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Plume de Renard - Page 28

  • Lucie 66

    Wouhou, mine de rien, j'ai atteint la page cent sur mon traitement de texte! o/ Je tiens le bon bout, je crois que je vais y arriver, cette fois-ci! -^^-

     

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    Paul Ravert poussa un cri rauque quand la créature le percuta de plein fouet. Elle avait manqué de place dans l'encadrement de la porte, et le plafond était trop bas pour quelle bondisse, ce qui permit au soldat de réagir avec plus d'efficacité. Il avait eu le réflexe de brandir son fusil à l'horizontale devant lui, comme un bâton, ce qui lui sauva probablement la vie. Les mâchoires du monstre se refermèrent sur le métal de l'arme, et Ravert pour le repousser assez pour rester hors de portée des griffes acérées qui fouettaient l'air devant lui. Surpris du manque d'impact de son attaque et par la résistance de sa proie, le monstre refusa de lâcher la seule prise qu'il avait, et ses dents commencèrent à s'enfoncer dans l'arme. La force de sa mâchoire était phénoménale, et il s'en servait pour broyer le canon qu'elle enserrait. Bandant les muscles, Ravert essaya de lutter de son mieux, cramponné à son arme. La bête secouait sa tête ornée d'une crête dans tous les sens pour le forcer à lâcher prise, et seule l’exiguïté du lieu l'empêchait d'être projeté dans tous les sens comme un fétu de paille. Les sifflements de gorge furieux du prédateur vrillait les tympans du soldats, et il pouvait sentir de la bave chaude dégouliner sur sa main la plus basse. Paul employait toute sa force pour tenir le monstre à distance, mais il ne savait pas combien de temps encore il allait pouvoir maintenir le statu quo. A force de secouer ainsi sa prise, il avait l'impression que le monstre allait lui arracher les bras.

    -Poussez-vous bon sang, poussez-vous! lui criait la voix de Ken Marsters dans son dos. Ravert l'entendait bien, mais il n'osait modifier sa position de peur de perdre l'équilibre. Si le monstre le jetait à terre, il était perdu, et il n'avait aucune envie de connaître le sort de Stuart Moore. D'un autre côté, s'il continuait de résister ainsi, il finirait inévitablement par céder, et connaîtrait de toute façon le même sort. Alors il décida de faire confiance à l'ingénieur, et il s'écarta d'un bon, laissant son arme à la merci de la créature et se plaquant contre la cloison. Le bras tendu de Kenneth se déploya dans le couloir, et le canon du pistolet que lui avait confié le major se retrouva pointé droit sur la gueule de la créature surprise. Marsters fit feu plusieurs fois, sans s'arrêter, et Ravert crut un instant que son doigt s'était coincé sur la détente. Les balles frappèrent la gueule béante de leur cible, faisant éclater des gerbes de sang et provoquant une série de cris aigus. La créature vacilla sur place quelques instants, dans une cacophonie de bruits de gorge rauques, et elle finit par s'écrouler d'un coup comme une marionnette dont on aurait coupé les fils. Son corps massif s'agita encore plusieurs secondes sur le sol, agitant piteusement bras et pattes, faisant trembler jusqu'au bout de sa queue. Quand cette dernière cessa enfin de bouger, la créature était morte.

    -Je...je crois que je l'ai eue...

    Les jambes de Kenneth tremblaient, et il avait mal aux bras à force de brandir l'arme, ce dont il n'avait pas l'habitude. Mais il se sentait incapable de se détendre, et il n'osait pas bouger de peur de perdre le peu de souffle qui lui restait.

    -Vous avez été super, Ken. Vous avez fait du beau boulot, vous m'avez sauvé mon vieux ! Pas mal pour un simple ingénieur !

    Le sourire éclatant qui illuminait le visage de Paul était sincère, et il saisit délicatement les poignets du civil entre ses mains, afin qu'il se détende.

    -Vous pouvez baisser votre arme, maintenant. Je crois que vous avez dû vider tout votre chargeur, ou presque. Ce n'est pas grave, vous avez fait ce qu'il fallait.

    -Je ne n'avais encore jamais été confronté à ce genre de situation... D'habitude, les relevés périodiques ne vous sautent pas au détour d'un couloir, même si j'ai connu des étudiants encore plus féroces que cette chose...

    Kenneth souriait à son tour, faiblement, mais il encaissait le choc à sa manière, petit à petit. Son souffle se calmait, et il retrouvait enfin le plein contrôle conscient de ses membres. Il baissa doucement les bras, accompagnant le mouvement de Ravert, et il rangea le pistolet dans une poche de son manteau. Il contempla ses doigts, comme fasciné ; il pouvait sentir une forte odeur de poudre dans l'air, mêlée à celle, acide, du sang de la créature morte. Les détonations ne lui avaient pas semblé si fortes que ça dans le feu de l'action, mais il réalisait maintenant à quel point ses oreilles bourdonnaient.

    -Vous feriez une très bonne recrue. Quelques kilos en moins, un peu d'exercice, et rien ne vous arrêterait.

    -N'en rajoutez pas non plus, rit Marsters. Votre arme ?

    Ravert avait arraché son fusil du cadavre du monstre, et le tenait entre ses mains, l'air député.

    -Inutilisable. Ces saloperies ont de la force quand elles mordent ! Mieux vaut ça qu'un bras, en tout cas. Et il me reste mon arme de poing. Si on en croit votre prouesse, cela suffira à les faire reculer.

    -S'il faut vider tout notre chargeur dessus, on ne va pas s'en sortir longtemps...

    -Bah, ne minimisez pas votre acte, ni nos chances ! C'est comme les problèmes que nous affectionnons tant : il suffit de les affronter l'un après l'autre, et nous arriveront au bout. Et à propos de bout, nous devrions nous remettre en route. Mais d'abord, j'ai une question pour vous.

    -Dites moi.

    -Vous comptiez nous le cacher encore longtemps ?

    Ravert désignait la main de Marsters. L'ingénieur avait ôté son gant pour mieux saisir son arme, et la manche de son manteau avait été relevée dans le feu de l'action. Des traînées bleues, comme des sortes de veines, couraient sur la peau. Les doigts de Kenneth se crispèrent, et il plongea aussitôt la main dans sa poche.

    -Je ne pensais pas que c'était...nécessaire d'alourdir l'ambiance plus que nécessaire. Ce n'est pas important.

    -Ça a commencé quand ?

    -Peu après ma griffure. J'ai fait promettre au docteur Jung de ne rien dire tant que cela ne mettait pas le groupe en péril. Ça n'a pas arrêté de s'étendre depuis. Il ne peut rien faire de toute façon, alors je ne voulais inquiéter personne. Ne lui en voulez pas d'avoir tenu sa langue.

    -C'est bien son genre, Sungmin ferait tout pour un patient. Les autres avant tout. La voix de Ravert s'était attendrie tandis qu'il parlait de son compagnon, puis elle retrouva tout son sérieux : Sérieusement Ken, vous auriez dû nous le dire. Nous sommes dans ce bateau -ce train, devrais-je dire- tous ensemble, vous n'avez pas à porter ce fardeau seul.

    -Peut-être bien. Non, vous avez raison. Mais je n'ai jamais vraiment eu l'habitude de me confier ainsi. J'ai toujours été du genre à rester dans mon petit monde... Mais merci Paul.

    -Gardez le moral, mon vieux ! Rien ne nous dit que ce qui est arrivé à Madame Miguel vous arrivera à vous aussi. Quand nous aurons retrouvé la civilisation, on trouvera le moyen d'arrêter la progression, je vous le promets.

    Ravert tandis la main, et les deux hommes se serrèrent l'avant-bras, à la manière des militaires de l'Hégémonie. Kenneth se sentit curieusement honoré, et il fit de son mieux pour afficher un air optimiste. En réalité, il avait l'impression d'avoir été condamné au moment où cette bête l'avait blessé. Il pouvait sentir ce mal progresser à l'intérieur de lui, comme si chaque cellule de son corps finissait par se faire dévorer. Il faisait tout son possible pour tenir la douleur à l'écart, pour garder la maîtrise de lui-même. Mais les encouragements de Ravert lui faisaient du bien, et il n'avait aucune envie de doucher ses certitudes. Même si tout au fond de lui, Kenneth avait accepté cette mission parce qu'il n'estimait plus avoir grand chose à perdre, de toute façon. Et il était bien décidé à faire tout son possible pour aider les autres passagers. Il se sentait investi d'une mission, et il s'agissait d'une mission qui comptait plus que tout.

    -Alors, on y va ? fit-il, l'air décidé. Ravert lui lâcha le bras, puis hocha la tête.

    -Passer devant, je vérifie derrière nous. On...

    Le silence se fit soudain, et Marsters sut que quelque chose n'allait pas sans même avoir besoin de tourner la tête. Il le fit néanmoins, pour découvrir le visage blême du soldat, qui fixait un des colis du wagon de marchandises qu'ils venaient de traverser. Le conteneur s'était renversé, sans-doute lors de l'arrêt forcé ou bousculé par une des créatures qui rôdaient à l'intérieur. Il s'agissait de plusieurs petits boîtiers noirs, semblables à des balises classiques. Si ce n'était celle qui clignotait d'une sinistre lueur rouge.

    -Bon sang, poussez-vous !

    Joignant le geste à la parole, Ravert poussa Marsters en avant, à travers le passage qui séparait le wagon. Et avant que Kenneth ne puisse lui demander ce qui se passait, Ravert poussait la porte derrière l'ingénieur, les séparant. Parce que Paul Ravert savait que sans la porte pour couper la route à ce qui allait suivre, tous deux n'arriveraient pas à courir assez loin pour se mettre à l'abri.

    -Sungmin, murmura le soldat, avant de fermer la porte pour de bon sans répondre aux interrogations étonnées de Kenneth Marsters. Le soldat ferma les yeux, et sa dernière pensée fut pour son plus fidèle compagnon, le médecin au grand cœur qu'il avait rencontré pour ne plus jamais le quitter. Le wagon explosa, tuant instantanément Paul Ravert et, de l'autre côté de la porte, Kenneth Marsters poussa poussa un long cri.

  • Du café dans la cuisine

    Un bref texte d'humeur, pondu sur le moment.

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    Il y a des choses qui ne changent pas. Les saisons, par exemple. Elles ne peuvent pas s'empêcher de revenir, encore et encore. D'accord, vous avez généralement en horreur ceux qui se plaignent du temps qu'il fait -nom d'une chouette, on n'y peut rien, alors à quoi bon pousser des hauts cris pour quelques gouttes de pluie de trop ou un rayon de soleil malvenu?- mais il y a quelque chose dans le printemps qui vous pousse à vouloir vous enterrer au fond d'un trou pour n'en ressortir que sous un ciel gris, froid et humide. Vous haïssez le printemps. Il y a de ces gens qui n'ont qu'une envie : hiverner tandis que règnent la neige et le froid. Vous, vous voudriez printempiner (ça a l'air vulgaire, dit comme ça). En fait, vous n'êtes pas un grand fan de l'été qui suit inévitablement non plus : la belle saison ne vous a jamais vraiment réussi. Il y a quelque chose dans la chaleur et le beau temps qui a une fâcheuse tendance à déstabiliser votre moral vacillant. La prédisposition à la déprime et à la morosité s'épanouit au soleil comme le tournesol vigoureux (tiens, ça aussi, ça a l'air vulgaire). Vous êtes un enfant de l'hiver, un être qui se complet dans la fraîcheur, le ciel gris et la neige. Déjà, vous avez toujours trouvé plus facile -et tellement plus agréable- de vous réchauffer quand il fait froid : vous enrouler dans une couverture, refermer votre veste, vous planquer sous draps et duvets bien frais juste dans le seul et unique but d'en frisonner de bonheur avant de sentir doucement la chaleur vous gagner. Tandis que se rafraîchir quand on a trop chaud, c'est tout de suite plus fastidieux. Après tout, au bout d'un moment il n'y a plus de couche à ôter, alors qu'on peut toujours en rajouter une quand la température est fraîche ! Et franchement, une boisson fraîche quand il fait chaud, c'est pas mal, mais une boisson chaude quand il fait frais, c'est le nirvana ! Et puis outre la chaleur printanière qui monte, qui monte, qui monte (décidément!), il y aussi le retour de vos chères allergies, condamnées par l’écœurante libido exacerbée du monde végétal. A ce que je sais, personne ne va répandre sa semence partout sur les fleurs (ou alors, des gens vraiment particuliers, mais j'imagine qu'il en faut pour tous les goûts), alors qu'elles nous foutent la paix !

    Bref, le printemps, ça vous mine, ça vous abat, ça vous déprime. Vous vous retrouvez confronté à un monde qui bourgeonne, préambule de l'été actif de la fourmi ouvrière, et il n'y a pas assez de clichés métaphoriques dans le multivers pour souligner à quel point cela vous fiche le moral en berne. Vous êtes réglé comme du papier à musique, chaque année c'est la même chose ! Enfin bon, pour être parfaitement honnête, il y a eu le printemps puis l'été passé, qui ont réussi à vous faire douter de leur malédiction coutumière. Mais cette année-ci, vous n'y couperez pas, et vous allez payer double-dose, vous le sentez ! Cela vous apprendra, à vous croire sorti d'affaire. Il y a peu de choses pires que de goûter à un fruit autrefois défendu et délicieux pour réaliser qu'il est en réalité aussi pourri qu'un cœur de percepteur. Il ne vous reste qu'à mâcher tout ça, morceau par morceau, et à prendre votre mal en patience. Le printemps, puis l'été, et leur insupportable sursaut de vie et d'activités, de symphonie de laquelle vous vous sentez inexplicablement exclu, rempli de mirages auxquels vous vous laissez bêtement prendre à chaque fois. Peut-être que ce coup-ci, cela se passera bien, peut-être que vous saurez en profiter, peut-être qu'il va enfin se passer ce petit quelque chose électrique que vous pouvez sentir dans l'air sans jamais réussir à le saisir. Ou peut-être que ça ne se passe qu'une seule fois et dans ce cas, vous êtes bien marron (même si pour ça, il faut attendre l'automne).

    Ces quelques mots pour simplement dire ceci : vous n'aimez pas le printemps, et vous avez peur que ce ne soit que la colline à dégringoler d'ici. La convention annuelle de jeu de rôles qui marque chaque année pour vous le début de cette saison honnie est déjà passée, et avec elle ce bref rush de désinhibition et de pur bonheur. Maintenant, vous êtes en manque, la soupape à sauté, il ne reste qu'à passer l'été sans se dessécher. Au final, rien ne change. Vous y avez bêtement cru l'espace de quelques mois ensoleillé, mais vous vous êtes fait avoir. La leçon est retenue, il n'y a plus rien à voir. Il ne vous reste qu'à aller vous coucher, passer une nuit de plus, à mal dormir, parce que vous n'avez jamais aussi bien dormi depuis.

    Enfin si, il y a une chose, sans-doute celle qui n'aura pu que contribuer à vous faire entrer de plein pied dans ce nouveau printemps déprimant, une chose qui ne cessera sans-doute jamais de vous hanter, une chose qui représente ce que vous avez perdu, et qui signifie sans-doute bien plus qu'elle ne devrait signifier mais peu importe, c'est votre petite chose, votre petit rappel : vous avez ouvert un placard, et il y a du café dans votre cuisine...

  • Lucie 65

    Une nouvelle page, et hop!

     

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    John Horst tapotait des doigts l'accoudoir du siège où il s'était installé, nerveux. Il faisait tout son possible pour faire bonne figure, et s'il avait plutôt bien réussi jusqu'à maintenant, il lui était difficile d'écarter la peur qui l'étreignait. Cette peur n'était pas pour lui, pas vraiment. Il considérait avoir assez vécu pour s'inquiéter inutilement de son éventuelle fin prochaine : il était en paix avec lui-même. Non, il avait surtout pour tous ces autres passagers, qu'il avait appris à connaître et à apprécier depuis leur départ à tous du complexe de l'Hégémonie. Il ne pouvait s'empêcher de s'imaginer être, quelque part, responsable de leur sort, et ce n'était pas uniquement dû au hasard. Il était celui qui avait recommandé Diego Delgado pour l'accompagner à Haven et, sans lui, le jeune prêtre n'aurait jamais eu l'occasion de mettre son plan en branle. Quand il y réfléchissait bien, John savait qu'en réalité cela n'aurait que retardé l'échéance d'une telle catastrophe, mais cela ne soulageait pas sa conscience. Il avait beau n'avoir eu aucun contrôle sur tout ça, il se sentait malgré tout coupable. Il aurait dû réaliser que quelque chose clochait chez son confrère, mais il tenait tellement à voir le meilleur chez autrui qu'il avait une fâcheuse tendance à manquer de jugement. Il était de ce genre d'homme qui refusait qu'un autre être -qui plus est un homme de foi- puisse s'abaisser à commettre un acte aussi violent. Il n'avait rien vu venir, Delgado avait agi, et la petite Lucie avait failli en être la première victime. Et puis le jeune Stan Détroit, madame Miguel... Deux de leurs camarades étaient morts à cause de sa négligence. Et puis il y avait Moore, le complice du jeune prêtre, tué lui aussi.

    Pour la énième fois depuis l'incident, Horst se demanda ce qui avait bien pu pousser ces deux hommes à agir ainsi. Certes, l'appât du gain était une motivation suffisante pour la plupart des hommes faillibles, comme ce Stuart Moore, mais il n'aurait imaginé qu'un de ses confrère puisse en être la victime. D'ailleurs, il doutait fortement que cela soit le cas. Delgado agissait pour une cause, une cause qui l'avait poussé à une terrible folie, et c'était là ce qui faisait vraiment peur à John Horst. Une cause, même mauvaise, était le meilleur moyen de faire agir ceux qui luttaient pour elle, et ce qu'elles qu'en soient les conséquences. Quelque chose avait convaincu Diego Delgado d'y adhérer, quelque chose l'avait poussé à s'abandonner à la traîtrise et à la violence. Un quelque chose qui ne devait pas être sous-estimé, un quelque chose que la plupart des gens -Horst le premier- avaient négligé. Un tel mouvement devait avoir des origines solidement ancrées au sein même de l'Hégémonie pour faire tomber dans ses filets des hommes comme Delgado, et l'ampleur du problème leur échappait à tous, Horst en était persuadé. Il avait essayé de parler à son jeune collègue depuis qu'il avait dû être maîtrisé suite à sa crise, mais sans succès. L'homme refusait de parler pour mentionner autre chose que ce bleu qui allait causer leur perte, du froid qui rugissait à l'extérieur et du vent qui allait balayer le monde. Il restait étonnamment calme pourtant, il n'y avait plus rien du fou qui s'était déchaîné des heures plus tôt. Mais il était impossible de tirer de lui quelque chose d'intelligible et, la plupart du temps, il se taisait et rien ne semblait pouvoir le faire réagir. John l'avait supplié de lui parler, de lui avouer la cause d'un tel comportement, de libérer sa conscience, mais il n'avait eu de plus substantiel en retour que le sourire tranquille, absolu, d'un fanatique mené par sa cause. Delgado n'avait pas l'air alarmé par la situation et il émanait de lui une forte assurance qui commençait à taper sur les nerfs de John.

    Au moins, en parlant de ceux qui agissaient sur ses nerfs, Travers se tenait plutôt tranquille depuis la dernière intervention du major. John éprouvait une certaine pitié pour le responsable du train, projeté ainsi dans une situation hors de tout contrôle, mais le rouquin pouvait se révéler diablement agaçant. Mais c'était la peur qui le menait ainsi et cela, Horst pouvait le comprendre. Comme il comprenait la douleur muette d'Augustus Delgado, le poids des responsabilités qui pesait sur les épaules du major Adams et les craintes et les espoirs des autres passagers. Il n'avait d'autre choix que de continuer à traverser cette épreuve tous ensemble, et John était bien décidé à faire tout son possible pour y contribuer. Même si cela ne revenait pour l'instant qu'à faire preuve de courage, et à prier. Deux choses auxquelles croyait fermement le père John Horst. Tout à ses pensées, il croisa le regarde de Lucie, qui écoutait de la musique grâce à l'appareil que lui avait donné Travers. Elle sourit à John, radieuse, et l'homme sentit son fardeau s'alléger quelque peu. La bravoure de l'enfant était pour lui un véritable exemple, et il se dégageait de la gamine tellement de force et de chaleur qu'il ne pouvait pas y être insensible. Le charme de Lucie fonctionnait chez tout le monde, et ne vous lâchait plus. Dans une certaine mesure, même Travers et Delgado n'avaient pas été épargnés... Quelque part, John se dit qu'il y avait encore de l'espoir. Il sourit à Lucie en retour et tourna la tête pour essayer une nouvelle fois de discerner à travers la fenêtre les contours du paysage battu par les vents polaires. Il désespérait de ne toujours pas réussir à apercevoir un morceau de ciel, quand un mouvement l'attira du coin de l’œil. Travers venait de quitter Delgado et fouillait maintenant dans ce que John reconnut être le sac de voyage du jeune prêtre. Il était étrange que ces deux-la aient conversé, mais personne ne faisait réellement attention à eux de toute façon : tout le monde évitait Travers, et Delgado était entravé et bloqué sur son siège. N'empêche, John se demanda ce que les deux exclus avaient bien pu se raconter quand un frisson lui remonta le long de la colonne vertébrale. Il ne pouvait dire d'où lui venait cette impression aussi soudaine que désagréable, mais quelque chose clochait... Quelque chose de grave. Réagissant à l'instinct, il se redressa en un éclair et se mit à courir dans le couloir, se précipitant droit sur Ed Travers au moment où celui extirpait du sac une sorte de petit boîtier pas plus grand qu'un briquet.

    -Travers, non ! Arrêtez !

    Horst accéléra, sous le regard médusés des autres ; les soldats réagirent le plus vite, portant la main à leurs armes, mais il était trop tard : Travers appuya sur un bouton. L'espace d'une seconde, rien ne se passa. Puis un bruit assourdissant et un choc terrible firent trembler l'ensemble du train, déséquilibrant tous ceux qui s'étaient mis debout. A travers la vitre, une lueur rougeoyante était maintenant visible, venant de l'arrière du train : un des wagons de marchandise venait d'exploser.