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Blog - Page 7

  • L'art du social link

    En ce moment, vous passez pas mal de temps à jouer au jeu vidéo « Persona 5 ». C'est un jeu de rôles typiquement japonais où, quand vous ne combattez pas des monstres mythiques dans des donjons issus de l'inconscient collectif, vous jouez le rôle d'un lycéen japonais typique à Tokyo. Du moins aussi typique qu'un lycéen capable d'acheter quantité d'armes blanches au marchand local sans le faire sourciller, et dont les activités extra-scolaires consistent aussi bien à servir de cobaye pour les traitements expérimentaux du médecins de quartier louche (il faut bien trouver un moyen de vous pourvoir en objets de soin, que diable) qu'à découvrir que sa prof principale travaille la nuit en tant que femme de ménage à domicilie. Sans oublier le chat parlant que vous trimballez dans votre sac à dos, et qui vous apprend à fabriquer des outils de crochetage (tout en vous rappelant bien trop souvent que vous êtes bien trop fatigué pour faire autre chose que d'aller vous coucher un soir dans le jeu, même ne serait-ce que lire trois pages d'Arsène Lupin). Si tout cela vous paraît étrange, c'est tout à fait normal dans un jeu de rôles japonais.

     

    Si vous en parlez là maintenant, c'est parce que l'une des principales activités du jeu consiste à tisser des liens avec un grand nombre de personnages, qu'il s'agisse de membres de votre équipe, d'amis du lycée ou de gens variés rencontrés ici et là dans la ville (allant de la journaliste du coin au politicien en disgrâce qui vous prend en affection). Plus vous passez de temps avec eux, plus votre relation s'améliore, plus ils se confient à vous, et plus vous devenez proches. Le jeu nomme cette pratique le « social link », un par personnage.

     

    Évidemment, y a des fois où vous aimeriez bien que cela soit comme ça dans la vie.

     

    Pour vous, les interactions sociales ont toujours été une mer étrange à naviguer. Vous avez le plus souvent soit l'impression de vous y noyer, soit de la regarder depuis le rivage, à vous demander par quel orteil commencer histoire de ne pas se prendre un trop grand choc. Vous vous sentez un peu comme un alien observant de loin, déchiffrant avec peine tous les codes du langage et du comportement. Au fil des années, vous avez péniblement rassemblé quelques bases, et vous vous êtes fait une idée plutôt correcte de la théorie. La théorie, vous la comprenez (grosso modo). C'est la pratique qui vous pose problème. Vous jetez à l'eau vous donne la même impression que de vous retrouver au volant, à contresens sur l'autoroute en guise de premier exercice. Ce qui vous pousse à adopter la technique du hérisson, sauf que vous n'allez pas jusqu'à vous mettre en boule : même s'il vous arrive souvent de rester figé, un sourire aux lèvres, incapable de combler le vide soudain intervenu dans la conversation.

     

    Avec le temps, vous avez réussi à dépasser certaines barrières...du moins dans un certain contexte. A savoir celui du groupe, où vous vous sentez bien plus à l'aise. Notamment parce que cela vous permet simplement d'écouter, de mieux saisir l'ensemble des gens présents, et que vous vous sentez alors encouragé à intervenir ici et là lorsque le moment vous semble venu. Et puis il y a les amis proches, bien sûr, avec qui vous vous sentez plus confortable...la plupart du temps. Car parfois, même avec vos amis de longues date ou ceux que vous considérez comme les plus proches, vous ne savez plus quoi dire. Cela peut vous prendre d'un coup, et durer une heure comme plusieurs mois. Le face à face vous terrifie. Alors quand vous vous retrouvez seul avec une connaissance généralement rencontrée dans le cadre d'un groupe, votre confiance en soi plonge dans le fleuve des boulets aux pieds, vous laissant bien emprunté. L'un des avantages du système de ce fameux « Persona 5 », c'est que les autres personnages ont tendance d'eux-mêmes à venir vers vous. Chose que dans la vie, vous avez bien trop souvent de la peine à faire ; le premier pas comme le dixième, c'est pour vous extrêmement difficile. Vous avez plutôt envie de courir très fort dans l'autre sens et de vous cacher sous un tas de pullovers. Mais on peut difficilement avancer dans la vie lorsqu'on se contente d'attendre que les gens viennent vers vous. Autant dire que cela ne vous facilite pas la tâche, car même avec vos amis les plus proches, encore une fois c'est un processus qui peut tout à coup vous paraître insurmontable. Alors quand il s'agit d'entrer en contact avec quelqu'un que vous connaissez moins... Ce qui est bien dommage : vous avez un peu tout le temps l'impression de passer à côté de belles amitiés juste parce que vous n'arrivez pas à vous mettre en avant, à faire l'effort de les côtoyer autrement que toujours au sein d'un groupe.

     

    Second avantage du jeu en question : lorsque vous interagissez avec les personnages, que ce soit en répondant à leurs questions, en les invitants dans un lieu spécifique ou en offrant ou recevant des cadeaux, le jeu vous avertit visuellement de l'effet de vos décisions sur l'autre via un systèmes de petites notes de musiques apparaissant au-dessus de leur tête à l'écran. Plus il y en a, plus vous avez tapé juste. Ce qui, là encore, vous serait bien pratique. Il devrait y avoir une application pour ça. On vous dira certainement que cela enlèverait beaucoup à la joie de tisser des relations avec ses semblables ; pour vous, cela vous permettrait au moins de vous y essayer sans avoir l'impression de danser la gigue au bord d'un volcan en éruption. Dans un jeu, vous avez le temps de peser vos décisions, de choisir la réponse appropriée, d'analyser les comportement. Dans la vie, vous avez la capacité d'observation et de décodage d'un tabouret lorsqu'il s'agit d'interactions sociales. Vous n'êtes jamais sûr des tons employés par vos interlocuteurs, et les vôtres varient parfois aléatoirement en l'espace de quelques phrases, comme si vous essayiez en permanence de vous adapter à l'autre sans arriver à vraiment être vous-même. Vous avez l'impression que ça vous donne sans arrêt l'air un peu gêné, et vous vous sentez vraiment en déphasage avec autrui la plupart du temps. Les fois où vous arrivez vraiment à vous sentir à l'aise sont rares, et vous avez alors tendance à parler beaucoup trop (ce qui est un autre problème). Les signaux verbaux comme visuels vous confondent : vous ne savez jamais vraiment ce qu'un geste veut dire. Sans parler du contact physique, qui est pour vous quelque chose de tellement intime que de simplement serrer dans vos bras un ou une amie vous donne l'impression d'être un canard un peu maladroit essayant vaguement de donner l'accolade à un cactus bourré. Et avec les gens que vous connaissez moins, vous êtes encore plus perdu : telle personne vous frôle, est-ce intentionnel, est-ce totalement involontaire, est-ce qu'elle va croire que vous envahissez soudain son espace vital alors que vous ne l'aviez même pas remarqué ?

     

    Autant dire que cela ne vous facilite guère la vie sur le plan sentimental. Si amicalement vous avez déjà de la peine à comprendre quoi il retourne, là on parle carrément d'essayer de comprendre ce qui se passe deux galaxies plus loin. Soit vous vous méprenez terriblement sur les signaux qui : n'existent pas, sont involontaires, ou témoignent d'autre chose...soit vous ne les voyez tout simplement pas lorsqu'ils ont une raison d'être. Quant à émettre les vôtres, vous passez tellement de temps à essayer vainement d'analyser le moindre regard, le moindre mouvement, le moindre frôlement que vous ne savez même pas lesquels envoyer en retour. Là encore, faire le premier pas vous paraît souvent insurmontable, et les rares fois où vous vous y êtes essayé n'ont guère porté leurs fruits (pour d'autres raisons que les simples perceptions sociales, mais on n'a pas toute la journée). Lorsque quelqu'un vous plaît, il vous faut déjà un certain temps pour vous en rendre compte, sans compter celui que vous allez passer à examiner le sentiment sous toutes les coutures pour vous assurer qu'il s'agisse bien d'un sentiment et non d'une passade, ou d'une simple idée de sentiment. Du coup, vous laissez passer bien des moments, et au bout d'un moment, ben...y a plus de moments. Ou alors, vous ne les voyez même pas, ce qui ne vous étonnerait guère. Parfois, vous vous demander ce qui aurait pu être si vous aviez ouvert les yeux, ou si vous aviez réussi à dépasser votre timidité maladive.

     

    Ce qui, en amour comme en amitié, ne vous est jamais facile. Parce que vous ne savez jamais comment vous y prendre. Parfois, proposer à de vieux amis d'aller au cinéma vous paralyse une journée, alors lorsqu'il s'agit de quelqu'un qui vous plaît, autant dire qu'on est pas sorti de l'auberge (déjà parce qu'il faudrait y entrer, et que si on attendait que vous trouviez le moyen d'y inviter qui que ce soit pour un thé ou un verre, elle aurait le temps de changer trois fois de propriétaire avant de devenir une boutique de souvenirs rigolos). Comment êtes-vous censé vous y prendre lorsque vous réalisez que oui, une personne vous plaît, et que la simple idée de vous retrouver en tête à tête vous rappelle l'image de l'homme arrêtant de bouger face au dinosaure de sa vie (car sa vision est basée sur le mouvement, comme on dit ; peut-être que si vous arrêtez de bouger, tout se passera bien. C'est rarement le cas). Et même si vous essayez simplement de faire progresser un lien amical, comment s'y prendre ? Vous aurez toujours l'impression que la moindre proposition sera déplacée, refusée, ou même pas entendue. Et parfois, c'est tout bêtement vous qui ratez complètement le coche lorsqu'une autre personne essaie de faire un effort.

     

    Heureusement, il y a l'écrit. L'avènement des téléphones portables et d'internet vous aura permis de communiquer plus librement que jamais. Lors d'un échange de mail ou de messagerie, vous vous sentez tout de suite plus à l'aise. Presque vous-mêmes. Là, vous pouvez vous laisser aller, et c'est souvent ce qui vous a réellement permis de tisser de belles amitiés. Même si parfois, vous avez de la peine à vous sentir confortables dès que vous croisez les gens en personne alors que vous leur écrivez pratiquement tous les jours. Et l'écrit n'est pas toujours évident non plus. Parce que vous avez vite tendance à un peu trop en faire ; quelqu'un vous écrit quelques lignes en messagerie, vous répondez avec trois paragraphes. Vous avez de la peine à vous arrêtez, vous cumulez les informations, et vous finissez par avoir l'impression de beaucoup trop en faire. Et puis l'enfer des messageries modernes, qui permettent de voir quand les contacts reçoivent, lisent et écrivent les messages est pour vous d'une pression phénoménale. Quelle que soit la nature de votre contact, vous pouvez agoniser sans pareil, analysant le moindre temps de réaction d'une manière totalement inappropriée à la situation et au contexte. En avez-vous trop dit, trop fait ? Pas assez ? Là encore, la moindre interaction peut vous paraître plus énigmatique qu'une équation au deuxième degré (et vous n'êtes vraiment pas bon en maths).

     

    Pour en revenir au tête-à-tête, vous êtes confus : vous les redoutez autant que vous les souhaitez. Lorsque vous avez envie d'apprendre à vraiment connaître quelqu'un, vous avez en même temps l'envie de fuir dès qu'on vous laisse seul avec qui que ce soit. Des rares fois où vous vous êtes retrouvé sur scène, et bien vous trouvez plus facile de vous produire devant une foule d'inconnue que de faire la conversation à une seule connaissance. Et plus la personne vous intrigue, vous apprécie ou vous plaît (et Toutatis vous garde s'il s'agit de quelqu'un qui vous plaît sur un plan sentimental), plus vous vous sentez incapable de fonctionner et décoder quoi que ce soit. Pas de notes de musique qui apparaissent, et vous finissez souvent par lire la partition de travers de toute façon. Ou alors vous l'avez lue juste, mais vous persuadez de l'avoir mal fait, un peu à la manière dont on se persuade qu'on enfilera toujours le port usb d'abord du mauvais côté quoi qu'il arrive.

     

    Un jeu vidéo, aussi réaliste soit-il (ce qui n'est clairement pas le cas de celui-ci, mais c'est aussi ce qui fait son charme), ne pourra jamais reproduire avec exactitude les comportements sociaux humains, ni la myriade de signaux qui en découlent. C'est peut-être pour ça qu'ils vous attirent autant, et que vous les trouvez même parfois reposant : tout est aussi simple qu'un social link, et que quelques notes de musiques. En réalité, chaque personne que vous rencontrez est une symphonie. Ce qui rend la vie beaucoup plus intéressante. Seulement, vous avez un peu l'impression d'être coincé en mode difficile. Et vous avez encore de la peine à naviguer dans les options. Peut-être même que vous avez grandement besoin de sous-titres.

     

    Toujours est-il que vous tenez une fois de plus à assurer vos amis, vos proche, votre famille que si vous ne savez pas trop comment le dire -et parfois même comment l'écrire- vous n'en pensez pas moins. Et pour les autres... Disons que vous avez encore du travail ; et qui sait, peut-être qu'un jour, vous arriverez enfin à voir les notes.

     

  • Trou noir

    C'est comme un gouffre. Enfin, non. Le gouffre implique la chute, et aussi étrange que soit la sensation, elle n'implique pas de tomber. Ou est-ce qu'on peut tomber sans bouger, comme si le monde se précipitait à votre rencontre pour mieux vous passer à travers, vous laissant avec l'équivalent métaphysiques de trois couches géologiques dans les gencives (ce qui n'est pas très bon pour le budget brosses à dents) ? C'est plutôt...et bien, comme un trou noir. Un trou noir qui grandit petit à petit dans le creux de votre poitrine, et dont les vrilles s'infiltrent jusqu'au plus profond de votre être. Parfois il se stabilise, et pendant un temps, l'alignement des planètes vous semble non pas forcément favorable mais...adéquat, comme si vous aviez enfin trouvez votre place dans l'univers, à la façon d'un horoscope dans le quotidien gratuit du jour (sagittaires aujourd'hui : mangez sain, vivez heureux, travaillez bien, et pour le reste prenez un biscuit chinois, on manque d'idées). Et puis voilà que l'entropie reprend son cours, que tout votre être se tord sans que vous ayez l'impression du moindre mouvement. Une étoile pressée, comme en formation...ou sur le point d'éprouver son point de rupture.

     

    Ce n'est pas tant une question de destruction, mais plutôt d'usure. D'une fatigue incommensurable qui vous ronge comme le castor neurasthénique les barreaux de sa cage, désespéré à l'idée d'y trouver un semblant de liberté, et peut-être un bon tas de bois pour y construire un barrage quelque part. Sauf que votre barrage à vous est en train ce céder, et si ce n'est pas la première fois, il n'y a tout simplement rien qui coule. Le trou noir se nourrit de vos émotions, qu'il attire à lui avec la force inébranlable de la gravité. Comme si le manque d'énergie, de repos, vous empêchait de ressentir vraiment. S'en suit une sorte d'apathie que vous essayez de combler dès que vous le pouvez, trouvant un semblant de vie en bonne compagnie. Du moins quand vous en avez la force. Car toujours sortir devient difficile, prendre contact compliqué, et maintenir un lien éprouvant. La solitude vous terrifie, mais la compagnie vous épuise. Une équation que vous avez bien de la peine à balancer en ce moment.

     

    Vos émotions, vous ne savez pas ce qu'elles deviennent. Vous avez l'impression de les sentir vaguement, ou du moins de conserver l'idée que vous êtes censé en faire. Mais le trou noir les arrache, les emmagasine quelque part tout au fond de vous, où vous pouvez les voir mais pas les toucher. N'attendant peut-être qu'une occasion pour toutes ressortir d'un coup, vous submerger à travers une gigantesque vague émotionnelle et chaotique avant de vous laisser lessivé sur le sable (ce qui vous enthousiasme moyen, parce que le sable, c'est pénible, on en a partout, même dans les oreilles, et c'est un peu comme les paillettes : trois jours et douze douches plus tard, on en trouve toujours un peu dans les coins). Les mauvaises comme les bonnes nouvelles n'ont plus guère d'impact, et vous restez silencieux plutôt que de mimer à outrance joie ou désarroi. Ni l'un ni l'autre ne vous semble approprié, c'est bien là le problème.

     

    Lorsqu'on vous demander comment ça, vous avez l'impression de passer votre temps à dire que vous êtes fatigué. En fait, vous avez l'impression d'avoir épuisé tous les sujets de conversation quant à votre vie quotidienne. Ce n'est même pas que vous vous sentez mal, vous ne savez pas comment vous vous sentez. Vide, comme si vous vous observiez de l'extérieur, et que ce qui vous arrivait ne vous arrivait pas vraiment, ne suscitant chez vous qu'un intérêt poli, un peu comme celui que l'on réserve à certains membres de sa famille éloignée lors d'un repas de fête et que hocher le tête au rang d'art devient un élément de survie essentiel. Oh, c'est vous ! Ils vous arrive...des trucs. Ou pas. Aux autres aussi. Vous êtes mieux à l'intérieur, merci bien.

     

    Ces derniers jours, vous avez fait du rangement. Comme vous n'en avez pas fait depuis un bon moment. Pas beaucoup de choses débarrassées, mais de l'ordre fait, et un bon coup de ménage (enfin, rien de vraiment débarrassé...à part les deux sachets de médicaments périmés retrouvés dans votre pharmacie. D'ailleurs, vous êtes à peu près persuadé qu'une loi ineffable du multivers implique que toutes les pharmacies de particuliers sont remplies au trois quarts de médicaments périmés dont leurs propriétaires ne se rappellent même pas l'usage initial. Le dernier quart est généralement constitué d'un fond de bouteille de carmol, de sparadraps éparpillés et d'un tube de pommade.). Mais finalement, vous avez déjà l'impression que ce n'est qu'un appel de plus au désordre à revenir. Ce n'est pas le vide que vous recherchiez. Un vide à l'allure de trou noir, qui tempête parfois chez vous en un redoutable sentiment de colère, de rage pure à qui vous ne trouvez aucune cible, si ce ne sont vos maladresses et autres petits tracas du quotidiens qui menacent de vous faire à hurler à vous en arracher la voix.

     

    Sinon, rien. Juste cette ouverture en vous que vous n'arrivez à combler, et cette absence d'émotions, ou du moins leur mise en sourdine qui vous pousse à trouver refuge dans celles que vous éprouvez encore plongé dans un bon livre, un jeu vidéo ou une bonne série. Mais même là, la fatigue vous y arrache parfois. Là où vous pouviez lires des livres d'une traite sans faiblir, une cinquantaine de pages d'un coup vous fatigue aujourd'hui, votre concentration s'éparpillant. C'est comme avoir en permanence une brume stagnant dans les méandres de votre cerveau, et un voile devant la manière dont vous expérimentez la vie. C'est la volonté qui faiblit, votre faiblesse qui prend le pas, votre trou noir qui s'étend ou se comprime comme un accordéon qu'on aurait jeté dans un escalier (à la manière d'une bande-son de certains films d'art et d'essai). C'est la sensation de n'avancer dans rien, et de se retrouver submergé par une quantité de choses, cette danse à deux doigts du burnout pour une vie qui ne devrait pas en connaître un seul. Et vous ne savez plus quoi à dire à ceux qui vous entourent.

     

    C'est comme un gouffre qui grandit. Enfin, non. Le gouffre implique la chute, et vous n'êtes pas en train de tomber. C'est plutôt comme un trou noir à l'intérieur de vous. Pas destructeur, pas trop ; pas la fin, pas vraiment. Juste présent.

     

  • Good dreams are the worst

     

    What's Wrong with Me - Julia Stone (musique, maestro!)

     

    Vous sentez la fatigue, qui vous tire en arrière comme un monstre marin enserrant ses griffes autour de votre gorge ; plus loin, toujours plus profondément dans les abysses, si bien que chaque respiration vous donne l'impression de vous réveiller en sursaut. Vous la subissez depuis tellement de temps maintenant qu'il pourrait aussi bien s'agir de votre ombre, drainant petit à petit votre énergie en vous laissant juste de quoi fonctionner, voire de vous adonner à un éclair d'espoir, le temps de vous retrouver à nouveau enchaîné. C'est comme une course sans fond, sans but, sans ligne d'arrivée, où la fatigue vous tire en arrière sans que vous ne cessiez jamais de remuer les jambes de toutes vous forces pour ne serait-ce que gagner quelques centimètres d'avance. Cette fatigue, c'est l'impression de se balader en permanence avec un poids sur les épaules, lové autour de votre torse, tordant vos bras, un esprit prisonnier d'une tare qu'il se sent incapable de vaincre. Ou peut-être que la seule victoire consiste à continuer malgré tout plutôt que de s'écrouler, où l'épreuve devient les meilleurs jours une habitude. Pas de petit chat aujourd'hui, pas de compagne, pas de pantoufles, pas d'édition, pas d'historiette avec lesquelles vous affrontiez votre quotidien : juste vous.

     

    Et vous êtes épuisé.

     

    Vous avez beau tout essayer, rien n'y fait. Varier les temps de sommeil : dormir plus, dormir moins, sur de longues périodes, trouver un rythme. C'est comme courir après l'espoir illusoire d'une seule bonne nuit de sommeil. Les insomnies ne sont qu'un écueil dérisoire en comparaison de cette quête éreintante, car même lorsque vous passez vos nuits à dormir, cela n'a aucune importance. Le réveil vous trouve toujours lessivé, et tellement au bout du rouleau que vous avez dû en changer au moins trois fois pendant la nuit. C'est un démon intérieur à la source inconnue qui vous ronge toujours un peu plus, jusqu'à ce que vous n'en pouviez plus ; il vous laisse alors récupérer de maigres forces, et la lutte reprend de plus belle. Un cycle qui se partage avec vos craintes et vos angoisses, face à votre esprit qui n'a jamais été très fort. C'est l'envie de disparaître, de partir, de dormir un jour entier, une semaine, un mois, un an, en espérant qu'au réveil, il y aura eu un changement miraculeux. Jamais l'envie d'en finir, au moins ; la corde est usée, mais elle a été toujours bien attachée.

     

    C'est la solitude qui vous dévore, qui vous donne l'impression d'être plus loin que jamais de tous ceux dont vous êtes proches. L'impression de ne jamais arriver à être vraiment là, de se sentir connecté, comme si vous vous observiez avancer de loin. Avec ce vide en vous que vous ne savez comment combler, et qui vous fait l'impression d'un trou noir que vous ne contenez qu'avec peine et un soupçon de moralité. C'est l'impression d'être un tas de verre brisé, qui avance malgré tout, vaguement mis en forme par les habits qu'il porte et le tout tenu par un sourie balancé à la face de l'adversité : « Tout va bien. » Car au fond, qu'est-ce qui va vraiment mal ? Si ce n'est cette souffrance que vous vous maudissez de ressentir, vous qui vous sentez tellement isolé alors que vous êtes si bien entouré. C'est se raccrocher à chaque petite chose, à chaque petit plaisir, en se laissant guider de l'un à l'autre, se raccrochant aux gens, à tout ce que vous aimez, des fois que cela vous permette de prendre forme et de garder pied.

     

    C'est l'usure, devenue une vieille compagne qui vous empêche de réellement savoir à vous en êtes, toujours piégé entre le creux de la vague, la remontée bienvenue et l'inévitable redescente. C'est l'usure des bonheurs, ou ce que vous aimez est votre carburant, bien que souvent terni par le voile de la fatigue. La fatigue qui vous empêche de lire comme vous lisiez avant ; la lecture, à travers laquelle vous vous définissiez, la lecture, qui était votre truc. Et si vous n'êtes plus ce lecteur-là, qui êtes-vous ? La fatigue, qui transforme l'écriture autrefois si indissociable de votre existence en une épreuve mentale qui vous épuise comme jamais après une page ou deux. Les forums d'écriture que vous aimez tellement deviennent autant d'épreuves qui vous paraissent parfois insurmontable, tandis que la moindre notion d'un projet personnel vous draine de toutes vos forces avant même d'en poser quelques mots. Avant, vous aviez toujours des histoires en cours, des projets ; vous les finissiez rarement, mais vous écriviez. Aujourd'hui, il n'y a plus que l'obligation d'écrire trop souvent submergée par la fatigue qui l'accompagne.

     

    Alors vous luttez pour vous reprendre, vous luttez pour sourire, vous luttez pour profiter de chaque chose qui vaille la peine, et vous continuer à croire qu'il y en a plus que jamais, même si elles doivent vous échapper du bout des doigts. Vous êtes fonctionnel à l'extérieur, où le rire devient une raison d'avancer, ou chaque interaction devient une raison de vivre aussi bien qu'une activité si épuisante qu'elle vous empêche d'en profiter vraiment. Vous rêvez de partir loin, ou de partir près ; de partir, tout simplement, pour un temps. De vous retirer, de laisser le monde continuer un peu sans vous, mais la peur, la fatigue et les moyens ne vous en laissent guère l'occasion. Vous combattez cette tristesse profonde et insondable qui vous déchire les entrailles et révèle en vous un vide dans lequel vous avez une trouille bleue de vous perdre. Les larmes vous montent aux yeux à la moindre contrariété, à la moindre maladresse (et dieu sait que cela ne vous rend pas la vie facile, lorsqu'on connaît votre maladresse, justement ; pas plus tard qu'il y a quelques heures, vous avez failli fondre en larme parce que vous aviez fait tomber le bouchon d'une bouteille. Vous n'avez pas très envie de savoir de quelle métaphore il s'agit). C'est l'envie de hurler dans un coussin qui vous reprend jusqu'à ce que cette foutue fatigue finisse par vous museler et que vous arriviez, enfin, à vous endormir. Ce que vous finissez par craindre presque plus que vous n'en avez besoin. Par crainte des rêves.

     

    Car ce ne sont pas les cauchemars qui vous font peur, ça non ; vous pouvez les gérer, les cauchemars. Lorsqu'on se réveille, ils se dissipent. Non, ce sont les rêves dont vous avez le plus peur, les bons rêves. Ceux où vous vous sentez bien, ceux où tout va bien. Pour vous, il n'y a rien de plus cruel que d'y être arraché par le réveil. Ce ne sont pas les cauchemars récurrents qui vous réveillent en sursaut, mais les bons rêves récurrents. Celui où vous avez trouvé LA personne, celle avec qui vous vous sentez réellement bien. La bonne, comme on dit. Vous ne vous rappelez jamais de son visage, peut-être n'est-il jamais le même ; de toute façon, c'est ce qu'elle représente qui compte. Et qui vous est arraché chaque matin. C'est aussi celui où vous avez trouvé l'équilibre, où la vie n'est certainement pas parfaite mais...juste, où vous accédez enfin à un sentiment de plénitude. Pour le voir voler en éclat des que vous ouvrez les yeux. C'est ce rêve -unique, pour l'instant- où vous étiez père, pour vous réveiller avec la soudaine impression que vous ne le serez sans doute jamais. Et même si vous ne savez pas vraiment si c'est là quelque chose que vous souhaitez un jour, ce qui vous frappe et qui fait mal, c'est cette certitude de se dire que c'est mieux ainsi, pour eux plutôt que pour vous. Oui, rien ne vous terrifie plus que ces rêves qui reviennent souvent hanter vous nuits, au point de vous faire franchement regretter le cauchemars où vous finissiez décapité par la plus terrifiante des sorcière sous les arbres morts, malgré l'aide désespérée et héroïque de Morgan Freeman.

     

    Ce sont ces rêves qui vous font craindre autant le sommeil. Sommeil que vous recherchez pourtant le matin, vous réfugiant sous les draps, repoussant sans cesse l'heure du lever dans une succession de demi-sommeils. Tout, plutôt que d'affronter une nouvelle journée, et vous sentez déjà vos horaires en prendre un coup tandis que vous retrouvez cette vieille habitude. Ce qui vous inquiète, car chez vous ce n'est jamais bon signe. Mais vous finissez par vous levez, vous traversez la journée, vous arrivez même à en profiter, parfois. Mais jamais sans cette fatigue, sans cette solitude, sans cette tristesse. Vous vous efforcez de tenir bon, car à quoi bon, sinon ? Un sourire, un rire, de quoi faire avancer le tas de verre brisé dans son sac.

     

    « Tout va bien. Ça pourrait être pire. »