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Humeur - Page 4

  • Usé

     

    Usé.

     

    Vous vous sentez usé. Un peu comme un élastique étiré bien trop longtemps, dans trop de direction, pour trop de monde, et avec bien trop de poids sur le caoutchouc. Et plutôt que de le voir vous revenir dans la figure dans la représentation d'un des ressorts comiques les plus cosmiques, vous sentez qu'un jour -dans longtemps, ou demain- il va...lâcher. Même pas se casser net, voilà qui serait trop dramatique (avez-vous déjà essayé d'être dramatique lorsque vous avez grosso modo l'énergie d'un tabouret?). Lâcher, tomber, s'écroule tel un bandeau flasque sur le coin de la table de la vie, parce qu'il n'y a rien de tel qu'une métaphore mobilière de la vie, d'autant plus quand vous avez l'impression que la vôtre, on l'a montée en vitesse à Ikea et qu'il manque quelque part la vise qui va finir par tout faire s'écrouler.

     

    Il vous a toujours manqué une vise de toute façon. Ou un boulon. Sûrement les deux. Vous n'avez pas été construit correctement, et vous n'avez jamais été foutu de vous reconstruire vous-mêmes ; les légos, vous êtes plus du genre à marcher dessus pied nu qu'à les assembler inlassablement du temps de votre enfance. Où vous sentiez...et bien enfant, et enfant heureux, plein de rêves et d'idées et d'amour.

     

    Aujourd'hui, les seuls rêves qui vous restent sont ceux qui vous font si mal qu'ils vous font peur : ces rêves, récurrents, où tout s'arrange, où vous sentez à votre place, où vous rencontrez même quelqu'un et où vous vous rappelez ce qu'être heureux veut dire. Et puis vous vous réveillez. Vous vous réveillez toujours. Vous préférez les cauchemars, même à base de sorcières, Morgan Freeman et un koala (les cauchemars sont souvent très spécifiques rien que pour vous poussez à les infliger aux autres dès le réveil, un peu comme une assommante infection. Mais au moins, les cauchemars ne vous enlèvent pas l'idée du bonheur).

     

    Fatigué. Vous êtes fatigués. Vous avez l'impression que ça va bientôt faire dix ans que vous dites aux gens que ça faut au moins dix ans que vous vous n'êtes plus réveillé reposé. Ce n'est pas une exagération : plus une seule fois. Le repos n'est plus pour vous qu'un souvenir lointain, que vous ne pouvez éprouver qu'approximativement via un exercice mental, un peu comme les coupes de cheveux des années huitante. Peu importe vos horaire, votre temps de sommeil, toute les habitudes et les trucs différents essayés : vous ne connaissez plus le repos. Et quand vous en parlez autour de vous, vous voyez celles et ceux -la plupart, qui ne comprennent pas vraiment, qui pensent juste que vous avez de la peine à dormir et qu'il suffirait de bouger un peu plus... Et à toutes celles et tous ceux qui savent, votre cœur fatigué s'élève vers eu pour les prendre dans ses petits bras fatigués (des bras métaphoriques, votre cœur n'est pas – à votre connaissance- une erreur de la nature).

     

    Votre cœur qui bat et continue de faire son travail, et qui malgré tous les check-ups du monde vous donne l'impression d'être tellement usé qu'il va s'arrêter à tout moment. Dans votre tête, ce n'est même plus une question de risque, ou de si qui sont tous retournés dans leurs bouteilles : dans un jour, dans un mois, dans dix ans, dans trente secondes... Paf. Vous avez cette impression de sursis permanente qui plane au-dessus de votre tête (il n'y a plus de place sur vos épaules, la mouette boudeuse de l'anxiété y niche déjà). Cette impression d'usure avant l'heure, cette certitude que tout cela va finir comme si l'on coupait les fils de votre marionnette (vous auriez-dû viser un poste chez les Babibouchettes, au moins les chaussettes n'ont pas besoin de fils pour bouger).

     

    Les fils, vous les tenez vous-mêmes d'une main maladroite parce que vous n'avez aucune idée de qui vous êtes vraiment et de la direction à prendre. Et puis maladroit comme vous êtes, vous vous emmêlez régulièrement les jambes. Si ce n'est pas l'arrêt brutal de votre corps qui vous tuera, ce sera probablement la chute au bord d'une falaise simplement parce que vous n'aviez pas été capable d'orienter correctement votre genou gauche. Ou alors il y avait un égo.)

     

    Vide. Vous vous sentez toujours aussi vide. Ce fameux vide que vous ne savez combler, que ce soit en vous goinfrant d'une nourriture qui perd de plus en plus de sa saveur, de livres qui défilent sans vraiment relier quoi que ce soit, de jeux qui ne sont là que pour mécaniquement tromper votre ennui, de films et de séries consommés comme des pilules pour oublier qu'il n'y a plus rien à penser. De la masturbation de l'ennui au ménage du lundi, sans oublier l'énergie folle dépensée pour rester vaguement fonctionnel, capable de se gérer soi-même. De ne pas s'écrouler. De ne pas céder face à l'usure. Pour les gens.

     

    Pour les gens tout autour de vous, qui vous aiment et que vous aimez. Vous avez la chance d'avoir un réel soutien, aussi bien amical que familial, et vous ne les remercierez jamais assez, vous ne saurez jamais leur dire, maladroit comme vous êtes, à quel point ça compte, et à quel point vous voulez vous aussi les aider si vous pouvez trouver la force. Et l'horreur de réaliser à quel point vous devez être brisé pour réaliser que même comme ça, vous vous sentez seul. Atrocement seul au milieu du monde qui vous aime.

     

    Seul. L'amour, vous n'y croyez plus. Vous avez essayé, l'une vous a détruit deux fois, l'autre vous avez dû la laisser partir même si elle y croyait. Et bon sang ce que ça vous manque. De ne plus trouver cette complicité, ce partage d'âme avec qui que ce soit. Le manque physique, aussi. Le sexe, mais pas seulement ; ces dernières années vous avez survécu sans et vous en portez pas moins bien. Mais l'intimité, le partage de corps et d'âme qu'il représente avec un être aimé. Et plus que ça, les simple frôlement, les câlins, les mains dans les mains, jusqu'à un simple regard échangé qui dit « tout va bien ». Et vous ne le retrouverez jamais, vous n'avez pas l'énergie, pas la passion, rien à offrir si ce n'est une vie de complexités absurdes.

     

    Peut-être bien que c'est en partie dans les gènes, après tout. Cela fait des mois que vous n'avez pas revu votre mère, toujours à l'asile. Que vous ne répondez même plus à ses téléphones. Que vous vous sentez incapables de réagir face à la personne qu'elle est devenue. Parce que ce n'est plus votre mère, celle avec qui vous aviez trouvé un moyen d'échanger à travers vos lectures communes, les séries et les films, votre amour des histoires qui permettait de communiquer celui que vous aviez l'un pour l'autre. Maintenant, par protection et par lâcheté, vous la fuyez. Cet été cela fera deux ans qu'elle est internée, deux ans que vous savez qu'il va falloir faire un deuil, le deuil d'un esprit formidable, et qui vous pousse à la fuite.

     

    Vous n'avez pas de force. Vous n'en avez jamais eu beaucoup, mais votre énergie disparaît, phagocytée par le désespoir d'une vie normale. Par la volonté de ne pas inquiéter les gens autour de vous, la volonté de ne pas disparaître sans nouvelles, de ne pas leur faire ça. Mais cela devient de plus en plus difficile, l'énergie de plus en plus rationnée. Avant, vous étiez toujours créatif, sur un projet : dessin, écriture, jeu de rôles... Vous ne finissiez rien, mais au moins vous faisiez. Maintenant, cela fait des mois, des années que vous l'avez perdu ; des pages de notes qui ne verront jamais le jour, une incapacité à vous y remettre qui confine à la peur. Et à l'usure.

     

    Vous n'en pouvez plus, mais vous continuez, petit à petit, ou plutôt de plus petit en plus petit. Vous voudriez tellement avoir la force de juste lâcher prise, oublier les derniers efforts, et enfin...Vous n'avez pas envie de mourir, si cela peut rassurer vos éventuelles lectures. Vos pensées sont parfois morbides, mais jamais vraiment noires. Vous aimez la vie, et vous avez envie de vivre ; mais vous ne savez tout simplement pas si la vie est pour vous. Si vous êtes assez solide.

     

    Il y a le vide, qui vous dévore de plus en plus. Le manque, et l'usure, et la solitude, et la tristesse, et la honte de ne pas savoir pourquoi, de ne pas trouver la source, d'être juste...cassé, comme ça, sans raison. La honte quand vous pensez aux gens bien tout autour de vous, et que vous n'arrivez pas à rejoindre au-delà du vide et de la solitude. Pas vraiment.

     

    Un jour, vous en avez l'impression, psychotique ou non, que vous allez vous arrêter. Que l'usure sera trop forte. En attendant...en attendant, il doit bien y avoir un épisode de série ou un jeu à faire non ?

     

    Il n'y a parfois que le vide qui donne l'impression de combler le vide.

  • La lutte

    La lutte ne s'arrête jamais.



    Pourtant, sur le papier, tout devrait bien se passer. La situation ne pourrait même que s'améliorer, maintenant que vous êtes arrivé à bout de l'épreuve du déménagement forcé après avoir été expulsé (ainsi que tous vos pauvres voisins) de l'immeuble précédent. Immense source de stress s'il en est (et à l'origine de nombreux cauchemars particulièrement centrés sur l'état des lieux de l'ancien appartement parce que vous n'avez pas votre pareil pour focaliser toute votre angoisse sur les détails les plus inoffensifs. Vous seriez sur un bateau en train de couler que vous concentreriez probablement toute votre inquiétude sur la peinture de la quille avant qui n'avait vraiment pas besoin de ça), toute cette histoire a plus d'une fois failli vous faire franchir vos maigres limites. Mais vous avez tenu bon autant que possible, ce qui veut dire que vous avez pu grosso modo faire face sans vous écrouler toutes les trois heures, et ce seulement parce que vous avez réellement été bien entouré.



    Après des mois difficiles et le rush des dernières semaines, maintenant que vous en avez fini avec les derniers détails ainsi qu'avec votre installation et que vous pouvez enfin souffler dans votre nouveau chez-vous (consistant en un bien meilleur appartement que celui d'avant)...vous avez juste envie de pleurer. Ce qui ne devrait pas être la réaction logique, d'autant plus que vous vous en êtes tiré à bon compte sur tous les points. Cerise sur la gâteau : au cours des dernières semaines, l'état de votre mère a enfin commencé à s'améliorer tout doucement mais sûrement depuis son hospitalisation psychiatrique en juillet. Après de longs mois d'absence confinant à la catatonie et allant jusqu'à menacer son équilibre physique, voilà qu'elle semble enfin sortie de son marasme, reprenant petit à petit ses marques en s'extirpant de cette longue période de confusion.



    Vos deux plus grandes sources d'angoisse et de détresse sont enfin en train de vous quitter.



    Vous avez non seulement envie de pleurer, mais aussi de tout arrêter. Comme si la soudaine disparition de ces poids vous permettait enfin de vous consacrer à celui qui pèse tellement en permanence sur vos épaules que vous l'aviez presque oublié le temps de se concentrer sur des inquiétudes plus concrètes. L'éternelle combat contre vous-même, que vous ne remportez jamais parce que toute votre énergie est concentrée sur ce besoin de conserver votre équilibre précaire afin de rester aussi fonctionnel que possible. Le ménage, les courses, les repas, l'administratif, les sorties, les loisirs, le tout jeté pèle-mêle dans un grand numéro de jonglages avec l'équivalent d'une troupes de chats en colère vous tiraillant chacun d'un côté.



    Vous avez tellement dû prendre sur vous pour gérer cette période compliquée que maintenant que votre vie revient plus ou moins à la normale, vous ne savez plus comment vous y confronter. L'envie de toute abandonner, toujours présente mais en retrait lors d'épreuves plus complexes, vous retombe dessus plus violemment que jamais comme un retors retour de flamme. Parce que au fond, c'est toujours ainsi que vous fonctionnez depuis bien des années : à lutter contre vous-même sans jamais gagner, avant tout pour ne pas perdre. L'éternelle marche sur la corde raide, avec en-dessous quelque chose de bien plus sombre et terrifiant que des piscines de requins (qui sont paraît-il ma fois plutôt sympathiques et raisonnables). Un pied après l'autre, vous continuez sur le fichu filin, les épreuves plus tangibles vous permettant presque de mieux conserver votre balance le temps de quelques moments.



    Mais après, il ne reste que le vide.




    Et face au vide, juste vous, utilisant toutes vos forces pour ne pas rester paralysé et tombé dans l'abîme une fois privé de momentum. Juste vous face à des démons aussi invisibles que persistants, faisant tout leur possible pour vous convaincre de vous arrêter. De laisser tomber. Après tout, vous l'avez bien mérité, surtout après les derniers mois où vous avez dû sans arrêter refuser de laisser tomber. Et maintenant...maintenant que c'est fait, il y a cette petite voix qui vous redit : peu importe. A quoi bon ? Tout ça pour ça ? C'est le combat qui reprend, sauvage et insidieux à l'intérieur de votre crâne. L'envie de tout cesser, de couper le fil pour vous écrouler comme une marionnette. De ne plus que passer son temps loin de tout, enfermé, à dormir ou essayer de dormir. De déconnecter de la moindre activité, de déconnecter des gens et des discussions et des lectures et des écritures et des visions. De juste, pour une fois, enfin, s'accorder le repos de la lutte sans fin. Et si vous ne deviez plus jamais pouvoir vous relever, est-ce que ça serait aussi grave que ça ?



    Tout est dur, et pourtant vous ne faites rien. Chaque journée une victoire, pour un prix dérisoire. Continuer, avancer, juste vous en sortir demandant l'écrasante majorité de votre énergie mentale. Et du coup, le reste de cette énergie, vous n'arrivez pas à l'investir. Fut un temps vous étiez toujours plein de projets d'écriture, même s'ils ne se finissaient pas souvent, ou vous étiez toujours en train de vous passionner pour quelque chose, pour préparer un jeu de rôles ou pour simplement passer du temps à découvrir une chose nouvelle dans laquelle vous jeter corps et âme. Aujourd'hui, cela vous paraît pratiquement impossible. Vous ne savez plus comment faire. Pour avoir l'énergie, il vous faudrait arrêter de lutter, mais si vous arrêtez de lutter...si vous arrêtez de lutter, vous ne savez pas si vous pourrez vraiment recommencer.



    Vous avez tenu bon pendant toute cette histoire de déménagement, pendant toute cette histoire avec votre mère. Aujourd'hui vous ne savez plus trop ce qui vous pousserait à continuer. Si ce n'est le fait de simplement pouvoir vous lever, de lutter un jour de plus au lieu d'abandonner, enfin. Comme vous avez l'impression que votre corps et votre esprit réclament : laisse-toi aller, tu en as assez fait, tu as le droit de lâcher priser. Sans la moindre certitude de pouvoir retrouver la moindre prise par la suite. Au fond, c'est peut-être la seule chose qui vous convainc vaguement de continuer à tenir bon et à ne pas céder du terrain que vous risquez de ne jamais retrouver. De se dire que sans ça, il n'y a peut-être rien de plus niveau énergie, mais qu'en plus il n'y aurait vraiment plus rien après.



    La lutte ne s'arrête jamais parce qu'elle ne peut pas risquer de s'arrêter.



    Mais bon sang ce que vous en avez envie.

  • Rivella

    Aujourd'hui, vous êtes sortis de chez vous après trois jours (et non pas trois ours, comme me l'a corrigé mon facétieux traitement de texte) d'hibernation dans le seul but d'aller vous acheter une bouteille de Rivella (du rouge, pour celle et ceux qui apprécient les détails). Vous convenez volontiers qu'il ne s'agit pas de quelque chose de très intéressant, et que comme accroche, on a vu mieux. Seulement, alors que vous dégustiez votre première gorgée sur le chemin du retour, quelque chose vous a frappé. Et pour une fois il ne s'agissait pas d'une borne incendie profitant de votre distraction légendaire. Le fait que vous n'aimez pas spécialement ça, le Rivella. Vous ne trouvez pas ça mauvais non plus hein, ça se boit. Le truc avec le Rivella, cette curieuse envie qui vous prend bien rarement, c'est que ça change. C'est autre chose que du coca ou du thé froid, et s'il y en a sur la table, pourquoi pas. Le rivella est une boisson qui se choisit à la manière d'un corps céleste à la dérive : peu importe où on va.

     

    Vous ne savez pas vraiment où vous en êtes. Ce qui n'est pas nouveau, vous ne l'avez jamais vraiment su. A part, peut-être, l'espace de deux ou trois ans de votre enfance où vous étiez persuadés que vous deviendrez paléontologue. Jusqu'à ce que vous appreniez que cela nécessite de connaître ses maths et de passer beaucoup de temps à genoux dans la poussière. Depuis, vous avez toujours été un peu à la dérive, suivant le courant de votre vie à la manière d'un ballon de baudruche jeté à l'eau (ce qui n'est pas très écologique de votre part). Peut-être parce que vous n'avez jamais vraiment su qui vous étiez à aucun moment de votre vie, et encore moins maintenant. Votre première crise existentielle a eu lieu au collège, vous deviez avoir onze à tout casser, et vous aviez passé une semaine hors de l'école, totalement tétanisé par la certitude de la mort et la peur qui allait avec. Ce qui n'a pas vraiment changer, même si vous le cachez derrière un monceau d'intérêts dont le seul but est de vous en distraire.

     

    Peut-être que vous ne savez pas parce que vous n'avez aucune ambition, si ce n'est celle d'arriver à vivre relativement heureux. Ce qui ne marche pas tout le temps, mais ça vous a toujours paru pas mal. Tant pis pour votre manque d'ambition professionnelle, qui au fond ne vous manque pas. C'est ce qu'en pense la société qui est plus problématique à gérer, mais vous avez finir par vous y faire, notamment en croisant les bonnes personnes, de ces amis qui ne vont pas se soucier de vous faire entrer dans une case. Mine de rien, ça aide. Mais alors, pourquoi, malgré ce formidable groupe d'amis que vous aimez à un point tel que vous avez l'impression de ne jamais savoir réussir à le leur exprimer correctement, vous vous sentez aussi seul, toujours aussi dévoré par le vide ? Un trou noir au milieu du systèmes de planètes où vous gravitez, avec la trouille bleue de les aspirer avec voux.

     

    Il faut dire que les ennuis s'accumulent, depuis quelques mois. Des ennuis sur lesquels vous n'avez aucune emprise directe, ce qui les rend d'autant plus compliqués à gérer...et à accepter. D'épée, c'est plutôt un bazooka de Damoclès qui vous pend au-dessus de la tête, avec cette histoire de résiliation de bail forcée à tous les locataires de votre immeuble par la régie parce que « elle veut faire des rénovations ». Tout le monde dehors d'ici un an, et démerdez-vous, comme le dirait un colonel (vous n'avez personnellement jamais croisé de colonel, mais quelque chose vous dit qu'ils doivent s'exprimer un peu comme ça, et souvent avec un accent suisse-allemand en prime). Déjà que l'immeuble (de treize étages) doit être composé au moins à soixante pour-cents de petits vieux qui y vivent depuis trente ans, bonjour l'ambiance. C'est à se demander si la gérance n'a pas passé un fructueux marché avec une maison de retraite voisine. Quoi qu'il en soit, vous vous retrouvez un peu dans l'appartement de Schrödinger : ce n'est déjà plus le vôtre, mais vous y vivez encore. Une petite partie de vous continue à croire que si vous ne dites rien, ils vous oublieront et se contenteront de faire les travaux tout autour de vous. Déjà que déménager quand on en a envie, c'est compliqué, alors quand on n'a pas le choix et qu'on se sentait si bien dans son petit appartement au point qu'on s'imaginait encore facilement y vivre trente ans avec Pamela (la plante verte), et bien c'est...c'est encore plus nul. Voilà. Vous êtes à court d'explétif, c'est sûrement la fatigue.

     

    La fatigue... Rien ne change, et vous vous résignez petit à petit à ce que rien ne change jamais. Cela doit faire plus de dix que vous ne vous êtes pas réveillé un matin en vous sentant reposé. Que vous dormiez quatre, huit ou douze heures, que le rythme soit régulier plusieurs semaines ou varie, avec ou sans sport, rien n'y fait. Vous vous levez complètement épuisé. Ce qui n'est pas particulièrement pratiquement d'un point de vue créatif. Jusqu'à il y a encore quelques années, vous étiez toujours en train d'écrire quelque chose. Une histoire, un début de roman, un univers de jeu de rôles, ce genre de choses. Vous ne les finissiez jamais, mais ce n'était pas l'important : l'important, c'était que vous étiez toujours à coucher sur le papier les idées que vous aviez plein la tête. Aujourd'hui, il y a toujours plein d'idées qui arrivent, mais vous n'arrivez plus à vous y mettre. C'est la paralysie, la fatigue du boulot ressentie par acompte, et avec les intérêts. Le vide.

     

    Votre mère ne va pas mieux, ce qui n'aide pas non plus. Voilà des mois que sa catatonie règne et s'aggrave. Elle ne parle plus, ne mange plus, ne boit plus et dépérit à vue d’œil, petit chose maigre et fragile que vous ne reconnaissez presque plus, dans un lit d'hôpital trop grand pour elle. Votre tante -qui s'occupe de gérer le tout avec une force incroyable- reste convaincue que votre mère reconnaît notre présence même si elle n'exprime plus, même si elle n'ouvre plus les yeux. Vous, vous en êtes de moins en moins sûr. Lors de votre dernière visite, vous n'avez pas réussi à ressentir sa présence. Où qu'elle se soit retirée dans son esprit, elle n'était pas avec vous. Au point ou tout autour d'elle, les gens commencent à se demander si elle se laisse aller, si elle n'a plus envie de vivre victime des caprices de son esprit. Récemment, vous avez fait un rêve qui vous a marqué : vous receviez sur votre téléphone un message de votre tante, vous apprenant que votre mère était morte dans son sommeil. Dans le monde réel, ses reins commencent à souffrir du manque d'hydratation, elle a été mise sous perfusion permanente, aussi bien pour les liquides que les nutriments. Votre mère, prisonnière de son esprit, elle qui l'a toujours si vif, si ouvert, si curieux malgré sa schizophrénie. Elle avec qui vous pouviez partager et échanger sur plein de choses, que ce soit votre amour commun des bandes-dessinées, des livres, de la science-fiction, de la fantasy, des films, des séries et des histoires en général. Même la manière profondément agaçant qu'elle avait de vous demander avant la fin de chaque épisode de Game of Thrones ou Doctor Who comment ça allait se terminer vous manque. Et vous ne savez pas si vous aurez l'occasion de lui montrer la seconde moitié de la saison deux de Westworld un jour.

     

    Et puis il y a le contrecoup des fêtes de fins d'années, une période que vous aimez beaucoup et qui s'est particulièrement bien passée cette année, entouré d'amis et de famille. Alors du coup, vous retrouver seul à végéter chez vous, et bien ça vous fiche un peu un coup. Vous n'arrivez à rien, tout vous lasse. Vous avez de la peine à vous concentrer, à lire plus de quelques pages d'un livre, regarder plus d'un épisode de série, jouer plus d'une heure à un jeu vidéo. Vous multipliez les débuts de parties, vous rabattant sur les classiques qui ne vous ont jusqu'ici jamais lassé, mais en vin. Seul, ça n'a plus d'importance. Vous vous souveniez des journées, des week-ends passés avec l'un ou l'autre ami, où vous faisiez des jeux d'aventures, des rpgs, des jeux narratifs, à commenter ensemble le processus, à juste regarder une autre personne jouer. Une activité que vous adorez mais que vous n'avez plus vraiment l'occasion de faire. Un peu comme la cuisine, finalement : vous qui avez toujours adoré manger, vous nourrir au quotidien devient fonctionnel. A quoi bon faire des petits plats, à quoi bon les manger en si peu de temps, à quoi bon faire la vaisselle ? Et puis il restera toujours les pâtes.

     

    Il y a dans cette solitude quelque chose d'autre qui vous manque, aussi. Vous repensez souvent à votre ex, en ce moment. Non pas parce qu'elle vous manque (dieu merci!), mais parce qu'elle représente les souvenirs du couple, son concept. Et parce que vous avez appris qu'elle était tombée enceinte, puis qu'elle avait accouché, et qu'elle vivait avec le même type depuis finalement peu de temps après votre rupture définitive. Aussi trivial et pathétique que cela puisse paraître, il y a là-dedans quelque chose qui vous paraît profondément injuste. Que la personne toxique s'en sorte, qu'elle trouve la bonne personne, et qu'elle ne réalise sans doute jamais à quel point elle a pu mal se comporter. (Très perfidement, dans les recoins les plus mesquins de votre esprit, vous espérez tomber sur elle en ville un jour, en train de promener sa poussette. Là, tel Maléfique, vous vous pencheriez au-dessus du bébé en lui glissant un fort sincère « I'm so sorry. » Si sa mère n'a pas changé, il -ou elle- en aura bien besoin). Pendant plusieurs années, la solitude en rapport avec l'idée de couple ne vous a pas dérangé, mais de plus en plus, il arrive qu'il y ait quelque chose qui vous manque. L'idée de partager votre vie de cette manière avec une autre personne, cette liaison si particulière, et résonnent encore à vos oreilles une des choses que votre ex vous aura dit : « Tu pourras jamais assumer une relation ou une famille. Et vous réalisez que ça a continué de faire son chemin, comme le ver dans la pomme. D'accord, vous n'avez pas vraiment l'intention de fonder un jour une famille, du moins en ce qui concerne les enfants (et puis vous avez appris récemment que vous ne pourriez peut-être pas concevoir même si vous le vouliez, une histoire de varices.), il y a quelque chose qui vous a profondément ébranlé. Et puis ce n'est pas comme si vous rencontriez facilement de nouvelles personnes, encore moins qui ne se heurteraient pas à toutes vos particularités... Mais il y a ce contact qui vous manque, aussi bien de l'âme que le contact physique, et vous ne parlez pas que du sexe (même si c'est sympa aussi, mais c'est une autre histoire et vous ferez sans doute à jamais partie de cette catégorie de gens bien trop gênés pour s'exprimer réellement sur la question), vous parlez surtout de ce contact qui démontre la profonde acceptation de l'autre, l'acceptation pleine et entière. A travers une main serrée dans celle de l'autre, à travers de doigts dans les cheveux, à travers un corps contre le vôtre, un tête sur votre épaule. Et vous ne pouvez vous empêchez de vous dire que tout ça, vous l'avez connu une fois, et que ça ne reviendra pas. C'est quand même ballot que ce soit tombé sur l'autre, qui vous a un jour dit qu'elle enchaînait ses relations comme des tickets de lotos en espérant tombant sur le bon.

     

    Tout ça pour dire... Vous ne savez pas trop quoi. La même chose que d'habitude, sans doute, ou peut-être un peu plus. Pour essayer de trouver un sens, une vague idée de qui vous êtes, pour vous confrontez à vos sentiments. Pour essayer de vous retrouver alors que vous vous sentez si perdus, si loin de tout. Parce que parfois, dans la vie, on ne sait pas pourquoi, mais on a juste envie de boire un rivella.