heure (au risque de décevoir mon lectorat et pour m'éviter d'avoir par la suite à revenir là-dessus à la moindre occasion, il n'y a pas de nana qui promène son chien tous les jours à la même heure dans ma vie. C'était un exemple comme ça. Tous les jours ou presque, à la même heure ou presque, la nuit il n'y a que des renards qui jappent sous les fenêtres.). Non, ce qui vous a étreint tel le désespéré son dernier ticket de loterie gagnant, c'est cette désagréable énergie surexcitée née de l'angoisse. Car l'angoisse, quand elle descend de son arbre triste et pollué pour venir vous étreindre de ses molles tentacules perfide, ce n'est pas toujours pour s'abattre sur vous telle la chape de plomb dont le but est de vous presser en forme de larve rongée par l'anxiété et incapable de faire quoi que ce soit de productif. Non, là, il s'agit de cette forme d'angoisse plus vicieuse, plus poissarde, qui va s'insinuer à travers tout vos orifices, vous noyant dans la piscine de l'anxiété, celle qui ne vous donne qu'une envie : commencer à sautiller sur place pour éviter de se noyer (ce qui explique le coup des boutons ; il faudrait déconseiller les boutons aux personnes anxieuses, si on n'a pas envie de les voir fiché dans une vitre après un lancer aussi précis que redoutablement puissant). Il s'agit de cette anxiété qui vous pousse à littéralement bouger dans tous les sens pour éviter qu'elle n'ait une emprise totale sur vous ; alors vous devenez malléable comme un marshmallow (mais en hélas beaucoup moins doux et sucré), à vous agiter dans tous les sens des fois que ça ferait tomber l'angoisse. Qui s'accroche comme un petit vampire sadique, persuadé en plus de vous faire une fleur en déversant en vous toute cette fausse énergie mal placée.

     

    Alors vous avez pris la décision de sortir, comme ça, d'un coup. C'était ça ou passer le rester de la soirée à tourner en rond, ce qui ne mène jamais très loin dans un sutdio : il faut dire que l'on commence à s'y ennuyer plutôt vite dans ces conditions. Mais aussi petit soit-il, vous serez en plus condamné à heurter votre petit orteil contre un meuble (deux fois), et finirez la soirée en hurlant dans votre oreiller, ce qui n'est quand même pas très recommandable ni pour vos voisins, ni pour vous, et ni pour l'oreiller (qui n'a rien demandé à personne, le pauvre : vos voisins non plus, mais il faut dire qu'ils vous ont coûté moins cher). Mais quitte à sortie pour essayer d'évacuer ce trop plein d'anxiété, autant voir les choses en grand ! Vous vous êtes rasé, douché, lavé les dents, et même retrouver un peu de parfum dans un coin que vous avez naïvement pulvérisé ici et là (la dernière goutte n'a sans doute pas encore fini de ronger la peau ; en plissant l'oreille, vous entendez encore le petit « psshhh »). Et plutôt que du sacro-saint t-shirt/jeans, vous y aller à fond, quitte à faire dans la démesure ! Ce sera la chemise rouge (avec les boutons), la meilleure paire de jeans (qui ne sert que pour votre bien), et le gilet sombre par-dessus la chemise (ce qui fait, vous l'aurez deviné, bien trop d'autres boutons à gérer, mais quitte à diriger votre anxiété quelque part, les boutons, c'est encore pas si mal). Montre gousset accrochée au gilet, mouchoir jaune dans la poche de devant, baskets noires, et petit chapeau en cuir noir. La veste du même tonneau, et c'est parti ! Oh, et n'oublions pas la cravate que vous casez, hop, dans le gilet ! Cravate nouée à l'avance il y a longtemps pour un jeu de rôles grandeur nature, et que vous n'avez jamais dénouée depuis. Et puis le moment est mal venu pour se mettre à apprendre comment nouer une cravate (à savoir un acte du diable offert à quelques élus qui peuvent maintenant passer tout leur temps à nouer celle des autres en leur faisant bien comprendre à quel points ce sont des idiots finis, parce que bon, Philippe, quand même, regarde comme c'est facile, fait un effort que diable!) Votre sac en bandoulière, et c'est le monde qui vous attend !

    Alors évidemment, il pleut, mais ce n'est pas grave. Vous aimez bien la pluie, et c'est une des rares choses qui pourraient apaiser un peu votre surexcitation angoissée ce soir. C'est à pieds que vous faites le trajet jusqu'au centre ville, de la musique dans les oreilles, et la pluie pour vous rafraîchir. Et la désagréable sensation d'être ridicule, engoncé ainsi dans vos vêtements assemblés au petit bonheur la chance. La prise de poids n'aide pas, et encore moins le gilet, qui se retrouve greffé maladroitement sur votre ventre. Tant pis, vous avez peut-être l'air d'un pingouin ou d'un clown (ou d'un clown pingouin : amusant ou terrifiant ? Faites votre choix.) mais bizarrement, sur le sujet de vos habits au moins, vous vous sentez bien. Vous êtes contents d'être habillé comme ça, maladroit ou non, ridicule ou non, et vous vous sentez presque à votre place tandis que vous déambuler d'un pas décidé sur le trottoir. Vous retirez un peu d'argent une fois au centre et vous laissez porter un peu au hasard, avant de vous diriger vers la Riponne, avec une petite appréhension au fond de la gorge. Vous ne l'avez pas revue, elle, et vous ne l'avez pas revu, lui, depuis leurs mensonges, et étant donné l'emplacement du m2 à la Riponne, ce lieu représente maintenant pour vous une sorte de nexus où vous seriez à plus le même de leur tomber dessus par hasard. Votre cœur -guère aidé par la surexcitation anxieuse, se met à battre la chamade tandis que vous regardez partout autour de vous sans réfléchir, dévisageant des passants qui auront certainement une de ces histoires marrantes à raconter quand on rentre à la maison, du genre « Et ben, y a un type bizarre en rouge avec chapeau, et beaucoup de boutons -bon sang Marie, t'aurais du voir les boutons- qui m'a un instant regardé comme si j'allais essayer de le manger. J'vois pas le risque franchement, je venais de m'enfiler une mitraillette au Bruxellois, c'est pas comme si j'aurais encore eu de la place. Ahlala, on rencontre décidément des gens bizarres partout, dans cette ville. Hé, y a quoi à la télé ? ». C'est totalement ridicule, mais comme vous ne les avez encore jamais revu depuis, vous avez presque envie que ça finisse enfin par arriver. Vous avez besoin de savoir comment vous vous sentirez à ce moment là. Si l'ignorance primera, ou si vous éviterez de justesse d'aller leur foutre un pain comme vous le fantasmer régulièrement depuis des mois (et pourtant, vous n'êtes pas du genre violent). Ou pire, que vous vous sentiez tout à coup appelé à la pitié et au dialogue ! Je crois que vous préféreriez encore partir en courant en hurlant très fort et levant les bras en l'air, Il y a un abcès à crever là-dedans, un bon gros abcès qui prend de plus en plus de place à l'intérieur de votre être, et que vous avez de plus en plus de mal à gérer. Vous êtes animés d'une telle colère, que ce soit contre ces deux zigotos ou contre votre mère par rapport à la bêtise qu'elle avait fait d'arrêter son traitement, que vous commencez à hurler et à vous lancer dans des tirs de canon d'injures lorsque vous êtes chez vous, et ce à la moindre raison, comme un truc que vous feriez tombez (et vu votre maladresse légendaire combinée à votre distraction maladive, autant dire que ça arrive souvent9 : Vous hurlez, vous tempêtez, vous insulter copieusement ces pauvres objets innocents qui n'y sont pour rien, les abreuvant d'insultes grossières dont vous n'avez pas l'habitude et qui choquerait pas mal de gens parmi ceux qui bien vous connaître. Et ensuite il y a les coups : les coups de poings et de pieds dans les portes, les lancements d'objets martyrisés et encore plus de hurlement, et de coup à vous démolir la main. Vous avez déjà fait un trou dans la table basse en bois du salon, que vous couvrez du mieux que possible avec votre ordinateur. Vous n'aimez pas en arriver à vous comporter ainsi, ce n'est pas vous. Ce n'était pas vous du moins, avant que des manches pareils réussissent enfin à vous mettre en colère et à comprendre ce que cela peut faire de détester viscéralement des gens pour la première fois de votre vie, vous qui aviez toujours cru que vous seriez incapable. Heureusement, vous cantonnez cette colère, cette violence dans la solitude de votre chez-vous (qui doit être incroyablement bien isolé, sinon les voisins seraient depuis longtemps venus tous unis sonner à ma porte, des fourches et des cordes dans les mains ; vous espérez vraiment, sincèrement n'en avoir embêté aucun). Et vous pensez toujours être incapable de faire du mal à quelqu'un : la seule pensée continue de vous répugner ; au moins une chose que ces deux là ne vous auront pas pris... Vous ne savez pas comment ni où déverser toute cette colère qui vous empoisonne et vous ronge petit à petit, une bile infâme et brûlante qui remonte dans votre gorge, tandis que vous frisez l'apoplexie en imaginant à quel point ces deux personnes n'ont rien compris de ce qui vous a vraiment blessé et mis en rogne, et continuent à vivre parfaitement dans leur bon droit. Franchement, vous ne savez pas ce que donnera le jour où vous les croiserez à nouveau, et vous avez aussi besoin de le savoir que vous en avez peur. Quant à votre mère... Vous ne la détestez pas, c'est une autre histoire. Vous avez de la colère contre elle que vous n'arrivez pas à ressortir directement : c'est jamais le bon moment, là elle est trop fragile, là elle récupère, etc. Mais ily a tant de choses passives agressives de votre fait que vous vous devez de régler avec elle, même si vous e savez pas comment. Parfois, il suffit qu'elle commence à parler du truc le plus banal pour vous agacer profondément. Autant chez elle que chez vous, il y a des soucis à régler, et vous ne désespérez pas d'y arriver un jour. Parce que c'est une femme formidable, et parce qu'il y a tant à gagner à dépasser tout ça ! Simplement, vous ne savez pas comment.

     

     Ce sont ces pensées en tête, colère bouillonnant dans vos veines, cœur battant à tout rompre à cause de l'anxiété, que vous traversez le pont Bessière dans le but d'aller manger un burger au Café Enning. Vous avez besoin de vous entourer de gens, et un bistrot vous semble parfait, surtout bondé comme ce soir. Vous pourrez vous contenter de vous immerger dans le monde et le bruit, comme si vous étiez vraiment entouré, sans avoir à faire l'effort si dur, souvent impossible pour vous, de prendre le contact avec un inconnu. Même avec vos proches, c'est une lutte de tous les instants : ils vous faut parfois plusieurs jours pour ne serait-ce que trouver le courage d'écrire un message à une pote ou d'appeler quelqu'un. Vous ne savez pas pourquoi, ce sont vos proches, ils vous aiment, vous les aimez, ils sont super, mais... ça ne suffit pas. Et de le dire comme ça, ça vous terrifie encore plus : vous êtes terrifié, tous les jours horriblement terrifié, de perdre des amis, de la famille, et ce même les gens les plus proches, juste parce que vous n'arrivez pas toujours à avoir le courage d'aller vers eux. Parfois vous aller y arriver sans trop de soucis, directement, parfois il vous faudra des jours voir une semaine pour rassembler le courage...aussi proche que puisse être la personne en question. Et vous avez très peur de les perdre avec le temps, qu'elles croient qu'elles ne valent pour vous pas la peine de faire le moindre effort, et qu'elles feraient mieux de vous oublier. Mais l'effort est là, seulement, il est juste tellement...gigantesque, alien, imprévisible, que vous n'avez aucun contrôle dessus. Si un jour vous abordez direct sans souci quelqu'un, et que pendant un temps tout semble normal, et que trois mois plus tard ce même quelqu'un n'a plus souvent de vos nouvelles parce qu'il vous faut tout à coup trois jours pour ne serait-ce qu'oser commencer un message, ce n'est pas parce que vous ne faites pas d'efforts ou que vous estimez moins ce quelqu'un, qu'il compte tout à coup moins pour vous. Au contraire, vous essayez désespérément de faire le plus gros effort du monde pour essayer de ne pas le perdre, seulement vous n'y arrivez pas toujours très bien. Ce n'est pas seulement une question de volonté, ou de lâcheté, ou de flemme, ou parce que vous ne tenez pas tant que ça à vos proches. C'est parce que vous ne pouvez vraiment pas faire autrement, que vous en sortir quand ça vous arrive demande de terribles efforts souvent invisibles, et que vous donneriez en fait n'importe quoi pour que vos proches acceptent de venir vers vous, même si c'est injuste pour eux que vous n'arriviez pas toujours à le leur rendre dans les deux sens ; pour que vous me donniez une chance. Parce que ce sera toujours plus facile dans ce sens là, même dans mes bons moments. Parce je n'arrive pas à gérer tous ces efforts, alors que je le voudrais tellement, parce que tous mes proches comptent tellement, tellement pour moi ! Alors si vous n'arrivez pas à aller vers eux, ce n'est par désintérêt, ou par complaisance (Oh, ils feront le boulot!), mais parce que vous n'arrivez pas à fonctionner autrement. Vous faites de votre mieux pour tordre cet aspect de maladie comme vous le pouvez, et de temps en temps, vous y arrivez un peu mieux que d'autre, mais vous serez sans doute toujours sous le joug de cette terrible restriction, comme vous comme pour tous vos proches, qui ne le méritent certainement pas.

     

    Au restaurant, après avoir manger, vous dessinez sur le set, le noircissant de traits de stylo jusqu'à ce qu'on ne voit pratiquement plus de blanc. Vous avez besoin de vous changez les idées. La serveuse vous rapporte de l'eau ; elle est gentille et jolie. Mais inutile de commenter à ce sujet : vous avez plus ou moins accepté qu'il n'était sans doute pas pour vous, d'arriver à fréquenter une nouvelle personne. Que pourriez-vous vraiment lui offrir ? Vous ne pourrez pas changer pour elle d'un coup de baguette magique, et vous êtes encore échaudé par la pression de la dernière personne qui avait essayé de vous changer selon ce qu'elle, elle attendait de vous. Depuis, vous avez vraiment fini par vous dire qu'une relation normale, fonctionnelle, ne serait jamais sûrement pour vous. Cette dernière personne vous a bien fait comprendre que vous ne seriez sans doute jamais capable d'assumer un vrai futur, et encore moins une famille. Ces termes vous ont grandement blessé. Que doit-on entendre par « vrai futur » ? C'est comme les gens qui vous demandent quoi de neuf, et qui sont déçu lorsque vous répondez que rien n'a changé ou, pire encore, qui vous prennent en pitié. Comme si à leurs yeux, votre vie ne pouvait être complète, valable, reconnue. Pourtant, vous en auriez des choses de neuf à raconter ! Les derniers épisodes de séries de ces jours étaient tous très bon dans leur ensemble, et vous aimez vraiment la direction que prennent Arrow et The Flash, tout en regrettant l'arrêt de Cougar Town et Hart of Dixie. Community est de retour, et cette série vous fait rire et réfléchir comme aucune autre ! C'est sans compter les livres que vous avez terminé ces derniers jours, pleins d'humanités et d'intelligence (merci sir Pratchett) où même les jeux vidéos, où vous avez exploré des paysages incroyables et tué un terrible dragon qui menaçait la région. Parce que vous ne travaillez pas, parce que vous n'êtes pas en couple, parce vos loisirs sont dans des pages, des écrans, votre imagination lorsque vous faites tout un week-end de jeu de rôles, méritent-ils d'être considérés comme avec aussi peu d'intérêts par les travailleurs, les couples, les fans de sports ? N'en déplaise aux gens, vous faites quelque chose de votre vie, merci bien, et vous la considérez bien riche ! Oui, les circonstances vous ont mis sur un chemin différent, peu usité, et qui peut paraître bizarre. Mais croyez moi, il peut s'avérer aussi riche que n'importe qui, et vous serez toujours prêt à le faire découvrir et partager avec tous ceux qui voudront bien lui laisser une chance plutôt que d'aussitôt le mettre de côté après le dernier « quoi de neuf ». La pression des autres aura longtemps causé de gros dégâts dans votre vie et vos attentes, mais aujourd'hui, vous le vivez de mieux en mieux en vous en préoccupant de moins en moins. Et alors, qu'ils pensent ce qu'ils veulent, qu'ils s'imaginent que votre vie est plate, sans ambition, sans objectifs, sans je ne sais pas quoi encore ! Vous, vous êtes content de votre vie. Cela vous aura pris beaucoup du temps et longues périodes terribles à vivre, mais aujourd'hui...si tout ne va pas bien, si la maladie est là, si les angoisses et la dépression guettent et continueront sans doute toujours de guetter... aujourd'hui, vous arrivez enfin à vous dire que vous êtes plutôt content de la vie que vous arriver à mener malgré tout. Elle n'est pas orthodoxe, elle n'est pas normale, mais elle vous convient ; vous vous y sentez bien complet ou presque, sans manque à combler parce que vous ne pouvez ps avoir de travail ou que les grandes ambitions ne vous manquent pas. Elle vous convient et, au fond, n'est-ce pas là tout ce qui devrait compter ?

    En pensant à la jolie serveuse, en pensant à ce que vous pensez ne plus jamais connaître un jour, en pensant au mal que la dernière femme de votre vie vous aura fait, sciemment et plusieurs fois, d'abord dans votre couple, puis dans votre amitié, ce qui fut pir que tout, vous ne pouvez vous empêcher de repenser à quel point elle avait voulu vous changer tout en prétendant le contraire. A vous faire croire que vous lui conveniez tel que vous étiez, elle avait fait de vous l'homme le plus heureux des monde. Celui qui pouvait être pleinement accepté en amour, celui avec qui on pouvait imaginer une vie, celui avec qui... Et puis au final, un mensonge de plus, longue durée celui-ci, et un abandon dès le moment où vous n'auriez pas pu être changé comme elle le voulait depuis le début. Et puis les mots, durs, bouleversants, causant bien plus de dégâts que prévu, vous mettant devant un fait accompli auquel vous aviez toujours essayé de ne pas trop penser : la famille. Quand elle vous avait dit que vous n'étiez pas fait pour une vraie relation à long terme, et encore moins pour une famille, les poignards ainsi plantés vous aurons au moins ouvert les yeux. En y réfléchissant vraiment, vous ne pouvez pas dire qu'elle a tort. Que pourriez-vous apporter à une femme ? A des enfants ? Seriez-vous capable de les élever, d'être un bon modèle ? Avec cette maladie qui rampera sans doute toujours dans un coin de votre esprit, vous laissant même parfois vivre heureux, mais avec elle quand même, toujours. Vous n'y aviez jamais pensé, et maintenant vous avez l'impression de pleurer un possible de plus. Ces mots vous suivent, et vous ne pouvez décemment pas en faire des mensonges. Pas ceux là Mais peut-être est-ce pour le mieux. Et puis vous rappelez d'un rêve que vous aviez fait il y a deux ou trois ans (vous faites rarement des rêves dont vous vous rappelez vraiment, et encore moins des rêves farfelus ; bien que celui où vous aidiez à combattre des dinosaures en compagnie de Spiderman et du chanteur Renaud commandant d'une escouade de soldats russes restera toujours dans un petit coin de votre tête). Il s'agit sans doute du rêve qui vous aura le plus bouleversé au réveil, et par la suite également ; aucun autre rêve n'a encore jamais égalé celui-ci en terme d'émotion pure. Dans ce rêve, vous étiez papa. Votre femme -elle n'avait aucune apparence dans le rêve, aucun visage, une pure abstraction- venait d'accoucher, et vous teniez votre bébé dan les bras. Ce que vous avez ressenti à ce moment là du rêve, vous seriez bien incapable de le décrire. Cela allait au-delà de la félicité, au-delà de la peur, au-delà des mots. C'était un instant unique, pour une émotion unique, dans un univers unique. Au réveil, vous avez pleuré. Vous ne savez toujours pas si c'était à cause de ce trop plein d'émotions que vous n'arrivez toujours pas à comprendre, ou si parce que vous saviez déjà que vivre un tel moment pour de vrai sous serait sans doute jamais impossible. Vous n'y aviez plus souvent pensé, à ce rêve, mais vous avez toujours pu sentir la marque qu'il avait imprimée en vous ; vous la sentez encore maintenant, à la fois chaleureuse, et à la fois en train de vous brûler, plus encore quand vous repensez à ses mots à elle, et à ce que votre vie, dans l'état actuel des choses, vous permettra ou non de vivre.

     

    Soudain il y a trop de bruit ; vous finissez la seconde eau apportée gentiment par la serveuse, payez, laissez un pourboire et sortez sous la pluie. L'agréable sensation de faire partie d'un groupe tout en se faisant copieusement ignorer par ce dernier était tout à coup devenue par trop oppressante, et vous aviez à nouveau d'air froid vous fouettant le visage, et d'une pluie humide vous descendant dans la nuque. Vous vous mettez en marche, déséquilibré, avec des gestes maladroits alors que vous n'avez pas avalez la moindre goutte d'alcool. Des soirs comme celui-ci, vous songez souvent à aller vous installer dans un bar pour boire plus que de raison, pour enfin se bourrer la gueule, enfin oublier. Mais vous n'avez encore jamais cédé à cette impulsion. Bien trop peur de perdre de contrôle, même comme prix de l'oublie. Vous vous retrouvez à la Riponne, et vous vous asseyez un instant sur la fontaine, attendant le bus. Essayant de vous réapproprier une place, un objet, qui est encore bien trop lié à elle pour votre goût. Mais ça va un peu mieux. L'angoisse est toujours là, mais vous êtes un peu plus calme. Toujours aussi seul, incapable de réussir à appeler un proche alors que vous en crevez d'envie ; mais vous n'y arrivez pas. C'est nul, c'est idiot, c'est comme ça. L'Everest. Foutue maladie. Mais le calme reste, parce que sous votre crâne quelques mots s'ordonnent déjà. Des phrases, des anecdotes, des ressentis. Cela fait depuis très longtemps que cela ne vous était pas arrivée, cette envie naturelle, et nullement forcée, de coucher sur le papier vos mots, votre expérience, vos peurs, vos espoirs. Alors vous prenez le bus, toujours seul mais avec vos mots à vous dans la tête ; des mots qui sonnent justes, qui viennent tout seuls, qui sont honnêtes, et jamais forcés comme beaucoup trop de vos mots lors de vos derniers textes de ce genre, où vous forciez à écrire pour écrire sans vraiment y croire. Pas cette fois. L'anxiété est toujours là, mais vous la comprenez tout à coup ; elle est assise à côté de vous dans le bus, et vous la voyez mieux que jamais depuis bien, bien longtemps. Vous savez que ces mots ne vont pas la détruire. Ce n'est pas le but. Mais vous apprenez de mieux en mieux à vivre avec. Vous rêvez à ce besoin que vous avez depuis quelques temps de vous isoler : un chalet en montagne, une cabane dans les bois quelque part, avec des livres, de quoi écrire et manger, et juste vous. Un besoin qui gronde au fond de vous, de plus en plus fort, cet appel de la retraite, non pas pour disparaître et vous replier sur vous-même, mais pour mieux revenir vers le monde, et vers tous ces proches que vous aimez tellement, même si vous n'arrivez pas à le leur montrer, à le leur exprimer comme vous le voudriez. Foutue maladie. Mais c'est votre maladie : vous ne la laisserez pas vous bouffer, pas tout le temps du moins ! Vous vivrez avec. Oui, un chalet, une cabane... L'idée continue de vous séduire, plus puissamment que jamais, et vous espérez plus que tout de trouver un moyen pour la réaliser un jour ; vite, ce serait bien. Vous en avez bien besoin.

     

    Le bus continue de rouler, et la musique de jouer dans vos oreilles ;vous espérez arriver assez vite chez vous pour que les mots ne se soient pas dissipés, que l'impulsion ne soit pas retombée, que l'inspiration -pour une fois tellement, tellement pas forcée- soit encore là ! Dans votre tête, ça commence comme ça : « Ce soir, vous avez eu envie de sortir. Comme ça, tout à coup, hop, sans avoir à la base rien prévue d'autre que de rester tranquillement chez vous à jouer à un jeu vidéo ou bouquiner du Terry Pratchett ... »