Et hop, la première partie d'une nouvelle historiette basée sur vos chers personnages et même des nouveaux. On y parle de poussins, de churros et de chaussettes, les chaussettes représentant une des forces mystiques les plus puissantes de tout le multivers.
Ah, et un peu de carnaval, quand même.
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« Ché pjas chebbile jé charvanals kjan memch… »
Vous détournez le regard de la lumière joyeuse du manège qui tourne sans discontinuer depuis sans doutes des heures, et haussez un sourcil inquisiteur à l’adresse de Steve, le visage caché derrière un nuage de sucre rose. Car votre ami avait absolument tenu à s’arrêter pour une barbe à papa. Tout en sachant pertinemment qu’au fond, il n’aime pas tellement ça et qu’il finirait par s’en débarrasser après en avoir picoré un bon tiers. Mais dans l’esprit de Steve, il en est ainsi : qui dit carnaval dit forcément barbe à papa. Ce qui vous arrange, le coton sucré ayant le mérite de ralentir fortement le débit de parole de son propriétaire. Tout en le rendant parfaitement incompréhensible lorsqu’il ne plus se retenir de placer une remarque quelconque. Aussi, devant votre meilleur air interrogateur doublé d’un intérêt poli, il se dépêche d’avaler sa dernière bouchée avec une grimace. Levant le bâton de friandise au-dessus de son nez comme on jauge une bouteille de vin et constatant qu’il en était enfin au tiers de rigueur, il la jette dans l’un des nombreux sacs poubelles attachés aux longues tables de bois dressées partout pour l’occasion, où elle rejoint nombre de ses consoeurs guère plus entamées. Ce qui semble être le lot des barbes à papa partout où elles donnent en spectacles leurs doux ils de couleur. En Afrique il y a des cimetières d’éléphants, et dans votre carnaval, des cimetières de barbes à papa…
« Je disais que c’est pas terrible quand même, ces carnavals. Pourquoi est-ce qu’on est là ? Si je me fait bousculer encore une fois par un bouffeur de merguez, je ne réponds plus de mes actes ! »
Etant donné son bon mètre soixante-cinq et sa carrure d’anchois sur lequel on aurait enfilé un t-shirt rose moulant, l’idée d’un Steve dans tous ses états ne manque pas de vous amuser. Diplomate, vous préférez ne pas le lui montrer et optez pour votre réponse passe-partout, un haussement d’épaules. Vous êtes depuis longtemps arrivé à la conclusion qu’on bon haussement d’épaules était la réponse idéale ; bien maîtrisé, il permettait à l’interlocuteur d’y voir la réponse qu’il voulait. Steve semble s’en satisfaire, ce qui ne vous étonne guère. Pas plus que son commentaire. Vous êtes maintenant habitué à la propension de Steve aux râleries diverses et autres bougonneries. Tel le requin dans ses eaux profondes, votre ami n’est jamais dans son meilleur élément que lorsqu’il trouve l’occasion de ronchonner. A vrai dire, comme le requin qui meurt s’il s’arrête de nager, vous vous demandez dans quel état se retrouverait votre râleur favori s’il n’avait plus de raison de se plaindre.
Mais pour cerner plus en avant l’un de vos amis les plus proches, il convient d’y jeter un œil attentif. Ce qui n’est pas vraiment difficile étant donné que même au milieu de la foule la plus dense il se repère comme un poussin au milieu d’une bande de schtroumpfs. Si le t-shirt rose moulant cité plus tôt-heureux élu de la soirée et exemple plutôt sage d’une garde-robe généralement incongrue- n’est pas un indice suffisant, vous rajoutez le jeans taille basse troué aux genoux, la ceinture de cuire cloutée bien trop grande et des baskets à velcro d’un rouge tellement vif que vous vous attendez d’un instant à l’autre à voir les steak hachés des stands de hamburgers sauter de leurs petits pains pour venir foncer dans les fameuses godasses comme les taureaux qu’ils avaient peut-être été un jour. Du poussin, Steve a aussi cet air ébouriffé renforcé par des cheveux l’étant tout autant, décoloré au blond sauf la petite crête noire qui lui séparait le crâne en deux comme un tranche de bacon l’œuf au plat. Et si la tranche de bacon luit de graisse, la crête de votre ami luit de gel. Une chaîne en faux or passée au tour du cou et une paire de grosses lunettes de soleil à la monture rose fluo complétaient un tableau que n’aurait pas renié un impressionniste sous ecstasy. Il ne lui manque que la canne sertie d’un diamant, et vous vous surprenez à voir un renard jaillir des poubelles à tout instant pour se jeter sur les épaules et lui servir de manteau de fourrure. Une tenue pas plus extravagante qu’une autre pour, disons, un jeune de banlieue avec un léger strabisme. Seulement, n’importe quel ensemble –même le plus terne- a tendance une fois enfilé sur votre ami, à devenir aussitôt aussi déplacé qu’une moustache sous la trompe d’un éléphant. C’est là une sorte de malédiction aussi mystique que terrifiante qui accable Steve depuis de nombreuses années, et qui le pousse à changer de style aussi souvent que les philosophes d’avis après trois verres de vin. Chaque nouvelle tentative est pour lui une chance de se définir un genre, dans l’espoir de se fondre dans la masse et, avec de la chance et une dose de culot, de trouver le grand amour de sa vie. Une recherche de tous les instants qui pousse Steve à vous accompagner, vous et votre chère et tendre, à des évènements telle la foire du carnaval qui battait son plein en ville depuis quelques jours. Rien n’arrête jamais Steve dans la recherche de l’amour de sa vie, une tâche occupant la plupart de son temps d’étudiant en économie. Et quand on sait que celui que vous avez connu alors qu’il était l’un des colocataires de celle qui partage votre vie était lui-même amoureux fou de la créature et que ladite créature avait fini à votre bras, voilà une quête qui ne semblait guère sur le point d’aboutir. Et par une de ces prouesses étranges dans la vie seule à le secret, Steve avait surmonté sa déception et vous étiez devenus d’excellents amis, tous les trois. Et ne manquait pas une occasion d’accompagner votre couple dans une sortie qui avait la moindre chance de lui faire croiser la route de sa future promise. Mais la technique de Steve constituant principalement, lorsqu’il repérait une des rares filles qu’il estimait digne de retenir son attention, à la suivre de ses petits yeux mouillés derrière ses grosses lunettes en s’agitant comme… et bien, un poussin, ce jour n’était pas encore près d’arriver.
En le voyant ainsi, vous vous dites que vous êtes content d’avoir trouvé celle qui partage votre vie. Vous n’avez jamais vraiment aimé cherché quoi que ce soit, que ce soit les clefs de la maison ou un contrat avantageux pour un de vos prochains ouvrages. Quant aux chaussettes, vous avez abandonné depuis longtemps. Vous partez du principe quand attendant assez longtemps, quelque chose finit par vous tomber dessus. A votre grand plaisir et à l’agacement général de vos fréquentation, cela s’avère souvent le cas. Sauf en ce qui concerne les chaussettes. Tout le bon karma de l’univers ne peut rien contre la force des chaussettes disparues.
« Oh, regarde, des churros, je mangerais bien des churros maintenant ! »
Vous avancez, entre deux coups de cuivre d’un groupe de guggenmusik en vadrouille, que faire la queue à un stand pendant une demi-heure afin d’acheter de l a pâte sucrée qu’aucun de vos estomacs n’aura la force de tolérer jusqu’au bout ne vous enchante guère, mais vous cédez rapidement devant l’enthousiasme pépiant de votre ami. Qui peut avaler des kilos de nourriture, des pizzas dégoulinantes de fromage aux gâteaux les plus sucrés sans froisser une seule plume de sa silhouette impeccable de poussin. Et vous voilà tous les deux de longues minutes plus tard, un cornet de ces machins chauds et sucrés dans les mains à la vue desquels vous sentez déjà vos lèvres se rétracter comme une limace devant du gros sel.
« Les churros, ch’est chuper ! Hé, elle est passée où ? »
A cette question, vous tournez plusieurs fois la tête de gauche à droite. La femme de votre vie n’est nulle part dans votre champ de vision, encombré de passants festifs, de forains enthousiastes, de mangeurs de merguez dont la seule préoccupation de la soirée semble effectivement être celle de bousculer votre ami par mégarde, de manèges et de stands et lumières en tout genre. Sans oublier les ballons divers et variés qui se baladent au rythme de leur propriétaire, rebondissant de ci de là sur une tête ou un coude. Mais de votre chère et tendre, nulle trace, comme si elle avait été avalée par la foule. Ce qui n’est pas une pensée des plus rassurantes ; des estomacs capables de digérer barbes à papa acides et merguez trop grillées étant sûrement plus que capable de faire un sort à la belle créature.
Où diable a-t-elle bien pu passer ?
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...(Si ça c'est pas du "klifan'gueure" de la mort, comme on le prononce en bon français!)