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Plume de Renard - Page 26

  • Lucie 72

    Deux nouvelles pages, qui ne laisseront pas tous ces personnages indemnes...

     

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    -Tu tiens le coup ?

    André Ladislas Montauban Velázquez vint s'asseoir sur la banquette à côté du caporal Jones. La jeune femme était en train de remonter son arme de service. L'exercice l'aidait à focaliser son esprit sur une tâche simple plutôt que sur ses craintes, et tout ce qui pouvait momentanément l'éloigner du danger qui les attendait était bon à prendre. Elle ne perdait pas de sa vigilance pour autant, ne serait-ce que pour surveiller Delgado. Mais suite à son interrogatoire, le prêtre s'était à nouveau enfermé dans son mutisme et se contentait de sourire, comme s'il venait d'entendre une blague que lui seul était capable de comprendre. Et pour ce qu'en savait Jones, c'était peut-être bien le cas.

    -Tu viens me demander ça parce que je suis la faible femme de l'escouade? Finit-elle par répondre sans lever les yeux de son ouvrage.

    -Exactement. Il faut bien que quelqu'un ici se charge d'incarner les valeurs du gentleman !

    -Crétin.

    -Non, plus sérieusement, je veux simplement savoir comment tu vas.

    Samantha connaissait assez son collègue pour savoir lorsqu'il décidait d'être sérieux, et elle sentit qu'il s'agissait d'un de ces rares moments. Elle poussa plus fort sur la pièce qu'elle était en train de fixer jusqu'à ce qu'elle entende un petit « clic » satisfaisant, puis elle reporta son attention sur Velázquez. Elle contempla cet homme aux traits vénitiens et à la présence rassurante, et elle sut que s'il faisait de son mieux pour le cacher, il restait affecté par la situation.

    -Je tiens le coup, André. Et toi ? Paul était ton ami à toi aussi.

    -C'était notre ami à tous. Et puis je ne peux pas me sentir pire que Sungmin...

    -Tu lui as parlé ?

    -J'ai essayé, mais il a prétexté qu'il avait des données à compiler, concernant ce qui a contaminé madame Miguel. Et maintenant, il est en train de discuter avec Augustus pour le convaincre de se joindre à nous sans résister. Je crois qu'il a besoin d'une cause.

    -On ne va pas le lui reprocher... Peut-être qu'aider monsieur Miguel représente pour lui une manière de s'aider lui-même.... Quelque part, je me demande si au fond de lui il ne voudrait pas agir comme lui.

    -Qu'est-ce que tu veux dire ?

    -Rester là, auprès de Paul.

    Velázquez resta silencieux, fixant Samantha avec un regard empreint d'une gravité qu'elle ne lui connaissait pas. Elle attendit qu'il reprenne la parole, n'osant troubler son silence. Il finit par se racler la gorge et parut sur le point de dire quelque chose, mais il laissa s'écouler encore de longues secondes avant de parler.

    -Il nous faut aller de l'avant, Sam. Sungmin, Augustus... Nous n'allons laisser tomber personne, le patron y veillera. On va sortir, guider ses gens en lieu sûr et trouver cet avant-poste.

    -C'est aussi simple que ça, hein ?

    -C'est aussi simple que ça.

    -Tu ne trouves pas ça étrange, ces histoires d'avant-postes mystères, toi ? Le major a vraiment sorti cette révélation de son chapeau.

    -C'est un truc d'officier, on n'avait pas à le savoir. Je ne me pose pas de questions, des fois qu'il faudrait m'épuiser à trouver des réponses.

    -Et tu as horreur des efforts inutiles, sourit Samantha. André lui rendit son sourire, avant de rétorquer :

    -Exactement. Et puis je pourrais ne pas aimer les réponses.

    -Selon toi on va s'en sortir, alors ? Pas de problèmes ? Tout ira bien ?

    Il prit un instant, faisant mine de réfléchir intensément, avant de répondre d'un ton léger :

    -Évidemment ! Les deux meilleurs caporaux de toute l'Hégémonie sont sur le coup ! Il n'y a rien que notre duo ne pourrait accomplir, tu ne penses pas ?

    -Notre duo, hein... Si tu le dis.

    -Non seulement on va s'en sortir, mais on va s'en sortir avec panache. Tant que tu me promets une chose... Il était sérieux à nouveau, et Sam en fut surprise, une fois de plus.

    -Quoi donc ?

    -Personne ne devrait rester derrière, même si on perde d'autres personnes. Promets que tu ne gâcheras pas une chance de te mettre en lieu sûr pour rester avec moi si... si je me perds en chemin. Moi ou n'importe qui d'autre.

    -Pourquoi est-ce que tu me dis ça, André ?

    -Et bien... Bon, ce n'est pas si évident que ça, mais...

    Velázquez luttait manifestement pour prononcer les mots qui allaient suivre, mais il n'en eut jamais l'occasion : des éclats de voix l'interrompirent et lorsque les deux caporaux, alertes, se mirent en position, ce fut pour apercevoir Sungmin en train de se disputer avec monsieur Miguel.

    -C'est ma femme, je ne la laisserai pas derrière ! criait le vieil homme.

    -Elle ne voudrait pas que vous vous laissiez mourir, bon sang ! Je refuse de perdre quelqu'un d'autre !

    -Vous n'avez pas réussi à la sauver, qui dit que vous ne méritez pas de perdre une personne de plus, hein ? Vous n'avez aucune idée de ce que je peux bien ressentir !

    Sungmin vacilla, comme victime d'un coup ; il secoua la tête et, furieux, saisit Augustus par le pan de son manteau :

    -Vous allez venir avec moi vous préparer comme sortir, comme tout le monde !

    -Sungmin... Le major Adams, la voix apaisante, voulut intervenir, mais ni le soldat ni le vieil homme ne prêtèrent attention au major.

    -Vous ne l'avez pas sauvée !hurlait Augustus. Vous ne m’enlèverez pas à elle !

    -Par pitié, Augustus, vous devez...

    Un coup de feu résonna dans le wagon. Adams, Jones et Velázquez braquèrent aussitôt leurs armes sur les deux belligérants, et les autres passagers se mirent instinctivement à couvert du mieux qu'ils purent, Martha poussant sa fille sous les sièges. Sungmin Jung s'était tu et restait planté devant monsieur Miguel, l'air incrédule. Il porta la main à son abdomen et vint l'agiter devant ses yeux, fasciné : elle était pleine de sang. Puis la douleur l'envahit et il tomba à genoux, haletant, la main à nouveau sur sa blessure. Face à lui, tremblant, Augustus Miguel tenait le pistolet qu'il avait arraché à la ceinture du soldat.

    -Vous ne m'enlèverez pas à elle...répéta-t-il, des larmes noyant son visage ridé. Puis, alors que tous les passagers contemplaient la scène, sous le choc, il cala le canon de l'arme sous son menton. Personne ne m'enlèvera à elle, plus maintenant... Personne...

    Agusutus Miguel pressa sur la détente.

     

  • Lucie 71

    Une petite page pour commencer le week-end!

     

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    -Qu'est-ce qui vous prend, bon sang ?

    La voix de Martha Robbins était forte à travers la radio, et Kenneth se sentit comme un enfant sur le point de se faire passer un sacré savon. Il suspendit son geste, un instant interdit, puis secoua la tête avec un sourire pour reprendre ses esprits. Martha avait cet effet là sur les gens, on avait tendance à l'écouter parce qu'elle donnait l'impression convaincante qu'elle avait toujours raison et qu'il était inutile de discuter. Mais pas cette fois. L'humeur de l'ingénieur s'assombrit, mais il décida de ne pas en tenir compte et reprit son travail sur les machines. Les commandes manuelles n'étaient pas toutes correctement disponibles mais, grâce aux indications de Grümman, il avait trouvé la caisse à outils qui servait à la maintenance. Il travaillait maintenant sans relâche sur les systèmes, plongeant ses mains dans le cambouis, ce qu'il n'avait pas fait depuis de nombreuses années. Trop, à son goût. Il se l'était longtemps caché, mais il réalisait maintenant à quel point le travail pratique lui manquait. Il ne dénaturait pas son travail pour autant, ce qu'il faisait derrière son bureau était important et représentait un rel défi, mais il retrouvait le plaisir de se retrouver au cœur du problème, forcé de littéralement mettre la main à la pâte. Et puis, il n'avait pas vraiment le choix.

    -Le feu progresse trop vite pour que je me soucie de ménager les systèmes, finit par répondre Marsters, sans cesser de travailler. Une surchauffe classique prendrait trop de temps, et je ne suis plus sûr que ça suffirait. Nous savons que ces créatures concentrent leur présence là où elles sentent le plus de chaleur, mais avec l'incendie je vais devoir mettre le paquet pour en attirer le plus possible de mon côté et permettre votre sortie. En faisant carrément sauter les machines, j'aurai de quoi provoquer un sacré pic de chaleur et, avec de la chance, l'explosion emportera ces saletés avec elle.

    -Et vous ? Ken, je vous interdis de vous tuer pour nous, vous m'entendez ?

    -Même si j'avais le temps de m'éloigner avant le grand final, j'aurais plusieurs wagons incendiés à traverser pour vous rejoindre, et je ne crois pas vraiment que cela soit possible. Non, c'est la seule chose à faire, Martha.

    -Écoutez moi bien, vous...

    -Laissez, Martha, l'interrompit le major Adams. Monsieur Marsters sait ce qu'il fait. Il n'y a rien que nous ne puissions faire, si ce n'est le laisser accomplir son devoir.

    -Merci major, je fais de mon mieux.

    -Je sais, monsieur Marsters. C'est un honneur que de vous avoir à nos côtés. Bonne chance.

    -Prenez soin d'eux, major.

    -Comptez sur moi.

    -Martha, Arthur... Je suis désolé.

    -Vous avez intérêt, idiot !

    -Ken... Arthur parlait, maintenant. Bonne chance mon vieux. Et merci. Merci pour tout.

    -Vous vous en sortirez très bien, Arthur. Dommage que vous n'ayez pas eu le temps de me raconter l'une de vos histoires.

    -Oh, je crois que nous en vivons une nettement plus captivante que tout ce que je pourrais raconter.

    Marsters laissa échapper un petit rire qui se transforma en puissante quinte de toux. La fumée s'épaississait, et son écharpe ne le protégeait plus vraiment. Il ne portait plus que son maillot de corps, dont il avait retroussé les manches, et il transpirait abondamment. Mais malgré la chaleur ambiante, Kenneth avait froid. Pas à cause de la température de l'extérieure, non : il s'agissait d'un froid qui venait de l'intérieur. Qui partait de la blessure de son bras pour se propager dans ses veines comme un feu glacial pour venir dévorer ses entrailles. Quoi que ce soit, cela se propageait, et il n'avait aucun moyen de lutter contre ça. Des lignes bleues parcouraient presque l'ensemble de sa peau à découvert, maintenant, et il avait de plus en plus de difficulté à accomplir ses gestes avec vivacité : ils devenaient lents, ses doigts étaient gourds... Mais il refusait d'abandonner. Il lui restait du travail, et tout le monde comptait sur lui. Tout le monde dépendait de lui. Et il n'allait certainement pas les décevoir. Il songeait à ces hommes et ces femmes qui, en peu de temps, étaient devenus des amis sincères, lui qui n'avait jamais vraiment pris le temps de s'en faire. Il pensait aux soldats de l'escouade, déterminés à faire leur devoir ; à Martha et à Lucie, à cette enfant si calme et aux yeux si bleus ; et puis il pensait à Arthur, cet ami qui lui manquait déjà.

    -Arthur, mon vieux, si vous me racontiez quelque chose, justement ? Vous devez bien avoir une vieille histoire ou un nouveau projet sous le coude. J'avoue que je ne serais pas contre une voix amie pendant que je travaille...

    -Oh, bien sûr Ken ! Je... Ah, oui, j'ai l'histoire idéale ! Ça commence comme ça...

  • Lucie 70

    Une petite page aujourd'hui.

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    Daniel Grümman tapotait nerveusement le bord de sa tasse de café, les yeux plissés pour mieux voir ce qui se passait sur les écrans. Il ne restait plus que quelques caméras encore en état de fonctionner, et elle ne servaient finalement plus à grand chose. L'une d'elle lui permettait de suivre la progression des flammes dans un wagon de marchandises, en direction de la tête du véhicule. Dans cet espace confiné, le feu avançait rapidement. Droit sur les survivants. Le conducteur gardait un œil sur eux, et il s'étonnait de les voir ainsi garder leur calme. Ils semblaient tirer une certaine force les uns des autres, et Daniel regrettait un peu de ne pas se retrouver parmi eux en ce moment. Mais il répugnait également à quitter ses précieuses commandes ; et puis il était plus utile là où il était. C'était sa place, voilà tout, et il ne la quitterait qu'au dernier moment. Sur l'écran, il pouvait voir les passagers terminer leurs préparatifs. Sungmin parlait avec monsieur Miguel, sans doute pour le convaincre de les suivre ; le jeune médecin semblait bien décidé à ne pas perdre quelqu'un d'autre. En son fort intérieur, Grümman ne pouvait s'empêcher de comprendre le vieil homme : à sa place, dans les mêmes circonstances, il réagirait sans-doute de la même manière.

    Grümman pensait beaucoup à Stan, qui avait été le premier à mourir. La bonne humeur et l'efficacité de l'apprenti lui manquaient énormément, et il trouvait sa perte toujours aussi injuste. Le gamin aurait fait un sacré conducteur, quelqu'un à qui Daniel aurait été fier de remettre le relais, et il n'avait même pas eu l'occasion de le lui dire. Maintenant, le conducteur était seul aux commandes, et il ne pouvait pas plus parler à Stan qu'à la famille qu'il avait au Complexe. Il se sentait vieux et fatigué, alors que quelques jours plus tôt l'idée même de la retraite lui paraissait hautement improbable. Aujourd'hui... Aujourd'hui, il ne lui restait qu'à faire de son mieux, comme il l'avait toujours fait. Le major Adams lui avait accordé sa confiance, et il n'avait aucune intention de le décevoir, lui ou n'importe qui d'autre à bord. C'était son train, après tout. Il était responsable. Un bruit sourd contre le métal lui fit tourner la tête, et il poussa un soupir aussi agacé que résigné : les créatures rôdaient également autour de la voiture de tête, l'éprouvant comme elles le faisaient avec le wagon des passagers.

    -Vous vous en sortez, Marsters ? Grümman avait allumé le canal qui le liait à la salle des machines. Quelques secondes passèrent, puis il entendit l'ingénieur tousser et se racler la gorge, avant de répondre :

    -Je fais de mon mieux. J'ai beau comprendre comment ça marche, je n'ai pas vraiment de pratique derrière moi pour me permettre d'aller plus vite que la musique. Il va me falloir plus de temps...

    -L'incendie se propage vite. Je ne veux pas vous stresser, mais...

    -Et bien c'est raté. Combien de temps vous me donner ?

    -Difficile à dire. Je...

    Le son d'une déflagration coupa le conducteur dans sa réponse, et il sentit la cabine trembler tout autour de lui. Sa tasse dérapa sur le tableau de bord et s'écrasa par terre, bientôt suivie du thermos.

    -Qu'est-ce qui s'est passé, capitaine Grümman ?

    La voix du major se joignit à la conversation.

    -Une voiture a sauté. A trois wagons du votre. Merde, c'est pire que ce que je pensais !

    -Est-ce que j'ai bien entendu ? Une voiture a sauté? demanda Marsters.

    -Gardez votre calme. Faites de votre mieux, monsieur Marsters !

    -Ça ne sera pas suffisant, major. Ces systèmes ne sont pas faits pour ça... Je vais devoir me montrer plus...définitif.

    -Est-ce que vous pensez ce que je pense ? Vous êtes sûrs ?

    -Pas vraiment, Grümman. Mais nous n'avons plus le choix.

    -Vous m'expliquez ?

    Daniel Grümman avala sa salive avec difficulté, la gorge sèche :

    -Marsters propose de faire sauter la salle des machines, major.