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Ecriture - Page 9

  • Tergiversations terrassières

    Parce que ça faisait longtemps, qu'il fait chaud, et qu'il faut parfois évacuer un peu.

     

     

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    Ce qu'il y a de bien avec l'été, c'est la réouverture des terrasses, où les gens reprennent leurs habitudes afin de s'y retrouver en bonne compagnie, un bon verre de quelque chose à la main, à refaire le monde jusqu'à pas d'heure, voire à renverser un peu de bière sur son voisin au fil d'une discussion animée sur un point ô combien important dont tout le monde ne se rappellera par la suite qu'aux moments les plus embarrassants. Vous entretenez avec les terrasses un rapport particulier, entre l'amour et la méfiance, la paix et l'attente ; d'aucun diront qu'il s'agit là des éléments d'une saine religion. A bien y réfléchir, vous y trouvez sans peine un attrait ritualiste, du genre qu'on est bien en peine d'expliquer avec des mots. Le mot qui prime, dans tout ça, c'est attrait. En fait, les terrasses exercent sur vous une attraction incongrue mais souvent irrésistible, un peu comme un trou noir si les trou noirs avaient la décence de tirer quelques tables, des chaises, et de quoi boire le temps d'observer un peu l'univers. Il vous arrive souvent de vous y arrêter un peu par hasard, sans vraiment savoir pourquoi, à la manière du papillon voletant autour de la flamme. Peut-être est-ce le bruit, l'animation, le spectacle vivant d'une multitude de personnes regroupées en îlots de discussions frénétiques. Ce n'est en tout cas pas la bière, ce breuvage que vous trouvez toujours aussi ignoble quelle que soit la cuvée d'exception qu'on vous promet. Vous avez souvent entendu dire dire qu'on ne trouve finalement pas toujours ça si bon que ça, mais qu'on finit par s'y habituer et qu'à force, on lui découvre une richesse qu'on aurait jamais soupçonnée, ne serait-ce que pour ne plus trop penser à son goût et à ses effets de base. Ce qui vous a toujours laissé perplexe, tout en disant long sur la nature humaine.

     

    Parfois, alors que vous êtes tranquillement installé chez vous, vous ressentez le besoin impérieux de sortir, de franchir les portes de l'immeuble pour rejoindre le monde, de préférence à l'ombre sous un parasol avec dans la main quelque chose dans lequel on attend de voir une ombrelle. Un peu comme le gnou assoiffé ressentant l'appel ancestral du point d'eau, et ce même après qu'on lui ait installé l'eau courante. Même le gnou solitaire ne peut toujours lutter contre l'instinct grégaire, du moment qu'on ne l'oblige pas à adresser la parole avec son voisin de droite. Au fond c'est peut-être ça, qui vous attire tant : la possibilité de vous retrouver au milieu des gens sans avoir l'obligation d'interagir avec eux autrement que pour dire que non, il n'y a pas de problème, cette chaise est libre, prenez-là donc. C'est un sentiment terriblement paradoxal qui a souvent tendance à vous plonger dans des abysses de perplexité. On dit que les introvertis (dont vous faites partie) on généralement tendance à craindre la foule et ses inconnus, qui draient très vite leur énergie ; de votre côté, vous avez l'impression d'y trouver un moyen de vous ressourcer en terme d'humanité. Et vous parlez là de sa présence physique, diverse, sonore (et, il faut l'avouer, parfois curieusement odorante).

     

    Le truc, c'est que vous ne savez jamais vraiment comment le vivre. Ce qui n'est pas vraiment un truc, mais plutôt son contraire. Une absence de truc. Comme si en vous, il y avait un gros trou en forme de truc lorsqu'il s'agissait d'une partie de la communication. Vous ne savez pas trop qu'en faire, de tout ça. Parfois, vous êtes simplement satisfait de profiter d'une terrasse en soirée, là où il fait plus frais, et d'un bon livre, le tout bercé du brouhaha ambiant des gens occupés à vivre là où vous avez surtout l'impression de traverser la vie sans vraiment réussir vous arrêter devant ce qui semble vraiment la rendre intéressante. D'autres fois, c'est simplement un moyen de se sentir seul, mais en compagnie : après tout, ce ne sont principalement que des inconnus, pas de quoi se sentir gêné d'exister en leur compagnie. Et enfin, il y a les fois où cela vous renvoie douloureusement à la figure cette solitude que vous ressentez en permanence même entouré d'une myriade de corps, connus ou non. Elle vous confirme dans cette place du spectateur qui arrive toujours un peu en retard, et qui n'ose pas trop demander ce qui s'est déjà passé de peur de déranger (et en plus, il n'y a même plus de pop-corn). Il y a en vous cette envie dévorante de participer, d'interagir, de découvrir, de rencontrer, qui se retrouve à chaque fois entravée par la timidité, la pure panique et l'anxiété sociale qui vous donne des airs de lapins hagards bondissant entre les voitures. C'est cet appel muet que vous lancez vers l'autre, qui revient à vouloir pêcher à la ligne sans ligne, à savoir pas très bien et avec l'impression de se sentir vaguement ridicule. C'est cette envie d'aller vers l'autre, de tisser des liens nouveaux, de simplement faire des rencontres, qui se heurt à un mur d'incompréhension et la pure panique d'être totalement à côté de la plaque. Alors vous vous retrouvez simplement à observer, à vous demander qui peuvent bien être ces autres gens, à essayer d'imaginer ce qui peut les pousser dans une direction ou une autre, à les voir se rassembler ainsi jusqu'au bout de la nuit. Comme lorsque vous contemplez depuis votre balcon les lumières nocturnes des derniers appartements environnants, imaginant d'autres vies.

     

    Ce qu'il y a de moins bien avec l'été, c'est la chaleur assommante qui n'encourage en rien votre énergie sociale déjà distordue. Et qui n'aide en aucun cas la fatigue chronique, depuis bien longtemps transformé en épuisement, mais que vous persistez à appeler fatigue comme si cela pouvait vous permettre d'en garder un vague contrôle. Peut-être vous réfugiez-vous en terrasse, un livre (ou non) à la main pour le simple fait de fuir la solitude de votre chez-vous, où vos angoisses ont tout le loisir de s'épanouir dans la moiteur ambiante. Seul chez vous à affronter l'angoisse de vos propres pensées en écho dans la bille de votre esprit, ou seul au milieu des gens, souhaitant désespérément un contact qui vous terrifie. Angoisse qui n'est pas aidée par le courrier de l'assurance invalidité que vous avez reçu cette semaine. Car c'est de nouveau la réévaluation des rentes, ce qui vous plonge à chaque fois dans une terreur inouïe. Une terreur s'accompagnant inévitablement de la culpabilité à l'idée d'avoir peur, vous plongeant dans un cercle vicieux qui se mange non seulement la queue mais qui ne laisse finalement pas grand chose échapper d'entre ses mâchoires. De plus, cette fois-ci, le courrier s'accompagne d'un questionnaire, chose nouvelle ayant paraît-le but de mieux cerner les attentes et les besoins de chacun. Une question en particulier vous paralyse : si votre état de santé le permettait, quel carrière ou quel projet aimeriez-vous réaliser ? Pour vous, c'est un peu comme demander à un pilot d'avion en chute libre ce qu'il aimerait bien faire de sa vie des fois que l'avion ne serait pas en chute libre. Comment réussir à y penser alors qu'on tombe encore ? Bon, pour être parfaitement honnête, vous ne tombez plus vraiment, ce qui est un progrès. Par contre, la majeure partie de votre énergie est utilisée pour la tâche délicate de maintenir l'équilibre entre l'abîme de la dépression d'un côté, et le puits de l'anxiété de l'autre. Du moment que vous les maintenant vaguement à même niveau, elles ont tendance à se stabiliser mutuellement, un peu à la manière de deux états pourvus de l'arme nucléaire en pleine guerre froide. C'est pas idéal, mais ça pourrait clairement être pire ; par contre, qu'on ne vienne pas vous demander ce que vous avez prévu après quand vous êtes encore occupé à ne pas bêtement trébucher sur une ogive à chaque pas que vous faites.

     

    Et puis, ce qui vous bloque encore plus, c'est tout simplement que vous n'en avez pas la moindre idée. Vous avez beau y réfléchir, vous n'avez pas de plan déjà prêt, pas d'envie particulière, pas de souhait à réaliser en ce qui concerne une vie professionnel. C'est comme un grand vide, une page blanche. Non seulement vous avez l'ambition d'un tabouret, mais en plus, vous n'avez pas de but. Aucun métier qui vous passionne, aucune carrière dans laquelle vous imaginez vous épanouir, aucun rêve d'enfance ou même d'après à réaliser de ce point de vue-là. Franchement, votre but, c'est simplement de continuer à avancer dans la vie sans vous casser la figure, et essayer de s'assurer qu'il y ait toujours un lendemain à aujourd'hui. Réussir à vivre en équilibre avec vous-même, voilà qui vous satisferait déjà pleinement et qui demande grosso modo des efforts à temps plein. Vous seriez pétant de santé que vous n'auriez pas de meilleure idée. Et visiblement, ça ne se fait pas. Du coup, à l'angoisse s'ajoute la honte de ne pas avoir de rêve à réaliser, ni même de ressentir le besoin impérieux d'en avoir un. Comme si ce n'était vraiment pas normal, contribuant à vous éloigner un peu plus de ces normes que vous n'avez jamais vraiment réussi à approcher. Encore une fois, vous avez l'impression que c'est quelque chose que vous devriez réussir à achever non pour vous, mais pour les autres. Pour qu'ils vous donne une valeur, ou pour que vous soyez digne d'eux. Pour ne pas être un poids simplement parce que vous essayez de vous contenter de votre vie actuelle et de son fragile équilibre plutôt que de chercher toujours plus. C'est n'est pas que vous ne voulez pas changer ; c'est ce que même si vous en aviez soudain la possibilité, vous ne sauriez pas en quoi. Ce que vous savez, c'est que vous n'êtes clairement pas prêt à vous replonger dans le monde du travail. Vous n'êtes déjà pas sûr d'arriver à assumer le monde tel que vous le vivez maintenant au moins un jour sur deux dans la semaine

     

    Alors vous sortez boire un verre en terrasse, vous regardez les gens de loin, vous demandant comment les approcher, mais ne vous en sentant finalement pas digne, pas vraiment. Vous vous demandez comment ils font, tout en sachant pertinemment que si c'est effectivement plus facile pour certaines personne que d'autres, ce n'est d'un point de vue global pas facile pour personne. Et si vous souhaitez le partager, vous ne savez pas comment y arriver. C'est tout simplement mieux d'être dehors que dedans, parfois, même si cela peut être plus douloureux. Ce qui vous donne au moins l'impression de vivre quelque chose

     

    Franchement, il y a quand même des jours où vous aimeriez bien vous dire qu'il est temps de se mettre à la bière. Mais rien qu'à l'idée du goût, vous préférez toujours commander un sirop. Et si possible, avec une ombrelle. Sinon, franchement, à quoi bon ?

  • Conversation III, ou la théorie sentimentale

    Nouvel exercice de dialogue fictif improvisé, cette fois-ci sur le thème des relations (ça fait un moment que vous aviez envie d'écrire une synthèse là-dessus sous une forme ou une autre). Il y est également brièvement question de vélociraptors, parce qu'on ne se refait pas. -->

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    -Est-ce que tu crois que c'est ouvert ?

    -Aucune idée, je pense. C'est possible. Ça dépend de leur politique des jours fériés.

    -Argh, j'espère, je crois que je serais incapable de manger quelque chose d'autre.

    -Carrément ?

    -Yep. Tu sais, quand t'as envie de manger un truc, que ça fait un moment que t'y penses, que c'est le moment ou jamais... Du coup, rien d'autre ne va, et t'es déçu quoi que tu prennes à la place.

    -Je vois. Enfin je crois. Du moment que c'est bon, ça m'est égal.

    -C'est parce que tu n'as aucune conviction alimentaire.

    -Ouais, ça doit être ça... Hey, comment ça s'est passé, l'autre jour ? Raconte ?

    -Oh ! ...Euh, bien ! Ouais, bien ! C'était cool, c'était cool.

    -Nerveux ?

    -Ah bon ?

    -Tu te répètes, mon grand.

    -Nan, mais ouais, c'était cool !

    -Redis le pour voir !

    -Nan mais ça s'est bien passé.

    -Rendez-vous réussi ?

    -C'était pas vraiment un rendez-vous, enfin j'crois pas. Deux potes qui se voient pour aller manger un truc. Est-ce que ça aurait dû être un rendez-vous ? C'est un domaine qui m'a toujours rendu un peu confus...

    -Tu t'es changé combien de fois avant de partir ?

    -Trois.

    -Ce qui est plus proche du rendez-vous que de la sortie innocente. On ne se change plus que pour aller voir son comptable.

    -J'sais pas, j'ai pas l'impression... Pour que c'en soit vraiment un, faut le dire, non ? Genre, que tout le monde soit au clair là-dessus.

    -Ça aide.

    -Mais si on le dit comme ça, ben...ça revient directement à dire à l'autre qu'on l'aime bien, non ?

    -Tu t'es changé trois fois, je pense qu'on peut dire sans trop se tromper que tu l'aimes bien. Tu t'es changé tout court, déjà. Quand on se rappelle que tu t'es un jour baladé toute la journée en ville en chemise de nuit parce que tu avais passé ta veste par-dessus en oubliant de te changer avant de sortir, c'est déjà pas mal.

    -Ahah, très drôle.

    -Ça l'était oui.

    -Non mais j'sais pas vraiment où j'en suis, honnêtement. J'ai un peu la trouille d'être à côté de la plaque encore une fois. Et quand tu le dis comme ça, un « rendez-vous », ça devient réel. Y a plus d'échappatoire. Quoi qu'il arrive, en bien ou en mal, y a pas vraiment de retour à la normale possible.

    -Pourtant, ça m'a l'air d'aller, de ton côté en tout cas.

    -Oui, je crois bien. C'est juste... J'aimerais bien être sûr. Ou je suis sûr, mais ça m'a déjà joué des tours. J'ai toujours eu tendance à m'emballer, à me dire que celle-ci, oui, je l'aime bien, et que du coup, c'est tout ou rien. Quand j'y réfléchis, j'ai jamais vraiment eu de rendez-vous. Est-ce que les gens ont encore des rendez-vous, de nos jours ?

    -De nos jours ? Je sais qu'on n'a plus vingt ans, mais tout de même.

    -J'ai eu des sorties avec des potes, puis je réalise que j'aime bien quelqu'un, ou je crois que j'aime bien quelqu'un, et soit ça ne devient jamais un rendez-vous, soit ça passe directement à l'état d'après. J'ai jamais vraiment invité qui que ce soit à sortir, du genre comme on est censés le faire quand on rencontre quelqu'un dans un bar, ou chaispas où, et du cou on l'invite à boire un verre, tout ça... Ma géographie amicale est déjà tellement compliquée parfois que je n'ai jamais vraiment su agir au-delà.

    -En même temps, c'est quand t'es pote avec quelqu'un que ça peut aussi se passer pour le mieux.

    -C'était comme ça avec Audrey ?

    -Mhm, je crois bien. Quand tu réalises que tu as justement envie que ta sortie de potes se transforme en rencard, c'est que ça veut bien dire quelque chose. Après, le terme reste réducteur. J'ai l'impression que ça crée des attentes, d'un côté comme de l'autre. Alors qu'il devrait jamais y avoir de contrepartie.

    -Voilà. Et puis je ne suis jamais vraiment sorti dans des bars, autrement qu'avec un groupe de potes, je veux dire. Je saurais pas comment aborder la conversation. Même avec un truc comme Tinder, qui est censé décompléxifier tout ça, rendre l'idée plus acessible... Ben, finalement c'est pire ! J'aurais un match, je crois que je saurais pas quoi en faire. Comment t'es censé engager la conversation ? J'veux dire, déjà que chuis pas doué... Y a une fille qui me plaisait, au lycée, tout ce que j'ai réussi à lui dire, c'était qu'elle avait de très beaux sourcils !

    -*éclate de rire*

    -Voilà.

    -Non, mais pardon, mais je t'imagine tellement...

    -Vaut mieux pas. Du coup, ce que je me demande, c'est à quel moment t'es censé...je sais pas, dire quelque chose ? Est-ce que c'est uniquement censé se faire naturellement ? Et est-ce que tu risques pas de rater des trucs, du coup ? Genre, si tout le monde attend de son côté pour voir ?

    -C'est pas évident... Tout dépend des caractères, j'imagine. Avec Audrey, on a finalement réalisé qu'on était un couple avant même qu'on se déclare quoi que ce soit. C'était...naturel, en un sens.

    -C'est ça que je veux !

    -Je n'ai pas dit que c'était idéal. Franchement, j'pense pas qu'il y ait de relation idéale, et ça me paraît contre-productif, comme truc. On s'imagine que telle manière de faire est la bonne, que tel couple est parfait, mais ça ne marchera jamais si tout ce qu'on veut, c'est reproduire ce qui nous semble être la meilleure solution. Elle et moi, ça a marché comme ça, mais est-ce que la meilleure manière de commencer quoi que ce soit ? Parfois, je me demande.

    -Ça fait quoi, deux ans ?

    -Et demi. Et souvent, je me demande comment c'est possible.

    -C'est souvent comme ça : le coureur de jupons du groupe est le premier à se caser.

    -Coureur de jupons, carrément ? Et ben.

    -Relativement parlant. C'est plus pour t'embêter.

    -Je sais.

    -C'est fou quand même, et vous vivez toujours pas ensemble ?

    -Pourquoi « toujours » ? Ça implique une impossibilité que les choses se passent différemment. Genre tu trouves la bonne personne, alors tu commences par l'inviter boire un verre, puis tu t'installes avec, puis tu te maries, t'as des gosses... Et pas forcément dans cet ordre. Bon d'accord, le mariage n'est plus considéré comme aussi inévitable dans l'imaginaire collectif, les gosses non plus, ou ça dépend à qui t'en causes... Mais j'pense pas que y a un idéal de vie domestique non plus. Je trouve le terme un peu...ça veut dire que quand tu te mets avec quelqu'un, le but c'est de se domestiquer l'un l'autre ? Pour le moment, ça nous va comme ça. Après, on a toujours tenu à une certaine indépendance, mais ça ne nous empêche pas pour autant de vivre notre vie à deux.

    -Ça veut dire qu'avec les potes, on va pas se battre de sitôt pour savoir qui sera le parrain ou la marraine, qui aura l'occasion de sortir les anecdotes honteuses, ou qui perdra les alliances ?

    -Pas que je sache. Mais en même temps, faut jamais dire jamais. Je trouve tout aussi idiot de se dire qu'on ne se mariera jamais que de le croire inévitable. Si un jour ça sonne juste, ça sonne juste. Sinon, ce sera autre chose. Les circonstances changent. Je crois que c'est une histoire de paradigmes.

    -Ah bon ?

    -J'ai lu ça dans le bouquin de Jurassic Park, ça me paraissait cool.

    -Est-ce qu'ils apprennent comment tout ça marche, dans Jurassic Park ?

    -Hum, évite de sortir avec un raptor ?

    -Peut-être que les raptors savent s'y prendre. Je suis sûr qu'ils ne se demandent jamais combien de temps ils doivent attendre avant de recontacter l'autre, ou même s'il faut attendre ou non. C'est un des trucs les plus nébuleux, et je trouve ça pire depuis que c'est aussi facile de contacter quelqu'un. Suffit d'un message, ce qui est pratique, mais je sais jamais si ça va être le message de trop, ou celui qui manquait. Est-ce que ça fait trop de vouloir prendre des nouvelles tous les jours ? Est-ce que c'est pénible ? Est-ce que c'est normal. Après tout, je parle pas à mes potes tous les jours, mais alors pourquoi dans ce cas présent, ça me perturbe autant ?

    -Déjà, je suis content que tu en parles, ça me fait un peu de peine... Qui suis-je, pour toi ?

    -Un crétin.

    -Au moins ça. Mais j'en sais pas plus que toi J'aurais envie de te dire, t'as envie de parler à quelqu'un, fais le, ça coûte rien.

    -Ou ça coût tout si t'en fait trop. J'ai toujours peur de m'emballer. Je me suis déjà emballé plus d'une fois d'ailleurs. Trop vite parfois, ce qui n'aide pas. Parce que ça gâche tout, ou alors, ça change au moins tout ; plus rien n'est vraiment pareil avec une amie, à cause de ça. Mais là...j'sais pas, j'me dis que ça vaut la peine de voir venir. De mieux cerner ce que je pense de tout ça, d'apprendre à connaître l'autre, de voir si c'est...possible.

    -Ça me semble sain. Après, y a un moment où faut bien savoir où on en est.

    -Parfois, j'aimerais bien avoir des sous-titres. J'envie les gens qui savent décoder les comportements des autres. Moi, je sais jamais si je lis correctement les signaux ou non. Si j'en vois qu'en y en a pas, ou si je suis incapable de les capter quand y en a.

    -On devrait se balader avec une petite pancarte autour du cou pour traduire ce qu'on pense.

    -Disons que j'ai pas envie de foirer quoi que ce soit parce que je me suis planté, ou parce que y a que moi qui ressent ça.

    -Qui ressent quoi, finalement ?

    -Quelque chose. Chuis pas en train d'te dire que chuis amoureux, ou autre, je sais pas... Ce que je sais, c'est que je réalise que je pense à elle d'une autre manière, que c'est plutôt agréable. Quand on se voit avec les potes, pour une soirée, une sortie, je réalise que ce dont j'me réjouis le plus, c'est de la voir.

    -Encore une fois, je suis peiné.

    -Tu t'en remettras. Et puis...ben, y a le courant qui passe, et c'est pas tous les jours que je me sens à l'aise comme ça avec quelqu'un, que ça me semble aussi naturel. Et...ben, oui, je crois bien que je l'aime bien, mais je ne sais pas quoi en faire. C'est quelque chose de très rare, que je me sente comme ça avec quelqu'un.

    -C'est meugnon.

    -Tu ne m'aides pas beaucoup.

    -Désolé. Pour ce que ça vaut... si c'est vraiment ce que tu ressens, y a peut-être un truc à creuser. Après, il y a toujours des risques.

    -Voilà, tant que je me lance pas, tant que c'est une sortie de potes et pas un rendez-vous ou je sais pas quoi, c'est...presque rassurant.

    -C'est la relation de Schrödinger. Y a peut-être un truc, peut-être pas, et tant que ça reste un non-dit, pas besoin d'affronter les conséquences. Pour le chat, par contre, j'ai toujours pensé que mort ou vivant, y avait cent pour cent de chance qu'il soit à coup sûr très en colère.

    -C'est rassurant, jusqu'à un certain point. Le reste du temps, c'est terrifiant. Est-ce que j'évite de tout gâcher ? Est-ce que je prends le risque de laisser passer quelque chose ?

    -Tu as déjà essayé de lui parler de ses sourcils ?

    -Heureusement que t'es là.

    -N'est-ce pas ?

    -T'as pas d'autre perle de sagesse ?

    -Nope. J'sais pas trop quoi te dire. Y a pas de solution miracle.

    -Y a surtout pas de putains de sous-titres...

    -Ah, par contre il y aura toujours des bubble teas, je crois bien que c'est ouvert!

    -Banane.

    -Je préfère la noix de coco. J'espère qu'il y en a encore, tu connais ce truc, quand t'as envie d'un machin, et que rien d'autre irait à la place ?

     

  • L'art du social link

    En ce moment, vous passez pas mal de temps à jouer au jeu vidéo « Persona 5 ». C'est un jeu de rôles typiquement japonais où, quand vous ne combattez pas des monstres mythiques dans des donjons issus de l'inconscient collectif, vous jouez le rôle d'un lycéen japonais typique à Tokyo. Du moins aussi typique qu'un lycéen capable d'acheter quantité d'armes blanches au marchand local sans le faire sourciller, et dont les activités extra-scolaires consistent aussi bien à servir de cobaye pour les traitements expérimentaux du médecins de quartier louche (il faut bien trouver un moyen de vous pourvoir en objets de soin, que diable) qu'à découvrir que sa prof principale travaille la nuit en tant que femme de ménage à domicilie. Sans oublier le chat parlant que vous trimballez dans votre sac à dos, et qui vous apprend à fabriquer des outils de crochetage (tout en vous rappelant bien trop souvent que vous êtes bien trop fatigué pour faire autre chose que d'aller vous coucher un soir dans le jeu, même ne serait-ce que lire trois pages d'Arsène Lupin). Si tout cela vous paraît étrange, c'est tout à fait normal dans un jeu de rôles japonais.

     

    Si vous en parlez là maintenant, c'est parce que l'une des principales activités du jeu consiste à tisser des liens avec un grand nombre de personnages, qu'il s'agisse de membres de votre équipe, d'amis du lycée ou de gens variés rencontrés ici et là dans la ville (allant de la journaliste du coin au politicien en disgrâce qui vous prend en affection). Plus vous passez de temps avec eux, plus votre relation s'améliore, plus ils se confient à vous, et plus vous devenez proches. Le jeu nomme cette pratique le « social link », un par personnage.

     

    Évidemment, y a des fois où vous aimeriez bien que cela soit comme ça dans la vie.

     

    Pour vous, les interactions sociales ont toujours été une mer étrange à naviguer. Vous avez le plus souvent soit l'impression de vous y noyer, soit de la regarder depuis le rivage, à vous demander par quel orteil commencer histoire de ne pas se prendre un trop grand choc. Vous vous sentez un peu comme un alien observant de loin, déchiffrant avec peine tous les codes du langage et du comportement. Au fil des années, vous avez péniblement rassemblé quelques bases, et vous vous êtes fait une idée plutôt correcte de la théorie. La théorie, vous la comprenez (grosso modo). C'est la pratique qui vous pose problème. Vous jetez à l'eau vous donne la même impression que de vous retrouver au volant, à contresens sur l'autoroute en guise de premier exercice. Ce qui vous pousse à adopter la technique du hérisson, sauf que vous n'allez pas jusqu'à vous mettre en boule : même s'il vous arrive souvent de rester figé, un sourire aux lèvres, incapable de combler le vide soudain intervenu dans la conversation.

     

    Avec le temps, vous avez réussi à dépasser certaines barrières...du moins dans un certain contexte. A savoir celui du groupe, où vous vous sentez bien plus à l'aise. Notamment parce que cela vous permet simplement d'écouter, de mieux saisir l'ensemble des gens présents, et que vous vous sentez alors encouragé à intervenir ici et là lorsque le moment vous semble venu. Et puis il y a les amis proches, bien sûr, avec qui vous vous sentez plus confortable...la plupart du temps. Car parfois, même avec vos amis de longues date ou ceux que vous considérez comme les plus proches, vous ne savez plus quoi dire. Cela peut vous prendre d'un coup, et durer une heure comme plusieurs mois. Le face à face vous terrifie. Alors quand vous vous retrouvez seul avec une connaissance généralement rencontrée dans le cadre d'un groupe, votre confiance en soi plonge dans le fleuve des boulets aux pieds, vous laissant bien emprunté. L'un des avantages du système de ce fameux « Persona 5 », c'est que les autres personnages ont tendance d'eux-mêmes à venir vers vous. Chose que dans la vie, vous avez bien trop souvent de la peine à faire ; le premier pas comme le dixième, c'est pour vous extrêmement difficile. Vous avez plutôt envie de courir très fort dans l'autre sens et de vous cacher sous un tas de pullovers. Mais on peut difficilement avancer dans la vie lorsqu'on se contente d'attendre que les gens viennent vers vous. Autant dire que cela ne vous facilite pas la tâche, car même avec vos amis les plus proches, encore une fois c'est un processus qui peut tout à coup vous paraître insurmontable. Alors quand il s'agit d'entrer en contact avec quelqu'un que vous connaissez moins... Ce qui est bien dommage : vous avez un peu tout le temps l'impression de passer à côté de belles amitiés juste parce que vous n'arrivez pas à vous mettre en avant, à faire l'effort de les côtoyer autrement que toujours au sein d'un groupe.

     

    Second avantage du jeu en question : lorsque vous interagissez avec les personnages, que ce soit en répondant à leurs questions, en les invitants dans un lieu spécifique ou en offrant ou recevant des cadeaux, le jeu vous avertit visuellement de l'effet de vos décisions sur l'autre via un systèmes de petites notes de musiques apparaissant au-dessus de leur tête à l'écran. Plus il y en a, plus vous avez tapé juste. Ce qui, là encore, vous serait bien pratique. Il devrait y avoir une application pour ça. On vous dira certainement que cela enlèverait beaucoup à la joie de tisser des relations avec ses semblables ; pour vous, cela vous permettrait au moins de vous y essayer sans avoir l'impression de danser la gigue au bord d'un volcan en éruption. Dans un jeu, vous avez le temps de peser vos décisions, de choisir la réponse appropriée, d'analyser les comportement. Dans la vie, vous avez la capacité d'observation et de décodage d'un tabouret lorsqu'il s'agit d'interactions sociales. Vous n'êtes jamais sûr des tons employés par vos interlocuteurs, et les vôtres varient parfois aléatoirement en l'espace de quelques phrases, comme si vous essayiez en permanence de vous adapter à l'autre sans arriver à vraiment être vous-même. Vous avez l'impression que ça vous donne sans arrêt l'air un peu gêné, et vous vous sentez vraiment en déphasage avec autrui la plupart du temps. Les fois où vous arrivez vraiment à vous sentir à l'aise sont rares, et vous avez alors tendance à parler beaucoup trop (ce qui est un autre problème). Les signaux verbaux comme visuels vous confondent : vous ne savez jamais vraiment ce qu'un geste veut dire. Sans parler du contact physique, qui est pour vous quelque chose de tellement intime que de simplement serrer dans vos bras un ou une amie vous donne l'impression d'être un canard un peu maladroit essayant vaguement de donner l'accolade à un cactus bourré. Et avec les gens que vous connaissez moins, vous êtes encore plus perdu : telle personne vous frôle, est-ce intentionnel, est-ce totalement involontaire, est-ce qu'elle va croire que vous envahissez soudain son espace vital alors que vous ne l'aviez même pas remarqué ?

     

    Autant dire que cela ne vous facilite guère la vie sur le plan sentimental. Si amicalement vous avez déjà de la peine à comprendre quoi il retourne, là on parle carrément d'essayer de comprendre ce qui se passe deux galaxies plus loin. Soit vous vous méprenez terriblement sur les signaux qui : n'existent pas, sont involontaires, ou témoignent d'autre chose...soit vous ne les voyez tout simplement pas lorsqu'ils ont une raison d'être. Quant à émettre les vôtres, vous passez tellement de temps à essayer vainement d'analyser le moindre regard, le moindre mouvement, le moindre frôlement que vous ne savez même pas lesquels envoyer en retour. Là encore, faire le premier pas vous paraît souvent insurmontable, et les rares fois où vous vous y êtes essayé n'ont guère porté leurs fruits (pour d'autres raisons que les simples perceptions sociales, mais on n'a pas toute la journée). Lorsque quelqu'un vous plaît, il vous faut déjà un certain temps pour vous en rendre compte, sans compter celui que vous allez passer à examiner le sentiment sous toutes les coutures pour vous assurer qu'il s'agisse bien d'un sentiment et non d'une passade, ou d'une simple idée de sentiment. Du coup, vous laissez passer bien des moments, et au bout d'un moment, ben...y a plus de moments. Ou alors, vous ne les voyez même pas, ce qui ne vous étonnerait guère. Parfois, vous vous demander ce qui aurait pu être si vous aviez ouvert les yeux, ou si vous aviez réussi à dépasser votre timidité maladive.

     

    Ce qui, en amour comme en amitié, ne vous est jamais facile. Parce que vous ne savez jamais comment vous y prendre. Parfois, proposer à de vieux amis d'aller au cinéma vous paralyse une journée, alors lorsqu'il s'agit de quelqu'un qui vous plaît, autant dire qu'on est pas sorti de l'auberge (déjà parce qu'il faudrait y entrer, et que si on attendait que vous trouviez le moyen d'y inviter qui que ce soit pour un thé ou un verre, elle aurait le temps de changer trois fois de propriétaire avant de devenir une boutique de souvenirs rigolos). Comment êtes-vous censé vous y prendre lorsque vous réalisez que oui, une personne vous plaît, et que la simple idée de vous retrouver en tête à tête vous rappelle l'image de l'homme arrêtant de bouger face au dinosaure de sa vie (car sa vision est basée sur le mouvement, comme on dit ; peut-être que si vous arrêtez de bouger, tout se passera bien. C'est rarement le cas). Et même si vous essayez simplement de faire progresser un lien amical, comment s'y prendre ? Vous aurez toujours l'impression que la moindre proposition sera déplacée, refusée, ou même pas entendue. Et parfois, c'est tout bêtement vous qui ratez complètement le coche lorsqu'une autre personne essaie de faire un effort.

     

    Heureusement, il y a l'écrit. L'avènement des téléphones portables et d'internet vous aura permis de communiquer plus librement que jamais. Lors d'un échange de mail ou de messagerie, vous vous sentez tout de suite plus à l'aise. Presque vous-mêmes. Là, vous pouvez vous laisser aller, et c'est souvent ce qui vous a réellement permis de tisser de belles amitiés. Même si parfois, vous avez de la peine à vous sentir confortables dès que vous croisez les gens en personne alors que vous leur écrivez pratiquement tous les jours. Et l'écrit n'est pas toujours évident non plus. Parce que vous avez vite tendance à un peu trop en faire ; quelqu'un vous écrit quelques lignes en messagerie, vous répondez avec trois paragraphes. Vous avez de la peine à vous arrêtez, vous cumulez les informations, et vous finissez par avoir l'impression de beaucoup trop en faire. Et puis l'enfer des messageries modernes, qui permettent de voir quand les contacts reçoivent, lisent et écrivent les messages est pour vous d'une pression phénoménale. Quelle que soit la nature de votre contact, vous pouvez agoniser sans pareil, analysant le moindre temps de réaction d'une manière totalement inappropriée à la situation et au contexte. En avez-vous trop dit, trop fait ? Pas assez ? Là encore, la moindre interaction peut vous paraître plus énigmatique qu'une équation au deuxième degré (et vous n'êtes vraiment pas bon en maths).

     

    Pour en revenir au tête-à-tête, vous êtes confus : vous les redoutez autant que vous les souhaitez. Lorsque vous avez envie d'apprendre à vraiment connaître quelqu'un, vous avez en même temps l'envie de fuir dès qu'on vous laisse seul avec qui que ce soit. Des rares fois où vous vous êtes retrouvé sur scène, et bien vous trouvez plus facile de vous produire devant une foule d'inconnue que de faire la conversation à une seule connaissance. Et plus la personne vous intrigue, vous apprécie ou vous plaît (et Toutatis vous garde s'il s'agit de quelqu'un qui vous plaît sur un plan sentimental), plus vous vous sentez incapable de fonctionner et décoder quoi que ce soit. Pas de notes de musique qui apparaissent, et vous finissez souvent par lire la partition de travers de toute façon. Ou alors vous l'avez lue juste, mais vous persuadez de l'avoir mal fait, un peu à la manière dont on se persuade qu'on enfilera toujours le port usb d'abord du mauvais côté quoi qu'il arrive.

     

    Un jeu vidéo, aussi réaliste soit-il (ce qui n'est clairement pas le cas de celui-ci, mais c'est aussi ce qui fait son charme), ne pourra jamais reproduire avec exactitude les comportements sociaux humains, ni la myriade de signaux qui en découlent. C'est peut-être pour ça qu'ils vous attirent autant, et que vous les trouvez même parfois reposant : tout est aussi simple qu'un social link, et que quelques notes de musiques. En réalité, chaque personne que vous rencontrez est une symphonie. Ce qui rend la vie beaucoup plus intéressante. Seulement, vous avez un peu l'impression d'être coincé en mode difficile. Et vous avez encore de la peine à naviguer dans les options. Peut-être même que vous avez grandement besoin de sous-titres.

     

    Toujours est-il que vous tenez une fois de plus à assurer vos amis, vos proche, votre famille que si vous ne savez pas trop comment le dire -et parfois même comment l'écrire- vous n'en pensez pas moins. Et pour les autres... Disons que vous avez encore du travail ; et qui sait, peut-être qu'un jour, vous arriverez enfin à voir les notes.