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Plume de Renard - Page 32

  • Lucie 59

    Ca fait longtemps, je sais. Et non, je ne promets rien.

     

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    « Journal de Lucie Robbins, deuxième jour

     

    Madame Delgado est morte. C'est ce que maman m'a dit tout à l'heure, quand elle est venue me chercher pour me parler. J'étais en train de réfléchir à ce que j'allais écrire dans le cahier que m'a donné monsieur Kent. Arthur. Je crois qu'il n'aime pas beaucoup quand je l'appelle monsieur Kent, il dit que ça fait trop sérieux. J'avais commencé avec des mots qui me venaient à l'esprit, je voulais raconter mes rêves. Mais si j'arrive à en parler, dès qu'il faut les écrire, c'est plus dur. Plus dur que le plus difficile des devoirs, quand j'avais encore des devoirs. Et puis maman m'a dit que madame Delgado était morte, et je me suis dit que les rêves n'étaient pas aussi importants. Je n'ai jamais vu quelqu'un mourir, avant. Je ne connaissais même personne qui soit mort, à part un des client qui venait souvent au bistrot, mais il était déjà très vieux et un jour il n'est plus venu. Maman avait essayé de m'expliquer, comme elle le faisait toujours, mais cette fois-ci elle avait eu de la peine. Je crois qu'elle avait peur que je comprenne. Mais je ne suis pas idiote, je sais ce qui se passe quand quelqu'un meurt. Seulement, le voir n'est pas la même chose que le savoir. Maman avait des larmes dans les yeux quand elle m'a dit, ce qui ne lui arrive presque jamais. Elle est toujours forte. Mais je crois qu'elle aimait bien madame Delgado. Moi aussi je pense, même si je ne lui ai pas vraiment parlé. C'était une dame, et elle était vieille, c'est tout ce que je sais. J'espère que ce n'est pas tout ce qui reste quand on pense à elle. Elle avait l'air gentille en tout cas. Et très malade depuis l'accident. Maman ne m'a pas laissé voir ce qu'elle avait, mais je sais que ça inquiète tout le monde. Maman n'arrête pas de me regarder sous toutes les coutures, elle a peur que la bosse sur ma tête se transforme en quelque chose d'autre je crois. Elle n'est pas souvent inquiète non plus, mais je la connais bien, même quand elle essaie d'être aussi forte que d'habitude. Elle demande sans arrêt au docteur Jung de m'examiner. Il est gentil, il ne s'énerve jamais, même s'il dit à chaque fois que je vais bien.

    Ils sont tous en train de parler de madame Miguel. Je crois qu'ils décident de ce qu'ils vont faire avec elle. Ils l'ont couverte avec une grande couverture, comme si elle avait froid et qu'elle devait dormir. C'est peut-être ce dont on a besoin quand on est mort. On doit avoir froid, en tout cas. Je me demande pourquoi ça fait aussi peur aux adultes. Le froid ne m'a jamais fait peur. C'est facile de se réchauffer. Et puis je connais le froid, j'en rêve. Je me demande si je verrai madame Miguel, dans mes rêves. Je pourrai lui dire que tout va bien, et qu'il ne faut pas s'inquiéter. Qu'elle peut aller vers le bleu. Les grands discutent beaucoup, toujours maintenant. Le père Horst n'arrête pas de parler doucement à monsieur Miguel, qui n'arrête pas de pleurer. J'ai l'impression d'entendre craquer ses épaules à chaque fois qu'elles sursautes. Il est vieux lui aussi, comme sa femme, et je me demande s'il a peur du froid aussi. Le major aimerait qu'on déplace madame Miguel, je l'ai entendu. Il y en a qui ne sont pas à l'aise avec elle. Je ne vois pas pourquoi, c'est toujours madame Miguel. Je crois que je devrais avoir peur moi aussi, ou que je devrais être triste. Mais je n'ai pas peur. Comme maman. Et je ne suis pas triste... Je ne sais pas vraiment pourquoi je ne suis pas triste. Peut-être que je ne suis pas normale. On me l'a déjà dit. J'essaie de comprendre alors j'écris, comme monsieur... Comme Arthur me l'a proposé. Il est gentil. De temps en temps, il me regarde et il me sourit, je crois qu'il est content que j'ai décidé d'écrire dans son cahier. Ça m'occupe, en tout cas. Je préfère ça que de rester toute seule dans mon coin à penser. Des fois, je regarde aussi le père Delgado, qu'ils ont attaché et installé à l'écart. Il ne dit rien, je me demande à quoi il pense. Et pourquoi il a essayé d'attaquer madame Miguel. Il a parlé du bleu. Il fait des rêves lui aussi, je le sais. Des rêves comme moi. J'aimerais bien lui parler, mais maman ne voudrait pas. Et il y a toujours un des soldats pour le surveiller. A moi, il ne me fait pas peur. Je crois surtout que c'est lui qui a eu peur. Peut-être qu'il ne comprend pas comme moi. J'aimerais... Maman arrive. Les adultes ont dû décidé ce qu'ils voulaient faire, et elle vient sûrement pour me l'expliquer. Elle ne pleure plus en tout cas. Elle est forte, ma maman. Et je dois l'être moi aussi. »

  • Les pieds froids

    Oui, il n'y a pas eu d'écrits depuis un certains temps dans le coin. Entre l'appendicite, les gastros, le manque d'inspiration et pire encore, la suite des aventures de Lucie, c'est pas gagné. Et je ne parle pas de pondre une historiette! Mais bon, comme toujours, je retrouve le chemin du clavier, ne serait-ce que par souci thérapeutique, quand les émotions débordent. Alors voici.

     

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    Malade.

     

    Ça ne vous arrive pas souvent, mais ça vous fait une belle jambe. D'autant que parmi le peu de choses qui vous foutent la paix ces temps-ci, on y trouve au moins vos jambes. Qui font tout leur possible pour vous permettre de traîner votre corps déficient à son allure d'escargot, un pas après l'autre. Lit, canapé, cuisine, et on recommence, pas forcément dans cet ordre. En y ajoutant les innombrables visites express à la salle de bain. Non pas que vous répandiez tripes et boyaux sans discontinuer, même si vous auriez préféré, des fois que le mal de cœur y passe avec. Seulement, il paraît qu'il faut vous hydrater -ce qui tombe bien, vous passez votre temps à crever de soif- mais votre vessie n'y comprend plus grand chose. En même temps, vous n'avez jamais eu une vessie très futée et de toute façon, elle a toujours une patience équivalente à celle d'un gamin de quatre ans. De toute façon, vessie ou pas, vous êtes plus un tas de couvertures et peignoirs qui bougent mollement qu'un véritable être humain.

     

    C'est à croire que depuis votre appendicite, tout a subitement décidé de foutre le camp. Comme si machin qui s'est soudainement enflammé avait fait office de sonnette d'alarme pour vous dire :« Attention mon grand, fini la belle vie, tu vas souffrir maintenant, t'en prendre plein la gueule, et quand en seras réduit à un petit tas de vêtements de maison sur un coin de ton canapé et que tu finiras par péniblement en émerger, ce ne sera que pour mettre le pied sur un nouveau piège à souris du destin. En même temps t'avais qu'à ranger ton bordel hein, c'est pas ma faut si t'es pas ordré et que tu laisses traîner des trucs qui finissent par te tomber sur le coin de la pomme. Oh, et là je te fais vachement mal, alors il faudrait peut-être songer à te débarrasser de moi, mais c'est que le début hein, promis ! On s'appelle et on s'fait une bouffe ? ». Oui, votre appendice était du genre bavard, et si certaines personnes s'embarrassent dans leurs récits d'une escalope milanaise mutante, vous ne voyez pas pourquoi votre appendice ne serait pas sortie tout droit d'un cartoon, avec un monocle et un fez (« Because fezes are cool ! »).

     

    Et si l'appendicite, c'est un peu l'équivalent opératoire d'enlever un sparadrap et qu'à peine vous réalisez que tiens, vous êtes à l'hôpital, et bien vous vous retrouvez déjà chez vous, et bien ce n'était que le début des emmerdes. Pour parler crûment (ce qui n'est pas tant que ça dans vos habitudes, mais y a un moment où faut plus pousser et ou c'est juste marre ; et puis ça reste dans le thème, les intestins, tout ça). Non parce que bon, les trucs n'ont pas arrêter de vous tomber sur le coin de la pomme, sans jamais vous demander votre avis, vous laisser le temps pour souffler ou proposer de prendre part à une explication raisonnable autour d'une tasse de thé. Ils n'ont pas été aussi polis : ils se sont contenter de tomber. Un peu comme la foudre, mais sans priver de le faire au même endroit, et s'en s'essuyer les pieds avant d'entrer. Alors au bout d'un moment, faut pas s'étonner que sa lâche, comme les boyaux. Vous n'avez pas envie de sombrer dans l'auto apitoiement, mais trop c'est trop. D'autant que moralement, ça fait aussi son petit effet. Déjà parce qu'à force de vous traîner chez vous, entre vos quatre murs, et bien vous commencez à devenir sérieusement timbré. Et puis il est plus difficile qu'on ne le croit de tourner en rond dans un petit appartement, parce qu'on finit toujours par se cogner l'orteil contre quelque chose. Et comme l'extrémité du sachet de thé qui prend un malin plaisir pervers à s'échapper de vos doigts pour plonger dans la boisson, vous n'avez pas besoin de ça. Ça suffit maintenant, y en a ras le bol : des appendices, des gastros, des pieds froids et du reste. Parce que vous avez froid aux pieds. Vous qui n'avez presque jamais froid, qui dormez les fenêtres grandes ouvertes avec un simple drap fin pour vous couvrir tout l'hiver, et bien vous avez froid. Un froid issu de l'intérieur, qui s'injecte dans vos veines comme le produit anesthésiant avant une opération, un flot de glace liquide qui balaie les derniers îlots de chaleur préservés tant bien que mal par la tempête qui fait rage dans votre corps. Et quand vous n'avez pas trop froid, vous avez trop chaud, c'est à rendre fou. Mais les pieds, eux, restent obstinément froid, ce qui pose de sacrés problèmes logistiques au niveau du rendement des couvertures. Bref, vos pieds froids et vous n'en pouvez plus de traverser cette succession d'épreuves coincés chez vous, seul et misérable, si ce n'est pour votre propre compagnie. Qui n'est ces temps-ci ni très lucide, ni très jouasse.

     

    Peut-être que l'univers s'amuse maintenant à vous accabler de tout un bordel, mais vous ne lui avez rien demandé, à l'univers. Qui de toute façon, n'écoute jamais ce qu'on lui dit. C'est un peu son propre, à l'univers. Des milliards de planètes, de plans, des possibilités infinies, mais pas fichue de se faire un sonotone correct. Vous pourriez miser sur le karma, et attendre le lot de bonnes choses qui en résultera, mais vous croyez autant en ces conneries d'équilibre cosmique qu'en, disons, la possibilité de trouver un sens philosophiquement profond dans l'analyse d'un épisode de la saga « Twilight ». Non, l'univers, si vous le croisiez, vous lui récuriez la tronche à coup de brosse à chiottes avant de lui balancer un coup de binette dans la pomme. Non parce que bon, hein, vous croyez pouvoir dire sans trop vous jeter des fleurs que vous êtes un garçon plutôt gentil, affable. Un peu grognon quand vous avez envie de rester dans vos pantoufles, un peu râleur -question de principe- mais au final, pas méchant pour un sou. Du genre à hocher la tête et dire « ça va » plutôt que de vous précipitez dans un conflit inutile. Déjà parce que oui, en général, ça va. Vous avez fait un sacré chemin pour en arriver à vous dire ça mais force fut pour vous d'admettre à un moment que bon, d'accord, votre vie n'était pas parfaite, que vous n'aviez pas le contrôle sur tout, et que vous continueriez toujours d'égarer une chaussette après chaque lessive mais que globalement, ben, ça allait. Que y avait de quoi bien aller en tout cas et qu'une fois qu'on le réalisait, ben ça rendait les choses tout de suite non pas plus faciles -elles ne le sont jamais ; jamais!- mais plus gérables, plus abordables. Vous n'aviez plus à rester dans votre coin de peur de vous prendre une nouvelle tuile sur la tronche (même si à ce train là, vous aurez bientôt au final prit l'équivalent de deux ou trois toits sur la caboche). Qu'après tout, votre apologie du désespoir n'avait plus lieu d'être. Un rêve pieux de toute façon ; l'espoir restera toujours pour vous une drogue, un brin abrutissante, qui vous poussera toujours à relever la tête avant de la replonger dans la flaque, ne serait-ce que pour éviter de vous noyer. Le désespoir, le vrai, le pur, le dur, vous l'avez connu par le passé, et vous n'avez aucune envie de le retrouver si vous pouvez faire autrement. Le noir, le marécage, cette zone d'ombre glacée et solitaire dont on n'a l'impression que rien ne pourra jamais sortir et qui étouffe dans l’œuf le moindre germe d'un printemps nouveau (en même temps, qu'est-ce qu'un œuf fout avec des germes printemps nouveau, aussi). Mais quoi qu'il arrive, quoi qu'il se passe, le désespoir on peut s'en sortir, mais il projette toujours son ombre.

     

    Oui, donc, vous considérez être un gars plutôt sympa, gentil, pas cynique pour un sou et bêtement capable d'imaginer le meilleur dans chaque chose et à vouloir que tout se passe pour le mieux pour tout le monde, au point de passer dix minutes dans un supermarché à hésiter entre deux boîtes de petits pois de peur d'en laisser une seule et malheureuse de ne pas avoir été choisie (houla, dit comme ça, c'est quand même un problème qui doit remonter à sacrément loin mais tant pis, vous assumez). Vous l'étiez depuis toujours, et vous l'aviez retrouvé après une longue période creuse façon traversée du désert, repli sur soi-même, désespoir donc, et tous ces machins là qui poussent les gens à ne plus se raser, à vivre les stores tirés et à passer mille nuits sans sommeil en se raccrochant à n'importe quoi pour s'occuper l'esprit, qu'il s'agisse de se perdre dans les livres ou dans le déni. Vous vous étiez blindé, des fois qu'il pourrait vous arriver de ressentir à nouveau des trucs pour qui ou quoi que ce soit, et que ça pourrait à nouveau faire mal, à vous ou au qui ou quoi que ce soit en question, boîtes de petits pois comprises. Et puis le cocon s'est fendillé, vous avez mué, et ce n'était pas par un miraculeux caprice du destin, ou grâce à un événement révélateur sur le sens de la vie du genre de ceux qu'on croit imaginer pouvoir trouver dans un éprouvant périple en solitaire. Non, vous avez simplement finir par vous rappeler que vous aviez un cerveau -et pfou, vous y aurez mis, le temps !- et qu'en le connectant au cœur plutôt qu'en essayant de le substituer, et bien ça allait tout de suite mieux. Enfin, mieux, non, mais disons que c'était meilleur, ce qui n'était pas tout à fait la même chose. Vous vous êtes rappelé qu'il y avait un monde autour de vous, que vous en faisiez partie, et que vous ne sortiriez jamais de votre carapace si vous ne vous en débarrassiez pas pour plonger dans l'inconnu. Paradoxalement, de vous lier à nouveau au monde et aux gens qui le composent, avec tous les risques que cela encoure, cela vous a aussi permis de vous retrouver face à face avec vous-même dans le lot, et à un peu mieux comprendre qui vous êtes. Vous n'étiez plus en train de vous oublier. Car ce qu'on oublie facilement, c'est que ce n'est pas par l'isolement qu'on se retrouve, mais à travers autrui. Ou, du moins, à travers des expériences. On peut bien rester six mois (et vous avez fait ça plus longtemps) coupé de tout, ça peut faire du bien, mais ça ne règle rien. Vous, vous n'avez jamais vécu autant pour vous-même depuis que vous avez décidé de ne plus vous épargner le reste du monde. C'est étrange dit comme ça, mais ça marche. Ou du moins, ça marchait. Là, vous n'êtes plus très sûr. En même temps, depuis quelques temps, vous n'êtes plus très sûr de rien. Pourtant, vous étiez arrivé à atteindre ce stade béni qui vous permettait de voir le meilleur même dans la plus pourrie des situations, cet état qui permet de voir le bien dans toute chose, de profiter du revers de chaque médaille en le transformant en une nouvelle expérience plutôt qu'en une catastrophe sans équivalent. Mais quelque part, vous avez beau être un brave type tendance optimiste borderline naïf bien décidé à ne pas vous plaindre de ce que la vie met sur votre chemin même quand c'est une tarte dans la face, mais y a un moment où c'est marre. Tout simplement. Ras le bol. Ecoeuré, le bonhomme. Trop de tartes. A force de se relever sans cesse après un coup dur, il finit bien par arriver un moment où on se dit qu'il serait mieux et moins douloureux de rester couché, histoire de s'épargner le peu d'énergie qu'il nous reste. Et que l'envie de se retirer en boule dans un coin, sans plus rien demander ni attendre du monde, un gros casque sur les oreilles et des lunettes noires devant les yeux, ben ça devient carrément séduisant. Et puis après tout, merde, vous êtes humain, comme tout le monde (enfin, tous les humains, pas les arbres, les fleurs, les cailloux et tous ces machins, même s'ils ont quand même une vie bien moins compliquée, ces sagouins) ; au bout d'un moment, vous avez beau y mettre toute la bonne volonté du monde et voir le bien, vous allez finir par plier. Trop c'est trop, d'autant plus quand vous n'y êtes pour rien dans tout le bordel qui vous tombe dessus. C'est bien gentil d'y croire et d'essayer sans cesse mais au bout d'un moment, la machine se grippe et ça doit finir par casser. L'usine du bonheur met la clef sous la porte. Et quand on passe le calendrier des événements en revue, il y a un schéma qui en ressort, et c'est pas brillant : chaque essai qui compte, aussi bien qu'il ait commencé, a fini par se casser la gueule. Que ce soit vos entreprises scolaires professionnelles, sentimentales ou spirituelles, rien ne tient, vous finissez toujours par rouler misérablement en bas de la colline. Alors à la longue, quand on est pas con, on finit bien par additionner deux et deux et par rester couché. Histoire de cultiver son cynisme, afin de ressourcer par là ses réserves et de s'occuper de soi, et merde aux autres, au reste du monde et à l'univers. Non parce qu'il y a un moment où vous ne savez plus trop quoi faire pour continuer de mettre un pied devant l'autre, alors à quoi bon, franchement ? Deux et deux, ce n'est pas une addition compliquée.

     

    Seulement, vous n'avez jamais été très fort en calcule (et encore vous êtes gentil). On pourrait vous en présentez la preuve par neuf que vous n'y pigeriez rien, à toutes ces histoires. Ou alors vous finiriez par en oublier le résultat et à retomber les pieds devant dans vos travers à base d'espoir. Ressortir la tête de la flaque. Vous ne pouvez pas vous en empêcher, c'est maladif. Mais en même temps, vous avez grandi, vous avez mûri, vous avez appris à mieux connaître qui vous étiez réellement et il semblerait que cet espoir fasse partie intégrante de votre système. Sans lui, vous vous écroulez, vous vous retirez dans votre petit monde personnel loin des émotions et de tous ces trucs là souvent bien lourds. Et c'est chiant. Vous n'avez plus envie de passer à côté des trucs lourds. Même si vous avez une envie terrible de fuir dix jours loin de tout, vous savez que vous finirez par en revenir pas plus désespéré. Et vous l'acceptez faute de mieux, peut-être parce que vous avez mûri donc, et que vous êtes devenu plus fort, ou tout simplement parce que vous avez enfin trouvé en quoi croire, en quoi placer cet espoir qui n'a jamais cessé de déborder en vous par tous les trous, vous faisant patauger dans la flotte, la boue et les larmes. Seulement, ce sont vos larmes, et rien ni personne ne vous dira quand les verser, ou quand ne pas les verser .Vous vous accordez le droit à la vie, avec tout ce que cela ensuit. Et vous avez besoin de vous le rappeler, de vous le répéter et de vous l'écrire pour ne pas voir cette fragile charpente s'écrouler dans des moments difficiles, comme ces moments où vous êtes malade, ou le mal au coeur vous donne envie de l'arracher et de le balancer dans le Mont du Destin le plus proche, ou que vous avez les pieds froid. Vous essayez de rester celui que vous êtes devenu, et de vous rappeler que quoi que la vie et l'univers -qui a bon dos, vous l'avouez- vous balancent à la face, et bien cela vaut la peine de le recevoir, en bien ou en mal. Et de vous dire qu'un mal peut toujours redevenir un bien. Et toutes ces conneries. Même quand vous avez froid à l'âme comme maintenant, que votre corps vous trahit et que la solitude vous accable dans cette traversée de l'épreuve. Mais malgré toute votre foi, ce n'est pas facile. Ca ne l'est jamais mais là, vraiment, c'est compliqué. Il y a le schéma malheureux des répétions tragiques, l'énergie qui peine à être renouvelable, des enclumes qui tombent du ciel sur la croix où vous ne pouvez vous empêcher de mettre les pieds. Au final, ce qui est dur, c'est de se retrouver seul non pas avec soi-même, même seul tout court, coupé de son propre droit à influer sur les événements, privé de sa voix et visiblement condamné à voir des pans entier de la vie s'écrouler autour de vous sans même qu'on vous donne le droit de tout faire pour les retenir et les consolider. Et qu'au final, tout ce que vous pouvez faire, grand malade que vous êtes, c'est de garder prise sur votre affliction, de garder espoir dans la tempête.

     

    Mais ce n'est pas facile. Parce que rien ne les réchauffe, et que vous avez les pieds froids

  • Lucie 58

    Pas de notes ces deux derniers jours, une sournoise appendicite s'étant mise en travers de mon chemin. Mais maintenant que je suis de retour à la maison, il serait sot de laisser le rythme se casse plus longtemps! Une petite page donc, histoire de faire repartir la machine!^^

     

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    « Journal d'Arthur Kent, deuxième jour

     

     

    ...d'après ce qu'Adams et Grümman nous on raconté. Le major et ses hommes n'ont pas l'air alarmé plus que ça, mais je ne sais pas jusqu'à quel point ils affichent pour nous une façade tranquille, cachant leur inquiétude. Il est vrai que nous ne risquons sans doute pas grand chose, à l'abri dans notre wagon, mais il n'y a rien de rassurant à entendre ces bestioles se jeter contre notre refuge. Leurs tentatives sont moins fréquentes, on dirait, mais ils s'y remettent toujours au moment où l'on s'y attend le moins. C'est presque comme s'ils n'y croient pas vraiment, mais qu'ils continuent uniquement pour assurer le spectacle. Pour que nous n'oublions pas leur présence. Et ça marche. Leur manège commence à porter sur les nerfs de chacun d'entre nous. Il suffit de voir comme nous sursautons au moindre choc. Travers surtout semble en permanence sur le point de craquer, et il n'arrête de faire les cents pas dans le couloir que pour tordre nerveusement sa casquette de fonction entre ses mains, devant la vitre, comme s'il essayait de de déceler une issue miraculeuse au-delà du verre teint. Mais malgré la tension, j'ai l'impression que nous tenons le coup aussi bien que possible, étant donné les circonstances. La peur est bien présente, et l'attente difficile, mais nous ne succombons pas à la panique. Pour l'instant. Impossible de savoir combien de temps encore nous serons capables de garder ce rythme. J'imagine que tant que nous aurons le support du chauffage, et assez de nourriture dans les réserves, nous pourrons prendre sur nous. Mais le garde-manger n'est de loin pas inépuisable, de même que l'énergie qui circule encore dans les circuits. Le train est vieux, et nullement équipé pour ce genre d'aventure. Grümman semble le plus touché par ce point. Il a beau avoir déjà été bloqué à la surface aux commandes de l'engin, mais jamais autant de temps. Et jamais dans de telles circonstances. Il a des allures de père inquiet pour son enfant, et passe le plus clair de son temps dans la voiture de tête. Il est presque impossible de l'en déloger, et nous ne le voyons pas beaucoup.

     

    Inquiétantes sont aussi les possibilités de troubles en Haven. L'absence de secours ou de communications renforce nos craintes à ce sujet et apporte plus de poids aux dires de Delgado. Et le major a avoué que la situation était plus difficile que l'Hégémonie l'avouait publiquement, même s'il n'est pas entré dans les détails. J'en ai beaucoup parlé avec Kenneth, et il est au moins aussi troublé que moi à ce sujet, si ce n'est plus. Il dit que cela en met en lumière certaines des raisons pourquoi il a été appelé à Haven, notamment concernant ses compétences en ingénierie. Les choses sont sur le point de changer, plus rapidement qu'on ne le croit, et l'Hégémonie elle-même semble prise de vitesse par tous ces développements. C'est à se demander si la situation dont nous sommes les victimes n'était pas quelque part inévitable. Et bien évidemment, il a fallu que ça tombe sur le trajet où je me trouve. On essaie de fuir quelque chose, et on se retrouve jusqu'au cou dans des ennuis pires encore. Enfin, je dramatise, nous ne sommes pas encore morts. Même si la perspective d'un danger aussi final s'impose de plus en plus à nous : Detroit, Moore, la pauvre madame Miguel... Quelque part, c'est son état qui m'effraie le plus. Se faire dévorer par des reptiles géants sortis des glaces représente au moins une fin concrète, compréhensible, tandis que le mal qui s'est emparé de notre doyenne est quelque chose dont nous ne connaissons pas la cause. Sungmin est bien incapable, avec son matériel limité, de dire s'il est né de sa blessure à la jambe ou d'autre chose. Ni si le mal est contagieux. Quoi qu'il en soit, son agonie s'éternise, et Sungmin fait tout ce qu'il peut pour diminuer ses souffrances, même si elle ne semble plus se rendre compte de rien.

     

    Au final, pour le sort de cette femme comme pour le nôtre, nous n'avons plus qu'à attendre. Attendre, et espérer qu'un événement aussi improbable que celui qui nous a précipité dans cette galère finisse par se produire pour nous en sortir. J'ai l'impression que c'est là notre seul espoir d'échapper au froid, aux créatures qui rôdent, aux maux qui nous rongent et aux rêves terribles de Diego Delgado. »