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Humeur - Page 7

  • Good dreams are the worst

     

    What's Wrong with Me - Julia Stone (musique, maestro!)

     

    Vous sentez la fatigue, qui vous tire en arrière comme un monstre marin enserrant ses griffes autour de votre gorge ; plus loin, toujours plus profondément dans les abysses, si bien que chaque respiration vous donne l'impression de vous réveiller en sursaut. Vous la subissez depuis tellement de temps maintenant qu'il pourrait aussi bien s'agir de votre ombre, drainant petit à petit votre énergie en vous laissant juste de quoi fonctionner, voire de vous adonner à un éclair d'espoir, le temps de vous retrouver à nouveau enchaîné. C'est comme une course sans fond, sans but, sans ligne d'arrivée, où la fatigue vous tire en arrière sans que vous ne cessiez jamais de remuer les jambes de toutes vous forces pour ne serait-ce que gagner quelques centimètres d'avance. Cette fatigue, c'est l'impression de se balader en permanence avec un poids sur les épaules, lové autour de votre torse, tordant vos bras, un esprit prisonnier d'une tare qu'il se sent incapable de vaincre. Ou peut-être que la seule victoire consiste à continuer malgré tout plutôt que de s'écrouler, où l'épreuve devient les meilleurs jours une habitude. Pas de petit chat aujourd'hui, pas de compagne, pas de pantoufles, pas d'édition, pas d'historiette avec lesquelles vous affrontiez votre quotidien : juste vous.

     

    Et vous êtes épuisé.

     

    Vous avez beau tout essayer, rien n'y fait. Varier les temps de sommeil : dormir plus, dormir moins, sur de longues périodes, trouver un rythme. C'est comme courir après l'espoir illusoire d'une seule bonne nuit de sommeil. Les insomnies ne sont qu'un écueil dérisoire en comparaison de cette quête éreintante, car même lorsque vous passez vos nuits à dormir, cela n'a aucune importance. Le réveil vous trouve toujours lessivé, et tellement au bout du rouleau que vous avez dû en changer au moins trois fois pendant la nuit. C'est un démon intérieur à la source inconnue qui vous ronge toujours un peu plus, jusqu'à ce que vous n'en pouviez plus ; il vous laisse alors récupérer de maigres forces, et la lutte reprend de plus belle. Un cycle qui se partage avec vos craintes et vos angoisses, face à votre esprit qui n'a jamais été très fort. C'est l'envie de disparaître, de partir, de dormir un jour entier, une semaine, un mois, un an, en espérant qu'au réveil, il y aura eu un changement miraculeux. Jamais l'envie d'en finir, au moins ; la corde est usée, mais elle a été toujours bien attachée.

     

    C'est la solitude qui vous dévore, qui vous donne l'impression d'être plus loin que jamais de tous ceux dont vous êtes proches. L'impression de ne jamais arriver à être vraiment là, de se sentir connecté, comme si vous vous observiez avancer de loin. Avec ce vide en vous que vous ne savez comment combler, et qui vous fait l'impression d'un trou noir que vous ne contenez qu'avec peine et un soupçon de moralité. C'est l'impression d'être un tas de verre brisé, qui avance malgré tout, vaguement mis en forme par les habits qu'il porte et le tout tenu par un sourie balancé à la face de l'adversité : « Tout va bien. » Car au fond, qu'est-ce qui va vraiment mal ? Si ce n'est cette souffrance que vous vous maudissez de ressentir, vous qui vous sentez tellement isolé alors que vous êtes si bien entouré. C'est se raccrocher à chaque petite chose, à chaque petit plaisir, en se laissant guider de l'un à l'autre, se raccrochant aux gens, à tout ce que vous aimez, des fois que cela vous permette de prendre forme et de garder pied.

     

    C'est l'usure, devenue une vieille compagne qui vous empêche de réellement savoir à vous en êtes, toujours piégé entre le creux de la vague, la remontée bienvenue et l'inévitable redescente. C'est l'usure des bonheurs, ou ce que vous aimez est votre carburant, bien que souvent terni par le voile de la fatigue. La fatigue qui vous empêche de lire comme vous lisiez avant ; la lecture, à travers laquelle vous vous définissiez, la lecture, qui était votre truc. Et si vous n'êtes plus ce lecteur-là, qui êtes-vous ? La fatigue, qui transforme l'écriture autrefois si indissociable de votre existence en une épreuve mentale qui vous épuise comme jamais après une page ou deux. Les forums d'écriture que vous aimez tellement deviennent autant d'épreuves qui vous paraissent parfois insurmontable, tandis que la moindre notion d'un projet personnel vous draine de toutes vos forces avant même d'en poser quelques mots. Avant, vous aviez toujours des histoires en cours, des projets ; vous les finissiez rarement, mais vous écriviez. Aujourd'hui, il n'y a plus que l'obligation d'écrire trop souvent submergée par la fatigue qui l'accompagne.

     

    Alors vous luttez pour vous reprendre, vous luttez pour sourire, vous luttez pour profiter de chaque chose qui vaille la peine, et vous continuer à croire qu'il y en a plus que jamais, même si elles doivent vous échapper du bout des doigts. Vous êtes fonctionnel à l'extérieur, où le rire devient une raison d'avancer, ou chaque interaction devient une raison de vivre aussi bien qu'une activité si épuisante qu'elle vous empêche d'en profiter vraiment. Vous rêvez de partir loin, ou de partir près ; de partir, tout simplement, pour un temps. De vous retirer, de laisser le monde continuer un peu sans vous, mais la peur, la fatigue et les moyens ne vous en laissent guère l'occasion. Vous combattez cette tristesse profonde et insondable qui vous déchire les entrailles et révèle en vous un vide dans lequel vous avez une trouille bleue de vous perdre. Les larmes vous montent aux yeux à la moindre contrariété, à la moindre maladresse (et dieu sait que cela ne vous rend pas la vie facile, lorsqu'on connaît votre maladresse, justement ; pas plus tard qu'il y a quelques heures, vous avez failli fondre en larme parce que vous aviez fait tomber le bouchon d'une bouteille. Vous n'avez pas très envie de savoir de quelle métaphore il s'agit). C'est l'envie de hurler dans un coussin qui vous reprend jusqu'à ce que cette foutue fatigue finisse par vous museler et que vous arriviez, enfin, à vous endormir. Ce que vous finissez par craindre presque plus que vous n'en avez besoin. Par crainte des rêves.

     

    Car ce ne sont pas les cauchemars qui vous font peur, ça non ; vous pouvez les gérer, les cauchemars. Lorsqu'on se réveille, ils se dissipent. Non, ce sont les rêves dont vous avez le plus peur, les bons rêves. Ceux où vous vous sentez bien, ceux où tout va bien. Pour vous, il n'y a rien de plus cruel que d'y être arraché par le réveil. Ce ne sont pas les cauchemars récurrents qui vous réveillent en sursaut, mais les bons rêves récurrents. Celui où vous avez trouvé LA personne, celle avec qui vous vous sentez réellement bien. La bonne, comme on dit. Vous ne vous rappelez jamais de son visage, peut-être n'est-il jamais le même ; de toute façon, c'est ce qu'elle représente qui compte. Et qui vous est arraché chaque matin. C'est aussi celui où vous avez trouvé l'équilibre, où la vie n'est certainement pas parfaite mais...juste, où vous accédez enfin à un sentiment de plénitude. Pour le voir voler en éclat des que vous ouvrez les yeux. C'est ce rêve -unique, pour l'instant- où vous étiez père, pour vous réveiller avec la soudaine impression que vous ne le serez sans doute jamais. Et même si vous ne savez pas vraiment si c'est là quelque chose que vous souhaitez un jour, ce qui vous frappe et qui fait mal, c'est cette certitude de se dire que c'est mieux ainsi, pour eux plutôt que pour vous. Oui, rien ne vous terrifie plus que ces rêves qui reviennent souvent hanter vous nuits, au point de vous faire franchement regretter le cauchemars où vous finissiez décapité par la plus terrifiante des sorcière sous les arbres morts, malgré l'aide désespérée et héroïque de Morgan Freeman.

     

    Ce sont ces rêves qui vous font craindre autant le sommeil. Sommeil que vous recherchez pourtant le matin, vous réfugiant sous les draps, repoussant sans cesse l'heure du lever dans une succession de demi-sommeils. Tout, plutôt que d'affronter une nouvelle journée, et vous sentez déjà vos horaires en prendre un coup tandis que vous retrouvez cette vieille habitude. Ce qui vous inquiète, car chez vous ce n'est jamais bon signe. Mais vous finissez par vous levez, vous traversez la journée, vous arrivez même à en profiter, parfois. Mais jamais sans cette fatigue, sans cette solitude, sans cette tristesse. Vous vous efforcez de tenir bon, car à quoi bon, sinon ? Un sourire, un rire, de quoi faire avancer le tas de verre brisé dans son sac.

     

    « Tout va bien. Ça pourrait être pire. »

     

     

     

  • What's up doc?

    Cette fois-ci, pas d'historiette, et j'abandonne la forme en vous le temps d'un texte en je. Parce qu'il fallait que j'essaie. De trouver les bons mots, d'expliquer, de comprendre.

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    « Mais finalement, qu'est-ce qui n'va pas chez toi ? Pourquoi tu ne fais rien, pourquoi être en assurance invalidité ?» est une question à laquelle je me confronte tous les jours. Bon, on ne me l'a jamais posée de cette manière-là, même si ça s'en est déjà approché. La plupart du temps, on danse sur des œufs comme si on ne savait pas comment me poser la question, et la plupart du temps, ça m'arrange bien parce que je ne sais pas comment répondre. Au fond, je suis sans doute celui qui me pose le plus la question, dans un éternel dialogue intérieur qui me laisse plus souvent à court de mots qu'autre chose. J'ai beau savoir, je sais rarement comment l'expliquer concrètement. Et ce n'est pas facile non seulement pour moi, mais plus encore dans mon rapport avec les autres.

     

    Car qu'est-ce que je suis censé leur dire ? Comment arriver à expliquer quelque chose d'aussi intime quand je ne suis moi-même pas sûr de le comprendre ? Et si j'ai atteint une sorte de paix -fragile certes, mais de paix quand même- avec mon état, il en va parfois autrement lorsque je dois le confronter au monde extérieur, et au regard des autres. Bon, avant toute chose, je tiens à préciser qu'en ce qui concerne mes proches, j'ai de la chance : j'ai des amis formidables et une bonne famille. La plupart comprennent, et les autres l'acceptent même quand ils n'arrivent pas vraiment à comprendre. Mais même avec tout ce petit monde, j'ai de la peine à communiquer, à être qui je suis vraiment, à exister sans crainte. J'ai toujours l'impression de recevoir plus que je ne donne, d'écouter plus que je ne parle, parce que...et bien, parce que je ne sais pas comment dire ce que j'ai envie de dire. Comment soutenir, comment réconforter, comment encourager. C'est un de mes soucis, la communication. Un gigantesque blocage dont je suis incapable de déterrer les fondations, dépourvu de pistes sur lesquelles creuser. Non seulement je ne sais pas m'adonner au bavardage avec les inconnus, mais je me retrouve souvent dans cette situation terrible où je suis incapable de formuler ce que j'aimerais dire à ceux qui me sont le plus proches. Même quand c'est des mots simples, même quand c'est pour réconforter, même quand cela n'a tout bonnement aucune chance d'être mal pris et que je le sais pertinemment. Mais j'en suis incapable presque à tous les coups, ou alors je n'y arrive que par écrit, et par la suite. Sur le moment, je bloque, je suis dévoré d'une peur profonde, d'une ineffable panique, qu'il s'agisse de présenter ma sympathie ou de demander la moindre chose. Un vide absolu, une crainte qui me remue les tripes, et dont les raisons me sont inconnues. J'aimerais pouvoir dire plus, j'aimerais pouvoir partager plus, j'aimerais pouvoir me découvrir plus pour ces gens qui comptent autant pour moi, mais le premier pas m'est souvent insurmontable. De même que le second, voire le troisième. Et y arriver une fois, ou deux, ou plus, ne change rien : à chaque fois, c'est le même combat, aussi bien pour les grandes choses que pour les plus insignifiantes.

     

    Mais ce n'est pas le cœur du problème, plutôt un symptôme qui en dérive. Non, le centre de tout ça est difficile à décrire parce qu'il n'y a pas de mot pour en désigner la condition. J'entends souvent dire que l'humain a un besoin trop grand de mettre dans des cases et que ce besoin s'avère réducteur, et sur le principe je suis d'accord. Mais dans le même temps, c'est très difficile quand on est incapable de décrire précisément ce qu'on traverse. J'ai beau le ressentir, j'ai beau le vivre, j'ai beau savoir ce que je sais, aux yeux de la société en général cela me donne une terrible impression d'invalidité (sans mauvais jeu de mots concernant notre chère AI, à savoir l'assurance invalidité en Suisse). Et comment leur donner tort ? Mes jambes fonctionnent, de même que mes autres membres et que le reste de mon corps physique. J'ai un cerveau en état de marche, je suis capable de prendre mes propres décisions, je ne suis pas confiné à une chambre d'hôpital, qu'il s'agisse d'un centre de soins physiques ou d'un asile.Aux yeux du monde, qu'est-ce qui peut justifier mon état ? De ne pas avoir d'étiquette, j'en deviens inclassable, ce que la société n'aime guère. Et pour ceux qui n'ont d'autre choix que de vivre leur vie à la dure « comme tout le monde », je deviens une énigme, voire une source de jalousie et de frustration. Si je suis capable de bouger, si je suis capable de réfléchir, si je suis capable de vivre comme je l'entends, pourquoi ce « traitement de faveur « ? Je dois sans doute faire semblant, ou à tout le moins forcer le trait, profiter du système. J'ai déjà entendu -généralement par échos, par personnes interposées- que si je montrais que je profitais de la vie, c'était que je n'avais aucune raison d'être à l'AI. Comme si je me devais d'être misérable en permanence pour le justifier, et que trouver le bonheur ou je peux est forcément incompatible. Je suis parfaitement conscient d'avoir beaucoup de chance : bons amis, bonne famille, bon environnement, bon cadre de vie, bonne santé physique. Et j'en suis d'autant plus conscient qu'il y a une quantité astronomique de gens qui souffrent bien plus que je ne souffrirai jamais de toute ma vie. Mais face à tout ça, qui suis-je ?

     

    Mon problème, c'est que je ne sais pas vraiment comment qualifier mon problème. C'est un peu de ci, un peu de ça, mais ce n'est pas vraiment ci, et pas vraiment ça non plus. Tout ce que je peux faire, c'est essayer de mettre à l'écrit des mots que je serais incapable de trouver à l'oral, et de l'expliquer comme je le peux. Mon problème, c'est que c'est comme si mon esprit était conditionné à la faiblesse. Qu'il était incapable de correctement tenir le coup au-delà d'une certaine pression, souvent bien moindre à celle de la plupart des gens. Je le ressens comme une sorte de prédisposition naturelle et involontaire au burnout. C'est ce qui m'a fait m'effondrer une fois avant la fin du collège, c'est ce qui m'a fait m'effondrer au gymnase (lycée pour les français), c'est ce qui m'a fait m'effondrer pour de bon après plusieurs mois d'apprentissage d'employé de commerce. Je n'arrive pas à gérer le quotidien et ses exigences lorsqu'il s'accompagne d'études, d'un boulot, de ces obligations de tous les jours. Et là où c'est encore pire, c'est que j'ai de la peine à gérer mon quotidien tout court, même sans ça, même « à ne rien faire ». Je peux m'effondrer parce que gérer mon emploi du temps, mes tâches de tous les jours, mes loisirs me paraît souvent trop compliqué, trop épuisant, trop angoissant. Je peux me faire un burnout à cause de mes loisirs, et c'est de le dire ainsi où je réalise tout le ridicule de la chose, et où je ressens de la honte. De la honte d'être aussi faible, quand tant de gens supportent bien plus. Même l'écriture, une partie de ma vie que j'adore et qui m'a toujours attiré, s'est révélée de plus en plus difficile au fil des années. Écrire une page ou deux m'épuisera tellement qu'il me faudra parfois le reste de la journée pour m'en remettre. Devoir choisir ce que je vais faire, ce que je vais lire, ce que je vais voir... Rien que ça, cela représente un processus qui me paraît parfois herculéen. Souvent, je ressens un véritable besoin de vacances alors que je n'ai pas à travailler. Comment expliquer ça ? Comment ne pas en avoir honte ? Comment l'accepter ? Et cela se ressent aussi bien dans ma vie quotidienne que mes interactions avec les gens, qui me deviennent parfois elles aussi bien trop gargantuesques et drainantes d'une énergie que j'ai toutes les peines du monde à reconstituer.

     

    Et je ne suis pas aidé par une fatigue chronique, dont le poids se fait ressentir de plus en plus au fil des années. Une fatigue dont personne n'arrive à trouver l'origine réelle. J'ai tout essayé : varier les horaires de sommeil, dormir peu, dormir beaucoup, être régulier, être irrégulier. Je peux arriver à m'imposer dans un rythme que je tiens, sans que la fatigue ne varie jamais d'un iota. J'ai perpétuellement l'impression d'avoir l'esprit dans une sorte de brouillard, et l'énergie d'une éponge. Je crois que le pire, c'est que quel que soit la qualité et la durée de mon sommeil, je ne me sens jamais reposé après une nuit. Jamais. Et je ne dis pas ça à la légère. La dernière fois que je me suis réveillé reposé, je m'en rappelle très précisément, moi qui ai toujours de la peine à me situer dans le passé. J'avais vingt ans, c'était pendant des vacances d'été au bord de la mer avec mes parents, et je me souviens très distinctement de ces derniers matins où je me sentais revigoré. Aujourd'hui, cela va faire dix ans que cela ne s'est jamais reproduit. Je ne sais plus ce que « reposé » veut dire, et ce quoi qu'il arrive. Alors ça m'use, petit à petit, de plus en plus.

     

    Je passerai sur les angoisses, qui sont multiples et souvent dépourvues du moindre sens. Au moins, les crises d'angoisse semblent enfin sous contrôle. Je passerai également sur les phases de déprime cyclique, qui reviennent quoi qu'il arrive. Sur ma peur de la mort qui prenait des proportions paralysantes au collège déjà, et qui m'a poussé jusqu'à mon âge de jeune adulte à forcer mes parents à me répondre « à demain » quand je leur disais bonne nuit et ce toutes les nuits pendant des années et des années dans un rituel insensé. Et aujourd'hui encore, souvent je me retrouve à répéter mentalement un mantra qui ne change pas : « Je veux vivre, je ne veux pas mourir, et ce n'est pas une blague, pas une blague. » Je passerai sur les tocs et les tics, heureusement bien plus sous contrôle maintenant que par le passé. Sur les sanglots incontrôlables sans aucune raison encore maintenant, sur les longues séances de hurlement dans un coussin pour essayer d'évacuer une peine creuse et profonde dont je suis incapable de découvrir l'origine. Ma vie a toujours été un peu compliquée, elle a toujours été atypique, mais elle n'a jamais été mauvaise : je n'ai pas souffert, je n'ai pas vécu de traumatisme, je n'ai pas perdu de proche, j'ai eu énormément de chance. Et pourtant, je ne vais pas bien. Et je me déteste rien que de l'écrire. Et je me demande ce que je réserve l'avenir. Ma mère est schizophrène (mais sous contrôle depuis longtemps maintenant), et je me demande si la relation parfois difficile que j'ai avec elle alors que nous sommes pourtant proches n'est pas une conséquence de ce reflet d'avenir possible que je vois en elle. Pourtant, je ne suis pas schizophrène, je ne rentre pas dans cette case, ni dans une autre, du moins de ce que j'en sais. La névrose et la psychose s'entremêlent, « s'embrouillaficotent » (à défaut de trouver les bons mots, autant les inventer), sans jamais véritablement prendre le dessus. J'ai là aussi de la chance, dans le sens où je n'ai jamais véritablement perdu mon lien avec la réalité. Même si mon imagination et mes angoisses ont longtemps eu sur ma vie de tous les jours une emprise particulière. Comme lorsque j'imaginais, enfant puis jeune ados, que deux créatures qui n'auraient pas dépareillé dans un vieux cartoon en voulaient à ma vie et cherchaient à m'empoisonner, me poussant à forcer pendant des années mes parents à goûter tous mes plats avant d'oser manger. Ou le caractère animiste que j'ai longtemps associé à des objets ; à seize ans, je traitais encore mes peluches comme des êtres vivants, et je mettais toujours mon couteau et ma fourchette dans le même casier du lave-vaisselle pour ne pas les séparer. Et cela explique pourquoi j'avais autant de peine à jeter quoi que ce soit, quand tout pouvait représenter une vie, et donc une finalité. Pourtant, je crois que je n'ai jamais cru à tout ça ; que je me servais de mon imagination pour donner une vie à mes peurs et mes angoisses, tout en sachant que ce n'était pas vrai. Et aujourd'hui encore, si je n'aime pas me débarrasser d'un objet cassé qui peut encore servir, c'est parce que j'ai horreur d'imaginer qu'on puisse jeter sans état d'âme quelque chose uniquement parce qu'il ne fonctionne plus comme on le voulait, ou qu'il ne ressemble plus à ce qu'on attendait de lui. Et je peux encore passer dix minutes dans un grand magasin, à hésiter entre deux boîtes de petits pois parce que j'ai trop peur de faire de la peine à celle qui ne sera pas choisie.

     

    Et pourtant, comme je l'ai dit plus haut, j'ai fait ma paix avec tout ça. Avec cette curieuse et puissante facette de mon existence. Je profite de ma vie au jour le jour, et j'en suis heureux. Du moins je le crois. Même si, une fois de plus, je ne sais pas comment l'expliquer aux autres, à la société, au monde. Comme si je n'en avais pas le droit. Et cela me fait peur ; non, sur certains points, ça me terrifie de plus en plus au fur et à mesure que les années passent. Comment me confronter à ce regard extérieur, comment continuer à avancer ? Tout en craignant les rechutes, les angoisses, les vagues de déprime noire qui reviennent en cycle, et tout en hésitant devant des putains de petits pois (pardon les petits pois). J'ai de la chance avec ma famille, avec les amis que j'ai, mais comment allez de l'avant quand ils avancent tous plus vite que moi ? Quand ils ont la force de vivre leur passion alors que j'en suis incapable ? Comment leur prouver que je veux rester là pour eux quoi qu'il arrive même si je ne sais pas comment le leur montrer, comment le leur dire ? Et puis, sur un autre registre, comment m'imaginer une vie sentimentale, ou une vie de famille ? Les amis, c'est une chose, mais comment imaginer trouver une partenaire capable d'assumer ce que je suis ? D'accepter le fait que je ne pourrai peut-être jamais travailler, jamais vivre « normalement », jamais avoir la possibilité de suivre une quelconque ambition ? Comment l'expliquer ? Vous m'imaginez essayez de le faire face à d'éventuels et hypothétiques beaux-parents, entre la salade et le poulet ? Avoir des enfants ? Comment pourrais-je assumer une telle chose, alors que j'ai autant de peine à m'assumer moi-même ? Vivre en couple, partager une vie, avancer à deux ? Sur la fin de notre relation, mon ex avait finir par me dire qu'elle m'imaginait incapable d'assumer une vie de couple, une vie de famille, des enfants. Et ce sont des mots qui sont restés avec moi, et qui le resteront sans doute toujours. De même que ce rêve que j'ai fait une nuit, où j'imaginais être père...pour me réveiller avec le sentiment catégorique que ce ne serait jamais possible.

     

    Alors j'avance, comme je peux. La plupart du temps, je donne le change, et je donne l'impression d'aller bien. Ce qui n'est pas complètement faux, mais qui ne sera sûrement jamais complètement vrai non plus. Je m'accepte -du moins j'en ai l'impression- mais je ne sais pas si je m'accepte sous le regard des autres. Je lutte contre la fatigue qui me ronge, contre mon esprit qui me prend en traître, contre ma faiblesse que je n'arrive pas à combler. Et je profite de la vie comme elle vient, des petits plaisirs, en paix avec le fait que je n'accomplirai pas de grandes choses, mais refusant de ne profiter de rien pour autant. Mais quand est-il des autres ? Peut-être que cela ne devrait pas me toucher. Peut-être que si. Tout ce que je sais, c'est que je ne sais pas grand chose, ou surtout, que je ne sais pas comment le dire. Je suis qui je suis, et j'essaie d'en tirer le meilleur quand je m'en sens la force. Pour le reste... et bien, ma fois, on verra. Jusqu'à mes vingt ans, j'étais intiment convaincu -réellement persuadé- que ma vie allait s'arrêter à cet âge-là, parce que j'allais alors mourir (une source d'angoisse née dans l'enfance qui aura rendu l'adolescence...intéressante). Cette année, je vais en avoir trente, je suis toujours vivant, j'ai mes amis, j'ai ma famille. Comme on dit, ça pourrait toujours être pire.

     

    Mais je sens qu'en ce moment, le cycle repasse en ma défaveur, et la période s'annonce à nouveau plus difficile après une assez longue période d'équilibre fragile. Alors j'essaie d'expliquer, j'essaie de mettre des mots sur tout ça, ce que je n'avais jamais réussi à ce point auparavant. Et si c'est loin d'être parfait...c'est une nouvelle étape. Mon psy me l'a conseillé, et c'est ainsi que je me repose une nouvelle fois de plus sur l'écrit, malgré l'épuisement nerveux que cela me procure.

     

    « Qu'est-ce qui ne va pas, au fond ? », me demande-t-on souvent même quand on ne le formule pas. Je ne sais pas si c'est une réponse satisfaisante, d'autant que je n'oublie pas ce qui va.

     

    Mais, ça aussi, c'est un début. Et encore une fois, car cela vaut la peine de ne pas être oublié : ça pourrait être pire.

     

  • Le vide

    Une nouvelle historiette. Cela faisait longtemps.

     

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    Vous la sentez arriver. La vague. Celle qui emporte tout sur son passage, et qui pourtant n'emporte rien. Comme si le vide vous passait au travers, ce qui ne paraît pas grand chose jusqu'à ce qu'il s'installe dans votre cœur, se propage dans votre estomac et remonte chacune de vos veines pour venir filer jusqu'au bout de vos doigts. C'est comme se retrouver un instant dans l'espace. Vous contemplez le monde comme vous l'avez toujours fait : de loin. Seulement, l'espace d'une seconde glaçante, vous réalisez que vous n'arriverez sans doute jamais à véritablement le toucher, qu'il reste hors de portée, et que même la meilleure technique de dos crawlé ne vous permettrait pas de vous en approcher. Dans l'espace, personne ne vous entend crier. Vous espérez que vos voisins non plus, même si le coussin dans lequel vous laissez s'échapper de longues plaintes déchirantes doit aider. Comme de l'air qui s'échappe d'une combinaison spatiale avant de rétablir la pression. Et puis il y a votre cœur qui bat la chamade dans votre poitrine pour vous ramener à la réalité. Ainsi que la sensation désagréable de vos yeux inondés de sécheresse, incapable de trouver des larmes à verser. Les larmes ne peuvent pas venir du vide. Rien n'y va, rien n'en repart. Il est juste...là. Il est là quand la vague de cette vaine tristesse irrépressible se retire pour vous laissez pantelant, allongé sur votre matelas, le visage dans l'oreiller. Le manque d'air, l'instant de panique, l'angoisse qui s'installe avant de repartir aussitôt sans même s'être essuyé les pieds sur le paillasson de l'entrée. Vos forces vous reviennes, les sensations aussi, bien que légèrement cotonneuses, comme si vous expérimentiez le monde à travers une douce couche de mousse. Ou le pied dans un autre univers, incapable de réellement faire partie de celui-ci.

     

    Cela faisait un certain temps que la marée n'avait pas tout envahi sur son passage. Mais elle revient toujours. Que ce soit après un mois ou trois fois dans la même semaine. C'est devenu pour vous une constante immanquable de votre petite vie, au même titre que les repas de midi, la chaleur écrasante qui règne depuis quelque temps, ou les publicités pour des marabouts dans votre boite aux lettres (dont vous songez à faire la collection. Vous échangez volontiers un « Toufik : fait revenir l'être aimé » contre au moins deux « Docteur Lumière, soins miracles » en bonne condition, voire peut-être un petit peu cornés). Vous reprenez lentement votre respiration, la vie continue. Ou peut-être pas. Disons que vous ne savez plus trop comment en mesurer le passage. Elle s'écoule autour de vous tandis que vous resté bloqué sur place. Ce n'est pas que rien ne se passe, c'est plutôt que vous n'avez pas vraiment le sentiment d'y participer. Comme si vous étiez en pilote automatique, votre conscience cantonnée au rôle de spectatrice sur la plage arrière tandis que votre corps se meut. Vous vous sentez perpétuellement décalé, comme une connexion vivotant sur un réseau lointain et imprévisible dont on aurait perdu le mot de passe (à la manière de tous les bouts de papier sur lesquels sont notés les mots de passes, qui disparaissaient dans les limbes environ deux jours après l'installation, allant sans doute rejoindre les chaussettes solitaires et les plectres dans un monde merveilleux où les différences n'ont plus la moindre importance).

     

    Décalé. Voilà, c'est le mot. Ou du moins, vous ne trouvez pas mieux. Vous vous sentez incapable de vraiment reprendre le fil de votre vie. Non pas que vous ayez déjà vraiment eu cette impression, à vous laisser ainsi porter sur le courant depuis aussi loin que vous vous en rappelez, mais vous aviez pourtant réussi à gagner un certain contrôle. Jusqu'à ce qu'il s'évanouisse à la manière d'une folle illusion ou du Père Noël après le fameux réveillon de vos sept ou huit ans. Vous voilà à nouveau en train de marmonner votre mantra entre vos lèvres quand personne ne peut vous entendre, espérant tenir à distance les mille morts définitives de la crise d'angoisse. Cette peur écrasante de disparaître un jour, qui ne vous avait pas tourmenté ainsi depuis des années, revient vous donner le tournis lorsque vous osez la contemplez trop longtemps. Des tics nerveux, une chanson cent fois ramenée au début jusqu'à obtenir la bonne sensation, et ce sans que vous soyez pour autant capable de la décrire. Et cet effarant sentiment de solitude qui manque de vous faire hurler dans le coussin, quand il ne fait pas subitement monter de gros sanglots gluants du fond de votre gorge alors que vous êtes tranquillement assis dans le bus. C'est l'effroyable constatation d'une solitude aussi crasse qu'inexplicable. Et c'est parce que vous êtes incapable de l'expliquer que vous n'en parlez pas ailleurs qu'en ces mots couchés douloureusement sur le clavier.

     

    Solitude inexplicable, et inexcusable. Car vous n'êtes pas seul. Vous avez des amis proches, de la famille, des gens qui comptent pour vous et pour qui vous savez compter. Même si vous n'êtes pas toujours très doué pour le montrer malgré vous efforts. Et pourtant, la solitude continue de vous étreindre, de s'emparer de vous et de vous arracher tous ce que vous croyiez avoir gagné de haute lutte après tant d'années compliquées. Il n'y a pas si longtemps, vous aviez même l'impression d'avoir enfin trouvé l'équilibre, d'avoir gagné un certain contrôle. D'avoir appris à vous ouvrir, à partager ce qui fait de vous ce que vous êtes. A être qui vous étiez, tout simplement. Ou du moins un début, vu que vous n'avez jamais vraiment été très sûr de savoir qui vous êtes. Mais vous appreniez. Vous vous laissez guider, vous suiviez l'exemple de ceux autour de vous, vous vous laissiez apprivoiser, et pour de bon. Et puis l'équilibre qui se rompt, encore une fois. Peut-être est-ce dû en partie au fait que vous l'ayez laissée partir, mais elle n'est pas la seule responsable. Peut-être est-ce un cycle, que vous avez désespérément essayé de briser. Ou peut-être est-ce simplement quelque chose en vous de différent, de brisé, de manquant. Qui fait que vous vous sentez à ce point incapable de vous connecter au gens à nouveau. De vraiment leur parler. D'être vous, d'être vrai, d'être à l'aise. Vous retenez des choses, vous vous sentez faux, vous vous sentez loin et perdu, et vous vous regardez agir ainsi de loin en hurlant, comme si vous étiez un reflet prisonnier du miroir en train de hurler sans se faire entendre pour vous empêcher d'agir ainsi.

     

    Vous ne savez pas ce qui ne va pas. Objectivement, on peut même dire que rien ne va pas, justement, et c'est bien là ce qui vous mine, vous bloque d'autant plus et vous empêche de vous confier, d'en parler autour de vous. A quoi cela mènerait ? Vous l'avez déjà fait. Vous connaissez le refrain. On vous demanderait ce qui ne va pas, vous répondriez « Rien. » On vous demanderait ce qu'on pourrait faire pour vous aider, pour vous comprendre, vous répondriez « Rien. » Vous ne savez pas expliquer le vide. Il n'y a rien, et pourtant il y a tout. Toute cette tristesse, cette solitude qui vous bouffe et vous cloue au mur. Comme ce personnage, dans le premier épisode d'une série que des amis vous font découvrir. Ce personnage qui se retrouve assis par terre chez lui, dos au mur, pleurant, criant sa solitude. Devant l'écran, vous êtes senti plus connecté que jamais en plusieurs mois. Vous essayez de comprendre d'où vient cette solitude, en vain.

     

    Est-elle sentimentale ? Est-ce simplement la conséquence d'un manque d'amour, d'une relation perdue ? La conséquence frustrée d'un manque de contact physique ? L'impression de ne plus être entier lorsqu'on est seul ? Vous n'y croyez pas. Et puis, ce serait trop simple. Cela va bien au-delà. Certes, tout cela vous manque, et vous avez l'impression qu'en réussissant enfin à vous sevré de celle qui est partie, vous vous êtes sevré pour de bon, incapable à jamais de replonger. Avec qui que ce soit. Vous y avez songé, vous y avez rêvé. Vous vous êtes imaginé rencontrer la bonne personne un soir, sur une terrasse ; vous auriez parlé pendant des heures, yeux dans les yeux. Fantasme éculé d'écrivain. Lorsque quelqu'un d'inconnu vous aborde sur une terrasse ou ailleurs, vous avez plutôt tendance à balbutier des mots guère capables de constituer plus qu'une vague phrase polie. Ce n'est pas le manque d'amis non plus. Personne ne vous a abandonné, vous savez que vous pouvez compter sur eux. Vous espérez qu'ils le savent aussi. Il en va de même pour votre famille, avec qui vous n'arrivez plus non plus à vous connecter comme avant.

     

    Parfois, vous avez envie de disparaître loin, où personne ne vous connaîtrait, où vous pourriez simplement être vous-même dans votre coin, sans ne rien dire à personne. La vieille pulsion de la cabane au fond des bois. Où la même solitude qui vous étreint en pleine ville bondée vous terrasserait à coup sûr. Mais au moins, vous n'auriez à décevoir personne en essayant vaguement de l'expliquer, ce dont vous êtes incapable. Vous repensez aux terrasse, à cette envie que vous avez de rejoindre tous ces gens en pleine conversations, assis ensemble à des tables ou sur des marches d'escaliers, des verres à la main. Une puissante envie de connexion vous envahit alors, un désir profond, presque primal, de rapprochement. D'être comme eux. Alors que même avec les gens dont vous êtes le plus proche, vous n'arrivez plus à être vraiment là. En phase. A vous sentir autrement que décalé. Et crevant de trouille à l'idée d'être incapable de vraiment les retrouver. Alors vous errez dans la ville, entre les bars, entre les cafés, comme un papillon de nuit attiré par toutes ces lumières, par toute cette chaleur humaine que vous n'arrivez plus à saisir.

     

    Vous n'écrivez plus, plus vraiment. Votre éditeur bien aimé commence à remplacer sa patience et sa compassion de toujours par une inquiétude sincère mais pressante. Petit chat s'en fout, même si sans le simple contact physique de vos mains dans sa fourrure, sans cette impression d'avoir au moins un être incapable de vous abandonner ou de vous juger, vous en mèneriez encore moins large. Vous vivez pourtant. Vous riez, vous découvrez, vous passez de bons moments. Mais la solitude ne se fait jamais aussi fort qu'au moment où vous quittez un groupe d'amis pour vous retrouvez seul, chez vous. Où vous vous retrouvez aussitôt paralysé, surchargé par une puissante envie de vivre, de vraiment vivre, sans avoir comment. Hypnotisé par les lumières des immeubles voisins, à vous imaginer la vie de tous ces gens anonymes. Une vie pleine de contacts, de chaleur, une vie sur Terre et non dans l'espace. Vous guettez les renards dans la rue en contrebas, comme à la recherche d'un signe à suivre. Vous prenez consciencieusement vos médicaments, que Psy bien aimé à décidé de légèrement diminuer, dans l'espoir de vous aider à reprendre un meilleur contact avec cette réalité qui vous échappe. Psy bien aimé à qui vous ne dites pas tout, mais vous ne dites plus grand chose à personne. Rien qui compte. Parce que vous ne savez pas quoi dire. Vous dormez mal, ou plutôt vous dormez bien ; c'est l'endormissement qui vous pose problème. Ces heures allongés sur le dos, seul, avec les lueurs de la ville filtrant à travers la fenêtre pour dessiner les contours d'une autre ville au plafond. Des éclats de rire, des cris venus de l'extérieur vous comble comme un fix vitement injecté dans une ruelle avant de vous laisser plus vide et désespéré que jamais.

     

    Une citation de Terry Pratchett vous vient en tête. Traduite, elle donnerait quelque chose comme ceci : « Le problème, c'est que les choses ne vont jamais mieux, elles restent les mêmes, seulement elles le restent encore plus. » Encore une fois, vous vous sentez perdu à l'idée de la disparition de celui qui avant tant aidé à vous construire. La perte d'un homme que vous n'avez jamais rencontrer vous dévaste plus qu'aucune mort dans un cercle proche ne l'aura jamais fait. Allez comprendre. Alors vous continuez à vivre, vous vous levez le main, vous arrivez jusqu'au bout de votre journée, vous passez de bons moments ici et là. Vous recommencez. Et entre deux sorties, entre deux amis, entre deux rires, vous sentez la vague qui revient, et cette solitude inavouable qui vous brise à nouveau avant de vous laissez vous reconstruire petit à petit. Sans jamais vraiment vous sentir entier. Plus maintenant, pas comme ça. Ce besoin de l'autre que vous n'arrivez pas à combler. Un vide oppressant, inavouable, à laisser s'échapper dans l'oreiller. On vous demande comment ça va, vous répondez « Bien. ». C'est parfois vrai. Au fond, rien ne va vraiment mal. Alors pourquoi vous sentez-vous aussi seul, aussi fragile, aussi perdu, aussi incapable d'être réellement là, présent, les deux pieds dans cette univers ? Comme si vous n'étiez qu'un dessin décalqué sur une feuille de papier. Sans la moindre trace de ce que vous n'avez jamais dit. A Psy bien aimé, à elle, ou à un autre. Des peurs et des manies, des complexes et des hontes. Une part de vous à jamais retenue à distance.

     

    Dehors, vous cheminez éternellement entre les lumières des terrasses. Parfois, vous trouvez un peu de réconfort à observer tous ces gens vivre. Souvent, vous en retirez un sursaut supplémentaire et idiot de solitude tandis que vous rentrez chez vous, incapable de simplement vous installer ici ou là. N'importe où. De vivre vraiment. Alors vous continuez votre chemin. Toujours dans ce vide aussi immense qu'intime, les pieds dans deux univers.

     

    Décalé.