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Plume de Renard - Page 67

  • L'inconnu et la poignée de porte

    Il arrive parfois, quand vous vous retrouvez fac e à votre clavier, que vous rappeliez avoir un blog. Oui, celui-là même que vous enrichissez en ce moment d’une nouvelle note qui sera lue par les quelques improbables pèlerins qui passeraient encore dans le coin de temps en temps, des fois qu’il y aurait du neuf.

    Et vous êtes bien embêté, car si vous leur mettez effectivement une nouvelle note sous les yeux, de neuf vous n’avez rien à raconter. Oh, ce n’est pas qu’il ne se passe rien de votre côté, mais aucun évènement particulier ne vous a donné l’envie soudaine de vous saisir de votre plume pour le mettre en prose pleine de mots. Et oui, il y a une redondance qui se retrouve jusque dans vos expressions, et point uniquement dans la routine de votre vie.

    Ah si. Il y a quand même quelque chose : ça y est, vous vous êtes lancés dans la grande aventure de la recherche de votre premier logement. Ca a l’air de rien, dit comme ça, mais mine de rien cela représente un grand pas en avant. Du genre de ceux qui vous propulsent dans l’inconnu à bras le corps. Bon, l’ennui, c’est que l’inconnu ça parait alléchant comme ça, mais qu’on ne sait pas ce qu’on va y trouver. C’est un peu le principe, me direz-vous. Si on savait ce que représentait l’inconnu, on ne s’amuserait pas à le chercher, et beaucoup de scientifiques seraient très malheureux s’ils n’avaient plus de raison d’essayer d’expliquer les trois quarts inexplicables de l’univers avec le quart qu’ils croient avoir compris et dont nous rirons tous très certainement lorsque nous aurons six doigts à chaque main et un clone accroché au portemanteau.

    Mais vous vous égarez un brin. L’inconnu, donc. Celui, terrifiant de l’émancipation, qui passe fatalement par la recherche de son premier chez soi, celui où il n’y aura personne pour vous dire d’aller chercher le pain à la migros. Pas plus qu’il y en aura pour faire votre lessive, mais c’est une autre partie du problème que représente cette grande équation pleine d’inconnues. Dont certaines sont d’ailleurs représentées par des lettres qui, au lieu de se réunir par petits groupes en parenthèses, préfèrent arriver chaque mois couvertes d’autres lettres et de chiffres qui font mal aux yeux parce que rarement là où on aimerait qu’ils soient. C’est très humain ça, de s’user les yeux parce qu’on refuse de croire ce qu’on a devant soi lorsque cela ne nous convient pas. Comme quoi, une vision saine peut parfois dépendre d’un simple décalage dans une colonne ; on est finalement bien peu de choses…

     

    Surtout vous, d’ailleurs ; vous êtes bien peu de choses face à l’immensité de l’univers. Et pas le meilleur du mutivers ; celui où vous devez faire face à des histoires soudaines d’assurances et de références n’est vraiment pas votre préféré. Vous auriez pu tomber sur celui où les arbres sont faits de chocolat, mais la vie n’est pas un rêve et votre estomac ne s’en remettrait pas. De toutes façons, paperasse ou chocolat, ça se digère mal en grandes quantités (sans doute à cause de la qualité de l’encre).

     

    La recherche de votre foyer, donc, celui que vous et vos petites choses aller peupler de votre amour et de vos angoisses (vous espérez en trouver un avec assez de placards). La recherche d’un appartement, mais un petit comme vous aimeriez bien avoir (ne dit-on pas que quand c’est petit, c’est mignon ? Ou confondez-vous les adages ?), et bien mes amis, ce n’est pas chose aisée. Vos lecteurs (si vous en avez encore) le savent sûrement au moins autant que vous, vous n’allez pas leur apprendre grand-chose (en même temps, si les blogs étaient faits pour apprendre, ça se saurait). Outre la paperasserie nécessaire qui vous donne l’impression de combattre une hydre tentaculaire (pour un papier de trouvé, deux autres sont nécessaires), la recherche en elle-même vous pose de menus problèmes. Déjà, quand il s’agit d’appeler le numéro d’une annonce à l’air prometteuse (de celle qui vous fait les yeux doux et dont vous pensez qu’elle ne se tirera pas le lendemain sans même laisser un petit mot sur l’oreiller), vous regardez le téléphone comme s’il s’agissait d’une bête prête à mordre, tête de méduse sortie des enfers aux multiples serpents vicieux qui vous paralysent à vue. Vous êtes tout bonnement incapable de décrocher la satanée machine pour vous renseigner et finissez par vous rabattre, la mort dans l’âme, sur une bonne âme encore bien vivante de votre entourage qui passera le coup de fil salutaire pour vous, le coup de fil qui augure de pleines merveilles et promesses qui ne font généralement pas long feu sur l’ardoise brûlante de vos désillusions.

    Bon, ensuite, il y a la visite de ces prisons dorées, promesses de liberté astreignante qu’est la sacro-sainte indépendance. Là non plus, ce n’est pas votre truc. Déjà, vous êtes incapable de vous repérer correctement avec des cartes dans une ville comme Lausanne, alors vous paniquez dès que l’objet de vos attentes les plus folles (qui ne prennent pas beaucoup d’espace et ne demandent au fond que quelques mètres carrés) s’écarte ne serait-ce que d’une rue des zones que vous connaissez (vaguement). Du coup, il faut pratiquement que quelqu’un vienne vous tenir la main jusque devant la porte, vous guide et vous fasse votre goûter si elle est gentille. Car oui, vous avez une peur profonde et sourde, ancienne comme celle des chasseurs-cueilleurs qui devaient visiter la caverne du coin pour voir s’il n’y avait pas de mammouths tueurs avant d’y emménager, de vous présenter seul à une visite. On le sait, vous n’êtes sociable au tout venant que comme le serait, disons, une poignée de porte légèrement dépressive, et l’idée de vous confronter à un locataire inconnu vous faisant visiter son entre vous transperce d’effroi et vous assaillit d’angoisses à n’en plus dormir la nuit (qui dort la nuit de nos jours ? C’est has-been, non ?). Vous savez que si vous n’avez pas un cerbère, fidèle garde du corps ménager à vos côtés pour vous appuyer, vous vous contenterez de bredouiller des syllabes incohérentes en regardant chaque pièce, chaque meuble, avec le regard fou du lapin traqué pris dans le feu d’un boeing sur la piste d’atterrissage. L’inconnu, encore une fois. Le pire de tous : celui éà visage humain. Les inconnues inertes, comme les pièces vides ou ce qu’il y a de l’autre côté du panneau « Attention danger ! » ne nécessitent pas que vous fassiez la causette. Les locataires qui vous font miroiter les merveilles de l’endroit merveilleux dont ils sont si pressés de partir, ça risque d’être autre chose. Vous devenez une poignée de porte vraiment très mal à l’aise, et vous partez du principe qu’au moment où on se prend –métaphoriquement parlant, hein- pour une poignée de porte, les choses ne peuvent que mal se dérouler. Et puis, ce locataire inconnu, vous n’en savez rien. Si ça se trouve, il passe des annonce pour attirer les chercheurs de logement innocents (les chercheurs, pas les logements) afin de les tuer à coup de pelle, de les découper en morceaux dont ils cacheront une partie dans le congélateur tandis qu’ils empaillerons les autres pour faire des sculptures rigolotes qu’ils exposeront dans une galerie d’arts modernes (et soyons francs, personne ne se doutera de quoi que ce soit ; on peut cacher au grand jour n’importe quoi dans une galerie d’arts modernes, ça ne détonnera jamais avec le reste, et ce même si le sang est encore frais).

     

    Bref, c’est l’angoisse. Et si vous n’étiez pas prêts, maintenant que vous en avez l’opportunité ? N’était-ce pas plus confortable lorsque cela n’était qu’un rêve inaccessible, comme la fin de la dernière saison de Lost ? Et si vous n’étiez pas capable de gérer tout cela ? Et si vous finissiez mort et desséchés dans votre premier appartement parce que le stress vous aura fait oublier comment utiliser la poignée de porte pour recouvrer votre liberté ? Et si vous finissiez dans un congélateur avant d’être déguster par un cannibale distingué qui lira du Proust en assaisonnant votre cuisse gauche ?

    Et si la vraie vie, c’était quand même super flippant ?

    En fait nul besoin d’hypothèse : la vraie vie, c’EST super flippant. Tout le monde le sait, mais tout le monde se brûle les yeux en essayant de loucher sur la colonne d’à côté, celle qu’on préfère nettement voir, même si elle pleine de ratures et que, ben, elle n’existe pas vraiment.

    Vous voulez faire encore tellement de chose ! Il y a trouver un appartement (et y survivre). Ecrire cette histoire qui n’arrête pas de vous trotter dans la tête. Connaître à nouveau l’amour (quand on dit que vous avez un cœur de midinette…). Mangez plein de nouvelles sortes de ramens. Lire des dizaines et des dizaines de romans qui attendent sur vos étagères ou dans les rayons des magasins. Trouver quelqu’un avec assez de courage et d’abnégation pour enfin vous refaire l’intégrale de Battlestar Galactica et Lost (surtout Lost, parce que ça vous obsède en ce moment ; maintenant que la fin approche, vous DEVEZ tout revoir depuis le début pour réaliser que c’est quand même foutrement bien construit. Un ou plusieurs volontaires courageux ? Pitié ?). Aller en Ecosse.

    Que des petites choses, en comparaison au grand tout. Mais ne vaut-il pas mieux chercher à accomplir ces petites choses plutôt que de passer toute une vie à atteindre ce grand tout ?

    Après tout, qui sait… avoir des rêves de poignée de porte, c’est peut-être mieux qu’un rêve de grandeur : ce sera toujours assez petit pour ouvrir la porte et voir ce qu’il y a derrière !

  • La nostalgie éthérée de soirs d'été (ou la nostalgie fantôme d'un souvenir passé jamais réalisé)

    Il y a de ces nostalgies étranges, particulières, qui se plaisent à monter en vous comme la marrée le long des contreforts de la mémoire (c’est joli, ça, les contreforts de la mémoire. Vous penserez à le réutiliser au détour d’une ou l’autre conversation. Des fois que vous ne sauriez pas quoi dire, cela pourrait toujours faire son petit effet). Ce sont des sensations, des émotions, des souvenirs qui rejaillissent en vous quand vous vous y attendez le moins. Souvent, cela part d’une atmosphère. Une ambiance particulière, quelque chose dans l’air qui vous pousse à vous replonger dans les abîmes du temps passé.

     

    L’une de ces soirées d’été, où vous vous baladiez la nuit sur les trottoirs de la vieille ville, profitant de la douce chaleur nocturne et admirant les lumières chaleureuse de la cité. Les terrasses des bars encore ouvertes malgré l’heure tardive, où vous êtes tantôt arrêté pour boire un verre bien mérité en compagnie de vos amis. Ils sont encore là, vous accompagnant dans vos pérégrinations nocturnes, tels des aventuriers du bitume à la recherche du plaisir simple de refaire le monde une nuit d’été. A la recherche d’un Graal de quartier, où la musique s’échappe avec délices des fenêtres ouvertes d’une gargote qui n’attend plus que vous, celle où vous réunissez au moins une fois par semaine pour vous retrouver, raconter vos dernières journées, faire le point ou simplement profiter d’un silence complice en bonne compagnie. Tout autour de vous, les conversations fusent, les tablées parlent, rient, boivent, s’amusent. Vous regardez défiler les passants du passé, tranquilles ou pressés, toujours altiers. Des rois et des reines de la nuit, sortant de boîte, ou se dirigeant vers la prochaine. Ou alors d’un pas rapide, direction la station pour ne pas rater le dernier bus, le dernier métro.

    Un rire plus fort, une blague cent fois racontées, une histoire mille fois mise en scène, mais qui n’appartient qu’à vous tous réunis, qui vous voyez tout le temps et pour tant pas assez souvent. Du temps à rattraper, des histoires à raconter, des regards complices à échanger autour d’une bière, d’un coca glacé et d’une cigarette dont les effluves de tabac goudronné se joignent à l’odeur si particulière d’une telle atmosphère. L’heure tourne, toujours trop vite, toujours favorite. Une bande de copains s’installe non loin, et vous vous retrouvez dans chacun. Deux bandes d’amis qui se rejoignent. Les soucis, les pépins, les tracas sont échangés, comparés, moqués tandis qu’on oublie l’espace d’un café les responsabilités. Elles reviendront nous étouffer bien assez vite, peut-être le lendemain d’un doux soir de cuite. Mais aucune importance, ce soir c’est la danse des répliques qui balancent. Vous vous êtes tous déjà dit les mêmes histoires, les mêmes blagues, les mêmes vannes, mais cela n’a pas d’importance ; ce sont les vôtres, celles qui comptent, qui valent la peine qu’on les raconte. C’est une fin de semaine, comme celle d’avant et celle qui précède, comme la prochaine fois et celle qui suivra. Vous vous retrouvez entouré, de ceux qui vous aiment, de ceux que vous aimez, toute la bande au complet malgré les délais. Délais d’une vie bien remplie, d’un travail à accomplir, d’études à finir et de vie à mourir. Juste une fois par semaine, du temps volé dont le pesant est d’or, un or qui brille dans les yeux et qui pare chaque rire. Car vous savez bien qu’il est important, pour de tels moments de toujours trouver un peu de temps. Le temps d’un café avalé entre quelques mots échangés, ou le temps plus long d’une bière ou deux qui voient vos lèvres se délier. Puis la soirée s’avance, elle doit bien se terminer, vous le savez. Qu’elle dure depuis longtemps ou qu’elle vienne de débuter, des retrouvailles en coup de vent ou une bienheureuse éternité. L’importance du temps n’est pas les heures écoulées, mais ce qu’on peut en tirer de chaque minute.

     

    Non loin de vous, presque en face, le sourire d’une inconnue attrapé au vol, précieusement conservé dans le mouchoir de poche d’une nuit d’été.

     

    Il y a de ces nostalgies étranges, particulières, qui se plaisent à monter en vous comme la marrée le long des contreforts de la mémoire (ouais, c’est classe quand même, y a pas à dire). Ce sont des sensations, des émotions, des souvenirs qui rejaillissent en vous quand vous vous y attendez le moins. Souvent, cela part d’une atmosphère. Une ambiance particulière, quelque chose dans l’air qui vous pousse à vous replonger dans les abîmes du temps passé. Comme cette nostalgie d’un soir d’été. Et ce qu’il y a de plus dur, à sentir ces fantômes de souvenirs vous assaillir comme si vous y étiez, c’est que vous réalisez que vous ne les avez jamais vécus.

    C’est la nostalgie du temps passé la plus particulière : celle de ce temps qui, en définitive, n’est jamais arrivé.

  • Solitude

    Vous êtes là, en train de passer une journée plutôt tranquille quand soudain… Paf ! Oui, vous ne voyez pas d’autre mot. Paf. Comme une gifle dans la figure, un coup de poing dans le ventre ou un paquebot de plusieurs tonnes vous tombant sur le coin de la pomme (on ne dira jamais assez à quel point un paquebot s’écrasant de nulle part sur le pauvre personnage en dessous est un ressort comique formidable). En fait, tout cela, c’est peut-être parce que justement vous avez passé une journée tranquille. Trop tranquille. Comme celle d’avant. Et celle d’avant. Ainsi que celle qui précède et toutes ses bonnes copines, fidèles comme des matrones à leurs réunions Tupperware.

    Car, il faut bien l’avouer, il ne se passe pas grand-chose dans votre vie. Par exemple, le moment le plus exaltant de votre semaine a dû être celui où vous avez trouvé dans une boutique d’occasion quatre Disney que vous n’aviez pas encore. Et encore. Vous n’avez personne avec qui les regarder, et une fois rentré vous découvrez que le lecteur VHS refuse de fonctionner. Comme ça, sans raison. Il doit être caractériel, le lecteur VHS ; il doit être trop occupé à jalouser le lecteur DVD (bien qu’il n’ait pas vraiment de raison pour ce faire, vu la fréquence à laquelle ce dernier est utilisé lui aussi : à croire qu’au fond, il n’y a personne pour regarder des films, chez vous.). Vous pensiez pourtant que ces derniers temps, tout n’allait pas trop mal. Vous aviez l’impression de vous occuper, d’avoir toujours quelque chose à faire ; vous ne passiez plus le principal de votre temps à traîne de la cuisine à votre lit et du lit à la cuisine.

    Vous vous trompiez. Patatra, comme une cascade dans une vieille bande dessinée, vous avez dévalé les escaliers de vos habitudes, laissé échapper vos certitudes. Certes, vous ne manquez pas de choses à faire : des piles de romans à lire, des jeux à faire, des films et des séries en grande quantité, et d’autres choses encore. Seulement voilà : toutes ces choses, vous les faites seuls. Et vous réalisez que vous avez de plus en plus de mal à en profiter de cette manière. Et vous ne maniez pas l’hyperbole : seul est bien le mot. Famille et activités communautaires mises à part (même ça, ça commence à sentir bon le parfum de la triste routine), vous avez dû en tout et pour tout avoir un jour d’interactions sociales. Il parait qu’il y a des gens qui ont assez d’amis pour en voir chaque jour, mais vous vous êtes laissé dire qu’il s’agit de gens avec une vie réelle. De ceux qui partent travailler tous les matins, par exemple. Quelque part, rien de tel pour avoir une raison de sortir de chez soi. Manque de bol, vous, ça a plutôt tendance à vous envoyez dans le cabinet de votre psychiatre attitrée, au bord de la rupture, accessoirement en larmes et même, quelques fois, à deux doigts d’agrafer la main d’un collègue (mais ceci est une autre histoire).

    Ce genre de révélations ont tendance à vous frapper quand vous vous y attendez le moins. Par exemple –comme aujourd’hui- lorsque vous vous apprêtez tranquillement à regarder l’un des épisodes de la semaine des nombreuses séries que vous suivez. Au moment de lancer la machine, le premier doute vous assaille, bondissant sur vous tel la tique vengeresse sur le teckel pataud : à quoi bon ? Ce n’est pas comme si vous alliez ensuite avoir l’occasion de le partager, cet épisode. Vous n’osez presque plus dire plus de deux phrases à une tierce personne concernant –par exemple- une série, parce que vous avez alors l’impression de ne parler que de ça. Seulement, comme autrement, vous n’avez pas l’occasion d’en parler, ça vous vient tout de suite à l’esprit et vous avez envie de le partager, et donc d’en parler. Ce qui irrite les gens parce que du coup, comme dit plus haut, vous en parlez trop, et vous revoilà à la case départ. Un véritable cercle vicieux. Qui vaut pour pratiquement toutes les expériences que vous mourrez d’envie de partager qu’il s’agisse d’une série, d’un bouquin, d’un jeu, d’un film…

    Ce premier sursaut d’aquabonisme passé, vous vous dites que tant pis, quoi que vous fassiez maintenant, vous le faites peut-être seul mais au moins c’est quelque chose que vous aimez. Cela pourrait être pire. Quitte à larver devant un écran, autant le faire sans complexe si on ne veut pas craquer un beau matin et s’exiler au Yémen uniquement coiffé d’une théière en faïence. Et puis, de la rue à votre fenêtre s’élèvent les rires et les cris d’une quelconque bande de jeunes, d’amis, de potes, qui traînent ensemble, profitant de cette belle fin d’après-midi. Peut-être ces jeunes innocents iront-ils boire leur verre de l’amitié hebdomadaire, ou folâtre gaiement sur les chemins primesautiers d’une jeunesse désoeuvrée mais gaie qu’ils ne savent pas encore perdues. Et c’est aussi là que vous vous rendez compte que vous auriez donné n’importe quoi pour être à leur place. Parce que la vôtre, qu’elle soit devant un écran, un bouquin ou un cahier, elle n’est finalement qu’une place unique dans le morne wagon de votre existence. Vous qui manquez de peu l’ulcère quand on vient s’asseoir dans votre espace lors d’un trajet en transports en communs, vous ne supportez plus votre unique place assise dans le train de la vie. Ni votre tendance quasi-maladive aux métaphores clichés, comme celles qui parlent de train et qui font souvent le bonheur des adolescents accrochés aux écouteurs de leurs mp3 sur fond de musique rap. Vous, vous réalisez que vous préférer Patrick Bruel (ces derniers jours, vous avez développé une étrange fascination pour un album live de ce chanteur ; vous vous demandez si c’est une raison supplémentaire de vous inquiéter.).

    Alors encore une fois, vous finissez par vous précipiter sur votre clavier pour écrire ces quelques lignes. Quelques lignes que vous avez l’impression d’avoir tapées maintes et maintes fois, avec quelques changements de vocabulaire et plus ou moins de métaphores foireuses (mais jamais de musique rap). L’espace de quelques minutes, vous allez vous sentir mieux. D’avoir ainsi mis des mots sur les émotions (ou plutôt leur manque) qui s’agitent en vous. Vous allez, le cœur léger, pouvoir regarder l’un de vos plaisirs coupables de la semaine.

    Mais une fois l’épisode fini, vous vous tournerez et il n’y aura qu’avec le mur que vous pourrez le partager. Et si les murs ont des oreilles, ils n’ont pas de cœur. Alors vous allez sans doute étouffer un sanglot (un rien vous émeut aux larmes, ces derniers temps, c’est terrible ; vous pourriez presque fondre en larmes devant l’émotion se dégageant disons… d’ « Un Dîner Presque Parfait », tiens. C’est dire que vous êtes grave, comme disent les jeunes. Ou en tout cas comme disaient les jeunes du temps de votre jeunesse. Maintenant, vous ne savez plus trop ce qui est branché.), tourner en rond, fixer le vide, chercher le sommeil, et demain sera une nouvelle journée.

    Comme un nouvel épisode. Et toujours seul.