Il arrive parfois, quand vous vous retrouvez fac e à votre clavier, que vous rappeliez avoir un blog. Oui, celui-là même que vous enrichissez en ce moment d’une nouvelle note qui sera lue par les quelques improbables pèlerins qui passeraient encore dans le coin de temps en temps, des fois qu’il y aurait du neuf.
Et vous êtes bien embêté, car si vous leur mettez effectivement une nouvelle note sous les yeux, de neuf vous n’avez rien à raconter. Oh, ce n’est pas qu’il ne se passe rien de votre côté, mais aucun évènement particulier ne vous a donné l’envie soudaine de vous saisir de votre plume pour le mettre en prose pleine de mots. Et oui, il y a une redondance qui se retrouve jusque dans vos expressions, et point uniquement dans la routine de votre vie.
Ah si. Il y a quand même quelque chose : ça y est, vous vous êtes lancés dans la grande aventure de la recherche de votre premier logement. Ca a l’air de rien, dit comme ça, mais mine de rien cela représente un grand pas en avant. Du genre de ceux qui vous propulsent dans l’inconnu à bras le corps. Bon, l’ennui, c’est que l’inconnu ça parait alléchant comme ça, mais qu’on ne sait pas ce qu’on va y trouver. C’est un peu le principe, me direz-vous. Si on savait ce que représentait l’inconnu, on ne s’amuserait pas à le chercher, et beaucoup de scientifiques seraient très malheureux s’ils n’avaient plus de raison d’essayer d’expliquer les trois quarts inexplicables de l’univers avec le quart qu’ils croient avoir compris et dont nous rirons tous très certainement lorsque nous aurons six doigts à chaque main et un clone accroché au portemanteau.
Mais vous vous égarez un brin. L’inconnu, donc. Celui, terrifiant de l’émancipation, qui passe fatalement par la recherche de son premier chez soi, celui où il n’y aura personne pour vous dire d’aller chercher le pain à la migros. Pas plus qu’il y en aura pour faire votre lessive, mais c’est une autre partie du problème que représente cette grande équation pleine d’inconnues. Dont certaines sont d’ailleurs représentées par des lettres qui, au lieu de se réunir par petits groupes en parenthèses, préfèrent arriver chaque mois couvertes d’autres lettres et de chiffres qui font mal aux yeux parce que rarement là où on aimerait qu’ils soient. C’est très humain ça, de s’user les yeux parce qu’on refuse de croire ce qu’on a devant soi lorsque cela ne nous convient pas. Comme quoi, une vision saine peut parfois dépendre d’un simple décalage dans une colonne ; on est finalement bien peu de choses…
Surtout vous, d’ailleurs ; vous êtes bien peu de choses face à l’immensité de l’univers. Et pas le meilleur du mutivers ; celui où vous devez faire face à des histoires soudaines d’assurances et de références n’est vraiment pas votre préféré. Vous auriez pu tomber sur celui où les arbres sont faits de chocolat, mais la vie n’est pas un rêve et votre estomac ne s’en remettrait pas. De toutes façons, paperasse ou chocolat, ça se digère mal en grandes quantités (sans doute à cause de la qualité de l’encre).
La recherche de votre foyer, donc, celui que vous et vos petites choses aller peupler de votre amour et de vos angoisses (vous espérez en trouver un avec assez de placards). La recherche d’un appartement, mais un petit comme vous aimeriez bien avoir (ne dit-on pas que quand c’est petit, c’est mignon ? Ou confondez-vous les adages ?), et bien mes amis, ce n’est pas chose aisée. Vos lecteurs (si vous en avez encore) le savent sûrement au moins autant que vous, vous n’allez pas leur apprendre grand-chose (en même temps, si les blogs étaient faits pour apprendre, ça se saurait). Outre la paperasserie nécessaire qui vous donne l’impression de combattre une hydre tentaculaire (pour un papier de trouvé, deux autres sont nécessaires), la recherche en elle-même vous pose de menus problèmes. Déjà, quand il s’agit d’appeler le numéro d’une annonce à l’air prometteuse (de celle qui vous fait les yeux doux et dont vous pensez qu’elle ne se tirera pas le lendemain sans même laisser un petit mot sur l’oreiller), vous regardez le téléphone comme s’il s’agissait d’une bête prête à mordre, tête de méduse sortie des enfers aux multiples serpents vicieux qui vous paralysent à vue. Vous êtes tout bonnement incapable de décrocher la satanée machine pour vous renseigner et finissez par vous rabattre, la mort dans l’âme, sur une bonne âme encore bien vivante de votre entourage qui passera le coup de fil salutaire pour vous, le coup de fil qui augure de pleines merveilles et promesses qui ne font généralement pas long feu sur l’ardoise brûlante de vos désillusions.
Bon, ensuite, il y a la visite de ces prisons dorées, promesses de liberté astreignante qu’est la sacro-sainte indépendance. Là non plus, ce n’est pas votre truc. Déjà, vous êtes incapable de vous repérer correctement avec des cartes dans une ville comme Lausanne, alors vous paniquez dès que l’objet de vos attentes les plus folles (qui ne prennent pas beaucoup d’espace et ne demandent au fond que quelques mètres carrés) s’écarte ne serait-ce que d’une rue des zones que vous connaissez (vaguement). Du coup, il faut pratiquement que quelqu’un vienne vous tenir la main jusque devant la porte, vous guide et vous fasse votre goûter si elle est gentille. Car oui, vous avez une peur profonde et sourde, ancienne comme celle des chasseurs-cueilleurs qui devaient visiter la caverne du coin pour voir s’il n’y avait pas de mammouths tueurs avant d’y emménager, de vous présenter seul à une visite. On le sait, vous n’êtes sociable au tout venant que comme le serait, disons, une poignée de porte légèrement dépressive, et l’idée de vous confronter à un locataire inconnu vous faisant visiter son entre vous transperce d’effroi et vous assaillit d’angoisses à n’en plus dormir la nuit (qui dort la nuit de nos jours ? C’est has-been, non ?). Vous savez que si vous n’avez pas un cerbère, fidèle garde du corps ménager à vos côtés pour vous appuyer, vous vous contenterez de bredouiller des syllabes incohérentes en regardant chaque pièce, chaque meuble, avec le regard fou du lapin traqué pris dans le feu d’un boeing sur la piste d’atterrissage. L’inconnu, encore une fois. Le pire de tous : celui éà visage humain. Les inconnues inertes, comme les pièces vides ou ce qu’il y a de l’autre côté du panneau « Attention danger ! » ne nécessitent pas que vous fassiez la causette. Les locataires qui vous font miroiter les merveilles de l’endroit merveilleux dont ils sont si pressés de partir, ça risque d’être autre chose. Vous devenez une poignée de porte vraiment très mal à l’aise, et vous partez du principe qu’au moment où on se prend –métaphoriquement parlant, hein- pour une poignée de porte, les choses ne peuvent que mal se dérouler. Et puis, ce locataire inconnu, vous n’en savez rien. Si ça se trouve, il passe des annonce pour attirer les chercheurs de logement innocents (les chercheurs, pas les logements) afin de les tuer à coup de pelle, de les découper en morceaux dont ils cacheront une partie dans le congélateur tandis qu’ils empaillerons les autres pour faire des sculptures rigolotes qu’ils exposeront dans une galerie d’arts modernes (et soyons francs, personne ne se doutera de quoi que ce soit ; on peut cacher au grand jour n’importe quoi dans une galerie d’arts modernes, ça ne détonnera jamais avec le reste, et ce même si le sang est encore frais).
Bref, c’est l’angoisse. Et si vous n’étiez pas prêts, maintenant que vous en avez l’opportunité ? N’était-ce pas plus confortable lorsque cela n’était qu’un rêve inaccessible, comme la fin de la dernière saison de Lost ? Et si vous n’étiez pas capable de gérer tout cela ? Et si vous finissiez mort et desséchés dans votre premier appartement parce que le stress vous aura fait oublier comment utiliser la poignée de porte pour recouvrer votre liberté ? Et si vous finissiez dans un congélateur avant d’être déguster par un cannibale distingué qui lira du Proust en assaisonnant votre cuisse gauche ?
Et si la vraie vie, c’était quand même super flippant ?
En fait nul besoin d’hypothèse : la vraie vie, c’EST super flippant. Tout le monde le sait, mais tout le monde se brûle les yeux en essayant de loucher sur la colonne d’à côté, celle qu’on préfère nettement voir, même si elle pleine de ratures et que, ben, elle n’existe pas vraiment.
Vous voulez faire encore tellement de chose ! Il y a trouver un appartement (et y survivre). Ecrire cette histoire qui n’arrête pas de vous trotter dans la tête. Connaître à nouveau l’amour (quand on dit que vous avez un cœur de midinette…). Mangez plein de nouvelles sortes de ramens. Lire des dizaines et des dizaines de romans qui attendent sur vos étagères ou dans les rayons des magasins. Trouver quelqu’un avec assez de courage et d’abnégation pour enfin vous refaire l’intégrale de Battlestar Galactica et Lost (surtout Lost, parce que ça vous obsède en ce moment ; maintenant que la fin approche, vous DEVEZ tout revoir depuis le début pour réaliser que c’est quand même foutrement bien construit. Un ou plusieurs volontaires courageux ? Pitié ?). Aller en Ecosse.
Que des petites choses, en comparaison au grand tout. Mais ne vaut-il pas mieux chercher à accomplir ces petites choses plutôt que de passer toute une vie à atteindre ce grand tout ?
Après tout, qui sait… avoir des rêves de poignée de porte, c’est peut-être mieux qu’un rêve de grandeur : ce sera toujours assez petit pour ouvrir la porte et voir ce qu’il y a derrière !