Deux nouvelles pages, qui ne laisseront pas tous ces personnages indemnes...
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-Tu tiens le coup ?
André Ladislas Montauban Velázquez vint s'asseoir sur la banquette à côté du caporal Jones. La jeune femme était en train de remonter son arme de service. L'exercice l'aidait à focaliser son esprit sur une tâche simple plutôt que sur ses craintes, et tout ce qui pouvait momentanément l'éloigner du danger qui les attendait était bon à prendre. Elle ne perdait pas de sa vigilance pour autant, ne serait-ce que pour surveiller Delgado. Mais suite à son interrogatoire, le prêtre s'était à nouveau enfermé dans son mutisme et se contentait de sourire, comme s'il venait d'entendre une blague que lui seul était capable de comprendre. Et pour ce qu'en savait Jones, c'était peut-être bien le cas.
-Tu viens me demander ça parce que je suis la faible femme de l'escouade? Finit-elle par répondre sans lever les yeux de son ouvrage.
-Exactement. Il faut bien que quelqu'un ici se charge d'incarner les valeurs du gentleman !
-Crétin.
-Non, plus sérieusement, je veux simplement savoir comment tu vas.
Samantha connaissait assez son collègue pour savoir lorsqu'il décidait d'être sérieux, et elle sentit qu'il s'agissait d'un de ces rares moments. Elle poussa plus fort sur la pièce qu'elle était en train de fixer jusqu'à ce qu'elle entende un petit « clic » satisfaisant, puis elle reporta son attention sur Velázquez. Elle contempla cet homme aux traits vénitiens et à la présence rassurante, et elle sut que s'il faisait de son mieux pour le cacher, il restait affecté par la situation.
-Je tiens le coup, André. Et toi ? Paul était ton ami à toi aussi.
-C'était notre ami à tous. Et puis je ne peux pas me sentir pire que Sungmin...
-Tu lui as parlé ?
-J'ai essayé, mais il a prétexté qu'il avait des données à compiler, concernant ce qui a contaminé madame Miguel. Et maintenant, il est en train de discuter avec Augustus pour le convaincre de se joindre à nous sans résister. Je crois qu'il a besoin d'une cause.
-On ne va pas le lui reprocher... Peut-être qu'aider monsieur Miguel représente pour lui une manière de s'aider lui-même.... Quelque part, je me demande si au fond de lui il ne voudrait pas agir comme lui.
-Qu'est-ce que tu veux dire ?
-Rester là, auprès de Paul.
Velázquez resta silencieux, fixant Samantha avec un regard empreint d'une gravité qu'elle ne lui connaissait pas. Elle attendit qu'il reprenne la parole, n'osant troubler son silence. Il finit par se racler la gorge et parut sur le point de dire quelque chose, mais il laissa s'écouler encore de longues secondes avant de parler.
-Il nous faut aller de l'avant, Sam. Sungmin, Augustus... Nous n'allons laisser tomber personne, le patron y veillera. On va sortir, guider ses gens en lieu sûr et trouver cet avant-poste.
-C'est aussi simple que ça, hein ?
-C'est aussi simple que ça.
-Tu ne trouves pas ça étrange, ces histoires d'avant-postes mystères, toi ? Le major a vraiment sorti cette révélation de son chapeau.
-C'est un truc d'officier, on n'avait pas à le savoir. Je ne me pose pas de questions, des fois qu'il faudrait m'épuiser à trouver des réponses.
-Et tu as horreur des efforts inutiles, sourit Samantha. André lui rendit son sourire, avant de rétorquer :
-Exactement. Et puis je pourrais ne pas aimer les réponses.
-Selon toi on va s'en sortir, alors ? Pas de problèmes ? Tout ira bien ?
Il prit un instant, faisant mine de réfléchir intensément, avant de répondre d'un ton léger :
-Évidemment ! Les deux meilleurs caporaux de toute l'Hégémonie sont sur le coup ! Il n'y a rien que notre duo ne pourrait accomplir, tu ne penses pas ?
-Notre duo, hein... Si tu le dis.
-Non seulement on va s'en sortir, mais on va s'en sortir avec panache. Tant que tu me promets une chose... Il était sérieux à nouveau, et Sam en fut surprise, une fois de plus.
-Quoi donc ?
-Personne ne devrait rester derrière, même si on perde d'autres personnes. Promets que tu ne gâcheras pas une chance de te mettre en lieu sûr pour rester avec moi si... si je me perds en chemin. Moi ou n'importe qui d'autre.
-Pourquoi est-ce que tu me dis ça, André ?
-Et bien... Bon, ce n'est pas si évident que ça, mais...
Velázquez luttait manifestement pour prononcer les mots qui allaient suivre, mais il n'en eut jamais l'occasion : des éclats de voix l'interrompirent et lorsque les deux caporaux, alertes, se mirent en position, ce fut pour apercevoir Sungmin en train de se disputer avec monsieur Miguel.
-C'est ma femme, je ne la laisserai pas derrière ! criait le vieil homme.
-Elle ne voudrait pas que vous vous laissiez mourir, bon sang ! Je refuse de perdre quelqu'un d'autre !
-Vous n'avez pas réussi à la sauver, qui dit que vous ne méritez pas de perdre une personne de plus, hein ? Vous n'avez aucune idée de ce que je peux bien ressentir !
Sungmin vacilla, comme victime d'un coup ; il secoua la tête et, furieux, saisit Augustus par le pan de son manteau :
-Vous allez venir avec moi vous préparer comme sortir, comme tout le monde !
-Sungmin... Le major Adams, la voix apaisante, voulut intervenir, mais ni le soldat ni le vieil homme ne prêtèrent attention au major.
-Vous ne l'avez pas sauvée !hurlait Augustus. Vous ne m’enlèverez pas à elle !
-Par pitié, Augustus, vous devez...
Un coup de feu résonna dans le wagon. Adams, Jones et Velázquez braquèrent aussitôt leurs armes sur les deux belligérants, et les autres passagers se mirent instinctivement à couvert du mieux qu'ils purent, Martha poussant sa fille sous les sièges. Sungmin Jung s'était tu et restait planté devant monsieur Miguel, l'air incrédule. Il porta la main à son abdomen et vint l'agiter devant ses yeux, fasciné : elle était pleine de sang. Puis la douleur l'envahit et il tomba à genoux, haletant, la main à nouveau sur sa blessure. Face à lui, tremblant, Augustus Miguel tenait le pistolet qu'il avait arraché à la ceinture du soldat.
-Vous ne m'enlèverez pas à elle...répéta-t-il, des larmes noyant son visage ridé. Puis, alors que tous les passagers contemplaient la scène, sous le choc, il cala le canon de l'arme sous son menton. Personne ne m'enlèvera à elle, plus maintenant... Personne...
Agusutus Miguel pressa sur la détente.