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Ecriture - Page 16

  • Lucie 89

    Et hop, ça reprend, on ne va pas s'arrêter en si bon chemin!^^

     

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    -Lucie !

    La voix de Martha Robbins la précéda tandis qu'elle franchissait le couvert des arbres, avec le major Adams toujours appuyé contre elle. Devant eux, ils pouvaient voir Arthur Kent et l'enfant, serrés l'un contre l'autre dans le brouillard. Martha et le major échangèrent un bref regard, l'homme acquiesça à sa demande muette d'un bref signe de tête, et la femme le laissa appuyé contre un tronc avant de se précipiter vers sa fille. L'enfant leva les yeux en entendant son nom et se mit à courir elle aussi. En retrait, Arthur Kent se redressait, frottant la neige de ses pantalons épais. Pâle malgré le froid qui rougissait ses joues et son nez, il avait l'air sous le choc et secoua plusieurs fois la tête, clignant des yeux derrière ses lunettes embuées. Puis lorsqu'il réalisa que les nouveaux venus étaient bel et bien là, il s'autorisa enfin un bref soupir de soulagement.

    -Maman !

    Lucie se jeta dans les bras de sa mère, qui faillit trébucher sous le choc. Elle étreignit sa fille avec la force d'une mère qui était bien déterminée à ne plus perdre son enfant, et elle sentit la prison d'acier qui comprimait son cœur depuis la disparition de sa fille fondre quand Lucie blottit son petit visage dans son cou. La petite entourait elle aussi sa mère de toute la force qu'elle avait dans ses petits bras et dans un tel moment, rien ni personne n'aurait pu les séparer. Avançant lentement, se servant de son fusil d'assaut comme d'une cane, Canton Adams finit par rejoindre les Robbins. Il sourit dans sa barbe, heureux d'assister à une telle scène : la douleur dans sa jambe n'avait plus vraiment d'importance. Il croisa le regard de Kent, qui s'était rapproché à son tour, et les deux hommes n'eurent pas besoin de parler pour se comprendre.

    -Bon sang Lucie, je refais jamais quelque chose comme ça ! Qu'est-ce qui t'a pris ?

    Le soulagement le disputait à la colère dans la voix de Martha, et Lucie soutint le regard de sa mère quelques secondes, avant de baisser la tête avec honte.

    -Je suis désolée maman. Je suis vraiment désolée... J'ai cru... Et à cause de moi, monsieur Travers a...

    L'enfant fut incapable de finir sa phrase, et la détresse qui l'habitait à cet instant poussa aussitôt Martha à la serrer à nouveau contre elle, lui caressant doucement le dos pour essayer de l'apaiser.

    -Ça va aller ma grande, ça va aller, on s'est retrouvés toi et moi...

    Tout en rassurant sa fille, elle formula une question muette à l'adresse d'Arthur, qui déglutit péniblement avant de répondre :

    -Lucie était coincée, et Ed lui a permis de remonter, que je puisse la hisser en toute sécurité. Mais lui...

    -Travers est tombé, en conclut le major Adams, l'air grave.

    Kent hocha piteusement la tête, et Canton étouffa un juron. Travers avait beau avoir été un type insupportable -Canton, comme pratiquement tous les autres occupants du train, l'avait pris en grippe dès le début- il n'avait pas à finir comme ça. Adams y voyait un nouvel échec : pendant qu'il gisait dans la neige, stupidement blessé, quelqu'un d'autre était mort.

    -Il a fait preuve d'un grand courage, sur la fin...commenta l'écrivain, comme pour s'en convaincre lui-même. Il était manifestement bouleversé par la situation, et c'était compréhensible : rien dans son caractère n'était fait pour traverser une telle épreuve. Mais il était encore là, avec eux, et ils ne pouvaient se permettre de perdre une personne de plus. Il leur fallait rester plus soudés que jamais.

    -Vous avez fait tout votre possible, Kent. La gamine est sauve grâce à vous deux. Cela n'aurait servi à rien que vous le suiviez dans l’abîme.

    Un bref éclat de compréhension traversa la douleur qui se lisait dans les yeux de Kent, et il trouva la force de hocher la tête. Puis il regarda à nouveau la mère et sa fille, et Adams et lui échangèrent un bref sourire : tout n'était pas perdu. Toujours blottie dans les bras de Martha, Lucie ne pleurait pas. Les larmes n'auraient pas suffi à exprimer toute la peine de l'enfant. Pas en cet instant, en tout cas. Quand les deux Robbins desserrèrent leur étreinte, Lucie tenait contre elle l'appareil à musique que Ed Travers lui avait confié. Et bien en peine celui ou celle qui aurait voulu le lui prendre, ou même lui faire lâcher.

    -Salut petite. Content de te revoir, sourit simplement Adams à son égard.

    -Vous êtes blessé major ? L'inquiétude de la fillette était sincère, et il prit son air le plus brave avant de lui répondre :

    -Rien de grave, surtout pour un vieux soldat comme moi. Travers a été incroyablement courageux. Ce qu'il a fait été juste, il l'a décidé de son propre fait, et tu n'y étais pour rien. D'accord ?

    Lucie plongea son regard dans le sien et resta immobile de longues secondes, sa petite tête tournant à plein régime derrière ses sourcils froncés et sa bouche encore tordue par la peine. Mais elle finit par acquiescer, même si Adams savait qu'elle ne le faisait que pour être courageuse, et que la peine était bien loin de la quitter. De même que la culpabilité. Mais ils ne pouvaient rien y faire maintenant.

    -D'accord.

    -Bien. Adams se racla la gorge, redistribua son poids sur ses jambes de manière à mieux supporter la douleur, avant de reprendre. Nous ne pouvons pas rester ici. Le brouillard peut s'épaissir, et dieu seul sait quels autres horreurs se cachent à la surface. Il faut qu'on se remette en route. Je vais pouvoir retrouver la bonne direction, et on y va. Atteindre cet abri est notre seule chance.

    Si il s'agissait effectivement d'un abri qui était décrit dans ses documents. A vrai dire, le major ne savait pas du tout ce qu'ils allaient trouver au bout du chemin. Il savait seulement qu'ils n'avaient pas d'autre choix que de s'y rendre le plus vite possible.

     

    * * *

     

    Plus loin derrière le petit groupe, des cris et des sifflements pouvaient se faire entendre entre les arbres. Quelque chose remontait leur piste, quelque chose qui n'était pas incommodée par le brouillard ambiant. Quelque chose de blessé, quelque chose d'implacable, quelque chose de très en colère. La créature tendit son cou gracile vers le ciel, et poussa un long hululement farouche. Ici, elle était sur son domaine. Sans plus attendre, elle se remit en route.

     

    * * *

     

     

     

     

     

  • Lucie 88

    Un passage dominical, y a pas d'raison!^^

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    -Canton, est-ce que c'est vous ?

    La silhouette de Martha Robbins se découpa dans le brouillard, et Canton Adams se dit qu'il aurait préféré qu'elle ne le retrouve jamais dans cet état. Assis par terre adossé à un arbre, il tenait sa cheville gauche à deux mains. Il leva la tête, usant de toute sa volonté pour masquer sa honte et la douleur qu'il ressentait.

    -Qu'est-ce qui vous est arrivé ?

    -Je me suis pris les pieds dans une congère. La neige a cédé sous mon poids, et je me suis tordu la cheville. On n'y voit rien, dans ce foutu brouillard...

    Il n'était décidément pas fier de lui du tout. Il était censé être celui qui les guidait tous, pas rester les fesses dans le froid ! Il essaya de se relever, mais il dut abandonner presque aussitôt, la douleur étant bien trop importante. Il pensa à Sungmin, qui aurait aussitôt eu de quoi lui permettre de tenir le coup, mais cela lui fit encore plus mal.

    -Laissez moi vous aider.

    Martha se pencha vers lui et lui tendit un bras. Il pouvait lire l'inquiétude sur son visage -l'inquiétude pour sa fille- mais il vit aussi sa détermination, et il sut que jamais elle ne le laisserait derrière. Ce n'était tout simplement pas ainsi qu'elle fonctionnait. Il hocha la tête dans un remerciement muet, et accepta son aide. A eux deux, ils arrivèrent à le redresser tant bien que mal, et il pouvait maintenant rester debout tant qu'il ne mettait pas trop de poids sur sa jambe blessée.

    -Vous pouvez marcher ?

    -Il le faut. Je suis désolé, Martha.

    -Ne dites pas de bêtises. Vous avez entendu Travers ?

    -Je me dirigeais vers lui, du moins j'espère que la direction est bonne.

    -Alors allons-y.

    Martha n'avait pas besoin de parler de Lucie, Canton pouvait bien voir que l'enfant occupait toutes les pensées de sa mère. Mais pas plus qu'elle ne pouvait laisser Adams derrière, elle ne pouvait pas non plus abandonner qui que ce soit qui était en danger. Et peut-être...peut-être que Ed Travers avait trouvé sa fille, elle essayait de s'en persuader. Et le major sut qu'il faisait de même. Alors ils remirent en route dans la direction des cris, l'homme s'appuyant sur la femme pour avancer, priant pour qu'ils n'arrivent pas trop tard.

    * * *

    Perchée sur son petit rebord glacé, Lucie n'osait pas bouger un seul muscle, de peur de perdre son appuis. Mais plus que la peur, c'était la honte qui pesait sur son esprit, à la manière du major Adams. Elle était mortifiée de ses actions, et des conséquences que ces dernières risquaient d'avoir pour les adultes qui l'accompagnaient. Elle s'était éclipsée comme une voleuse, sans rien dire, parce qu'elle était persuadée de ne courir aucun danger dans ce monde qui la fascinant tant, et parce que l'attrait du brouillard avait été trop fort. Quand elle s'était mise en route, ce fut comme si ce dernier l'enveloppait pour mieux la guider, et pas un seul instant elle n'avait pris la peine de penser. De vraiment penser. Elle avait suivi son instinct, et ce au détriment de tous. De sa mère, qui devait être folle d'inquiétude. De colère contre elle-même, Lucie serra ses petits points et se mordit la lèvre. A peine trembla-t-elle qu'elle entendit la glace craquer, et elle se força de nouveau à rester immobile.

    Pourtant, quelques minutes plus tôt, tout lui avait semblé tellement juste, tellement logique ! Elle ne comprenait pas pourquoi les autres avaient aussi peur de cet endroit, quand pour elle il n'était qu'une promesse de découvertes et de merveilles. Elle s'était crue invincible, comme lorsque le train avait été stoppé et que les créatures avaient attaqué. Lucie ne s'était pas sentie menacée, et elle-même ne savait pas pourquoi. C'était...comme ça, voilà tout. Elle n'était pourtant pas dépourvue d'un sens du danger, ni de bon sens -surtout pour son âge- mais c'était comme si son corps avait réagi avant son cerveau. Et celui-ci commençait doucement à reprendre un peu le contrôle, et à se poser des questions. Lucie était très douée pour se poser des questions. Par exemple, pourquoi était-elle si sûre que la surface ne lui voulait aucun mal ? Et pourquoi pensait-elle à la surface ainsi, comme à une personne plutôt que ce qu'elle était réellement, à savoir... et bien, Lucie ne savait pas. En fait si, elle avait l'intime conviction de le savoir, et c'était tout. Et dans sa fierté, ivre d'un tel sentiment d'immunité, elle avait cru pouvoir s'en sortir quoi qu'il arrive. Elle s'était trompée. La surface avait beau ne lui vouloir aucun mal, quel qu'en soit le concept qu'elle s'en faisait, mais ça n'empêchait pas Lucie de se faire du ma de son propre fait...comme en ne faisant pas attention où elle mettait les pieds.

    Elle pouvait entendre monsieur Travers remuer au-dessus d'elle. En levant la main, elle aurait pu toucher ses jambes, mais elle n'osait toujours pas bouger. Elle était terriblement inquiète pour l'homme qui lui avait confié sa musique, et s'en voulait énormément de le savoir dans une situation pareille par sa faute. Elle ne savait pas que faire, se sentait terriblement impuissante et, pour la première fois depuis le début du voyage, elle avait vraiment peur.

    -Lucie, tiens bon, on va trouver quelque chose... La voix de monsieur Travers se voulait rassurante, mais Lucie pouvait deviner la tension qui l'agitait. L'homme avait l'air de lutter de toutes ses forces pour rester cramponné au bord de la falaise, et il n'avait pas plus d'idées que Lucie sur la manière d'agir.

    Inspirant profondément, elle joignit ses cris aux appels désespérés d'Ed Travers.

     

    * * *

     

    Arthur Kent courrait sans s'arrêter, malgré le souffle qui commençait à lui manquer, un point de côté et le froid qui lacérait ses poumons à chaque inspiration. Le rayon de sa lampe, agitée dans tous les sens par sa course, balayait le brouillard et la nuit droit devant lui. Il pouvait entendre une nouvelle voix se mêlant à celle de Travers, la voix d'une petite fille. Ses lunettes tressautant sur son nez rougi, il se focalisait entièrement sur l'origine des hurlements. Plus rien d'autre ne comptait, même pas la peur qui lui nouait l'estomac.

    Plus loin, Canton Adams et Martha Robbins avançaient eux aussi de toutes leurs forces.

     

    * * *

     

    Ed Travers entendit hoqueter Lucie de terreur, et il sut pourquoi quand le grincement qui secouait le rebord monta jusqu'à lui. Même si la gamine faisait tout son possible pour ne pas bouger, la glace allait finir par céder. C'était sans-doute une question de minutes, voir de quelques dizaines de secondes. Ils n'avaient tous deux plus de temps à perdre. Le responsable des passagers n'en menait pas large non plus : une main fermement accrochée à la prise qui lui avait sauvé la vie, il avait réussi à saisir une racine de sa main libre. Mais il savait maintenant que le bois n''était pas fiable, et il s'attendait à ce qu'il se brise entre ses doigts à tout instant. Et il avait beau s'époumoner pour appeler à l'aide, personne n'était sur place. Il ne savait pas combien de temps il tiendrait ainsi, seul et suspendu dans le vide. Il avait plus d''une fois songé à utiliser ses dernières forces pour se hisser d'un grand coup dans le but de remonter : après tout il était encore bien assez haut pour réussir à se laisser retomber sur le sommet. Ce n'était pas l'envie qui lui en manquait, terrorisé comme il l'était, mais il ne pouvait tout simplement pas laissé Lucie comme ça.

    Maudite gamine.

    Soufflant entre ses dents, il pesait les options qui lui restaient, de moins en moins nombreuses et toutes extrêmement dangereuses. Mais s'il voulait aider la petite, il ne lui en restait au final plus qu'une seule. Il se maudit à voix basse, puis essaya d'adopter son ton le plus rassurant, celui qu'il utilisait toujours pour calmer les voyageurs à problèmes :

    -Bon, ça va aller. Écoute moi bien Lucie : je me tiens bien au bord, et toi tu vas devoir bien te tenir à moi. Tu vas très doucement te retourner et saisir mes jambes. Tu vas te servir de moi pour grimper, d'accord ?

    -Mais la glace va casser si je bouge trop...

    -La glace va casser si on attend trop longtemps, et je ne peux pas attendre trop longtemps. Je commence à être un peu fatigué, tu vois... Tu vas faire ce que je te dis, tu vas grimper, et tout se passera bien.

    -Mais...

    -Tu peux le faire, petite.

    -Et vous ?

    -Ne t'en fais pas pour moi. Commence à grimper, vas-y !

    Il y eut un silence, et Travers crut que Lucie allait refuser, les laissant tous les deux courir à leur perte, quand il sentit soudain des mains lui agripper les mollets, puis les genoux. L'enfant avec commencé son ascension, très lentement, sans mouvement brusque. Travers pouvait imaginer l'air concentré du visage de la fillette, et il s'en servit pour se donner du courage, lui qui n'en avait jamais beaucoup eu. Le poids de Lucie reposait maintenant presque entièrement sur lui, le tirant un peu plus vers le bas...et un terrible craquement retentit dans la nuit, accompagné du hurlement terrifiée de la fillette.

    -Lucie !

    Traver se sentit attiré dans le vide mais, contre toute attente, il tint bon, et il pouvait encore sentir la petite accrochée à ses jambes.

    -Petite, ça va ?

    -Oui.

    -Très bien. Très bien... C'est parfait. Continue, allez, tu peux le faire !

    Lucie ne perdit pas de temps, et continua de monter dans le dos de Travers. L'homme avait les muscles engourdis, et il peinait de plus en plus à maintenir sa prise, soufflant comme un bœuf. Mais il refusait de penser à autre chose qu'à l'enfant qui grimpait, il le devait.

    -C'est super, l'encouragea-t-il. Tu te débrouilles comme une cheffe... Fais gaffe à la casquette quand tu arriveras en haut, d'accord ?

    Il voulut continuer, mais la sensation de la racine qui commençait à craquer dans sa main l'en empêcha, et le remplit d'une terreur nouvelle. Vite, vite, pensait-il, craignant de perdre prise si le moindre son franchissait à nouveau ses lèvres. Lucie dérapa, et il la sentit serrer ses bras très fort autour de sa poitrine pour ne pas tomber, tirant un peu plus sur le bois gelé. Bon sang, à ce rythme, ils n'allait jamais y arriver, ils...

    -Oh hé !

    Une voix. Une lumière qui jaillissait au-dessus de leur tête.

    -Oh hé ! Lucie ? Travers ?

    -Kent ! Cette fois-ci, Ed ne s'empêchait pas de crier. Il le fallait. Kent, nous sommes là ! Prenez la gamine, grouillez-vous !

    Levant les yeux, Travers vit le visage inquiet d'Arthur Kent qui se penchait au-dessus du vie. En les apercevant, l'écrivain planta aussitôt sa lampe dans la neige :

    -Oh mon dieu ! Qu'est-ce que je peux faire ?

    -La gamine, prenez la gamine ! Lucie, grimpe, tu y es presque !

    L'enfant reprit son ascension, Travers pouvait maintenant sentir ses bras autour de son cou. Mais la prise était moins assurée, et il devinait que les forces de la petites déclinaient. Il ne lui restait plus qu'une chose à faire.

    -Attrapez la Kent, attrapez la ! Quoi qu'il arrive !

    De toutes les forces qui lui restaient, Ed Travers tira sur la racine et en profita pour se hisser vers le haut, mettant du même coup la petite à portée d'Arthur Kent. Il sentit un poids lui être ôté des épaules quand Arthur s'empara de l'enfant, et il sut qu'elle était en sécurité. Grâce à lui. C'était tout ce qui comptait quand la racine céda sous son poids, et qu'il se sentit basculer dans le vide. Dans un dernier coup regard, il vit le visage en larmes de Lucie Robbins couchée sur le sommet qui tendait désespérément les mains dans le vide, vers lui, tandis qu'Arthur Kent la retenait.

    Ed Travers, qui avait donné de la voix toute sa vie, ne cria même pas.

     

     

  • Lucie 87

    Et ça continue!^^

     

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    Ed Travers appela une nouvelle fois à l'aide, espérant que sa voix porterait à travers les arbres et le brouillard. Il se trouvait dans une situation des plus précaires, et il ne savait pas combien de temps il allait encore tenir...Quand le groupe s'était séparé pour partir à la recherche de la gamine, il avait erré d'abord sans grande conviction, terrifié de ce qu'il risquait de trouver au bout du faisceau de sa lampe torche. Sa casquette vissée sur la tête -qu'il ne l'ait pas perdue dans toutes ces aventures relevait du miracle!- il avait commencé par avancer prudemment, à l'affût du moindre bruit, du moindre mouvement suspect. Il n'avait d'abord eu aucune intention de payer de sa personne...et puis il avait pensé à Lucie. Réellement pensé à Lucie. Au fait que l'enfant avait sans-doute été la seule personne qui ne l'avait jamais rabroué depuis qu'il était monté à bord du train. Il se sentait responsable d'elle, et il comprit qu'il était après tout censé être responsable de tout le monde à bord. C'était lui, l'homme qui devait s'occuper des passagers lors de la traversée. C'était le poste pour lequel il avait travaillé dur, son ticket pour Éclat et un meilleur futur. Pas seulement pour lui, mais pour sa famille également. Il avait encore sa mère, et ses quatre sœurs. Ed avait été le petit dernier, le garçon de la famille, et toutes ces femmes s'étaient occupées de lui dès sa venue au monde. Il avait été entouré, presque étouffé parfois, mais il leur devait tout. Peut-être était-ce pour ça qu'il s'était ainsi laissé pousser par l'ambition. Mais maintenant qu'il se retrouvait loin de chez lui, à l'extérieur, il n'était plus si sûr de ses choix. Et s'il pensait autant à Lucie, perdue comme lui, c'était peut-être parce qu'il n'avait jamais eu de petite sœur, personne dont il aurait pu s'occuper en retour. Et cette enfant était perdue, seule, et il se devait de faire quelque chose.

    Il avait entendu quelque chose, un son faible et lointain, et il s'était précipité dans sa direction. Il n'avait plus peur -ou, plutôt, il avait mis sa peur de côté- et chaque seconde comptait, il en était sûr. Il avait couru comme un dératé, trébuchant dans la neige et manquant plus d'une fois se cogner contre un tronc noir jaillissant de la brume. Soudain il n'y eut plus d'arbres du tout, et ce fut l'instinct de Travers qui le sauva lorsqu'il stoppa net sa course : devant lui, il n'y avait plus que du vide. Ils avaient rejoint la forêt en gravissant une colline...et il était maintenant au sommet d'un véritable flanc de falaise. Prudemment, il s'accroupit dans la neige pour regarder en-bas, mais le brouillard empêchait de voir à quel point la chute serait profonde. Tendant l'oreille, il pouvait entendre un son étrange qu'il aurait aussitôt assimilé à un torrent s'il en avait déjà entendu un : il n'y avait pas de telles choses, entre les murs de béton du Complexe. Mais ce n'était pas le bruit qu'il recherchait : il écouta encore, jusqu'à ce que la petite voix recommence ses appels.

    Lucie.

    -Tiens bon petite ! Travers se pencha un peu plus, luttant contre un vertige naissant. Lentement, de peur de faire un geste trop brusque qui le précipiterait dans le vide, il dirigea le faisceau de sa lampe vers le bas, perçant le brouillard. Il l'arrêta deux mètres plus bas, sur une toute petite corniche qui dépassait de la paroi. Et adossée contre la falaise, la pointe de ses petits pieds dans le vie, l'enfant ne bougeait pas. Elle ne leva même pas les yeux quand elle entendit Ed. Elle se contenta de répondre, d'une petite voix calme :

    -Monsieur Travers, je crois que j'ai fait une bêtise...

    -Ça va aller petite. Ne bouge pas. Les autres arrivent, avec ta mère. Ils vont te sortir de là, tu vas voir !

    -la glace est en train de casser...

    -Hein ?

    Travers plissa les yeux pour mieux voir dans la lumière, et vit que le salut de Lucie ne reposait pas sur une saillie de la pierre mais sur un agrégat de glace. Et qui ne tiendrait pas indéfiniment, même sous le poids léger de l'enfant. Le responsable du train jura entre ses dents, regardant désespérément autour de lui. Les mains en coupe, il se mit à crier pour demander de l'aide, mais personne ne sortit des arbres pour venir l'aider. Ils étaient peut-être en chemin mais, pour le moment, il était seul.

    -Monsieur Travers ?

    -Ça va aller, répéta-t-il, essayant de s'en convaincre lui-même. Il déglutit sèchement, frottant ses mains gantées l'une contre l'autre. Il se sentait plus incapable que jamais, inutile et tout sauf à sa place.

    -Monsieur Travers ?

    Cette fois, l'appel de Lucie fut suivi d'un léger craquement qui résonna aux oreilles de Travers comme un coup de tonnerre. Et cela lui suffit pour se décider. Avec l'impression d'être un autre homme, il planta sa lampe dans la neige et, précautionneusement, s'accroupit et se mis dos au vide. Il chercha autour de lui jusqu'à ce qu'il trouve une souche dont les racines étaient plantées sur le borde de la falaise, et il s'y accrocha de toutes ses forces. Puis, lentement, très lentement, il se laissa glisser le long du bord, jusqu'à ce que ses pieds battent dans le vide. Terrifié, il continua pourtant de se laisser descendre.

    -J'arrive petite ! Tiens bon !

    Tiens bon. Il le disait autant pour lui que pour Lucie Robbins. Bon dieu, songeait-il, qu'est-ce que je suis en train de faire ? A cette pensée, un craquement retentit quand l'une des racines gelées se cassa, et Travers ne dut son salut qu'à la prise que son autre main trouva au dernier moment. Il était maintenant réellement suspendu dans le vide, et sa vie ne tenait effectivement plus qu'à un fil.

    -Monsieur Travers ? Il y avait des accents d'inquiétude dans la voix de la gamine, restée étonnamment calme jusqu'à maintenant.

    -Je vais bien, tout va bien...réussit-il à soufflé, étonné de son propre calme tout relatif. On va s'en sortir, on va s'en sortir...

    Il se remit à crier, appelant une aide qui tardait à venir.